J’entrais dans l’enceinte de l’université, sac sur l’épaule et clés en main. L’un de mes amis qui étudiait ici me donnait toujours son trousseau (qu’il avait volé à un prof) lorsque je le lui demandais afin que je puisse tranquillement m’installer dans une salle, ce qui était franchement pratique parce que ça m’évitait d’avoir à chercher un local pour m’entrainer. Certains soirs, je n’avais simplement pas envie de sortir faire la fête ou de voir des gens, je préférais être seul avec ma musique et les pas de danse qu’elle m’inspirait. Jamais je ne me suis moqué des artistes pour la bonne raison que je sais très bien ce que c’est que de « créer ». Ca demandait de l’imagination, mais surtout énormément de travail et de discipline… et tout cela impliquait un investissement de temps monstrueux.

Si j’avais pu choisir.

Si j’avais pu choisir qui être, je ferais déjà partie de la troupe de Lady Gaga ou de Madonna, mais c’était un rêve un peu fou que presque personne ne pouvait réaliser, surtout pas moi, et il fallait bien se raisonner : j’étais dans l’équipe perdante.

Une fois après avoir branché mon ipod à la chaîne stéréo, je m’échauffais brièvement, puis me lançais dans le rythme en tâchant de faire le vide dans ma tête pour me concentrer sur la chorégraphie qui dura cinq bonnes minutes avant de se terminer sur… une chute. Sur le coup, je n’ai pas pu m’empêcher de jurer d’énervement, mais mes jambes me relevèrent rapidement même si l’une d’entre-elles semblait ne plus vouloir me porter pour le moment. Ah, fait chier, le sol rendu glissant à cause de la transpiration, c’était pire qu’une patinoire. J’étais bon pour rentrer me coucher en espérant que la douleur aurait disparu demain, maintenant…

En soupirant, je me rasseyais à côté de mon sac et sortis une bouteille d’eau pour la coller contre ma cheville gauche. Si j’avais su que quelqu’un d’autre était présent à ce moment-là, je… bah je sais pas ce que j’aurais fais, mais surement ouvrir ma grande gueule pour éloigner la personne.

Bon… prêt à partir. Je venais de terminer de ranger mes affaires, il ne restait plus qu’à rentrer. C’est donc sac sur l’épaule que je sortis de la salle de danse en éteignant les lumières avant de me diriger vers la sortie. Le silence dans le couloir était presque total, mais quelque chose me dérangeait tout de même au fond des oreilles, bien que je fusse incapable de dire de quel son il s’agissait. Je n’avais pas remarqué que quelqu’un d’autre était présent dans le bâtiment et fus surpris de voir de la lumière derrière une porte. Qui d’autre pouvait bien squatter l’université à cette heure-ci ? La curiosité me poussa à m’approcher pour regarder ce qui se passait à l’intérieur, et je ne vous explique pas ma réaction quand j’ai vu que mon voisin de salle n’était autre que Bouclette qui jouait de la guitare et qui chantait derrière un micro. Le bourdonnement qui se dégageait des amplificateurs me permettait de dire que ce n’était pas de l’anglais que j’entendais là, et c’est en silence que j’entrais pour mieux écouter sans me faire remarquer.

Sans un mot, je plongeais une main dans la poche de mon pantalon et en sortis mon téléphone dans le but de filmer la scène qui se déroulait devant moi. Cette musique était plutôt bizarre, mais j’avais déjà entendu pire que ça… j’imagine que le fait qu’il s’agissait d’une langue étrangère y était pour beaucoup.

Mes yeux restaient rivés sur l’écran de mon cellulaire jusqu’à l’arrêt de la première chanson (ce qui n’était pas plus mal parce que mon oreille ne s’y faisait vraiment pas). Ayant eu ce que je voulais, j’arrêtais la vidéo et m’apprêtais à me retourner au moment où Ethan changea de guitare pour enchainer avec quelque chose de totalement différent de ce qu’il venait de produire il y a quelques minutes. Honnêtement, et aussi douloureux cela fut-il pour mon ego, je devais reconnaître que cette musique-là était plus qu’hypnotisante. J’étais trop distrait pour penser à immortaliser ce morceau-la sur mon samsung, mais ma main s’occupa elle-même d’aller activer le magnétophone afin d’obtenir une copie de mauvaise qualité de ce que j’étais actuellement en train d’écouter. Lentement, je posais mon sac au sol et commençais à détailler le guitariste tandis qu’il chantait. Sous cet angle, il avait beaucoup moins l’air d’un plouc que lorsque je l’avais croisé au Starbuck… mais c’était sans compter sur ses amis qui lui firent remarquer ma présence. En un claquement de doigts, l’ambiance dans la pièce changea du tout au tout dès lors qu’Ethan se fut retourné vers moi pour me cracher ses pensées à la figure sans que je ne lui aie rien demandé ou fait. Par réflexe, je fronçais les sourcils et grondais comme un animal sur la défensive jusqu’à ce qu’il se remette à jouer. Sa réaction était peut-être justifiée vu la manière dont je le traitais depuis le début, mais ça ne faisait jamais plaisir de se faire réprimander par qui que ce soit. Et puis je n’avais rien fais de mal, en plus.

Les coups d’œil que me lançaient les amis de l’étudiant depuis derrière l’écran me mettaient mal à l’aise et j’avais envie de jeter cet ordinateur par la fenêtre pour qu’ils arrêtent, mais c’était évidemment pas faisable parce que je n’aurais pas eu les moyens de rembourser les frais de dédommagement. La deuxième et unique solution qui me restait donc pour échapper aux regards, c’était de partir. Pas besoin de me le dire deux fois, j’avais déjà ouvert la porte de la salle et m’éloignais de là en trainant un peu ma jambe fragilisée, mais la musique me retint rapidement et je m’arrêtais pour écouter la suite de la répétition jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de bruit.

Lorsque la porte de la salle s’ouvrit, je fis mine d’être occupé avec mon téléphone et ne levais les yeux vers le musicien que pour le saluer brièvement d’un geste de la main lorsqu’il se retourna pour me souhaiter une bonne soirée. Fierté oblige, il n’était en tout cas pas question d’avouer que j’étais resté dans le couloir pour écouter la musique et non envoyer des sms à des contacts imaginaires. Cependant, lorsque la porte d’entrée se referma, je rangeais vite mon engin électronique et avançais vers la sortie à mon tour. Le ciel était plutôt couvert, et je craignais qu’il commence à pleuvoir (je n’aimais pas conduire sous l’eau) alors il fallait que je me dépêche de rentrer.

À peine mon pied se posa-t-il sur le sol du parking qu’une violente lumière éclaira les environs, rapidement suivie d’un coup de tonnerre très bruyant. Wah, un orage ! J’adorais regarder les éclairs depuis que j’étais tout petit, c’était tellement beau et effrayant à la fois… ça valait bien que je m’arrête quelques minutes pour observer le spectacle avant de m’en aller, et puis je n’étais pas pressé. C’est donc ainsi que je me retrouvais à m’appuyer contre la porte d’entrée, bras croisés et yeux rivés sur les nuages noirs, un léger sourire aux lèvres.

Wah… j’aurais pu rester là toute la nuit. L’orage semblait s’intensifier de plus en plus, à tel point que j’en frissonnais parfois avec un sourire ravi aux lèvres. Le spectacle ne dura malheureusement pas très longtemps avant qu’une silhouette passe à côté de moi en quatrième vitesse pour pénétrer dans le bâtiment d’où je venais de sortir. Sur le coup, je n’avais pas compris tout ce qui se passait et me suis simplement retourné pour suivre flash gordon des yeux, un air perplexe peint sur mon visage. Mais qu’est-ce qui lui prenait, à l’autre ? Je l’avais presque oublié depuis quelques secondes, pourtant… enfin bref, peut-être avait-il simplement oublié quelque chose dans la salle de musique, il en ressortirait bientôt.

Ou pas.

Dix minutes plus tard, Ethan n’était toujours pas ressorti de son trou, et même si je n’étais pas vraiment du genre à m’intéresser à la vie de ce type, ça me paraissait quand même suspect qu’il se soit terré à l’intérieur. Peut-être qu’il lui était arrivé un truc… honnêtement, je m’en fichais un peu, mais après on va trouver le moyen de me reprocher de pas avoir réagis alors que j’aurais pu le faire et ça me fera un incident de plus sur la conscience. Haah…

Dans un long soupir, je pénétrais dans l’enceinte et me dirigeais vers la pièce où le jeune homme avait joué tout à l’heure. Après avoir toqué à la porte, j’entrais dans la classe non éclairée. Ca y’est, l’était passé où encore ? Je sentais que j’allais très vite regretter d’avoir voulu m’assurer de son état…

« Hey ! Tout va bien ? »

Bon… j’avais beau avoir bien regardé, il n’y avait rien là-dedans. Ou même s’il y avait quelqu’un, la personne n’avait pas envie de se montrer. N’étant pas non plus Soeur Marie-Thérèse, je n’allais pas me mettre à chercher partout, pas que ça à faire, et puis j’avais toujours mal à la cheville. Après un soupir, je me retournais pour sortir et c’est là que la voix d’Ethan arriva à mes oreilles. Arrrrrgh, mais dites moi qu’il faisait exprès de me faire chier alors même que j’essayais d’être serviable pour une fois, celui-là ? Je pointais immédiatement mon regard en direction de la voix du jeune homme et plissais les yeux pour le dévisager dans la pénombre. Il voulait que je m’en aille alors très bien, j’allais m’en aller. Cependant, son attitude agressive alors que je ne lui avais strictement rien fait de la soirée ne me donnait pas spécialement envie d’être gentil.

« Okay, fine ! Passe une bonne nuit… ou je sais pas trop ce que tu faisais en ce moment mais je suis pas sûr de vouloir le savoir. »

En même temps… se cacher + éteindre les lumières, pour moi c’était comme crier haut et fort « je suis en train de me masturber en urgence, laissez moi tranquille ». Cette pensée me faisait rire très fort intérieurement, mais je me retenais, d’autant plus qu’un coup de tonnerre se fit entendre à ce moment là. Immédiatement, un cri retentit en réponse au grondement, et moi, je fis de gros yeux en me plaquant une main devant la bouche afin de ne pas faire entendre ma réaction. C’était trop fort, ça… j’avais maintenant une ouverture grande comme une porte de château pour me moquer de mon homologue masculin qui semblait terrorisé par l'orage. Mais vous savez quoi ? Je n’allais pas le faire, au contraire, mais obéir sagement aux directives de Bouclettes et le laisser tranquille (ce qui était peut-être pire que de rester avec lui dans ce moment difficile). Tout en me retournant, je me mis à marmonner et ouvris la porte

« j'tee jure... et après c’est moi qui ai une fierté mal placée… »

J’avais déjà un pied dehors lorsque qu’un autre coup de tonnerre retentit à l’extérieur, après un éclair tout aussi violent. Honnêtement, j’étais assez partagé entre l’envie de laisser ce gars ici, puis-ce que c’est ce qu’il semblait vouloir à tout prix, et celle de lui dire d’arrêter ses conneries avant de lui donner de quoi se sécher un peu. Il n’y avait personne d’autre que nous dans le bâtiment, je n’avais donc pas la moindre raison de me moquer de lui et n’étais de toute manière pas d’humeur à ça. Décidément, je perdais bêtement mon temps ici, mieux valait rentrer et le laisser se démerder seul : c’était son problème et il me l’avait bien fait comprendre.

D’un œil, j’observais le jeune homme avec ce même intérêt qu’on porte généralement à quelque chose lorsqu’on sait qu’il va y avoir de l’action à un moment ou a un autre. Comme je le pensais, il finit par se relever et commença à longer le mur avec ses vêtements tout trempés pour s’approcher de la porte de sortie. Doucement, je me suis mis à reculer dans l’ombre en même temps qu’il avançait, mais sans que je comprenne tout à fait ce qui se passait ensuite, le musicien accéléra d’un coup et finit à moitié contre moi : notre réaction à tous les deux fut immédiate, chacun fit un écart de son côté. Je ne sais pas où était parti Ethan ensuite, mais je ne me posais pas plus la question que ça pour le moment parce que ça me mettait franchement mal d’avoir eu un contact pareil avec lui. Pwah, qu’est-ce que c’était glauque ! Heureusement que personne n’avait vu ça.

Sans plus perdre de temps, je replaçais mon sac sur l’épaule bien trop précipitamment, puis enfonçais mes mains dans les poches de mon jeans avant de filer jusqu’à la porte de sortie et de rentrer chez moi une bonne fois pour toutes.