La musique résonnait dans l'appartement ; et moi, enroulée dans une serviette en coton, je quittais la salle de bain en rythme. Mes pas se voulait bien légers alors que mon cœur lui pesait une tonne et demi depuis trop longtemps déjà. Ne pensant à rien, je me laissais porter par la musique, chantonnant doucement. La lecture aléatoire de mon i-pod faisait bien les choses ! On ne pouvait pas trouver mieux comme chanson pour annoncer la soirée qui allait, pendant un temps, me faire oublier mes peines. "On laissera tes soucis avec les miens !" Un chouette programme, non ? Car je n'avais pas la moindre envie de penser à demain, encore moins au passé. Juste me laisser bercer par la douceur du moment présent. Prendre la vie comme elle venait, en mettant mon cerveau en mode off. Et pour les délires, je savais qui appeler. Chloe venait manger à la maison, afin de profiter d'une soirée entre nanas, juste elle et moi. Enfin, je nous connaissais suffisamment pour deviner qu'on allait probablement envoyer quelques textos, qui nous amèneraient à être un peu plus nombreuses dans mon salon. Mais qu'importe, ma petite puce, n'allait pas tarder à taper à la porte et j'étais super en retard. Pour changer me direz-vous... Filant jusque dans ma chambre, je m'empressai d'enfiler des vêtements. Classique, comme à mon habitude... Jeans, t-shirt, et l'accessoire suffirait à faire ressortir ma pointe artistique. Mon originalité, le reflet de ma personnalité. Qui d'ailleurs ne faisait que souligner l'imagination dont je pouvait faire preuve. La bonne poire qui avait toujours le déguisement le plus surprenant d'une soirée costumée, c'était moi. Celle qui pouvait dessiner le paysage le plus farfelu et étrange qui soit, c'était encore moi. Celle qui fondait comme du chocolat en plein soleil face au personnage le plus tordu d'un film d'animation, c'était toujours moi. Bref, sous ma simplicité se planquait probablement tout ce que j'étais capable d'exprimer à côté. Et ô joie, ce soir, j'avais la pêche !
Je devais faire demi-tour, direction la salle d'eau. Encore. L'organisation n'était pas mon fort, et avec un peu de recule, je pouvais aisément affirmer que mon retard était dû à mes nombreux allés et retours à travers l'appartement. Fixant mon reflet dans le miroir, je soulignai mon regard d'un coup de crayon noir et m'interrogeai sur ce qui ferait la différence. Oui, certes, nous étions à la maison... Mais les imprévus étaient souvent de mise avec ma chère Chloe, si bien que je me montrais toujours prévoyante. Faisant de mon mieux pour ignorer le pendentif qui scintillait sous les néons du miroir, je m'empressai de le détacher, l'échangeant contre un foulard coloré. Je ne voulais pas le voir, et surtout pas le sentir sur ma peau. L'enfermant dans son coffret, je fermai les yeux quelques instants. Non, je ne devais pas penser à Maël. Pas maintenant. Pas ce soir. Je me l'interdisais formellement ! Heureusement pour moi, on frappa à la porte. J'en fus comme soulagée, soupirant doucement. Je venais de me détendre, reprenant un léger sourire. Hop, hop, hop ! Il fallait me dépêcher. Pas le temps de ranger mon bazar, la serviette fut expulsée à travers la pièce alors que j'accourais jusqu'à la porte.
Quel plaisir de la trouver sur le palier ! Sérieusement ! Ça faisait du bien de voir sa bouille. Avec les derniers examens en date, j'avais eu du mal à lui consacrer un peu de temps, voyant bien plus Alexa que le reste de mon nouveau petit monde. Celui dans lequel je nageais, et qui me donnait l'impression que d'ici peu de temps, j'allais me noyer. Mon sourire se fit plus franc, et je ne pu que me décaler pour l'inviter à entrer. « C'est un peu le bordel, ne fais pas attention... » Papiers, palettes, toiles... Oui, c'était un véritable chantier, j'aurais peut-être dû ranger. Oup's ! Je lui épargnais le traditionnel "Fais comme chez toi !" tant elle était habituée à squatter ici désormais. Récupérant mes derniers travaux pour nous offrir plus de place et de confort, je ne perdis pas de temps pour prendre des nouvelles, me renseigner sur sa petite vie. « Pas trop dure ta semaine ? Perso', j'ai galéré... Je suis bien contente qu'elle se termine avec toi ! »
Agitant le genou au rythme de la musique, Chloe se laissait emporter. Toute la pression accumulée durant la semaine s'évacuait au fur et à mesure que la chanson progressait. Et cela lui faisait clairement du bien. Ne se retenant plus, la jeune femme se mit à sourire tout en secouant légèrement la tête sous les regards ahuris de la vieille dame assise à côté d'elle. La brunette se fichait complètement des autres, ou du moins des personnes qu'elles ne connaissaient pas, tout ce qu'elle voulait c'était s'amuser et voir au plus vite Emma. En pensant à son amie, Chloe sourit un peu plus. Emma lui manquait, et cela même si ça ne faisait qu'une semaine qu'elles ne s'étaient pas vu, mais c'était comme ça ; Chloe avait besoin de voir ses amis pour se sentir bien. Quand la chanson finit, la miss continua de taper du pied mais par impatience cette fois. Était-ce elle ou ce bus roulait vraiment très lentement ? Chloe souffla, il fallait vraiment qu'elle s'achète une voiture.
Marchant tranquillement, la miss se maudissait d'avoir pris le mauvais bus. Comment avait-elle pu se tromper de bus alors qu'elle prenait toujours le même pour se rendre chez Emma ? Chloe secoua la tête face à son erreur. Évidemment elle savait que c'était de sa faute ; elle avait tellement été pressée de voir son amie qu'elle n'avait pas fait attention au numéro du bus. Relevant la tête, un petit sourire scotché sur les lèvres, Chloe se ressaisit. La marche ne faisait de mal à personne. Puis cela lui permettait de pouvoir penser en toute tranquillité et surtout de pouvoir écouter son ipod sans qu'on lui dise que le volume était trop fort ou qu'elle bougeait trop. Eh oui, la miss était comme ça, elle ne pouvait s'empêcher de gigoter dès qu'elle entendait de la musique mais le pire c'était quand elle connaissait les paroles, ce qui dans les quatre-vingt dix pour cent était le cas. Alors là, la jeune femme se mettait à murmurer les paroles puis à les chanter, incapable de faire taire sa voix. C'était impulsif chez elle, la musique faisait partie de sa vie, la musique était sa vie.
Une dizaine de minutes plus tard, Chloe se trouvait devant la porte d'Emma. Elle toqua deux fois. Quand la porte s'ouvrit laissant place à Emma, resplendissante, Chloe ne put empêcher un sourire de se dessiner sur ses lèvres. Elle avait presque oubliée à quel point son amie était magnifique. Emma lui sourit également et se décala, l'invitant ainsi à entrer. Alors que Chloe pénétrait dans le domicile, la voix de son amie lui parvint aux oreilles « C'est un peu le bordel, ne fais pas attention... ». Chloe laissa échapper un léger rire de sa bouche. Elle ne faisait même plus attention à ça. Elle était trop habituée à venir ici, pour se soucier d'un quelconque bazar, quelque qu'il soit. Emma ne perdit pas de temps, et vint ramasser deux-trois trucs pour surement leur offrir un peu plus de place. Chloe se laissa alors tomber sur le fauteuil le plus proche et soupira, heureuse. « Pas trop dure ta semaine ? Perso', j'ai galéré... Je suis bien contente qu'elle se termine avec toi ! » Une légère moue vint déformer le joli visage de Chloe avant qu'elle ne soit remplacée par un immense sourire. Les petites soirées des deux jeunes femmes étaient surement ce que préférait Chloe. « Tranquille dans la mesure du possible, mais ça va, la brunette s'arrêta un instant avant de rajouter, moi aussi ça me fait plaisir. Puis tu m'as manqué ! » Un sourire ainsi qu'un clin d'oeil accompagnèrent les derniers mots de Chloe. Emma lui avait vraiment manqué. La brunette n'aurait jamais cru possible que certaines personnes puissent lui manquer autant en aussi peu de temps, mais Chloe était comme ça, elle s'attachait assez facilement aux gens. « Et toi, ta semaine ? Si crevante que ça ? », demanda-t-elle la tête légèrement penchait sur le côté.
Ça faisait un bien fou de voir sa bouille ! Je ne pouvais pas l'expliquer, mais le simple fait de savoir qu'en passant un peu de temps à ses côtés sans penser à rien d'autre qu'à nos délires et nos fou rires, me faisait du bien. Je n'allais pas me prendre la tête, je n'allais pas ressasser le passé et encore moins me morfondre sur le présent. Dès que j'allumais mon ordinateur, je pouvais être sûr que j'allais pouvoir lire un de ces statuts Facebook mielleux à souhait qui me faisait si mal au cœur. J'avais pensé à supprimer mon profil d'ailleurs... Mais NY m'avait rattrapé et j'avais gardé en tête mes amis, ceux avec qui je ne voulais surtout pas rompre le contact. Sans eux, que serais-je vraiment devenue ? Une pauvre fille aux yeux cernés à cause des larmes qui n'auraient eu de cesse de couler sur mes joues. Une pauvre fille entourée de ses toiles reflétant le bonheur qui lui manquait tant. Une pauvre fille abandonnée. Fort heureusement, ils m'avaient aidé à m'en relever, même si je restais drôlement amochée par toute cette histoire. Ça faisait un mal de chien, mais avec une bonne dose d'ignorance on finissait par s'auto persuader que tout allait bien dans le meilleur des mondes même si ce qui nous était essentiel nous faisait défaut. L'amour peut faire de votre vie un véritable paradis, tout comme il pouvait la transformer en enfer en vous massacrant le moral en non stop ! J'en avais d'ailleurs fait une toile. J'avais pris soin de dissimuler aux yeux de mes amis. Planquée sous mon lit, je ne l'avais jamais déballé. Trop personnel, trop douloureux. Moi-même, je n'avais pas eu le courage de déchirer le journal qui l'avait protégé durant le voyage jusqu'à SF. Certes, à présent Maël semblait être heureux. Mais égoïstement son bonheur me blessait. Je me détestais pour penser à de telles choses. Les sentiments ne se contrôlent pas dit-on ? J'en avais la preuve.
Non, ce soir, je refusais de me mettre ces idées dans la tête. J'étais à présent avec ma petite choupette, et il était hors de question que cette fichue histoire de cœur ne vienne nous pourrir l'ambiance. De toute façon, puisque mon cœur était cassé, il était seulement bon à mettre à la poubelle. J'avais fait entrer Chloe, lui demandant de ne pas faire attention à mon bazar. Comme à mon habitude, je laissais tout trainer, donc ça ne devait pas tant la surprendre que ça. C'était plus pour la forme qu'autre chose, alors que je retirais quelques affaires du canapé. J'avais besoin de parler de choses légères, de l'écouter me raconter ses histoires, sa semaine, bref ce qui l'occupait en ce moment. J'aimais l'écouter, avec ce brin d'innocence qui la qualifiait si bien à mon sens. C'était la petite sœur que je n'avais jamais eu. « Dans la mesure du possible ? » Je me retournai, lui lançant un regard plein d'interrogation à la suite de cette réplique. Puis, me dirigeant jusqu'au petit coin cuisine de mon appartement afin de nous prendre deux verres et de quoi boire, je lui demandai d'expliciter. Il me fallait des détails ! S'était-il passé des choses dont je n'avais pas connaissance ? Son aveu me fit sourire. Je lui avais manqué... Sûrement pas autant que sa présence apaisante pour moi. « Oui, épuisante. Les examens, et puis ce demeuré que je n'arrête pas de croiser au café qui va finir par me rendre dingue... Je n'arrive pas à dormir... Bref, c'est merveilleux ! » J'esquissai un semblant de sourire, gardant toujours un brin d'optimisme, et montrai les bouteilles que j'avais en stock. « On reste sage ou non ? Vodka orange, ou soda ? Ou jus d'orange tout seul aussi... »
Une fois la réponse de la miss obtenue, je vins m'asseoir non loin d'elle, déposant les verres et tout le reste sur ma vieille table basse. Le service fut rapide, et je lui tendis son verre. « Tu sais, je n'aurais pensé que ça serait aussi difficile de m'installer ainsi... Oh je ne regrette pas, hein ! J'ai fait de belles rencontres mais je ne sais pas... J'ai du mal à me sentir chez moi. » Relevant le regard vers elle, je haussai les épaules. Je ne voulais pas qu'elle s'imagine que j'aurais préféré rester à NY, même si aux vues de mon état et de la situation, ça aurait été préférable. Revoir Maël m'avait fait autant de bien que de mal... Mais elle, elle était tellement unique, tellement particulière ! Je ne voulais pas la froisser par la maladresse de mes propos. « T'as eu des examens toi aussi, non ? On fête la fin des épreuves ? On pourra remettre ça quand on aura les résultats ! » Je ponctuai le tout d'un clin d'oeil complice. Chloe était une perle, une bouffée d'air frais dans cette bulle qui m'étouffait.