Le cours de Mr. Somnifère avait été annulé... Pff ! En temps normal, j'en aurais été vraiment contente ! Mais pour le coup, ça m'embêtait ! D'un, j'avais fait en sorte de m'organiser au mieux pour rendre son devoir à temps. Tout ça suite à une invitation surprise de la part de Kahina. Et c'était en plus de cela un devoir que j'avais dû refaire à cause d'un petit accident matinale et vitaminé. De deux, lorsque j'avais l'esprit occupée, tout allait mieux. Pas « bien », juste « mieux ». C'était peut-être pour ça que je n'avais plus de quoi peintre d'ailleurs. Je n'avais pas beaucoup dormi depuis mon petite accrochage téléphonique avec Maël. Je pouvais dire merci aux sorties entre potes à répétition, qui m'avaient poussé à un état de fatigue des plus avancés. Du coup elles me permettaient de fermer l'œil durant une courte partie de la nuit, étant donné que je n'avais plus d'autre choix que de céder et de m'endormir. « Tu comptes tourner dans un film de zombies ? » -m'avait gentiment demandé Alexa, pas plus tard qu'hier matin. Aux vues de mes cernes, j'aurais pu faire carrière mine de rien ! Ça l'avait peut-être alerté en y repensant, puisqu'au final elle m'avait proposé une petite virée avec Donovan et son frère. De quoi rire, à coup sûr ! On pouvait compter sur eux pour retrouver le sourire. Il suffisait d'offrir plusieurs verres à Dono' pour que ce dernier se lance dans un monologue, exprimant alors avec conviction et entrain que t'es super jolie, que t'es gentille et qu'il veut te faire un câlin. La nuit dernière, j'avais donc pu dormir un peu. « T'as une de ces têtes ma pauvre Em's... -commentais-je en me regardant dans le miroir. Le soleil ne te fera pas de mal ! »
D'ailleurs, en parlant de soleil, j'avais une valise à remplir pour Samedi ! Moi qui avait peur de tourner en rond, je savais à présent comment occuper mon temps. Vider mes placards à la recherche de mes maillots et autres petits top allait me prendre un bon moment puisque je n'avais pas encore tout ranger suite au déménagement. Déballant quelques cartons, j'en profitais pour faire le tri, jetant dans un sac le peu qui allait me couvrir durant une semaine sous le soleil. Rêvassant, je m'y voyais déjà ! Kahina m'avait promis de la détente, du soleil, des beaux garçons... Et si...? Je fixais mon bikini quelques instants, puis reposais mon regard sur mon sac, d'où tentait de s'échapper un bouquin et ma paire de Ray-ban. Oh... Je pouvais me le permettre, non ? A cette période de l'année, il n'y aurait pas beaucoup de monde et puis le grand air marin allait me faire du bien. Je m'empressais de me changer, pouvant constater que mon maillot m'aillait encore comme un gant, puis je surmontais le tout d'un short blanc et d'un débardeur, puis d'une veste. Même si je ne faisais que passer un petit moment assise dans le sable à bouquiner, ça serait toujours un peu de sérénité de gagnée !
Je n'ai pas mis longtemps pour me rendre sur la côte. J'avais déjà fait le chemin plus d'une fois à présent, et j'affectionnais particulièrement ce lieu. En plein été je me doutais bien qu'il ne devait pas être aussi calme qu'il en avait l'air actuellement, j'en profitais donc au maximum. A peine arrivée devant l'immense étendue de sable, je m'empressais de retirer mes tennis pour y plonger mes pieds. J'adorais cette sensation, d'autant plus qu'il se voulait chaud à cette heure avancée de l'après-midi. Je me décidai à poser mes affaires après avoir traversé une bonne partie de la plage, balayant cette dernière d'un rapide regard. Il y avait quelques surfeurs, un homme avec un chien un peu plus loin... Et un calme si apaisant... En pleine semaine et par ces températures, ça me paraissait plutôt normal. Gardant mes fringues, je posais mes petites fesses dans le sable et m'emparais de mon livre. Une page, deux pages, trois pages... Et voilà que je décrochais pour observer les sportifs dans l'eau. Cachée derrière mes lunettes de soleil, bien évidemment !
Il ne faisait pas plus de 10°C à San Francisco aujourd'hui, cependant, je savais que c'était le temps idéal pour une virée sur l'océan. Il y avait du vent, et qui disait vent, disait vagues. Il n'était pas nécessaire de faire chaud pour surfer, lorsque je vivais en Australie, mon père m'avait toujours dit que les vagues les meilleures étaient soient celles à très basses températures soit lorsqu'il fait vraiment très très chaud et bizarrement, j'appréciais la difficulté qu'ajoutait le froid. Dix degrés, c'était largement acceptable, cependant je préférais prendre des précautions pour ne pas mourir d'hypothermie, il était préférable de mettre une combinaison de surf, elles étaient laides, mais c'était mieux avec. Lorsque reviendrait l'été, les autres surfeurs - qui pour la plupart avaient aussi opté pour mettre une combinaison - et moi même pourrons nous permettre de ne surfer qu'en short de bain. Après mes cours de ce matin et après avoir prit un bon déjeuner, je m'étais donc rendue à la plage en voiture, avec ma planche, et une grosse serviette. J'étais ensuite parti pour les belles vagues. J'étais content d'être venue, les rouleaux n'étaient pas énormes mais les vagues étaient assez hautes pour ne pas trop s'ennuyer. C'était agréable de sentir le vent frais contre son visage et d'essayer malgré tout de rester sur sa planche. On s'habituait rapidement à la température de l'eau et elle ne devenait rapidement plus un problème. Nous étions quatre, attendant chacun notre tour, les uns à côté des autres, dans l'eau, formant une petite file, allant sur les vagues l'un après l'autre. Lorsqu'on avait terminé on revenait derrière la file, etc. A force de venir, j'avais commencé à connaître les gars qui venaient, c'était toujours les même et nous avions loisir à discuter du temps, des vagues et des futurs compétition en attendant notre tour. L'hiver en Californie n'était pas une saison très florissante pour les compétitions de surf, et pour cause, les gens n'aimaient pas venir se geler à la plage pour voir une bande de dégénérés faire mumuse dans les vagues, ce que je comprenais, mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser que c'était dommage.
Après une bonne heure à surfer, je décidai finalement de prendre ma dernière vague avant de retourner à ma serviette. Je portai ma planche d'un bras et la plantai dans le sable lorsque j'arrivai au niveau de mon emplacement. J'attrapai ma serviette et la passais rigoureusement sur mon visage et mes cheveux avant d'ouvrir ma combinaison pour la baisser à moitié, jusqu'en dessous du nombril. Je me séchai alors le haut du corps et laissai tomber ma serviette sur le sol. Je regardai autour de moi un instant, il n'était pas étrange à mon avis de voir la plage presque vide à cette période de l'année, les gens avaient bien mieux à faire que de venir se geler à la plage, il fallait être fou. Je m'assis finalement sur le sable et attrapai mon téléphone portable pour vérifier mes messages. J'avais un peu la flemme de me rhabiller tout de suite et puis je n'avais pas vraiment envie de rentrer, j'avais l'intention d'attendre encore un peu, au moins une heure. Après tout, je n'avais rien d'autre à faire pour le moment, alors rester ici, profiter de la plage, du vent frais contre mon dos, ... vraiment, je ne voyais pas ce qu'il pouvait y avoir de mieux.
Il ne faisait pas bien chaud, c'est vrai... Et pourtant, je me sentais bien. Impossible à expliquer, mais cette légère brise m'apaisait autant qu'elle me faisait frissonner. Mon livre, je l'avais abandonné. Non pas qu'il ne soit pas intéressant mais mon attention avait été retenue par une toute autre scène : l'océan et ses vagues. Ce paysage avait sans doutes toujours été l'un de mes préférés. J'adorais le représenter sur des toiles pour y mêler ses couleurs marines. « Ton pinceau danse sous les vagues de ton imagination. » -m'avait dit un jour mon professeur de dessin au lycée. Je n'avais jamais réellement compris la signification de ces mots. Avec quelques années de recule, et cette nature qui s'agitait sous mes yeux, j'avais l'impression que cela prenait un sens. Idiot, non ? Probablement. Après avoir balayé la plage d'un regard, ce dernier se voulait à présent fixe. J'avais trouvé un point précis, dont je ne parvenais pas à me détacher. Il s'agissait d'un surfer, se préparant sans doute à prendre une vague. La distance à laquelle il se trouvait ne me permettait pas de discerner ses traits. Je ne percevais qu'une silhouette à moitié immergée dans l'eau salée. Ça ne m'empêcha pas de le suivre une fois lancé, en équilibre sur sa planche alors que l'océan se décidait à le ramener sur la plage. Il n'était pas le seul à avoir eu la folie de mettre ne serait-ce qu'un pied dans l'eau par ces températures, et pourtant c'était sur lui et lui seul que mes yeux étaient rivés.
Fronçant doucement les sourcils, je tentais de voir plus distinctement son visage alors qu'il se rapprochait de plus en plus. On parle souvent de pouvoir mettre un nom sur un visage, ou inversement. Moi j'aimais mettre un visage sur un acteur, une situation, un personnage. Pour le coup, j'en voulais un précis pour ce talentueux surfer. J'étais restée en retrait malheureusement, ce qui ne m'aidait en rien avec le perpétuel mouvement du sportif. Jusqu'à ce qu'il disparaisse dans une vague, sortant la tête de l'eau quelques instants plus tard. Je pu alors le reconnaître, lui. Je restais littéralement scotchée. Sur les quelques surfers présents aujourd'hui, il fallait que j'observe celui-ci : Bristol. La coïncidence était tellement surprenante que j'avais un peu de mal à réaliser. Je devais me considérer comme chanceuse, ou non ? Voilà que les questions arrivaient en cascade dans ma petite tête. S'il me voyait ici, il allait peut-être penser que je l'avais fait exprès ; que ma présence n'était pas des plus anodines ; pire encore, que je l'avais suivi jusqu'ici. J'hésitais quelques instants à faire demi-tour, pour filer avant qu'il ne m'aperçoive. Puis, après quelques secondes de réflexions, je décidai de faire l'inverse. Pourquoi ? Simplement parce que j'en avais envie. C'était suffisant comme raison, non ?
Balançant mon bouquin dans mon sac, récupérant le tout, je m'avançais jusqu'à lui en faisant tout mon possible pour ne pas penser. Je me connaissais, si je réfléchissais avant même de lui avoir décroché le moindre mot, j'allais être prise d'un semblant de panique et j'allais sortir une connerie aussi grosse que moi ! Bon ok, plus grosse que moi ! Et heureusement que je fournissais un tel effort, fixant le sable sous mes pieds au lieu de mon point de chute. Car en relevant la tête, je le vis avec la moitié de sa combinaison seulement, visiblement occupé. D'ordinaire, oui, j'aurais fait demi-tour. « Je dois avouer que le spectacle était sympa... » Il fallait bien que je me lance, non ? Et puis, le peu que je connaissais de lui me montrait bien qu'il n'avait rien de méchant, et qu'il n'allait pas me manger ! Quoique... Je n'aurais rien eu contre ça finalement ! Sans doute surpris qu'on s'adresse à lui, il releva le regard pour le poser sur moi et j'esquissai un léger sourire. Devais-je ajouter autre chose ? Non, j'allais me taire. Je me connaissais, une fois lancée je m'arrêtais plus. J'avais fait tout mon possible pour retenir ces flots de paroles lorsqu'il m'avait gentiment payé un café à la fac, il fallait que je continue ainsi. Sans quoi, il allait peut-être prendre la fuite.
Je relevais la tête lorsqu'une silhouette me cacha le soleil et s'adressa à moi, j'étais surpris que l'on vienne me parler, enfin, j'étais surpris d'entendre surtout la voix d'une fille puisque les seules personnes jusqu'à maintenant à qui j'avais parlé à la plage, aujourd'hui se révélaient être des mecs. Je reconnus le visage enfantin d'Emma Davis, c'était une jolie fille. Je l'avais rencontré partiellement à sa première - et unique pour le moment - exposition d'art, c'était mon prof qui m'avait conseillé d'y faire un tour, après tout, une élève de la fac qui fait une expo, ça attire tout de suite l'attention, on se dit pourquoi elle ? pourquoi pas moi ? Et puis on décide d'aller voir. Nous n'étions pas dans le même domaine, elle peignait, des trucs sympas d'ailleurs, moi je prenais des photos. Et puis nous avions rapidement discuté sur Facebook et prit par la suite un café ensemble il y a quelques jours. J'appréciai son côté très pétillant, toujours souriante, et sa modestie lorsque je la complimentai sur son oeuvre. Ou lorsqu'elle se mettait à rougir sans raison apparente.
" Je dois avouer que le spectacle était sympa... " avait-elle dit, son ton semblait assez désinvolte et j'étais agréablement surpris par son assurance.
Je lui adressai un sourire approbatif. " Merci. " dis-je d'une voix monocorde, comme si son compliment ne m'atteignait pas. Je passai une main dans mes cheveux qui commençaient à devenir trop longs pour moi et l'invitait à s'asseoir à côté de moi d'un signe de la main.
" Je ne savais pas que tu faisais partie des fous qui osent venir à la plage en plein hiver... C'est un cercle très fermé tu sais... "
Ce qui était sympa avec elle, c'est que j'apprenais chaque fois que je la voyais des choses sur elle qui soit me plaisait, soit me surprenait. Et un peu d'originalité, ça ne fait pas de mal. J'avais toujours eu du mal avec les filles sans intérêt et pas capable de tenir une discussion, des connes quoi... comme si c'était dur de discuter un peu... Allez. J'avais de la chance, ce genre de filles ne venaient pas souvent à ma rencontre, vu que je n'étais pas du genre super bavard - enfin, je sais tenir une discussion mais disons que généralement j'opte pour des phrases et réponses courtes - les filles se décourageaient avant moi, c'est comme ça que je repérais les filles qui n'en valaient pas la peine, elles ne savaient pas gérer mon manque de paroles. Enfin bon, dans tous les cas, avec Emma ça marchait plutôt bien. Elle était sympa et ne semblait pas gênée par mon apparente désinvolture de stéréotype : surfeur inaccessible. La blague.
Je m'étonnais moi-même. J'avais du mal à réaliser que j'étais si détendue en présence de quelqu'un qui ne faisait pas -encore- partie de mes proches. J'étais comme ça d'ordinaire... Réservée, silencieuse, gênée pour un rien. Il avait dû en avoir un petit aperçu durant notre dernière entrevue, bien que mes efforts eurent été conséquents. J'avais fait de mon mieux pour montrer plus facilement et rapidement qui j'étais... Sans doute parce que je ne voulais pas laisser passer la chance de le faire entrer dans ma petite bulle. Difficile à expliquer. Tout ce dont j'étais sûre c'est qu'il m'intriguait plus que quiconque à San Francisco. Depuis mon emménagement, j'avais rencontré un tas de personnes, croisé un bon paquet de regards, mais aucun n'avait autant retenu mon attention. Une part de mystère enveloppait son personnage, l'homme qu'il semblait être et oser prétendre que j'y étais insensible aurait été un énorme mensonge. Au contraire, cela m'attirait comme s'il avait été un véritable aimant ! Et me voilà, juste derrière lui, l'abordant comme si de rien était. Heureusement que j'avais réellement matière à entamer un semblant de conversation, car sans cela je me serais sentie bien bête. Quoique... Ça ne manqua pas, aux vues de sa réponse : un simple merci, des plus détachés. Est-ce que cela allait me refroidir pour autant ? Sûrement pas !
J'esquissai un léger sourire et pris place à ses côtés dans le sable, après qu'il m'ait fait signe de m'asseoir. Sa réflexion m'amusa un peu. Il pensait visiblement comme moi. Pour la saison, il fallait avoir un brin de folie pour se rendre à la plage. « Et encore, moi je suis restée au sec ! » -lançais-je avec un air taquin, lui décernant ainsi la palme d'or. Je n'osais même pas imaginé la température de l'eau. Frileuse comme j'étais, je n'aurais probablement pas tenu plus de 10 secondes avec ne serait qu'un orteil plongé dans l'eau. Bristol me collait des frissons et je tentais de me convaincre que c'était la simple et innocente vision de ce torse dénudé et exposé à la légère, mais néanmoins assez fraiche, brise océanique qui en était responsable. Plus sérieusement, je repris la parole, comme pour justifier ma présence en ces lieux. « J'avais besoin de calme, et d'un peu d'air frais... On ne peut pas rêver mieux, non ? Une plage déserte, c'est parfait ! » Je lui adressais un rapide regard, puis reportai mon attention sur les vagues qui terminaient leur courses non loin de nous. En y réfléchissant quelques instants, j'avais peut-être ma petite idée pouvant expliqué l'effet qu'avait Bristol sur moi. L'impression d'être d'une quelconque manière jugée était inexistante avec lui. Il se montrait simple avec moi, était bien loin de monopoliser la parole et de m'insuffler le sentiment d'être insignifiante et invisible. Il écoutait avec attention ce que j'avais à dire, s'était même intéressé à ce que je faisais. Les quelques compliments qui avait parsémé le tout m'avaient certes un peu gênée, mais réellement touché. Son point de vue totalement extérieur m'avait rassuré, conforté dans mes choix. Un second élan, m'assurant alors que ma présence à SF n'était pas totalement une bêtise. « Non, mon cours a été supprimé... Et toi ? Tu joues l'élève rebelle et peu studieux, ou t'as juste un peu de temps libre ? » Ramenant mes jambes vers moi pour me mettre en tailleur, je fis un quart de tour sur moi-même pour lui faire face. Curieuse ? Un brin... Mais je ne faisais que lui retourner sa question.
" Pour l'instant... " lui répondis-je, laissant tramer une mauvaise intention derrière les trois petits points qui ponctuait ma phrase, l'éteignait lentement, comme si elle risquait de finir dans l'eau d'une minute à l'autre. Après tout qui sait, si nous n'avions plus rien à nous dire ? Je n'aimais pas trop rester des heures à regarder les filles dans le blanc des yeux alors.. la jeter dans l'eau pourrait-être une idée. Cependant je risquai peut être moi même quelque chose, une claque ou un truc du style, si, congelée et trompée, elle se mettait en colère contre moi. Fou rire garantie dans tous les cas. Je souris légèrement, ajoutant à ma phrase un peu de mystère et je fixai les vagues qui venaient vers nous et se brisaient contre le sable. L'écume blanche, l'océan, le ciel légèrement grisé, le soleil caché derrière de gros nuages d'hiver. Ca n'avait rien à voir avec le paysage que je connaissais de l'Australie. Même en Hiver, on avait toujours le droit à un peu de soleil, l'eau était toujours bonne, en même temps, j'avais eu de la chance de vivre le plus au nord de l'Australie, et donc le moins près du pôle. L'eau était plus chaude de ce côté là. J'haussais doucement les épaules à sa réponse suivante. J'approuvai sans plus d'intérêt. Elle n'avait pas tort après tout. Une plage déserte c'était vraiment pas mal lorsqu'on voulait se changer un peu les idées, j'ignorais d'ailleurs pourquoi elle voulait se changer les idées mais je ne comptais pas lui demander tout simplement car ça ne me regardait pas. Je n'étais pas d'un naturel curieux et nous n'étions pas assez proche pour que je puisse me permettre une telle interrogation. Peut être qu'un garçon lui faisait tourner la tête, dans le mauvais sens du terme et qu'elle avait besoin de voir autre chose ? Peut être que pour une fois ça n'avait rien à voir avec un mec. En tout cas... je ne le saurais peut être jamais. J'appris ensuite que son cours avait été supprimé et je souris lorsqu'elle me demanda si je jouais les rebelles ou si j'avais comme elle, un peu de temps libre. Je tournai mon visage vers elle et croisai son regard. Je l'observai alors pendant quelques secondes, ses belles boucles noirs flottaient au dessus du vent.
" J'ai entendu à la radio que les vagues allaient être bonnes aujourd'hui. Du coup je voulais pas manquer ça, et il se trouve que cette après-midi je n'avais aucun cours. Du coup... me voila. Et j'ai bien fait de venir, les vagues étaient vraiment cool. "
J'hochai la tête, j'étais moi même surpris d'avoir parlé autant, et j'enchainai avec une brève question:
« Pour l'instant... » ; cela ne me laissais rien présager de bon. Je pouvais même m'en inquiéter sans plus attendre, car ce genre de petite phrase annonçait clairement un revirement de situation, qui ne serait cette fois-ci pas à mon avantage. Je lui adressai un regard en coin, méfiante, tout en affichant un léger sourire en coin. Avais-je bien fait de sortir une telle réplique ? Je lui avais directement donné de mauvaises idées, n'ayant pas particulièrement envie de finir trempée et congelée. Non... Il n'oserait pas, n'est-ce pas ? Je me le demandais... Bristol n'était pas un grand bavard, je m'en était bien rendu compte... Cela détonnait grandement avec ma fâcheuse tendance à énormément parler lorsque j'étais quelque peu nerveuse. Un flot de parole pouvait s'échapper d'entre mes fines lèvres rosées, pour n'avoir en guise de réponse qu'un simple haussement d'épaules. Mais, étrangement, ça ne me dérangeait pas plus que ça. Au contraire même... Son attitude décontractée et si posée me mettait en confiance. Il ne cherchait pas à me faire parler, il se contenter d'écouter ce que je voulais bien lui dire. Il ne me contredisait que très rarement, acquiesçait, j'avais même l'impression que mon débit de paroles -inutiles selon moi- l'intéressait par moment. Je lui confiais avoir eu besoin d'une bouffée d'air frais, sans pour autant m'étendre sur les détails et les raisons. Pas besoin de lui expliquer que San Francisco m'étouffait littéralement, que je ne trouvais pas ma place malgré les nouveaux amis que je m'étais fait en ville, malgré ma passion et le fait que je pouvais presque en vivre ou du moins en profiter au quotidien... Selon moi, on ne pouvait pas le comprendre, puisque moi-même j'avais du mal à donner un sens à tout ça. Ici, sur cette plage, je ne pensais à rien... Rien d'autre qu'aux vagues, qu'à l'air frais, qu'au paysage... Et bon sang ce que ça faisait du bien ! « Ça avait l'air... » -commentais-je simplement au sujet des vagues. Puis il me demanda si moi aussi, je surfais. J'esquissai un léger sourire puis hochai la tête négativement . J'étais probablement trop gauche pour tenir sur une planche. M'imaginer suffit à me décrocher un petit rire. « Non, et je ne surfe pas... Mais... » Je marquais une légère pause, lui adressant un nouveau regard. Puis, en souriant doucement j'ajoutais : « Peut-être que ça pourrait changer... Si tu donnes des cours... » Etais-je entrain de chercher à me rendre ridicule à ses yeux ? Peut-être inconsciemment... Ce qui était plus sûr c'était que passer du temps en sa compagnie m'aurait fait plaisir. Cette invitation à me consacrer un peu de son temps et de sa patience n'était pas anodine, et je pensais que cela se devinait sans mal. « Sauf si d'un simple coup d'oeil tu penses que je suis un cas désespéré... ». Et puis l'envie n'était peut-être pas partagée... Peut-être qu'il avait mieux à faire après tout, je n'en savais rien. Ce mec était un vrai mystère pour moi, qui aimait observer les gens et deviner leurs pensées. Il ne laissait quasiment rien paraître, et cela me troublait au plus haut point.
" Mais... " je tournai un regard intéressé vers Emma. Mais ? Mais quoi ? Elle ne surfait pas. C'était bien dommage. Je trouvais les filles qui surfaient assez cool, même si Emma n'avait pas besoin de ça, disons que ça ajouterait à son capitale sympathie quelques points. Le surf n'était pas un sport facile, cependant, il était pour moi le meilleur sport qui ait jamais existé. Je n'avais jamais été le genre de gamin fan de football ou de basket, et pour cause, mon père était un surfeur passionné, il m'avait initié et il détestait les sports tels que le foot, c'était selon lui des sports pour les "branleurs" je cite. Et il disait que la puissance d'une planche sur une vague n'était pas comparable à celle d'un pauvre ballon insignifiant. Je l'avais toujours cru. Bizarrement. Je plissai les yeux à la suite de la phrase d'Emma. Moi ? Prof de surf ? AHAHAH quelle blague. Je ne doute pas que je puisse faire un bon prof, j'avais la qualité la plus importante qu'il faut dans la profession : la patience. Cependant, je n'aimais pas parler, expliquer, tout ça... ça m'insupportais, j'étais du genre à faire les choses par moi même et aider les autres n'était FRANCHEMENT pas ma tasse de thé. Cependant... Je laissai un blanc, décidant de ne pas répondre à son invitation tout de suite, j'attendais, mon regard toujours fixé sur elle. Le loisir que je prenais à la regarder était agréable, elle avait l'air beaucoup plus jeune que son âge, je lui aurais facilement donné 17 ou 18 ans, elle dégageait une fraîcheur vivifiante, ses yeux de biche, éclatant, me fascinaient. J'avais toujours l'impression d'y voir une pluie d'étoiles lorsque je les croisais. " Un cas désespéré ? " J'haussai les sourcils et passai sur elle un regard expert, presque hautain. Je lui adressai finalement un sourire et haussai les épaules. " Ouais si tu veux, tout dépend de ton agilité, de ton adresse et.... de ta résistance à l'eau. " Je la poussai avec un doigt, forçant un peu pour la faire dévier " résistance.. zéro. Ca commence bien. " lui lançai-je sur un ton amusé et légèrement moqueur. " Il va te falloir beaucoup d'entraînement si tu veux apprendre à surfer.. c'est un sport à prendre très au sérieux. Et si tu décides de m'avoir comme professeur, tu devras respecter quelques règles. "
Je faisais une pause et m'allongeai sur ma serviette, yeux vers le ciel.
" Par exemple règle numéro une... m'appeler Maître. "
J'avais pris depuis le début un air très décontracté qui faisait presque prétentieux, comme si ce que je lui disais était tout à fait normal. Evidemment, j'espérais qu'elle comprenne que c'était sur le ton de la plaisanterie. Rien d'autre.
Paraître différent formait à mes yeux une véritable force, un atout non négligeable ; alors que d'autres le percevait comme une faiblesse. Si tu ne rentrais pas dans le moule, on te montrait du doigts et tu étais gentiment mis sur le banc de touche. Pour moi, ça faisait l'effet inverse ! J'étais comme attirée par ce qui n'était pas dans les normes, par ce qui se démarquait, se différenciait, se moquait du reste du monde. Je l'exprimais bien souvent dans ce que je peignais, lorsque l'envie de faire part de mon ras-le-bol se faisait sentir et était trop conséquente pour être davantage retenue. Et bizarrement, j'avais l'impression que Bristol ne rentrait pas dans ces fameuses boîtes qui n'avaient pour simple but que de classer les gens. Il n'avait pas d'étiquette collé sur le front, et j'appréciais. Si je m'étais amusée à rassembler tous les surfers présents sur cette plage aujourd'hui, j'aurais pu être sûre qu'il aurait sans aucun doute fait la différence. Et si je m'adressais à lui et non à un autre type pour des cours de surf, ça n'était pas anodin. J'avais non seulement fait ça sur un coup de tête, un élan de spontanéité que j'allais peut-être regretter une fois allongée sur une de ces planches dans le cas où il accepterait ma requête ; mais aussi pour passer du temps avec lui. C'était idiot, non ?Me prendre quelques vagues en pleine tête ne pouvait pas me faire de mal après tout ! Quitte à ce qu'il s'en amuse par la suite. J'étais déjà cataloguée comme stroumphette, plus rien ne pouvait me faire peur ! A sa tête, je compris que j'étais mal barrée pour obtenir ses faveurs et qu'il n'était pas des plus emballé par l'idée de me venir en aide. Du moins il m'en donnait l'impression. Détournant mon regard, je préférai de pas insister. Forcer la main à autrui ne faisait pas partie de mes habitudes, j'avais même horreur de ça. Ma proposition était peut-être complètement nulle après tout ; il se foutait peut-être de moi intérieurement en m'imaginant sur une planche. Oh... Il le pouvait ! Aussi légère qu'une plume, j'aurais fini par m'envoler. N'osant rien ajouter, je laissai un blanc s'installer entre nous. Que dire de plus sans prendre le risque de s'enfoncer ?
Lorsque sa voix grave résonna, je ne pu que tourner à nouveau ma tête vers lui, plongeant sans même le vouloir mon regard dans le sien. Je me montrais un peu surprise, car il semblait partant. Cela allait dépendre, d'après lui, de mon agilité, de ma résistance à l'eau... Et j'en étais dépourvu selon ses dires. « Mais je ne demande qu'à apprendre ! » -lançais-je, d'un ton amusé, me retenant de lui tirer la langue pour simple réponse à ses provocations. Ok, je n'étais pas aussi balèze que lui, mais en même temps j'étais ravie de ne pas être une fille plus proche du camionneur, que de la poupée en porcelaine ! Et voilà qu'il me prévenait que l'entrainement serait conséquent pour mon petit cas. Que si je le voulais en tant que professeur, j'allais devoir respecter des règles... Cela me fit doucement rire. Il se croyait dans un film ? Un peu plus et je pouvais me sentir comme dans Karaté Kid, avec certes une version plus aquatique. « Bien sûr... Je suis très appliquée dans tout ce que je fais ! » -affirmais-je en entrant dans son jeu. Mais lorsqu'il m'énonça la première règle, je perdis tout mon sérieux. « Maître ? Rien que ça ? Très modeste le professeur... Et si je refuse cette première règle ? Qu'est-ce qu'il va m'arriver ? »
Emma disait être très appliquée dans tout ce qu'elle faisait. Evidemment, étant un être humain de l'espèce mâle, je ne pouvais pas m'empêcher de voir à sa réplique une arrière pensée malsaine, et l'idée de savoir si même dans certains domaines plus "privés" elle était une élève aussi assidue me traversa l'esprit. Je la chassai rapidement cependant et reportai mon attention sur la jeune femme « Maître ? Rien que ça ? Très modeste le professeur... Et si je refuse cette première règle ? Qu'est-ce qu'il va m'arriver ? » je fronçai le nez, feignant la vexation suite à ses moqueries. Elle se moquait oui. Pourtant, tous les élèves appelaient leur maître "maître" je ne voyais pas ce qui la faisait rire. Ahah, enfin si bien sûr, c'était un peu prétentieux de lui réclamer ce surnom... et évidemment, je ne m'attendais pas à ce qu'elle respecte cette règle à la lettre, ou bien je serais tombée sur une fille bien naïve et bien bien soumise, ce qui, n'était peut être pas la meilleure des choses. Il n'y a rien de plus ennuyeux qu'une personne qui fait et approuve à tout ce que vous dites. Pas que le conflit soit intéressant, je veux simplement dire que s'il n'y a pas de choc entre les personnalités, il n'y a pas d'intérêt. Bref, une fille qui se rebelle un peu est bien plus intéressante. Et puis je n'étais pas le genre de gars macho à dire que la place de la femme et dans la cuisine et qu'elle doit obéir au doigt et à l'oeil sans broncher. Je suis pour l'égalité des sexes. J'haussai donc les épaules à sa moquerie, et regardai ailleurs. Finalement j'attrapais mon t-shirt pour l'enfiler et je me levai pour ôter ma combinaison de surf, j'avais gardé mon boxer en dessous, évidemment, pas question d'entrer tout nu là dedans.
« Et bien disons que... ça reste entre nous mais j'ai la capacité de contrôler l'océan et les éléments marins de façon générale. Donc si tu venais à violer cette règle, tu pourrais par hasard te faire attaquer par un requin. Enfin je dis ça... je dis rien hein. »
Je lui lançais un regard en coin, complice et détournai les yeux pour chercher mon short dans mon sac posé à côté de ma serviette. Celui ci enfilé, je m'assis à nouveau.
« Trêve de plaisanterie... tu me diras quand t'es libre pour une leçon... ou alors je te dirais quand les vagues sont bonnes et tu me rejoindras. Ca marche ? »
Maître... Mais c'est qu'un peu plus et j'allais l'imaginer tout petit, avec le teint verdâtre, des oreilles pointues et un sabre laser. Il allait me parler en formulant bizarrement ses phrases, comme Yoda. « La force en toi, tu dois puiser. » Ouais, bah j'avais un sacré travail à faire sur ma petite personne, puisque je ne semblais pas suffisamment résistante. M'amusant de son brin de prétention, je ne pu m'empêcher d'émettre l'hypothèse d'une éventuelle rébellion de ma part. Refuser de respecter la première règle ne présageait rien de bon pour moi, mais qu'importe ! Je préférais taquiner à tout va, pour peut-être finir par mettre mon prof dans ma poche et avoir un traitement de faveur. Un léger sourire en coin ne pouvait que m'y aider ! Il sembla d'abord vexé, puis finit par se relever. Je le suivais du regard sans un mot, attendant une quelconque réponse de sa part, jusqu'à ce qu'il retire son t-shirt. Là, ma réaction fut instantanée ! Ni une, ni deux, mon regard fixa les vagues et je luttais pour afficher l'air le plus décontracté et naturel qui soit. Je me mordais l'intérieur de la joue pour retenir un sourire et ne surtout pas laisser mes pommettes rosir. Certes, il n'y avait rien d'extraordinaire (quoique son torse ne ressemblait en rien à une pauvre tablette de chocolat abandonnée en plein soleil, bien au contraire elle était loin d'être toute fondue !). Cependant, parce que c'était lui, je me devais d'avoir un total contrôle de mes réactions à son égard. Ne cherchez pas à comprendre, moi-même j'ai arrêté de le faire !
Il partit alors dans un petit délire, comme quoi il contrôlait les océans. J'avais une nouvelle version de Yoda, j'en étais sûre ! Je voulais bien dit, non ? Bon, un Yoda en carrément moins ridé et terriblement plus mignon. Les menaces allaient bon train, mais étrangement, ça ne me faisait pas le moindre effet. Il aurait pu me dire qu'il allait lui même me dévorer, que j'aurais probablement plus eu peur. « Tu laisserais un requin me dévorer ? Mais t'es un monstre ! » -répliquai-je en entrant dans son jeu. J'accentuai volontairement mes expressions et intonations afin d'en faire des tonnes et de sur jouer tout ça. Je m'en sortais d'ailleurs comme un chef ! « Va pour l'appel de la vague, ça marche ! » J'opinai du chef, et esquissai un sourire en coin, le laissant alors se rhabiller. Pas la peine de le détailler de la tête aux pieds alors qu'il enfilait son short. Même si, en toute honnêteté, la vue de son derrière n'était pas désagréable. Outch ! Je me giflai mentalement ! Non mais ça va pas la tête ! Tu vas calmer ta joie Emma Davis ! « Eum, oui, oui ! Un café... Avec plaisir ! » Il fallait bien rattraper mon petit beug ! Je faisais de mon mieux... Et ça n'était pas fameux !
Tu laisserais un requin me dévorer ? Mais t'es un monstre !, je lui avais sourit et avais haussé les épaules, comme si sa perte ne me ferait pas grand chose, comme si... j'étais un être sans coeur. Ce qui, je pense, n'était pas le cas. Après tout... je ne pense pas que si j'en avais le pouvoir, je dresserai une armée de requin contre Emma, déjà car un seul suffirait vu sa petite taille et puis segundo parce qu'elle me manquerait un peu, et sûrement pas qu'à moi même d'ailleurs. Je pense qu'une fille comme elle devait être pas mal apprécier, d'ailleurs je me demandais pourquoi elle n'avait pas déjà un petit ami fou amoureux prêt à tout pour elle, car je n'avais pas rencontré beaucoup de filles dans son genre. Exigeant moi ? Sûrement pas le moins du monde, je ne m'intéressais juste pas à tout le monde, et les filles superficielles ou stupides ça n'était pas ma tasse de thé, même pas pour profiter de leur naïveté un soir. Non. Rien que l'idée me dégoutait. A présent de nouveau habillé, je pris mon portable pour regarder l'heure puis relevais les yeux vers Emma lorsqu'elle accepta de prendre un café après notre futur entraînement de surf. Bien, tout ça s'annonçait assez sympathique. Une après-midi avec elle, à d'abord lui apprendre comment tenir sur une planche, puis ensuite se consoler ou se remettre sur pied après cet entraînement éprouvant avec un café ou un chocolat chaud. Oui pas de doute, ça allait être sympa.
- Très bien, très bien. Bon il faut que j'y aille, il va bientôt faire nuit et je pensais aller prendre quelques photos donc... je vais y aller, mais je t'appelle bientôt. Pour ta première leçon.
Je lui adressai un sourire à moitié désolé et vint lui donner un bisou sur la joue avant de me lever pour plier ma serviette afin de la mettre dans mon sac.
- Je peux te ramener chez toi si tu veux ? lui demandai-je en attrapant ma planche de surf.
Je la regardai avec insistance, la forçant à accepter, puis nous marchâmes ensemble jusqu'à ma voiture.