Ça m’avait pris quelques jours avant de savoir clairement où était Elyes Sullivan. Je suis une fille pleine de ressources. Et j’ai des yeux de biches. Ça aide pour soudoyer les cons. J’aimerais bien les persécuter en vérité, mais je ne préfère pas m’égarer. Pour le moment, Elyes ex-associée de mon père, ex-ami, ex-personne que je croyais digne de confiance ; était ma priorité. J’imaginais bien que tout ce qu’on m’avait raconté à son sujet était vrai, à savoir qu’il avait liquidé mon père pour une raison x ou y. je trouvais ça assez injuste de tuer le mec avec qui vous bossiez depuis des années. Evidemment, c’était différent de si ils avaient été caissiers au Burger King du coin : ça n’engageait pas vraiment de lien de confiance entre eux ; en l’occurrence mon père et Sullivan avaient ensemble assez de merde au cul pour se devoir respect et protection. On est toujours trahi par ses amis, le dicton était donc vrai. Je regarde le bout de papier que j’ai dans les mains, qui m’indique une adresse dans le nord de San Francisco. Assez surprenant, j’aurais pensé que Sullivan aurait fait la connerie d’aller se trouver un appartement cosy avec vue sur l’océan. Peut-être qu’il n’était pas si con que ça. Genre… Je partais les mains dans les poches chez lui. Parce que je ne sais pas encore si je veux avoir des explications ou simplement l’égorger. Si j’envisage l’option numéro deux, j’imagine bien trouver dans l’appartement d’un mafieux de quoi satisfaire mes envies sanguines. J’arrivais chez lui. Devant la porte, je me demandais pour la première fois de ma vie si je n’étais pas en train de faire une connerie. Cet instant de lucidité durant approximativement trois secondes. Je sortis une de mes mains de la poche de ma veste et frappais deux grands coups secs contre la porte. Ouvre-moi Elyes, il reste une Walton sur cette Terre qui a des trucs à te dire… Il ouvrit la porte et je le regardais à peine avant de m’engouffrer dans l’appartement. L’idée de dérangement ne me traversait pas par la tête. Une Lizzie Walton en colère ne dérange jamais personne. Je me tournais vers lui. C’était assez étrange de le voir et j’essayais de me rappeler la dernière fois où je l’avais vu justement. C’était il y a assez longtemps ; puisqu’évidemment il ne s’était pas pointé à l’enterrement de mon père. Petit sourire hypocrite. « Est-ce que tu es déjà un vieillard ou tu te souviens de moi ? » demandais-je. Je regardais autour de moi et découvris quelques bouteilles d’alcools forts et des verres. « Te dérange pas, je vois que la courtoisie c’est pas ton truc. Je vais me servir. » Je m’exécutais et me servis un verre de ce qui semblait être du whisky et je me tournais vers lui, un regard interrogateur. « Tu veux boire quelque chose ? » Allez Elyes, tu te souviens de moi, n’est-ce pas ?
Être amnésique ou comment recommencer la vie de zéro. Ce n’était point tâche facile, plutôt exténuante au contraire. Je me devais de réapprendre des choses que j’avais eu, en trente-trois ans d’existence, le temps d’assimiler. En fait, pour faire simple, j’étais un nouveau-né d’une trentaine d’années, ce qui était à la fois comique et triste, tout dépendait du point de vu que l’on choisissait d’adopter. Je soupirai pour la énième fois ce matin. J’avais beau suivre les conseils des médecins afin de stimuler au plus vite ma mémoire mais cela ne fut qu’échecs cuisants. Cela ne faisait certes pas longtemps que je me retrouvais dans un tel état mais c’était plus que suffisant à mes yeux. Je me sentais démuni au possible, comme si tout aurait pu être un danger pour ma personne et je n’étais pas certain d’apprécier un tel sentiment de vulnérabilité.
Hier soir monsieur Weinsmeister ou William comme il m’exhortait à le nommer vint me déposer chez moi…enfin, en voilà un grand terme, je ne reconnaissais rien ici et ce cher chirurgien semblait connaître les lieux comme sa poche, nul doute que nous étions proches. Ce qui m’avait tout de suite frappé dans cette maison, ce fut la démesure. Elle était bien trop grande pour qu’une seule personne y vécût, impression que je fis part au dénommé William qui s’en amusa, m’assurant que j’étais satisfait de tout ça. Nul doute que je devais me sentir seul dans cette villa aux allures de manoir avec toutes ces innombrables pièces, tout cet espace et surtout le fait qu’il soit si reculé de toute autre habitation, d’ailleurs je me demandais bien pourquoi. Etais-je un espèce d’asocial qui préférait se terrer dans son immense maison en compagnie de son piano, de ses bouteilles d’alcool coûteuses à flâner au bord de sa piscine ou bien encore sur son terrain de basket privé ? Tout portait à le croire en effet.
Il était dans les envions de midi lorsque je décidai enfin de m’extirper de mon lit qui était à l’image de toute chose dans cette maison, grand pour pas grand-chose, fis un saut dans la salle d’eau puis après m’être vêtu d’une tenue simple, je me rendis à la cuisine me préparer quelque chose à manger. Inutile de dire que la pièce était tout aussi étendue, aimais-je vraiment cela ? Il fallait le croire sinon je n’aurais pas choisi un tel agencement.
A peine voulus-je passer derrière les fourneaux que la sonnerie retentit, il me fallut un instant avant de l’identifier, n’étant pas encore habitué à tout cela, me demandant s’il s’agissait du micro-onde, du four ou que savais-je encore. J’ouvris, ne sachant que faire d’autre et une jeune fille se présenta à moi, sourire aux lèvres. Sourire qui aurait pu passer aux yeux des autres comme chaleureux mais j’eus un autre ressenti en le voyant. Quelque chose en moi me clamait de me méfier de la brune, qu’elle n’était pas aussi sans-défense qu’elle pouvait le sembler. Je ne savais d’où provenait un tel sentiment mais avec un disque dur aussi vide que le mien, je décidai de me fier à mes instincts. Elle fit comme s’il eut s’agit de sa maison et je finis par me demander si elle n’était jamais venue par ici.
« Non, merci » répondis-je calmement.
Elle me tutoyait, entrait sans que je l’eusse invitée, nous nous connaissions sûrement mais encore une fois, comme avec les autres, rien ne venait. Mon esprit se contentait de demeurer aussi vide que le Grand Canyon.
« Au vu de votre comportement, j’imagine que nous nous connaissons, pouvez-vous me rappeler votre prénom ? »
Je me passai une main sur la tête, quelque peu embarrassé par la situation.
« Navré, j’ai récemment eu un accident qui m’a délesté de tous mes souvenirs. »
« Non, merci » Sa voix que je n’avais pas entendue depuis assez longtemps pour l’oublier, résonna dans ma tête quelques secondes. « Au vu de votre comportement, j’imagine que nous nous connaissons, pouvez-vous me rappeler votre prénom ? » J’avais la très désagréable impression qu’il se foutait de ma gueule. Elyes avait assez longtemps associé à mon père pour savoir qui j’étais. Tout du moins, vu que je savais qu’il était loin d’être con, il pouvait au moins se douter. Le doute aurait engendré la compréhension de ma venue. Pourtant, je décelais quelque chose dans son regard qui me laissait croire qu’il ne savait réellement pas qui j’étais. Je pris une gorgée de mon verre, en plissant les yeux. Je ne m’étais pas trompée, je savais que c’était lui. Il avait fait couler le sang de mon père, j’en étais certaine. Me laissant seule, orpheline, sans personne sur qui me reposer. J’avais entendu parler de différentes étapes qu’il fallait franchir après le décès d’un proche. La dernière étape étant l’acceptation ; une chose était sure, j’étais très loin d’y être arrivée. J’avais toujours une furieuse envie de frapper la tête d’Elyes Sullivan sur du bitume jusqu’à voir sa cervelle se répandre sur le sol. Non, je n’étais encore pas arrivée à l’acceptation… « Navré, j’ai récemment eu un accident qui m’a délesté de tous mes souvenirs. » Bien sur. Je souris. Elyes Sullivan avait perdu la mémoire. N’était-ce pas ironique ? Je posais mon verre et m’approchais de lui, tout doucement. Etre aussi proche de lui me donnais envie de… de serrer très fort mes doigts autour de sa gorge, jusqu’à son dernier souffle. Oui, j’étais vaguement rancunière, je l’avoue. Tu sais ce que tu es Elyes ? La personne que je hais le plus sur cette foutue terre. Je… J’inspirais profondément. Il avait visiblement décidé de jouer au plus con avec moi, j’étais très forte à ce jeu là. « Comment ça ? » lançais-je, de ma voix la plus crédible d’étonnement. « Tu te souviens pas de moi ? Pourtant… » Je portais ma main à ma bouche. « Je me sens toute bête. C’est pour ça que tu ne m’as pas rappelé après… » Je souris. Je le laissais imaginer le pire entre nous. Je croisais les bras sur ma poitrine. « On ne s’est pas revu depuis que tu es parti de New York… Tu ne m’as même pas prévenu. J’ai vraiment… cru que tu m’en voulais. » Je me tournais dos à lui et pinçais les lèvres. « Je suis Lizzie. Lizzie Walton, une… amie. » Je me retournais brusquement. « Qu’est-ce qu’il t’es arrivé ? »