J'avais du temps libre, la police n'avait pas besoin de moi alors j'avais décidé de passer mon temps en révisant dans la librairie. Une librairie tellement grande qu'il y avait des ascenseurs, vous y croyez, franchement ? Celle de Saint-Petersbourg n'était pas mal dans son genre non plus, mais tout de même, ce n'était pas la même échelle.
Après plusieurs heures passées dans les bouquins à lire divers ouvrages sur la culture, le commerce et autres domaines, je finis par jeter un coup d'oeil à l'heure en me disant qu'il était temps pour moi de partir ; de toute manière, je ne me sentais pas du tout de rester davantage dans cet endroit, je n'étais pas un bourreau du travail et j'étais arrivé à saturation. Qu'est-ce que j'allais faire ? Mmh, me détendre, certainement. Me balader dans le parc ou rentrer chez moi, m'étaler comme une larve sur le lit...
Remettant ma veste, j'approchai de l'ascenseur et appuyai sur le bouton. Les portes s'ouvrirent, et mon regard se posa sur une jeune femme que je connaissais plutôt bien : Kaleigh. C'était ça le comble, elle parlait tellement d'elle, toujours, que je la connaissais sans la connaître. J'entrai dans l'ascenseur sans prononcer le moindre mot, m'épaulant au mur en appuyant sur le zéro. Je n'aimais pas être en sa présence, je craignais constamment qu'elle me parle, peu importe pour quelle raison ; dès qu'elle ouvrait la bouche, je sentais mes poils se hérisser et mes muscles se raidirent, une folle envie de lui coller une claque m'envahissait et je devais lutter pour ne pas céder à mes pulsions. Moins elle parlait, mieux c'était. Du coup, je n'étais pas très à l'aise avec l'idée d'être seul dans l'ascenseur avec elle, mais fort heureusement, ce serait bientôt terminé. Ou pas.
L'ascenseur émit un bruit bizarre et s'arrêta d'un coup sec, si brusquement que je fus obligé de m'appuyer contre le mur pour ne pas tomber. En une fraction de seconde, Kaleigh et moi étions plongés dans le noir et immobiles. C'était une blague ? Je relevai les yeux pour regarder autour de nous, mes yeux s'habituant lentement à l'obscurité. J'appuyai sur le bouton d'alerte, mais rien ne se produisit. Là, c'était le pompom. Un profond soupir s'échappa d'entre mes lèvres alors que je m'adossais à l'un des côtés de l'ascenseur, posant les yeux sur Kaleigh. Quelqu'un voulait ma mort, c'était certain.
« Y a rien qui marche. »
Bon, c'était peut-être juste une petite panne sans importance ? Un petit imprévu de rien du tout qui serait réglé d'ici quelques minutes. L'espoir fait vivre.
J’étais encore dans cette immense librairie, libre comme l’air. A chaque fois que j’y étais, je me sentais presque au paradis. Pourquoi ? Enfin je me sentais à ma place. J’étais tout le temps entourée de gens qui adoraient faire la fête, qui buvaient, qui fumaient, parfois qui se droguaient… Je n’étais pas dans leur délire. Moi mon délire, c’était les livres, donc la librairie était un peu MON espace à moi. Certes, je n’allais emmener personne ici pour faire visiter, mais enfin j’étais dans un espace calme, je voyais du monde sans obligatoirement les côtoyer mais ça me faisait plaisir de voir des personnes studieuses autour de moi. Etrangement, je n’aimais pas tant que cela mes études de Sciences Sociales, mais ça m’occupait, me changeait les idées et me faisait oublier mes petits tracas quotidiens. J’ai toujours été une bonne élève et j’ai souvent été première de la classe. Je n’ai jamais renié ce plaisir presque malsain que j’avais à me couper du monde pour assouvir ma soif de culture.
J’étais au troisième étage de ma librairie favorite. Au fond de la salle, près du chauffage à lire mon ouvrage préféré : Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll. J’adorais ce monde si spécial, unique. En fait j’aimais tout ce qui était assez étrange, ça pouvait paraître drôle car en apparence je semblais plutôt ordinaire comme fille. Je riais, je souriais, j’étais timide, je semblais un peu enfantine… Pourtant dans ma tête ce n’était pas aussi rose que cela. C’était presque l’enfer. J’avais un don de me prendre la tête toute seule et de me poser mille et une questions sur tout et rien en moins de cinq secondes. Parfois je m’épatais moi-même en voyant sur quoi un seul sujet me faisait débattre sur l’utilité de mon existence sur Terre. Enfin bref… Comme quoi les apparences sont trompeuses. Il ne faut pas juger un livre à sa couverture.
Il commençait à se faire tard. Je ne savais pas l’heure exacte, mais je voyais le soleil se couchait et vu que je détestais rentrer seule la nuit chez moi, je préférais partir maintenant avant que cela soit trop tard. Je rangeai donc le livre sur l’étagère qui lui était approprié et je pris la direction de l’ascenseur pour rejoindre le rez-de-chaussée. Quelques pas plus tard, j’étais enfin dans ce fameux ascenseur, j’appuyais sur le bouton zéro pour que l’ascenseur me mène exactement là où je veux, mais le bouton « deux » s’alluma en vert. Je devais donc m’arrêter à l’étage d’en dessous car une personne avait appelé l’ascenseur. Je n’aimais pas tellement me retrouver seule avec quelqu’un dans l’ascenseur. Je ressentais tout le temps le besoin de parler pour combler le manque car je n’arrivais pas à être seule dans mon coin. Bizarre, non ? Pour moi le blanc était insupportable, mon cœur s’accélérait à chaque fois et j’avais l’impression que je risquais à tout moment de frôler la crise cardiaque. Pourtant je n’étais pas quelqu’un de méchant, mais je parlais peut-être trop. Je le savais, mais je ne pouvais pas m’en empêcher.
L’ascenseur se stoppa au second étage et les portes s’ouvrirent. J’étais au fond de la cage, le dos contre le mur, les bras croisés sur ma poitrine et j’étais figée comme une statue. Pourquoi ? Alekseï. Je m’attendais à tout sauf à lui. Déjà j’étais étonnée de le croiser à la librairie, je ne savais pas ce qu’il pouvait trouver de bien à cet endroit. Je me l’imaginais plutôt fêtard, rebelle et pas très studieux. Oui, malgré cela, je suis la première à dire qu’il ne faut pas se fier aux apparences… Mais là j’étais assez étonnée mais assez apeurée. J’avais peur qu’il me fasse un reproche en me voyant, mais non en fait. Je baissais de suite les yeux lorsqu’il entra avec moi. Il appuya sur le bouton « zéro » à son tour et se mit à l’opposé de moi. J’étais assez vexée. Je n’aimais pas qu’on me déteste. Enfin, je sais que c’est impossible d’aimer tout le monde, mais je ne lui avais rien fais spécialement à lui. Sauf trop parler ? C’est dans ce genre de moment que je me détestais encore plus que d’habitude. Pourtant j’en suis sûre qu’il n’a pas un si mauvais fond et qu’il peut s’avérer être agréable. Il fallait juste que j’apprenne à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler en sa compagnie. Mais étrangement, là, je préférais m’abstenir. Je ne voulais pas gâcher sa soirée et qu’il sorte en colère de cet endroit par ma faute.
Soudainement, l’ascenseur s’arrêta assez brutalement. Je manquai de perdre l’équilibre. Heureusement j’étais calée contre le mur, donc j’ai réussi à rester sur mes pieds. Ce qui me soulageait assez car je n’avais pas envie de m’afficher devant lui. Autant faire bonne impression… Car en plus je passais pour l’imbécile ou maladroite de service à ces yeux, je n’allais pas le supporter. Il faisait sombre, très sombre, mais au fur et à mesure des secondes mes yeux s’adaptèrent à l’obscurité et je réussissais à apercevoir Alekseï. Mes yeux étaient paniqués, on aurait dit une droguée en manque. J’avais peur à cet instant. Peur de rester coincée encore longtemps là, et surtout seule avec Alekseï. Encore, je pouvais faire l’effort de me taire cinq minutes en sa compagnie, mais là, je sentais qu’on allait rester ensemble plus de cinq minutes et j’avais peur de gaffé en sa présence et de dire quelque chose de travers et qu’il me crie dessus.
« Y a rien qui marche. » Me dit-il. C’est lui qui a commencé la conversation. Que devais-je faire ? Répondre avec des mots ou en hochant de la tête pour lui dire que j’avais compris la situation dans laquelle on était ? J’avais peur d’ouvrir ma bouche. Certes, je n’allais pas étaler ma vie, je n’en avais pas envie avec lui. J’ai compris la leçon une fois… Je ne vais pas refaire la même erreur. Mais c’était drôle car d’habitude je reproduisais pas mal de fois la même erreur jusqu’à que j’en souffre pour de bon… Là, avec Alekseï c’était différent. Il m’a clairement fait comprendre la dernière fois qu’il n’aimait pas ma façon de me plaindre sans cesse et que je parle de moi comme si c’était un sujet banal qu’on pouvait aborder avec n’importe qui. Peut-être que ça m’a fait flash car j’étais déjà au courant de tout cela ? Certainement. Sauf que là, c’était quelqu’un d’autre qui me le disait et non une de mes petites voix qui traînaient dans ma tête.
Je restais coller au mur arrière de l’ascenseur. Je ne voulais plus y bouger. Je ne savais pas quoi faire ou quoi dire. J’essayais de voir avec mon téléphone portable si je pouvais appeler quelqu’un, mais le signe de « batterie faible » s’afficha. A croire que tout était contre moi depuis moins de dix minutes. J’eu à peine le temps de dire cela, que mon portable s’éteignit. Ca m’apprendra à ne pas le charger pendant quatre jours alors que je savais qu’il le fallait absolument. « Mon portable n’a plus de batterie... » Dis-je avec une voix assez tremblante. J’avais peur de tout décidément. J’avais même peur qu’il me fasse une remarque sur cette simple phrase. Décidément cet Alekseï me mettait dans tous mes états en un simple battement de cils.
Nous venions de replonger dans le silence après mes quelques mots qui semblèrent laisser Kaleigh perplexe ; mais je n'en étais pas certain, après tout dans le noir, on voit pas grand-chose. En revanche, je sentais parfaitement la tension qui planait dans l'air, le souvenir de notre dernière discussion qui avait été loin d'être des plus amicales. Au moins, elle ne me parlait pas, elle n'était pas en train de se plaindre de son éventuelle journée pourrie que cet imprévu couronnait en beauté, non, elle semblait décidé à ne pas m'énerver et j'en étais très fortement soulagé. Après tout, que pouvait-il m'arriver de pire que me retrouver coincé dans un ascenseur avec une fille qui a le don de me mettre hors de moi ? Et si je devais passer plusieurs heures avec elle ? Elle ne tiendrait pas dans le silence autant de temps, elle allait forcément se mettre à parler à un moment donné et à ce moment-là, j'allais littéralement déprimer, faire une dépression nerveuse, devenir fou. Ça aurait pu tomber sur n'importe qui, mais non, il fallait que ce soit sur elle. Enfin bref, cessons de s'imaginer les pires scénarios, le problème allait certainement être réglé d'une minute à l'autre, ça pouvait arriver. L'essentiel, c'était que l'ascenseur ne s'était pas crashé et qu'on avait rien de cassé.
Je relevai les yeux vers Kaleigh en l'entendant parler. Fort heureusement, ce n'était pas pour geindre sur la situation dans laquelle nous nous trouvions, mais me donner une information utile ; j'avais tellement réfléchi, je m'étais tellement dit que tout allait s'arranger rapidement que j'en avais oublié mon portable. Je ne commentai pas le sien, songeant que ça tombait vraiment mal. Je me bénissais alors d'avoir chargé mon portable la veille et je le sortis de la poche de mon jean. J'allais appeler Jake, avec un peu de chance il ne serait pas perché et on pourrait voir pour trouver une solution. Ou au pire, appeler les pompiers. Je déverrouillai mon portable... et laissai ma tête repartir en arrière pour s'appuyer contre le mur de l'ascenseur.
« ... pas d'réseau. »
Mais c'est quoi ces téléphones qui marchent pas sérieux ? Bon, il faut dire qu'une cabine d'ascenseur, encore plus quand tout est en panne, c'est pas le must pour capter quoique ce soit. Le point positif dans l'histoire, c'était que j'avais encore de la batterie, et donc qu'on aurait de la lumière pendant encore un certain temps. Un temps limité, certes, mais c'était toujours ça de pris plutôt que rester dans le noir comme c'était le cas jusqu'à maintenant, non ? Les secondes défilaient à une lenteur déconcertante, j'avais la fâcheuse impression que Kaleigh et moi allions passer une éternité dans cette situation, et ce n'était pas nécessairement pour me plaire. D'ailleurs, rien dans la situation ne me plaisait, de toute manière. Intérieurement, je maudissais la raison pour laquelle je me retrouvais coincé, que ce soit pour cinq minutes, une heure ou plus, avec Kaleigh. Moins de temps durerait cette coupure et moins j'aurais de chance qu'elle me parle. J'en vins à réfléchir sur la raison pour laquelle Kaleigh était ainsi, toujours bavarde, toujours à parler d'elle, de ses problèmes, mon parfait opposé entre autre. Je ne parvenais pas à me mettre à sa place, imaginer ce qu'elle avait pu vivre, les pensées qui pouvaient lui traverser l'esprit... Rien, c'était le néant ! Peut-être qu'au final, elle aimait juste se plaindre ? D'ailleurs, peu de monde semblait se préoccuper de ça, comme si c'était normal qu'elle parle autant d'elle, on aurait dit que j'étais le seul à le lui avoir reproché ; cela ne faisait aucun doute, ces Américains n'avaient pas fini de m'étonner. En bien, en mal, de toute manière, il fallait des deux.
Les minutes défilaient, plus longues les unes que les autres et dans le silence. Je n'avais plus aucune idée de ce qu'on pouvait bien faire dans une situation pareille quand on y voyait rien et qu'il n'y avait plus la moindre étincelle nulle part, que les portables n'avaient plus de batterie ou ne captaient plus. Au fur et à mesure que le temps passait, je comprenais que nous ne semblions pas prêts de nous sortir de cet ascenseur. Je m'avançai un peu vers la porte après quelques minutes d'inactivité, collant mon oreille sur le métal froid en frissonnant, dans l'espoir d'entendre quelque chose, peu importe quoi, mais rien. C'était toujours le silence ; d'un côté c'était plutôt rassurant de ne rien entendre ; pas de hurlement, de baraque qui s'effondre, pas de fin du monde. Je finis par m'éloigner de la porte, me tournant vers Kaleigh. Elle n'allait pas tarder à me parler, je le voyais venir gros comme une maison, et je n'avais pas particulièrement envie de parler de ses problèmes, quels qu'ils soient. A l'heure actuelle, nous étions deux à être dans le pétrin. Sans trop réfléchir, je plongeai à nouveau la main dans ma poche et lui tendit mon portable, l'air sérieux.
J’étais au fond de la cage d’ascenseur, mon dos collé au mur et je n’avais pas l’intention d’y bouger. De toute façon, bouger pour aller où ? Peu d’espace nous est proposé et ça me faisait assez peur. Pourquoi ? Je ne sais pas. Autant on aurait pu tous les deux se mettre à l’opposé de la pièce où nous nous trouvons, mais même là, on avait beau être aux extrémités de l’ascenseur, on était considéré comme près de l’un de l’autre tellement l’endroit était petit. J’avais eu le courage de prononcer une misérable phrase pour prévenir de l’état de mon portable. C’était une manière comme une autre de lui faire comprendre indirectement qu’il pourrait faire de même. Ce qu’il fit aussitôt. Je le vis fouiller ses poches pour trouver son portable et j’espérais au plus profond de moi qu’il ait toute sa batterie, du crédit et du réseau pour prévenir quelqu’un de là où on était si vraiment ça venait à durer cette situation. Même j’avais espéré qu’il puisse rester longtemps au téléphone avec cette personne, comme cela, ça aurait évité du blanc et je ne ressentirais pas le besoin de parler pour combler tout cela et donc m’éviter du stresse inutile.
Au bout d’une minute, des mots sortirent de sa bouche « ... pas d'réseau. » J’étais officiellement fichue. Pourquoi ? J’avais limite envie de lui prendre son portable et de vérifier moi-même s’il disait la vérité. Après tout, je savais qu’il ne m’aimait pas réellement, il pourrait très bien jouer la comédie et me mener en bateau pour jouer avec mes nerfs. Mais bon… Je ne pense pas qu’il ait que ça à faire. Il était grand et je ne voyais pas pourquoi il jouerait à un jeu si gamin. Sauf s’il avait l’esprit tordu… Jusqu’à présent il ne m’avait rien montré en tout cas. Du moins, on cherchait surtout à s’éviter ou soit si on se croisait, on restait muet pour éviter des embrouilles pour rien. Moi, une fille à embrouille ? C’est le meilleur ça. Je détestais que l’on me déteste… Après tout, qui sur Terre aimait être détesté ? Personne. Donc ma réflexion fut stupide. Mais malgré cela, je n’arrivai pas à détester Alekseï. S’il ne m’aime pas, c’est son choix… Je ne sais pas ce que j’ai fais de mal le concernant… Peut-être ma façon d’être lui déplaît de A à Z. J’ai beau être le chaton de tout le monde, la fille qu’on veut câliner et réconforter pour une majeure partie de mes amis… Ca ne veut pas dire pour autant que tout le monde doit me considérer comme tel. Il devait aimer les femmes à caractère, qui ne doivent pas se prendre la tête et jouer de leur charme. J’aimerais être ce genre de personne mais cela en était impossible. En même temps, je ne me donnais pas les moyens pour atteindre cet… Idéal ? Oui, voilà.
Je commençais à être désespérée… La peur qui en plus m’envahissait ne jouer pas en ma faveur. Je me suis contentée de me laisser glisser le long du mur pour atterrir en position assise au sol, les genoux contre mon ventre. Ma tête était lourde, mon cœur s’accélérait de plus en plus et j’avais comme une envie de pleurer. L’angoisse certainement. Je tenais ma tête entre mes mains en déposant mes coudes sur mes genoux et je fermai les yeux pour essayer de me calmer moi-même. Je ne voulais pas faire une quelconque crise dans cet ascenseur. Encore moins en compagnie d’Alekseï.
« Tiens. Y a des jeux dessus, ça va t'occuper. » Il l’employa la seconde personne du singulier, j’en conclu donc qu’il s’adressa à moi, vu sa précédente remarque sur l’inexistence du réseau, il ne pouvait donc pas s’adresser à quelqu’un d’autre que moi. Je relevai ma tête et je le fixai droit dans les yeux. Des jeux ? Pourquoi voulait-il que je joue à des jeux ? Pour que je reste sage dans mon coin comme une enfant de 4ans et que je ne l’embête pas jusqu’à que quelqu’un vienne nous sauver ? Certainement. Je ne voyais pas pourquoi il me proposerait cela. Ca m’étonnerait qu’il me propose cela pour ensuite comparer nos scores et avoir un quelconque sujet de conversation en ma compagnie. J’aimerais que ce soit cette solution là, mais je n’étais pas née de la dernière plus, je me doutais que le scénario envisageable par la suite, ne pouvait être que négatif. Donc il me donnait son portable pour que je reste dans mon coin à ne rien dire. Si j’avais eu du caractère, je me serais levée et je l’aurai engueulé en lui disant de ne pas me traiter comme une chienne. Mais si j’avais un semblant de courage pour lui dire tout cela, ça n’allait engendrer que du mal, donc engueulades, embrouilles puis… Moi je voulais que ça s’arrange. Je ne supportais pas tant de haine autour de moi ou envers moi. Mais là, je ne savais pas quoi répondre.
« Euh… je… » Je n’ai même pas eu le courage de finir ma phrase, que je me contentai de lui dire non d’un signe de tête pour lui faire comprendre que je ne voulais pas jouer à ses jeux. Avec la chance que j’ai aujourd’hui, il ne fallait mieux pas de toute façon. Je risquais de lui casser son téléphone portable, ou de supprimer toutes ces parties, ces scores… Et… non, je ne préférais pas m’imaginer la suite du film que je commençais à me faire dans ma tête. Je vais essayer de parler le moins possible pour ne pas l’agacer, même si je détestais cela. Je voulais juste que la glace se brise entre lui et moi, que notre relation s’améliore et non qu’elle empire ou encore qu’elle reste dans cet état là.
N'importe qui aurait pu prendre ma proposition pour de la simple bonté ; la plupart des gens auraient vu un jeune homme penser à la jeune femme coincée avec lui et souhaitant lui offrir un moyen de tuer le temps comme elle n'en avait pas. Ils auraient vu un homme généreux souhaitant rendre service. Pourtant, Kaleigh et moi savions pertinemment que la réalité était loin d'être aussi belle et basée sur l'entraide, je faisais surtout mon égoïste en réalité. Après tout, si j'étais prêt à lui passer mon portable et m'ennuyer pendant qu'elle jouait, c'était bien pour éviter qu'elle ne m'ennuie à force de parler. Parce que je ne me voilais pas la face, même si je ne la connaissais pas vraiment, j'étais sûr et certain qu'elle serait le genre de fille à faire la conversation une fois coincée dans un ascenseur. Comme je me disais que la coupure ne durerait pas forcément longtemps, ce n'était vraiment pas ce dont j'avais besoin.
A son non que je perçus à peine dans le noir et dont je n'étais même pas vraiment certain, je haussai les épaules, un peu déçu. Elle allait faire quoi du coup ? Attendre simplement ? Pourvu qu'elle attende en silence... J'eus alors une illumination, me rappelant que j'avais eu pour projet d'emprunter un livre à la bibliothèque. Au final, je n'avais qu'à le lire maintenant, puisqu'elle me laissait le portable, j'avais de la lumière. Elle avait refusé les jeux, tant pis, elle se débrouillerait pour trouver quelque chose à faire. Quoique je pouvais lui rendre un petit service pour rendre l'attente moins insupportable. Je m'éclairai alors avec mon portable, me penchant pour fouiller à l'intérieur de mon sac et m'emparer du livre, attrapant ensuite mon mp3 et le faisant glisser en direction de la jeune femme - c'était toujours mieux que rien. De toute manière, Kaleigh ne trouverait pas le livre bien intéressant sans doute, puisque c'était un livre de légendes russes. Je m'assis dans un coin de l'ascenseur également, ouvrant le livre au niveau du marque-page que j'avais mis et modifier la luminosité de mon portable ainsi que la durée d'éclairage pour y voir plus clair, pour finalement commencer à lire...
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Tulut. Batterie faible. Je regardai mon portable et lâchai un "merde" à peine audible, soupirant une nouvelle fois, remettant le marque-page et fermant mon livre en réajustant les détails de la luminosité. Il me restait moins de 20%, il fallait que je garde de la batterie au cas où il se mette soudainement à capter, que quelqu'un appelle ou, tout simplement, pour avoir l'heure... J'y jetai d'ailleurs un oeil et pinçai les lèvres. Cela faisait déjà trois heures et quart que nous étions enfermés dans ce fichu ascenseur et rien n'avait changé ; aucune lumière n'était revenu, aucun bruit ne s'était fait entendre et l'ascenseur n'avait pas bougé d'un pouce... Je m'aidai une dernière fois de la lumière de mon portable pour ranger mon livre dans mon sac, sentant mon ventre qui commençait à gargouiller. En même temps, il était déjà 21h45...
« Le mp3 a toujours de la batterie ? »
Trois heures et quart, vous n'imaginez peut-être pas. Je réfléchis un instant. Kaleigh m'avait étonnée au cours de ces trois dernières heures... Mais à mon avis, le pire restait à venir. Mon petit doigt me disait finalement que nous allions rester longtemps... très longtemps ainsi, et nous ne pourrions pas rester chacun de notre côté jusqu'à la fin. Ce serait bien trop long en tout cas puisque j'étais certain qu'il nous restait plusieurs heures à passer enfermés dans cet ascenseur. Sans plus réfléchir davantage, je me levai et vins m'asseoir à côté de Kaleigh, les bras appuyés sur les genoux et le dos appuyé contre la cage d'ascenseur.
« C'est bientôt 22h. J'imagine que comme moi, tu as rien à boire sur toi ? »
En même temps, qui aurait l'idée d'apporter à boire dans une librairie alors que c'était interdit ? Autant j'avais un sandwiche dans mon sac parce que je pensais rentrer chez moi tard, autant la bouteille d'eau ne m'avait pas semblé nécessaire. Le sort s'acharnait vraiment sur nous, on n'avait même pas de quoi se boire alors que c'est vital. Faites que ça ne dure quand même pas trop longtemps, d'autant plus que je commençais à m'inquiéter sérieusement pour la prise d'otages...
Le temps paraissait long. J’en avais marre. Je ne savais pas quoi faire à part rester dans mon coin à me parler à moi-même dans ma tête vu que je n’osais pas ouvrir la bouche en la compagnie d’Alekseï. Je ne savais pas quelle heure il était vu que je n’avais pas mis de montre aujourd’hui. Lorsque je venais à la librairie, je détestais regarder l’heure toutes les secondes. En même temps, j’étais si concentrée dans mes livres que je ne voyais jamais les heures passées. Même parfois je devais mettre une alarme sur mon portable, pour me prévenir qu’il était tant que je rentre à la maison. J’étais très loin de mes amies… Dans le sens où eux s’ennuieraient certainement dans ce genre d’endroit et ils regarderaient l’heure toutes les minutes, voire, toutes les secondes.
Je me demandais sérieusement quelle heure il était, mais je n’osais même pas demander de peur qu’il ne me réponde pas ou encore qu’il me réponde sèchement. Je ne supporte pas lorsqu’on me parle mal, ça a tendance à me faire du mal directement, je me braque et je me mets dans tous mes états. Psychologiquement parlant, j’ai du mal à faire ressortir mes émotions… Enfin pas tout le temps, mais la plupart du temps, oui.
Mes yeux commençaient à se faire lourds. Les minutes me paraissaient des heures, je n’en pouvais plus. Je commençais à avoir soif et faim. Moi faim ? Oui. Je ne réclamais jamais à manger d’habitude, au contraire j’avais un appétit d’oiseau comme on a tendance à me le dire souvent. Mon sac était entre mes jambes, je n’avais même pas la force de le prendre et de voir ce que j’avais dedans. Avec un peu de chance je pourrais avoir un petit truc à grignoter, ou même à boire. Mais pour cela, il faudrait avoir la force de vérifier. Là à ce moment même, j’avais juste envie de dormir pour que le temps passe plus vite et que je ne sente pas la pression étant dans cette cabine de quelques mètres carrés à peine. Juste, un petit problème était là… Je stressais tellement que ça en était impossible de dormir. Depuis le début je somnolais dans mon coin, je fermais les yeux, puis les rouvrais, ça encore et encore. J’attendais qu’il prenne la parole, comme cela j’étais sûre qu’il était conscient qu’il me parlait et donc qu’il cherchait un quelconque dialogue avec moi, donc je me devais de lui répondre.
Je le vis prendre son téléphone portable et il commença à lire un livre. C’est là où je regrettais d’avoir posé mon livre… Mais cette panne n’était pas prévue, donc je ne pouvais pas m’en vouloir. Après tout, là j’étais censé être déjà chez moi, au chaud, sous ma couette et le ventre plein. Et non seule dans cet ascenseur lugubre avec Alekseï. Après cela, j’entendis un bruit venir vers moi. Je regardai à mes côtés et je vis un mp3. Je regardai ensuite Alekseï et je ne savais pas trop quoi lui dire. Autant faire dans le simple et le rapide… « Merci Alekseï… » Dis-je d’une voix assez hésitante. Je pris le mp3 entre mes mains et je commençais à écouter ses musiques en mode aléatoire. J’étais assez surprise, j’aimais bien ce qui l’écoutait. Enfin pas tout, mais ces musiques étaient pour la plupart bien. C’était étrange, je ne l’imaginais pas écouter les mêmes choses que moi… Comme quoi… Il me réservera toujours des surprises. Il ne me détestait pas tant que cela alors… Enfin, je ne savais pas s’il me détestait ou pas, je savais juste qu’il ne m’appréciait pas des masses…
Des minutes et des minutes passèrent. Le temps passait un peu plus rapidement à présent vu que la musique était là pour m’occuper. Sauf que là, je pouvais à peu près déduire combien de minutes passaient, je me disais que chaque chanson en moyenne durait trois minutes et là j’en étais à la trentième sur deux cent quarante quatre. Trois fois trente ça fait combien déjà ? Quatre vingt dix. Ca faisait une heure et demi que j’étais là, à écouter son mp3 encore et encore. Puis par je ne sais quelles intuitions, je sentais que dans une heure et demie je serais encore là à l’écouter… Je ne savais pas comment on allait faire pour s’en sortir. Mon portable n’avait plus de batterie, le sien plus de réseau. J’étais maudite… On était maudit… Mais peut être c’était un signe qu’on se retrouve coincer tous les deux. Peut-être que ça voulait signifier quelque chose. Peut-être que ça voulait dire que je devais affronter mes peurs et parler une bonne fois pour toute à Alekseï pour que notre relation s’arrange et que ce n’était pas perdu. Je l’espérais profondément, mais bon… Je ne suis pas dupe, on n’est pas au pays des Bisounours et cette situation était juste une coïncidence parmi tant d’autres et c’est tout… Je regardai du coin de l’œil Alekseï et je le vis bouger. De réflexe, de peur qu’il me parle, j’ai mis le son de son mp3 au minimum, je ne voulais pas louper la moindre occasion lorsqu’il s’adressait à moi. Je ne voulais pas empirer ma situation, mais au contraire l’arranger. « Le mp3 a toujours de la batterie ? » Me dit-il. Heureusement que j’avais baissé le son, sinon je n’allais rien entendre. Je le regardai en l’éclairant avec la faible lumière du mp3 et lui répondit en parlant presque comme un murmure. « Il en a encore oui… Un peu moins de la moitié, mais il tient toujours… » Je ne savais pas s’il apercevait mon visage ou pas, mais en tout cas je souris à mes paroles pour paraître chaleureuse et non froide ou distante avec lui. Ces heures passées à ces côtés me blessaient car on avait aucunement parlé et nos regards ne s’étaient pas croisés. Pas une seule fois et c’était déplaisant… Très déplaisant.
« C'est bientôt 22h. J'imagine que comme moi, tu as rien à bouffer ou boire sur toi ? » 22h ? Mon Dieu… 22h ? Mais ça faisait plus de trois heures qu’on était là alors… Pour moi ça me semblait des siècles, je n’avais pas la notion du temps dans cet espace réduit. « 22h ?!!! » Dis-je d’un ton étonné. Mais je me repris aussitôt. Je ne voulais pas qu’il me voit paniquer ou inquiète. Déjà que ça devait l’énerver d’être avec moi, je ne pense pas qu’une fille paniquée à bord devrait lui plaire… « Hum… Excuse-moi… Je… je ne sais pas. » Je me mis à fouiller dans mon sac, en enlevant les écouteurs du mp3 en espérant qu’il ose continuer la conversation et non me laisser dans un blanc total. Par miracle j’ai trouvé une petite bouteille d’eau. Elle était presque vide mais il y en avait encore assez pour nous deux. Malgré la soif et la faim, je lui passai la bouteille. « Tiens… Tu peux la finir, je n’ai pas soif… Et ça me fait plaisir. » Certes, je lui mentais, mais au moins je faisais un effort pour lui paraitre agréable en espérant qu’il comprenne mes attentions à son égard. Même si j’en doute assez… Après tout, il m’a bien prêté son mp3 pour que les minutes passent plus vite, je pouvais au moins lui donner le reste de mon eau.
La jeune était audible dans la voix de Kaleigh, et mes yeux se réhabituaient lentement à la pénombre, me permettant de la distinguer plus clairement à nouveau, juste à côté de moi. Je l'observai un moment alors qu'elle fouillait à tâtons dans son sac pour finalement trouver une bouteille d'eau et la sortie pour en examiner le contenu que l'on voyait très faiblement ; tellement faiblement, à vrai dire, que le poids était sans doute plus indicatif du contenu que ce que l'on pouvait voir. Je baissai doucement la bouteille d'une main pour qu'elle la remette dans son sac, tournant la tête vers la jeune femme pour la regarder.
« Ca va. S'il en reste si peu on va éviter de le boire trop rapidement, je ne meurs pas encore de soif, donc... »
Je haussai les épaules, rebaissant les yeux vers le sol devant moi avant de tourner la tête du côté opposé à Kaleigh, réfléchissant encore et toujours. Elle avait un peu moins de la moitié de sa bouteille à boire, j'avais à peine un sandwich à manger. C'était bien peu pour deux personne, mais c'était toujours mieux que mourir de faim ou de soif, non ? Je reportai mon attention sur elle.
« Si tu as faim, j'ai un sandwich dans mon sac. C'est pas grand-chose, aux crudités, mais ce sera toujours ça. »
Je n'avais pas prévu de passer la soirée chez moi, mais honnêtement, je n'avais pas non plus prévu de la passer dans un ascenseur. Quelle merde ! C'était vraiment pourri comme soirée, et s'il le fallait, on allait aussi y passer la nuit. Le chauffage de la librairie se serait estompé et on allait se peler l'oignon sans aucune couverture pour se tenir chaud ; à part nos manteaux, on n'aurait au final pas grand-chose. Et puis le sol était loin d'être d'un confort inégalable, ce serait difficile de s'endormir dessus.
La tête appuyée contre la cage d'ascenseur, je laissai un soupir s'échapper d'entre mes lèvres, songeur. J'étais inquiet ; inquiet d'être ainsi enfermé dans un ascenseur avec Kaleigh pour une durée indéterminée en ayant quasiment rien à manger, mais aussi inquiet pour ce qu'il se passait dehors puisque je n'avais pas la moindre nouvelle de l'extérieur, pas le moindre signe de vie, pas la moindre information sur comment se déroulait la prise d'otage et si les négociations avançaient... Je ne savais pas du tout quand j'allais sortir de ce fichu ascenseur, si quand j'allais en ressortir, Leila irait toujours bien. Peut-être même qu'un autre de mes proches était pris au piège de la même manière, et je ne le savais même pas ? L'horreur, il ne fallait pas que je pense à ça, il n'y avait rien de mieux pour me faire angoisser. Et puis, au final, vint la question fatidique. Est-ce que toutefois j'allais sortir d'ici ? La coupure avait eu lieu il y a déjà trois heures et nous n'avions pas bougé d'un pouce, personne ne semblait venir à notre secours. En imaginant que la coupure avait été générale et que je ne captais pas de réseau parce qu'il était saturé... les forces de l'ordre et les pompiers devaient avoir une tonne de travail et ne plus savoir où donner de la tête entre la circulation des routes, les évacuations, les ascenseurs bloqués, les trains, la gare, l'aéroport, la prise d'otage... Ils arriveraient peut-être trop tard pour vérifier la librairie ?
Je fermai les yeux à cette pensée, la gorge nouée. Ne nous inquiétons pas trop, cela ne faisait que trois heures, nous avions encore de quoi passer le temps et en connaissant les risques, les endroits bloqués deviendraient une priorité rapidement pour les pompiers. Je retrouvai mon calme, reportant mon attention sur Kaleigh. Je n'avais pas pour habitude de perdre mon sang-froid et je pouvais ravaler mes peurs plus ou moins bien, en tout cas je pouvais garder le contrôle dans une situation pareille. Mais elle ?
Je ne compris pas son geste à l’égard de ma bouteille. Ce n’était que de l’eau… Enfin, ça ne me dérangeait pas de partager avec lui-même si nos rapports n’étaient pas en très bons thermes vu que je cherchais plus à l’éviter que de l’affronter, mais là je n’avais pas le choix. Pourtant il me répondit gentiment, il n’était en rien agressif avec moi, mais c’était plus fort que moi… Il m’effrayait assez. Il n’avait pas un regard noir me concernant, il était normal je dirais. Pas souriant pour autant, mais il pas agressif non plus. Tout était dans ma tête. Je ne sais pas, il fallait absolument que je m’imagine le pire pour me sentir rassurer. Je ressentais sans cesse le besoin qu’on me prouve que je me trompe sur la personne pour que je puisse me sentir rassurer. Et au pire des cas, si mes pensées noires vinrent réellement à se produire, je pourrai me dire « je me le suis dis. » De ce pas, je remis ma bouteille dans mon sac. J’avais la bouche sèche mais je ne voulais pas boire de peur de renverser de l’eau sur moi par mes gardes, ou encore de trop boire et de ne pas en laisser assez pour Alekseï et je ne voulais en aucun cas qu’il me traite d’égoïste. Je me prenais décidément la tête pour rien et je me détruisais à moi seule, alors qu’autour de moi ça va. Certes la situation était délicate, voir très délicate… J’étais avec la personne qui me faisait le plus peur sur Terre. Enfin non, il ne me faisait pas peur, mais m’impressionnait énormément et je ne comprenais pas pourquoi. Sa façon d’être, sa façon de me regarder, sa façon de parler, sa façon d’agir… Tout de lui m’impressionnait et me gênait. Il était très intimidant. Depuis toute petite, on m’a toujours dit de ne pas faire attention qui me mettait dans tous mes états en moins de cinq secondes, mais c’était plus fort que moi, je ne pouvais pas ignorer une personne qui ne m’apprécie pas. Mais déjà, me détestait-il réellement ? Je ne lui ai jamais posé la question et il ne m’a jamais dis explicitement qu’il me haïssait. Bon ok, il ne devait pas me porter dans son cœur vu comment la dernière fois il m’avait rembarré lorsque je parlais trop et me lamentais trop sur mon sort. Mais cela date d’il y a quelques semaines, à présent j’ai arrêté. Du moins, je n’en parle plus trop à l’oral sauf si on me le demande, tout cela reste dans ma tête car je me suis rendue compte que le fait d’étaler sa vie de gauche à droite ne rimait à rien et n’arrangeait pas mon cas pour autant.
« Si tu as faim, j'ai un sandwich dans mon sac. C'est pas grand-chose, aux crudités, mais ce sera toujours ça. » Me dit-il. J’étais très étonnée de cette proposition. Me proposait-il son sandwich car je lui avais proposé le peu d’eau qui me restait ? Certainement… Ou soit il était vraiment gentil et ne me traitait pas comme une personne ayant la peste. Après tout, c’était peut être dans ma tête. Il ne me détestait pas réellement… Allez savoir… Mais j’en avais marre de faire semblant. Tous les deux, on savait qu’il y avait un malaise, mais on n’osait rien dire. Lui certainement voulait éviter de me parler en craignait que je radote mes problèmes jusqu’à qu’on nous libère et moi j’avais peur de dire un mot en craignant me recevoir pleins de réflexions dans la figure même si mes paroles ne sont pas exagérées. Je me mis à le regarder droit dans les yeux, je ne le quittai pas du regard et je restai bloquer dans cette position. Comme si je le cherchai du regard. Oui, j’osai l’affronter. Mais là, il fallait prendre le taureau par les cornes et fonçait droit dans le mur, quitte à se faire mal à la fin. Mais si je ne faisais rien, j’allais m’en mordre les doigts lorsqu’on sera enfin libre. J’allais prendre la parole quand il reprit la parole et me posa une question qui me fit sourire. « Ca va toi ? » C’était le comble. Enfin non pas le comble, mais il s’intéressait à mon état… Réellement ? Je n’en croyais pas mes oreilles. Que fallait-il que je réponde ? « Non ça va pas, tu me stresses, mon cœur bat à fond, je me sens oppressée, j’ai peur, j’en ai marre de la situation entre nous, je ne supporte pas ce froid alors que je ne t’ai rien fais » ? Même pas en rêve. Même si c’était ce que je pensais… « Alekseï… » Dis-je d’une petite voix. Je rebaissai légèrement mes yeux vers le sol pour contempler une poussière et je continuai à parler d’une voix tremblante. « Je ne sais pas quoi te dire en fait… » Je me mis à rire nerveusement et je passai ma main dans mes cheveux en soufflant et me cognant la tête au mur auquel j’étais accoudée. « AÏE ! » Dis-je d’un ton un peu amusé. « Excuse tu me mets un peu… Bref… Excuse-moi. Je dis et fais n’importe quoi… » Il devait me prendre pour une attardée à ce moment là. Mais fallait que je sache ce qu’il pensait de moi. Enfin, je savais ce qu’il n’aimait pas de ma personne, mais je ne savais pas ce que je représentai pour lui. Une ennemie ? Une personne à éviter ? Rien ? « Je t’insupporte tant que ça ?... Désolé de ma question. Je sais que tu n’aimes pas lorsque je prends la parole, mais là… Tout ça c’est trop pour moi. J’ai peur, et je ne peux pas me permettre de ne rien dire et d’agir comme si de rien était… D’agir comme si tu étais un banal inconnu rencontré par pur hasard dans cette librairie. J’ai besoin de savoir si tu me détestes. » Ca y’est, je m’étais enfin jetée à l’eau. La balle était dans son camp. J’espérais juste ne pas trop me prendre un vent et qu’il veuille bien faire la conversation avec moi et que notre relation s’arrange. C’était peut-être extrémiste mes pensées, mais c’était peut-être les derniers instants de ma vie. Et si on ne nous retrouvait pas ? Et si l’ascenseur céda et s’écrasa au sol ? Et si on allait rester encore des heures coincés dans cet endroit si petit ? Je ne savais pas ce qu’il se passait dehors. Peut-être qu’il se passait quelque chose de grave dont je n’étais pas au courant, ou soit c’était une banale coupure de courant… Dans ce cas, les pompiers ne devraient pas tarder. Du moins, si la coupure ne concernait que la librairie… Mais quelque chose en moi me disait que c’était bien plus important. Sixième sens quand tu nous tiens.
Le froid qu'il existait entre Kaleigh et moi n'était pas vraiment un secret ; il faut dire que quand quelqu'un m'énerve, je n'ai aucune honte à le lui faire savoir, publiquement ou en privé. En général, quand on dit les choses en public, la personne visée est tellement gênée voire honteuse qu'elle réfléchit à deux fois au pourquoi du comment elle s'est faite engueuler, c'était donc la manière que je préférais de faire savoir le fond de ma pensée. Certains jouaient les malins, et alors eux, je savais qu'il n'y avait plus rien à faire pour leur cas ; cela signifiait qu'ils étaient incapables de se remettre en question, d'essayer de comprendre et de juger qu'ils avaient pu faire quelque chose de mal. Ce genre de personne, je les trouvais indignes d'un quelconque intérêt, elles étaient creuses et superficielles, basées uniquement sur les apparences et portant un masque qui ne les représente jamais et derrière lequel elles préféraient se perdre plutôt que d'assumer la réalité, y faire face et grandir. J'avais croisé plusieurs personnes de ce genre-là à San Francisco et ce n'était pas pour me plaire, mais après tout, des cons, il y en a partout. Au moins, Kaleigh, elle, n'avait pas répliqué. Elle avait arrêté de se plaindre, s'apitoyer sur son sort, pleurnicher, s'afficher. Même si je ne l'aimais toujours pas, ça l'avait au moins un peu fait remonter dans mon estime dans la mesure où je me disais qu'il y avait espoir qu'elle arrange ce problème un jour. Je n'étais pas dans sa tête, mais pour agir comme elle le faisait avec moi depuis l'engueulade, c'était qu'au moins, ça la tracassait, qu'elle se posait des questions, et je n'en avais pas attendu moins d'elle.
Je posai mon regard sur elle après lui avoir demandé comment elle allait, fixant ses yeux. Je m'étais habitué à l'obscurité dans laquelle nous étions enfermés et ça ne me gênait plus, je pouvais désormais la voir, distinguer mon sac dans le coin opposé ou encore voir le sien à ses pieds. La jeune femme mit un certain temps à me répondre, apparemment choquée par ma question. Il y avait de quoi, après tout, alors je n'ajoutai simplement rien, ravalant mon sarcasme qui à nouveau n'aiderait pas à créer une ambiance meilleure entre elle et moi. Quitte à être enfermés pendant des heures, autant en profiter pour mettre les choses au clair et apprendre à se connaître autrement que par ce que l'on savait de l'autre, c'est à dire, au final, pas grand-chose. Je repensai à mon accent russe, mon arrivée à San Francisco et les préjugés que j'avais subis, plus encore lorsqu'on me parlait de la politique de mon pays et que je disais que Gorbatchev était un naze avec sa politique trop souple, qu'il avait tout détruit. La jeune femme prit enfin la parole avec une petite voix, de toute évidence nerveuse. je ne bronchai pas alors qu'elle prononçait mon prénom, pour finalement se cogner et me demander de l'excuser pour son comportement... L'excuser ? Eh bien, je lui avais demandé comment elle allait et ça la gênait tellement qu'elle s'assommait contre la cage d'ascenseur, c'était plutôt moi le fautif dans l'histoire. Je ne répondis rien, intrigué. Mon petit doigt me disait qu'elle n'avait pas fini, et j'avais raison ; après tout elle n'avait pas répondu à ma question. Je l'écoutai en silence avant de détourner le regard sur les portes fermées de l'ascenseur, haussant les épaules et réfléchissant un court moment. Nous allions mettre les cartes sur la table et je ne voulais pas me précipiter pour répondre au risque de mal m'exprimer, ce n'était pas vraiment ce dont on avait besoin.
« Je ne te déteste pas. »
En voilà une bonne façon de commencer. Je m'appuyai davantage contre la cage d'ascenseur, pour finalement reprendre la parole. Kaleigh n'attendait que ça ; peut-être que ça la soulageait, peut-être qu'elle angoissait à l'idée de ce que je pouvais bien lui dire, mais soit.
« Je suis arrivé à San Francisco il y a à peine plus de deux ans. J'avais toujours vécu en Russie jusqu'à maintenant, et j'ai encore énormément de mal avec les Etats-Unis. La différence entre nos deux pays est plus que flagrante, en Russie les jeunes passent leur vie à travailler dur pour pouvoir vivre un tant soi peu. Là-bas, le premier qui se plaint est regardé de travers, parce qu'on vit tous le même calvaire. »
Je marquai une légère pause, me triturant les doigts. Je ne parlais pas souvent de ma Belle Russie même si elle me manquait atrocement, et que j'étais encore plus mal en songeant à quel point j'étais loin de ma famille et surtout, de ma soeur. Je reposai les yeux sur Kaleigh pour finalement reprendre.
« En Amérique vous êtes tous complètement différents, vous n'avez pas la même vision des choses. Même si je suis ici depuis deux ans, je ne me suis toujours pas fait à l'idée que des gens puissent s'apitoyer sur leur sort alors qu'il y a bien pire à travers le monde. Au final on est très bien lotis et je comprends pas qu'on puisse se montrer si égoïste. Mais ce n'est pas toi que je déteste, je ne te connais pas, comme je t'ai dit. Tu es peut-être simplement une fille gentille mais qui n'a pas conscience de la chance qu'elle a, et c'est ce dernier point qui m'énerve. »
J’avais énormément peur de sa réaction, je ne savais pas s’il allait oser me répondre ou juste m’ignorer en changeant de sujet. Ou bien encore me dire sèchement qu’il préfère que je ne dise rien jusqu’à que l’on vienne nous chercher. Après tout, toutes les solutions étaient possibles. Si seulement je le connaissais rien qu’un peu pour prédire la moindre de ses réactions et essayer de me préparer à l’avance psychologiquement sur une future réponse de sa part. Mais là j’étais complètement désarmée, je me contentai de lui inventer une personnalité froide et détestable envers ma personne. Je n’avais que cela en main. Pourquoi ai-je sans cesse le besoin de me faire des films dans ma petite tête de moineau ? Un moyen de protection, oh oui. Pourtant, c’était da la souffrance gratuite. Une autre chose qui me perturbait, c’était le fait de ne pas pouvoir observer ses yeux. Non, que je veuille me plonger dans son regard et fondre devant lui, même si de mes souvenirs il était un bel homme… Je voulais juste voir la façon dont il me regardait, si c’était méchant ou non. Là, je n’avais rien.
Mes lèvres tremblèrent, j’étais rouge comme une tomate, mes mains étaient moites, mon cœur battait à cent à l’heure. Et soudainement tout s’arrêta. Il prit la parole avec un « Je ne te déteste pas. » Rien que ces quelques mots, j’eu un large sourire qui s’affichait sur mon visage. Je me suis sentie soulagée en moins de deux secondes. J’avais envie de lui sauter dessus et lui faire un câlin comme pour le remercier. Le remercier de quoi d’ailleurs ? Il n’avait rien fait… A part soulager ma conscience mais il ne devait pas se rendre compte à quel point pour moi c’était important. Pour lui, je ne devais être qu’une personne parmi tant d’autres à qui il a dit ses quatre vérités et un point c’est tout. Mais pour moi, il n’était pas n’importe qui. Je ne le connaissais pas certes, mais me remballer si franchement, c’était le premier à le faire. Je n’ai pas peur de tout le monde… Là, mon monde s’en était réduit à lui, vu comment je lui donnais de l’importance. Par exemple si j’avais su qu’il était à la librairie cette après midi, je ne me serais pas permise de venir ici. Je faisais tout pour l’éviter, quitte à demander à Jake l’endroit où Alekseï se trouvait. Très pathétique, on est d’accord.
Je quittai ensuite son regard en posant mes pieds au sol. De toute façon, à quoi bon le regarder dans les yeux ? On ne se percevait à peine… Bon ok, ce n’était pas très poli, mais je n’agissais pas ainsi en guise d’impolitesse mais plus par timidité et impressionnisme. Pour moi cette simple phrase était énorme le concernant, je ne m’attendais pas à plus malgré mon petit roman que je lui avais dis à la seconde et à mon plus grand bonheur, il reprit la parole aussitôt. Il me raconta en grandes lignes sa vie. La Russie. J’en oubliais presque qu’il était étranger à mon pays, pourtant son accent se faisait entendre et je trouvai cela assez craquant. Mais ce qu’il me disait m’intéressait plus que son accent. La Russie, le calvaire… A l’entendre il a dû certainement vivre dans de dures conditions là-bas. Comment ? Pourquoi ? Je ne savais pas. En tout cas, il faisait une énorme différence avec son pays et le mien. Russie = tristesse et difficulté et USA = bonheur et facilité. Je pouvais comprendre ces quelques mots, grâce aux reportages que je pouvais voir à la télévision. C’est vrai que la Russie n’était pas considérée comme un idéal, par rapport aux Etats-Unis qu’on idéalise peut-être trop d’ailleurs.
Il a raison sur tous les points. Je ne connais pas la misère, je n’ai jamais été en grande difficulté. Je n’ai jamais frôlé la mort ou vécu quelque chose de douloureux. Enfin, si. Ma sœur… Mais je suppose que chaque individu sur Terre a son lot de problème et chacun a un niveau de souffrance différent. Quelque chose de très blessant pour un, peut-être minime pour un autre. Parfois à être trop triste, on s’enferme dans notre monde en oubliant qu’il y a d’autres gens à part nous. On se considère comme la victime, la personne la plus triste sur Terre et on en oublie le malheur des autres. Je me plains souvent, je me sens mal souvent, je me fais mal toute seule, mais au plus profond de moi, je sais que tout cela est dans ma tête, que tout le monde n’est pas contre moi et que ma situation n’est pas perdue. Je suis loin d’être à plaindre, je le sais. Mais parfois, les pensées noires m’envahissent de trop mais je sais faire avec et le cacher désormais. Du moins j’essaie.
Une fois qu’il eut finit de prendre la parole, je ne sais pas ce qu’il m’a prit, mais je lui pris la main et la caressa avec mon pouce en ne le regardant toujours pas. « Merci… » Merci de quoi ? D’avoir osé me parler ? Oh oui certainement. « Je suis désolée si je t’ai offensé Alekseï… Tu as raison sur tout…. On est parfois égoïste. Je le suis parfois… Mais je ne dis pas cela pour te vexer. Je suis consciente que la dernière fois je t’en ai trop dis alors qu’on ne se connaissait à peine. Je ne sais pas ce que tu as pu vivre… Ou ne pas vivre… En Russie. Mais vu comment tu décris nos deux pays qui sont très différents je me doute que ta situation n’a pas dû être simple. » Je laissai ma main sur la sienne, du moment qu’il ne me jetait pas, je n’allais faire aucuns gestes brutales. Il devait trouver cela bizarre que je sois si tactile, mais c’était dans ma nature. J’avais un besoin sans cesse de contact physique avec les personnes qui m’entouraient pour combler mon manque affectif qui était devenu énorme en plus de trois ans désormais.
D'avoir ainsi reparlé de la Russie, je commençai à y penser, tentant d'imaginer la situation là-bas. Ils étaient surement en alerte tempête de neige, comme tous les ans en hiver, à moins que le vent se soit calmé ? Mes parents travaillaient toujours aussi dur et ma soeur était toujours aussi malade même si je faisais tout ce que je pouvais pour économiser et lui payer les frais d'hospitalisation. C'était incroyable comme les soins pouvaient couter les yeux de la tête en Russie. Au final, les Etats-Unis aussi c'était cher, mais les salaires étaient tellement plus élevés ! Je devais travailler encore et me faire à l'idée que je ne pouvais pas me permettre de prendre un billet d'avion pour la Russie pour le moment, ça coûtait bien trop cher. Même si je crevais d'envie d'aller rendre visite à ma famille, que je n'avais au final pas vue depuis deux ans, je n'en avais pas les moyens. Il me faudrait attendre, encore. Le temps ferait les choses, et une fois que j'aurais eu mon diplôme en interprétariat, je pourrais me trouver un bon travail en Russie qui me ferait gagner beaucoup.
La main que Kaleigh posa sur la mienne me tira de mes songes, de même pour sa voix. Je relevai la tête vers elle et la fixai alors qu'elle regardait le sol, me demandant pourquoi ce geste doux, je n'avais rien fait pour. Je l'écoutai parler, rebaissant les yeux vers nos mains. Non pas que ça me gênait, mais je ne comprenais pas vraiment. Peut-être était-ce un moyen pour elle de s'assurer de ma présence et se rassurer parce qu'elle angoissait à cause de l'ascenseur ? Non, ce n'était pas ça, j'en compris la raison dans ses paroles. Je haussai les épaules, refermant ma main sur la sienne en fixant à nouveau les portes juste devant moi.
« Je ne disais pas ça pour que tu ais pitié de moi ou que tu te dises que j'ai vécu pire, ce n'est pas important. Et puis contrairement à ce que tu sembles penser, j'aime mon pays malgré les difficultés qu'il rencontre et j'y retournerai dès que je le pourrai. »
Je n'étais pas certain que Kaleigh puisse comprendre vraiment ce que je lui disais, tantôt je montrais la Russie comme étant un pays de souffrance et de dur labeur, tantôt je la montrais comme étant le pays de ma vie et auquel je tenais plus que tout. Je n'attendais pas d'elle, de toute manière, qu'elle comprenne réellement. J'avais fini par comprendre à quel point les mentalités russes et américaines ne se ressemblaient pas, l'amour de la patrie est totalement différent. Les américains aiment leur pays pour ce qu'il leur apporte ; les russes aiment leur pays pour ce qu'ils peuvent lui apporter. Je relevai les yeux vers Kaleigh et esquissai un léger sourire, puis je rebaissai les yeux vers mon portable dont j'allumais l'écran, sa lumière m'aveuglant quelques instants avant que je ne puisse lire l'heure.
« 22h05... On devrait manger un peu et essayer de dormir, le temps passera plus vite. »
Sur ces quelques mots, je me tournai vers mon sac et l'attirai jusqu'à moi pour l'ouvrir et en tirer un sac plastique dans lequel j'avais mis un sandwich fait avec une demi-baguette de pain enroulée dans du papier aluminium. Je le sortis et, reposant le sac plastique, le tendis à Kaleigh.
« Je ne disais pas ça pour que tu ais pitié de moi ou que tu te dises que j'ai vécu pire, ce n'est pas important. Et puis contrairement à ce que tu sembles penser, j'aime mon pays malgré les difficultés qu'il rencontre et j'y retournerai dès que je le pourrai. » C’est vrai qu’il avait l’air attaché à son pays et j’enviai cela le concernant. Le cliché des américains était qu’ils soient énormément attachés à leur pays, or pour mon cas, ce n’était en rien cela. C’était loin de l’être d’ailleurs. Je ne détestais pas mon pays, mais je ne le portais pas dans mon cœur. Ca n’allait pas être moi qui allais mettre le drapeau américain à ma fenêtre ou juste sauter de joie lorsque le 4 juillet arrivera. Je ne sais pas pourquoi un tel détachement concernant ma patrie. Pourtant j’étais 100% américaine. Ma mère l’est, mon père aussi, mes grands parents maternels et paternels… Tout le monde dans ma famille était très patriarches. Sauf moi. Encore une façon de me mettre à l’écart ? Le faisais-je donc exprès ? Ou était-ce juste une façon pour moi de m’affirmer vu ma faible personnalité ? Je n’en savais trop rien et à vrai dire je n’avais pas envie de débattre avec moi-même sur ce sujet dans un tel moment. « Tu sais Alekseï, je ne crois rien du tout te concernant. Je ne suis pas de celles qui jugent sans connaître ou qui interprète la parole d’autrui à sa guise pour en faire ce que bon lui semble. Lorsque tu me parles de la Russie, je ne me suis jamais dis… A aucun moment que tu détestais tes racines. Je ne sais pas pourquoi, mais ça se sent que tu aimes ton petit. Tu conserves ton accent, tu parles de ton pays… Et j’en suis sûre que si tu pouvais y repartir demain tu le ferais. Un pays en difficulté n’est pas spécialement un pays à détester… Regarde-moi… Je n’aime pas mon pays. Enfin, pas que je n’aime pas… Je suis américaine mais je suis déta… » Je n’eu pas le temps de finir ma phrase que je préférai tout stopper. A quoi bon parler de cela ? Il doit s’en ficher et ce n’est pas l’endroit pour en parler. Je ne voulais pas le gaver avec mes histoires qui devaient lui paraître sans fins tellement elles devaient être inintéressantes à ses oreilles. « Pardon, je me suis emportée… » Je soufflai légèrement en lâchant sa main de la mienne et je rapprochai mes jambes de mon ventre en enroulant mes bras autour de ses dernières.
« Manger ? Dormir ? Je suis trop… Enfin ne le prends pas mal mais… Je suis bien trop stressée en ta présence pour penser à manger et le sommeil ne me viendra certainement pas… Je sais, je dois te paraître bête. Excuse-moi… Encore. » Je refusai d’un geste poliment le sandwitch qu’il me proposait. Mon estomac réclamait certainement à manger, mais comme j’ai pu lui dire, le stresse était trop présent pour que mon cerveau réagisse à l’appel désespéré de mon estomac pour me donner l’ordre de me nourrir. Puis même, je ne voulais pas gaspiller. Accepter de manger la moitié de ce sandwtich alors que j’allais avoir du mal à avaler quoique ce soit, donc priver Alekseï de tout le reste… Je n’allais pas le supporter. « Mange tout, ne t’en fais pas pour moi. J’ai l’habitude de louper des repas, mon organisme en est habitué depuis. Puis… Je suis au régime, alors je ne pense pas que ce sandwitch me soit recommandé. » Je me mis à rire en étant un peu nerveuse. Après tout, je vins de lui dire que sa compagnie me stressait, je refusais ce qu’il me proposait… Je lui ai un peu parlé de ma personne… J’avais tout le temps peur de gaffer et la crainte sans cesse de le mettre en colère à chaque fois que j’osais prendre la parole. Une vraie gamine j’étais. Vraiment.
Mes paroles semblèrent avoir un nouvel impact sur Kaleigh puisque celle-ci resta songeuse quelques secondes, comme ressassant mes mots. Puis elle se mit à parler, encore, encore et encore, me disant ce qu'elle avait sur le coeur pour finalement s'arrêter et s'excuser pour avoir trop parlé. Je ne répondis rien, fixant le sol et réfléchissant à mon tour à ce qu'elle venait de dire. Elle n'aimait pas son pays, tout du moins, ne s'impliquait pas dedans et ne s'en sentait pas particulièrement proche ? Ce devait être étrange, je me demandais donc sur quoi elle pouvait se reposer, souffler un peu et qu'est-ce qui pouvait la motiver constamment à se lever tous les matins si ce n'était pas par amour pour son pays. J'avais énormément travaillé pour ma famille, je continuais de le faire, mais je travaillais aussi pour mettre de côté et pouvoir un jour retrouvé les plaines enneigées de Russie et patiner sur la Volga gelée traversant Saint-Petersbourg. Je rêvais de retrouver les habitants du Grand Chien Noir, réfléchir à quelle politique aiderait le mieux mon pays à se faire valoir. Je voulais que la Russie soit vue comme un pays certes autoritaires, mais dont le peuple se donne corps et âme pour sa réussite. A quoi les Américains aspiraient-ils ? Je n'en avais pas la moindre idée. Vivre bien, sans doute.
Je relevai la tête vers Kaleigh après lui avoir tendu le sandwich en lui proposant d'en manger un peu, mais elle refusa, prétextant que... je la stressais ? En voilà une réponse à laquelle je ne m'attendais pas. Je la dévisageai un court instant dans le noir, un sourcil arqué et l'incompréhension se lisant sur mon visage. Je n'avais pas pour habitude de faire cet effet-là aux gens, c'en était plutôt déstabilisant pour moi aussi. Je rebaissai le bras, ne mangeant pas le sandwich pour autant ; de toute manière, mieux valait éviter d'en manger la moitié maintenant puisqu'on ne savait pas combien de temps on resterait enfermés dans cet ascenseur. L'excuse du régime m'acheva littéralement.
« Euh. Y a de la salade et des tomates là-dedans, je doute que ça te fasse beaucoup grossir, surtout si on a que ça à manger pour toute la durée indéterminée qu'on va devoir passer dans cet ascenseur. »
Je marquai une pause, me passant une main dans les cheveux. L'ambiance était de nouveau tendue et je ne le voulais pas. Mais si je lui faisais si peur que ça, que pouvais-je faire pour que notre relation cesse d'être tendue comme un string ? Je me mordillai la langue, mais rien ne me venait. Je lui avais proposé des jeux sur mon portable, je lui avais prêté mon mp3, j'avais discuté avec elle, lui avais proposé mon sandwich... je ne voyais vraiment plus quoi faire pour la mettre à l'aise. En même temps, difficile d'être à l'aise quand on est séquestré dans un ascenseur, mais bon, nous étions tous les deux dans le même bateau, il n'y avait pas qu'elle.
« Ok... Qu'est-ce que j'peux faire ? Si il faut on va passer la nuit là, donc c'est un peu emmerdant comme situation. Tu crois pas ? »
Pour accompagner mes mots, je m'assis devant elle, croisant mes bras sur ses genoux et appuyant mon menton sur mes mains jointes, le regard posé sur elle ; ni insistant, ni trop curieux. Je la regardais juste, espérant qu'on trouverait une solution pour briser la glace.
Je me sentais assez bête lorsqu’il me décrit ce qu’il y avait dans le sandwitch. C’est vrai, j’ai pris la peine de le refuser gentiment sans avoir demandé ce qu’il y avait dedans. Mais pour moi sandwitch rimait avec graisse inutile et mauvaise santé. Certes c’était bête mais j’étais si mal dans ma peau que j’avais un léger problème avec la nourriture. Voire, un énorme problème. Je savais que je ne m’alimentais pas assez, mais c’était un trop gros acte pour moi. J’étais tellement peu sûre de moi que lorsque je me fixai dans un miroir, j’avais l’impression de peser de 90 kilos toute mouillée. Pourtant je savais que j’étais loin de ce poids, je savais que j’étais… Mince, normale pour ma taille. Mais mon mental m’interdisait d’aller bien. Alekseï avait peut-être raison d’être retissant à mon égard. Si je pouvais le faire me concernant, je le ferai de bon cœur tellement je suis compliquée.
Un blanc entre nous s’installa. Ca y’est Kaleigh tu as eu ce que tu as voulu, non ? J’ai osé lui dire que je le stressai et ça a dû le mettre mal à l’aise. Du moins, il n’est pas bête et il a certainement dû se demander comment ne pas se mettre en colère et rester calme en ma compagnie vu le sinistre endroit où l’on se trouvait. Je n’entendais que nos respirations respectives. La sienne était plus forte que la mienne, donc je me concentrai sur son souffle plutôt que sur le mien. J’en oubliais de respirer quelques fois ce qui me faisait tousser légèrement. Je le sentis bouger à mes côtés, je le regardai mais avec l’obscurité je ne voyais pas tant que cela ces mouvements. De toute façon, il ne pouvait pas aller bien loin, à part à l’autre bout de l’ascenseur pour rester le plus éloigné de ma personne. Je mis ma tête contre le rebord gauche de la cage d’ascenseur tout en restant les jambes pliées contre mon ventre. J’avais froid et cette position me tenait un peu chaud. De pas beaucoup de degrés, évidemment mais c’était mieux que rien.
Je fermai mes yeux quelques secondes, voulant me vider la tête pour essayer de reprendre un dialogue normal avec Alekseï. Qu’est ce que je pourrais lui dire de plus ? M’excuser encore ? Parler trop ? Me ridiculiser ? Quoi faire ? Si j’avais le malheur de parler de plus de trente secondes j’avais l’impression que c’était déjà trop pour lui. Ca me vexait assez, j’étais ainsi et pas autrement et j’étais très mal lorsque je sentais qu’une personne n’aimait pas une partie de mon être. Sans que je ne m’y attende, il prit la parole : « Ok... Qu'est-ce que j'peux faire ? Si il faut on va passer la nuit là, donc c'est un peu emmerdant comme situation. Tu crois pas ? » A l’entente de sa voix résonnée aux creux de mes oreilles, je relevai ma tête et le regardai se déplacer. Je fis les gros yeux voyant dans quelles positions il se mettait à mon égard. D’accord, ce n’était pas grand-chose, il s’était juste mis accroupi face à moi, ses bras sur mes genoux et sa tête posée sur ses mains jointes. Ca y’est, un homme osait à peine me toucher que j’étais déjà perturbée. Pourtant son geste est inoffensif mais je sentais son regard figé sur moi et je n’arrivai pas très bien à voir ses yeux, donc je m’imaginai un regard assez insistant, ceux qui avaient l’habitude de me perturber en moins de trois secondes. Ne sachant pas comment réagir, je remis ma tête du côté gauche de la cage d’ascenseur, laissant quelques mèches de mes cheveux recouvrir mon visage en lâchant mes bras qui tenaient mes jambes près de mon ventre et je posai une de mes mains sur celles d’Aleks. Ce geste n’était en rien provocateur me concernant, c’était juste une façon de sentir sa présence et avoir un peu d’affection pour lui faire comprendre que je ne voulais plus de froid entre nous deux. « Désolé Alekseï… » Dis-je en murmurant. A présent j’étais immobile comme une statue, ne sachant pas quoi faire ou dire de plus. « Cette situation me perturbe énormément oui, mais tu sais… Tu m’impressionnes beaucoup et si tu savais le nombre de fois où j’ai appelé Jake pour savoir où tu étais juste pour ne pas aller aux mêmes endroits que toi, de peur que tu me dises quelques choses qui pourraient me faire mal… Tu peux comprendre pourquoi ta présence me… Stresse ? Je veux que ça s’arrange, je ne supporte pas que l’on ne m’aime pas ou qu’on déteste une partie de moi. Je parle trop… Ou pas, je n’en sais rien. Certainement. Mais je ne suis pas de ces filles mystérieuses qui se contentent de parler avec leur corps ou juste à dire un ou deux mots par ci par là pour attirer l’attention d’autrui… »
Je sentis Kaleigh se raidir à mon contact, si bien que l'espace d'une seconde, je sentis le doute m'envahir. M'éloigner d'elle pour parler ? Ou maintenir le contact pour établir une relation de confiance ? Elle m'avait pris la main quelques minutes auparavant et désormais, c'était comme si mon contact la terrorisait. C'était vraiment étrange comme situation et je voulais y remédier ; si je devais mourir dans cet ascenseur, je ne voulais pas le faire avec une fille que je terrifie. Je pinçai les lèvres dans le noir, baissant les yeux quelques secondes avant de détourner le regard, m'apercevant qu'en baissant les yeux, j'avais directement regardé vers sa poitrine, même si ce n'était pas volontaire. Je reportai mon attention sur son visage, la fixant en silence alors qu'elle posait une main sur les miennes, ce qui me fit sourire légèrement ; un sourire à peine perceptible, mais un sourire quand même. Je perçus au passage que ses doigts étaient glacés et j'en conclus donc qu'elle avait froid, je me redressai donc un peu pour enfermer sa main entre les miennes et la maintenir au chaud un minimum. Pour la énième fois, la jeune femme s'excusait pour le comportement qu'elle adoptait envers moi. Et là, je pensais de plus en plus qu'elle commençait à bien trop s'excuser, puisqu'après tout, elle ne faisait rien de mal. J'écoutai sa réponse en la fixant toujours, tâchant de deviner son expression dans la pénombre et faisant attention au timbre légèrement tremblant de sa voix pour analyser ses dires. Oui, je l'analysais. Je faisais ça tout le temps quand le contrôle de quelque chose m'échappait ; là en l'occurrence, je n'arrivais pas à mettre Kaleigh en confiance, alors je l'analysais dans l'espoir de trouver une réponse ou une solution dans son comportement.
Je finis par hausser les épaules, repensant à tout ce qu'elle m'avait dit jusque là.
« J'ignorais pour Jake. Il faut dire qu'il sait être vraiment très discret quand il le veut. Mais tu sais, je ne vois pas pourquoi je te mets aussi mal à l'aise, pourquoi je t'impressionne, comme tu dis. Je n'ai rien fait de bien spécial, en tout cas je n'en ai pas le sentiment. »
Je laissai un silence s'installer quelques secondes avant de reprendre la parole.
« C'est une bonne chose que tu ne sois pas comme toutes ces filles Kaleigh. Il y en a suffisamment déjà, tu ne trouves pas ? Tu ne parles pas trop. Il faut seulement faire la part des choses entre parler beaucoup, et parler beaucoup de soi. Après tu peux me parler de toi sans pour autant te plaindre. Ça ne me dérangeait pas quand tu me parlais du détachement que tu éprouves vis-à-vis des Etats-Unis. Au contraire, j'ai trouvé ça intéressant. »
Est-ce que ce que je disais allait suffire ? J'en doutais, elle semblait avoir beaucoup alimenté sa crainte envers moi, même si en dehors des mots et de mes quatre vérités, je n'avais rien fait contre elle et je n'avais aucunement l'intention de l'intimider ou lui faire du mal. Cela dit, une question me brûlait les lèvres, si bien que je fronçai légèrement les sourcils, baissant les yeux une fraction de seconde avant de la lui poser.
« Kaleigh, est-ce que je suis le seul à t'avoir dit ce que je pensais de vive voix ? »
« Parlons peu parlons mieux, non ? » Je me mis à rire en haussant les épaules. « Je vois ce que tu veux dire. Mais lorsque je vais mal j’adoptais une attitude de défense et en parler me rassurer. Du moins j’en avais l’impression alors qu’en fin de compte ça n’arrangeait rien. J’ai arrêté de parlé de mes problèmes si ouvertement depuis ton altercation avec moi. Dans un sens, je crois que je me dois te remercier même si tu m’as fais plus peur qu’autre chose sur le moment vu l’intonation que tu as pris à mon égard. » Je senti sa main se serrer dans la mienne et mes yeux vinrent se placer sur nos mains entrelacer. « Dis, excuse moi pour ce que je vais te demander mais… Enfin… » Je me mis à réfléchir et décidai au dernier moment de changer ma question. Je voulais lui demander de me poser dans ses bras pour que je puisse me réchauffer mais je ne savais pas si ça allait le gêner ou non. Je sais que je suis très tactile et que parfois ça peut être…. Mal interprété et Alekseï ne me paraissait pas le genre de garçon très câlin envers les femmes. Je le voyais plutôt tombeur de ces dames. Mais ça, c’est juste une impression, je peux me tromper. « Je… Tu… As une veste de trop ? J’ai assez froid en fait, mais si tu n’as rien, ce n’est pas grave… » Je me mis à tousser et mes joues prirent de la couleur me sentant assez bête avec cette question. Je gardai tout de même ma main dans la sienne en le serrant davantage sans trop savoir pourquoi.
« Tu trouvais réellement intéressant mes propos sur les Etats-Unis ? C’est vrai que je dois être une des rares n’étant pas attachée à sa patrie… » Je me mis à rire en repensant à ses paroles sur le fait que c’est bien d’être différent. « Je suis consciente que je suis différente, mais suis-je différente dans la bonne manière ? » Moi et mes questions, je crois que je m’épate moi-même. Mais là, j’allais encore parler de moi et je ne voulais pas le frustrer plus, je préférai parler de lui pendant des heures, comme cela je ne serais pas tentée de parler de ma personne puis il finit par me poser une question que je trouvais intéressante… Très intéressante. La sincérité des gens à mon égard ? Oui. Mais non. Je ne savais pas qui était sincère avec moi ou non. Moi je l’étais, enfin je n’étais pas d’une nature franche car j’avais peur du conflit mais mes sentiments envers les personnes étaient sincères. « Ecoutes… Tu me poses une colle. Personne de mon entourage m’a dit tes reproches, mais les personnes ne m’aimant réellement pas, ne doivent pas se gêner pour mettre ce défaut la de ma personne en avant. Es-tu tout le temps sincère ou aussi franche ? Tu n’as jamais pensé que tes propos pourraient blesser même s’ils s’avèrent vrais comme avec moi ? » Je crois que je posais bien trop de questions. Des questions assez étranges vu notre situation. Je me croyais en cours de philo ou de psycho, c’était bizarre. La faim ou la fatigue me faisaient-ils donc autant réfléchir sur des sujets aussi bateaux que la vie nous apporte ? « Mince, excuse je dis n’importe quoi… Ou soit je… » Je ne finis même pas ma phrase que je restai là, mon dos collé à la cage d’ascenseur, mes yeux figés sur Aleks que j’apercevais à peine dans l’obscurité où nous étions.
La jeune femme m'arracha un sourire. Parlons peu parlons mieux, elle avait tout compris. Elle parla beaucoup, à vrai dire, encore plus que précédemment. Peut-être s'imaginait-elle que ça m'énervait... et pourtant, ça m'amusait plus qu'autre chose, parce que j'avais fini par remarquer que plus elle parlait, plus ça signifiait que je l'avais momentanément mise à l'aise, même si elle finissait toujours par se refermer dans sa coquille comme elle était en train de le faire. Elle avait suffisamment parlé pour ne pas me laisser le temps, vraiment, d'en placer une. Elle ne termina même pas sa phrase, gênée d'avoir autant parlé, et je sus à ce moment-là qu'elle ne parlerait plus tant que je ne lui aurais pas donné mon feu vert. Je me redressai légèrement, lâchant sa main et écartant un peu les bras.
« Je n'ai pas de veste en trop à vrai dire, je suis habitué à des hivers beaucoup plus rudes. »
Un léger rire franchit mes lèvres alors que je me replaçai dos à la cage d'ascenseur, invitant Kaleigh à trouver de la chaleur dans mes bras. D'une main je la guidais pour éviter qu'elle ne trébuche, la faisant asseoir entre mes jambes pour qu'elle puisse s'appuyer contre moi. Je refermai mes bras et mes jambes sur elle une fois qu'elle fut de nouveau assise. Ce n'était sans doute pas ce à quoi elle s'était le plus attendue, mais après tout, c'était ainsi qu'on se tenait le plus au chaud. Il n'était que 22h passé, nous allions sûrement passer toute la nuit dans cet ascenseur et les températures n'avaient donc pas fini de chuter. Je frottai doucement ses bras avec mes mains et posai mon menton sur son épaule en fixant les portes de l'ascenseur devant nous.
« C'est quoi, être différente de la bonne manière, pour toi ? Tout n'est jamais tout blanc ou tout noir, quand on fait quelque chose de bien, ça implique nécessairement quelque chose de mauvais également. Tu es simplement différente, le fait que ce soit en bien ou en mal sera perçu différemment par les gens qui t'entourent, c'est tout. »
Je baissai les yeux vers le sol, reposant le sandwich entouré de papier aluminium sur mon sac en attendant que nous ayons tous les deux faim. J'entourai à nouveau la jeune femme de mes bras, reprenant la parole en haussant les épaules.
« Et sinon, tu ne disais pas n'importe quoi. Tu sais, les gens me disent souvent que je suis trop franc. L'honnêteté c'est bien, mais surtout quand elle est associée avec diplomatie, en fait. J'ai aucun tact et je le sais. Je blesse souvent des gens quand je leur dis ce que je pense, mais au moins, j'essaie de voir le bon côté des choses ; ça leur permet de s'endurcir parce que, tu le sais très bien, la vie n'est pas toujours rose et on n'est pas toujours pris avec des pincettes. »
Je marquai quelques secondes de silence, relevant la tête et regardant la jeune femme, tout du moins le profil que je pouvais voir de là où j'étais. J'étais proche d'elle, pour la première fois. Et même si nous étions dans le noir, je pouvais la voir un minimum. L'ambiance entre elle et moi était différente, je la voyais différemment et je me surpris à penser qu'elle était jolie.
« Et toi ? Est-ce que tu penses que mes mots auraient eu le même impact si je t'avais dit la même chose en prenant des gants ? »
Je ne comprenais pas trop ce qui m’arrivait mais sans que je ne m’y attende je me retrouvai entre ses jambes et ses bras refermés sur moi en ayant mon dos collé à son torse. Mon visage devait certainement être rouge car j’étais un peu gênée. Pourtant j’étais très câline et faire des câlins par ci par là ne me dérangeait en rien, au contraire j’adorais cela. Mais là j’étais avec Alekseï qui n’était pas un ami, ou une personne que je portais réellement dans mon cœur. Pas que je le déteste pour ne pas qu’il ait une place dans mon petit cœur, mais je ne le connaissais pas tant que cela et c’était la seconde fois de ma vie que je le croisais vu que notre première rencontre a été plus ou moins épuisante et éprouvante. Pour ma part du moins, vu que lui ça n’avait pas l’air de l’avoir traumatisé. En même temps c’est normal, il n’avait pas mon caractère donc sa réaction ne me choquait pas. On est tous différent.
Je ne savais pas trop comment réagir, j’étais là contre lui, ses bras m’enroulaient et j’étais comme figée. Je ne disais rien, je l’écoutais parler en me contentant d’hocher de la tête pour approuver ses paroles. C’est fou comme il parlait je ne m’attendais pas à tant de mots provenant de sa bouche. Il y en avait des centaines encore et encore mais cela me rassura. J’adorais sa voix avec son petit accent et le fait qu’il ose me parler autant me rassurer sur le fait qu’il voulait vraiment avoir une conversation sérieuse avec moi. Surtout ses propos étaient très intéressants et n’étaient en rien rabaissant me concernant. Je devais lui sembler cruche car il me posa pas mal de questions mais je ne pris même pas la peine d’y répondre. Pourquoi ? Ce n’était pas que je ne voulais pas débattre plus sur X sujets, mais sa voix m’envoutait. J’avais pris la peine de fermer mes yeux et de caresser ses bras du bout de mes doigts. Juste histoire d’avoir un geste affectif le concernant et surtout de me maintenir réveillée. Je ne voulais pas m’endormir même si mes yeux me disaient le contraire. Quoique, s’endormir aux creux des bras ne me paraissait pas si désagréable que cela.
« Et toi ? Est-ce que tu penses que mes mots auraient eu le même impact si je t'avais dit la même chose en prenant des gants ? » Et là mon cœur s’arrêta. Pourquoi ? Aucunes idées. Je sortais de mes rêves et tournai légèrement ma tête pour voir les yeux d’Alekseï. J’étais un peu dans les vappes vu mes quelques minutes d’absences. « Je… euh… » Je me frottai les yeux, raclai un peu ma gorge et reposai mon regard sur celui du beau brun venant de la belle Russie. « Tu as eu raison de me parler comme tu l’as fais Alekseï, ne change rien et ne change pas… » Je dis cela en lui murmurant comme si on faisait déjà trop de bruit alors qu’on était que nous deux dans ce misérable ascenseur.
Les mains de Kaleigh caressant incessamment mes bras et probablement inconsciemment finirent par me faire frissonner. Un contact doux et léger qui me fit rêver l'espace de quelques instants, j'avais la sensation qu'une plume glissait sur ma peau et je ne voulais pas qu'elle s'arrête. Je reportai mon attention sur Kaleigh, redescendant sur terre et lui posant ma question en la fixant. Mes mots semblèrent la troubler, probablement était-elle en train de somnoler. J'étais ennuyeux ? Je n'en avais pas l'impression, en tout cas, si Kaleigh trouvait que c'était le cas, je ne tarderais pas à le savoir. Mon regard accrocha le sien et je ne disais plus rien, attendant sa réponse, attendant de savoir si elle préférait que je la laisse s'endormir dans mes bras et cesser toute conversation. Le point positif dans l'histoire, c'était que si elle avait réussi à somnoler, c'était qu'elle était suffisamment détendue pour pouvoir fermer l'oeil en ma présence. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres alors que je ne cillais pas, l'observant revenir à la réalité et saisir le sens de mes paroles pour y répondre ensuite.
Je la dévisageais toujours après son murmure. Le silence s'était réinstallé entre elle et moi, mais cette fois, ce n'était pas un silence pesant. Il était tout ce qu'il y avait de plus détendu. Je ne m'étais pas attendu à une telle réponse, j'avais plutôt songé qu'elle me dirait qu'effectivement, l'effet n'avait pas été le même, mais sans plus. Je me perdis quelques instants dans ses yeux bleus avant de bouger un peu, glissant une main dans la sienne sans trop réfléchir et montant ma main libre jusqu'à ses lèvres, que je caressais du bout des doigts.
« Tu n'as pas à changer non plus Kaleigh. »
Et avant même d'avoir pu le refuser à mon corps, je m'étais penché vers elle et je déposais un baiser furtif sur ses lèvres avant d'à nouveau relever les yeux vers les siens, les sonder une fraction de seconde et l'embrasser à nouveau, entrelaçant mes doigts aux siens et mon autre main se posant sur sa hanche pour n'en plus bouger.
Sans que je ne m’y attende, une de ses mains monta jusqu’à mon visage, jusqu’à mes lèvres plus précisément. Il tenait toujours mon autre main et n’avait pas l’air de défaire l’étreinte. J’étais comme hypnotisais par lui. « Tu n'as pas à changer non plus Kaleigh. » A l’entente de ces mots mes yeux s’ouvrirent tout en grand et j’eu un large sourire qui devait être assez niais. Je croyais qu’il ne m’aimait pas, pas entièrement et il me disait là de ne pas changer malgré une partie qu’il n’aimait pas des masses de moi. Nos défauts font notre perfection ? Certainement. Sans que je ne comprenne pourquoi, je passai ma langue sur mes lèvres comme pour les préparer à un futur baiser. Pourquoi voulait-il m’embrasser ? Je lui plaisais vraiment ? Ou jouait-il avec moi ? Voulait-il juste passer du bon temps jusqu’à qu’on vienne nous secourir ? Je ne savais pas trop et je n’avais pas tant envie de me prendre la tête avec cela à un moment pareil. Ca faisait bien des années que des lèvres n’avaient pas touché les miennes et je me sentais différente dans un tel endroit. Je me trouvais changée. J’avais envie de bouger et de me laisser aller et si vraiment ça allait trop loin, je dirais stop et je pense qu’il serait capable de s’arrêter avant que cela dérape. Je l’espère du moins.
Mes pensées se révélèrent vraies. Je le vis s’approcher de moi et il déposa brièvement un baiser sur mes lèvres. J’eu le temps de cligner deux fois des yeux avant de rapprocher mon visage du sien et il fit de même pour que nos lèvres viennent à nouveau de sceller. Cette fois ci le baiser se fit plus long et plus doux. Je serrai davantage ma main dans la sienne et je vins déposer ma main de libre sur sa joue en ouvrant plus légèrement ma bouche pour prolonger le baiser et le faire plus passionnel. Je ne voulais en aucun cas y mettre la langue de peur que ça débouche sur autre chose et qu’il interprète mal le signal. Peut-être que c’était déjà de trop que j’accepte ce baiser. Après tout on était deux personnes de sexe opposé dans un petit endroit lugubre, froid, on ne savait pas combien de temps on allait y rester et tout cela pouvait être compliqué à déchiffrer.
Ces lèvres avaient un goût exquis, il embrassait bien et n’y allait pas trop fort, ce baiser était doux et agréable comme je les aimais. Il n’y allait pas sauvagement pour ensuite me plaquer au sol et me faire l’amour sans gêne. Après tout, un simple baiser ne veut pas dire coucher ensemble par la suite. Qui voudrait coucher avec la petite Kaleigh que je suis dés le premier soir ? Enfin… Je n’étais pas dans la tête des garçons et encore moins dans celle d’Alekseï. Il voulait peut-être juste du réconfort. Il était peut-être plus paniqué que moi dans une telle situation et c’était une façon à lui de se réconforter et d’aller mieux.
Lorsqu’il posa sa main qui était sur mes lèvres sur ma hanche, de légers frissons parcourent mon corps en peu de secondes et je me retournai légèrement pour être plus face à lui et non juste de face. Sans que je ne comprenne ce qui me passe par la tête je mis fin au baiser et me reculai en le regardant avec de gros yeux en touchant mes lèvres du bout de mes doigts. J’étais assise face à lui entrain de le regarder, un blanc s’installa et je ne le quittai pas des yeux. Je l’apercevais mieux à présent et je craquai carrément. Il était là à me regarder, il devait se demander ce que je pouvais faire et pourquoi j’arrêtai notre petit moment de tendresse alors que je ne l’avais en rien repoussé dés le début et que j’avais même osé un peu prolongé. « Aleks, on fait quoi là ?... » Dis-je d’une petite voix. J’étais assez perdue pourtant j’avais envie de continué. Ca faisait si longtemps que je n’avais pas ressenti cela que ça me faisait énormément de bien et que je pouvais vite devenir accroc à ses lèvres.
C'était une situation improbable. J'étais rentré dans cet ascenseur en priant le ciel pour ne pas avoir à rester avec Kaleigh trop longtemps, et désormais, je l'embrassais. On s'embrassait, parce que la jeune femme n'était pas restée sur la défensive. Qui l'aurait cru ? Certainement pas moi. Mais en même temps, la donne avait changé. Nous étions enfermés dans cet ascenseur depuis combien de temps ? Près de 5h, peut-être un peu plus... Ce n'était pas une durée négligeable, nous avions pu parler et apprendre à nous connaître un minimum, à nous apprécier mutuellement. J'avais pu constater que Kaleigh n'était pas une idiote insupportable sans intérêt, elle avait fini par me voir autrement que comme le monstre sans coeur qu'elle s'était évertuée à imaginer à ma place. Je profitai de ce baiser qu'elle prolongeait, appréciant la douceur de ses lèvres. Des lèvres si douces en plein hiver, c'était agréable et trop rare à mon goût. Je me perdais dans la douceur du baiser. C'était comme une vague de chaleur agréable qui parcourait mon corps et me faisait momentanément tout oublier ; la panne de l'ascenseur, le temps que nous passions enfermés ici, la mésentente entre nous jusque là...
Tout se brisa soudainement. Il avait suffit que je pose ma main sur la hanche de Kaleigh pour que tout s'arrête. Je rouvris les yeux automatiquement, la fixant et légèrement déboussolé par ce revirement soudain de situation. Que voulait-elle ? Je cherchais des réponses dans ses yeux mais je n'en trouvais aucune. Peut-être que je lui avais fait peur. Je n'avais pas pensé à aller plus loin avec elle, tout du moins, pas avant qu'elle ne se retire et me fasse ainsi penser au geste effectivement tendancieux que j'avais effectué. Je me mordis la lèvre en la voyant caresser les siennes, ne faisant pas le moindre bruit pendant plusieurs secondes, temps que l'on passa à se regarder droit dans les yeux. Une fraction de seconde, je pensai à Tamara, mais très vite, je la repoussai de mon esprit ; elle devait en sortir, je devais l'oublier. Et je ne pouvais pas me permettre de toucher Kaleigh une nouvelle fois en ayant Tamara en tête. Je me mis donc à réfléchir à la situation actuelle, cherchant des mots pour la décrire et essayant de comprendre pourquoi Kaleigh s'était éloignée si vivement. Peut-être était-elle vierge ? Je n'en avais pas la moindre idée. Je la dévisageais alors que les mots franchissaient ses lèvres, ses doigts s'en séparant. Qu'est-ce qu'on faisait ? Très bonne question.
« Je sais pas trop... »
Le silence prit à nouveau sa place entre Kaleigh et moi. Je ne la quittais pas du regard ; elle était peut-être, aussi, le genre de fille qui ne se donnait pas à quelqu'un comme moi dans un ascenseur, ce que je pouvais aussi très bien respecter. Je baissai les yeux quelques secondes, regardant ses lèvres et allongeant complètement mes jambes, pour finalement reporter mon attention sur son visage, accrocher son regard, ses magnifiques yeux bleus.
« Tu crois que c'est mal ? »
A ces quelques mots, je levai à nouveau une main vers elle, juste une. Je vins replacer une de ses mèches de cheveux correctement, caressant son visage du bout des doigts pour finalement glisser la paume de ma main sur sa joue et ne plus la bouger. Ce n'était pas grand-chose comme contact, mais ça suffisait pour me faire plaisir.