Au fil de temps, j’eus de moins en moins de mal à sortir. A vrai dire, ce n’était pas en restant enfermé chez ma cousine que l’inspiration me viendrait. Bon, rien ne pressait, évidemment, j'étais en pause depuis moins d'une semaine. Mais rester les bras croisés à la maison et attendre que les mots tombent du ciel m’insupportait. J’allais alors dans tout les endroits possibles et imaginables et me perdait parfois. Je dépensais mon argent dans les tickets de métro, les trajets en tramway ou on taxi. Je m’éloignais de la maison et j’ai même pris le ferry une fois. J’allais à la bibliothèque, au musée. Dans des bars étranges, dans des parcs immenses.

J’avais commencé à griffonner quelques lignes, mais ce n'était jamais rien de très concluant et ça me mettait en colère. Même avec toutes les choses que je ressentais, j’étais totalement incapable de coucher quoi que ce soit de potable sur papier. C’était insupportable. J’étais bien conscient que je ne pouvais pas me forcer à écrire quelque chose, sinon ce serait forcément moche et étant foutrement perfectionniste, je ne pouvais pas me permettre de bâcler mon travail en balançant des phrases à tort et à travers. Ce serait trop facile.

J’étais à présent certain que le futur album que le groupe et moi allions réaliser allait parler de tout ce qui se passait dans ma tête, un peu comme si je rédigeais un journal intime et que mes mecs s’amusaient à enregistrer de la musique dessus. C’était étrange de voir les choses de cette manière là. J’étais vraiment le mec qui cachait absolument tout ce qu’il ressentait, en règle générale. Avec la musique comme échappatoire, je n’avais pas de raison de me sentir mal : j’extériorisais absolument tout.

Ce que je décrivais dans mes chansons était en général l’origine du mal être des autres que je passais beaucoup de temps à observer, que je déchiffrais et ainsi, j’étais certain que d’autres personnes pourraient se retrouver dans ce que je chantais et la boucle était bouclée.

Mais ces dernier temps, tout était devenu trop lourd et c’était moi qui avait besoin d’être observé. Pour la première fois de ma vie, je me penchais sur moi-même et c’était la sensation la plus étrange qui fut. C’était pour ça que je bloquais autant. C’était quelque chose que je n’avais jamais fais avant et avec une grosse partie de mon passé que je m’apprêtais à retrouver à San Francisco, je savais que je n’allais pas me débrouiller seul dans cette épreuve. Il en était de même avec les rencontres que j’allais faire. Elles m’aideraient à me définir, à me cerner. Définitivement, c’était quelque chose que je ne pourrais pas faire seul.

En rentrant dans un café complètement au hasard, j’étais déterminé à faire la liste des prénoms de personnes qui pouvaient m’aider, ou alors celles sur qui je pourrais parler, écrire, chanter. Je m’étais évertué à garder mes peines pour moi, à cacher mes maux et aujourd’hui, ils voulaient tous surgir et se rouvrir. J’étais tellement mal en vérité et je ne m’en était même pas aperçu. Comment est-ce que j'avais pu passer à côté de moi-même, comme ça?

Alors que je cherchais une table libre du regard afin de m’y installer et me mettre à travailler, mon regard bleu se stoppa sur cette personne. Malgré le fait qu’elle ait caché ses longs cheveux blond et qu’elle soit très peu maquillée, en rapport à l’autre fois, j’aurais pu la reconnaitre entre mille. Son grain de beauté au dessus de sa lèvre me mit immédiatement la puce à l’oreille. Pas une seconde ne s’écoula avant que je ne m’approche d’elle, déterminé à lui parler.

Depuis que je l’avais entendu jouer, sa musique m’avait énormément plu et si elle n’était pas partie si vite après sa prestation, elle me connaitrait déjà. « Excuse moi, tu es Anna Zielinski, c’est ça? » Je faisais exprès de parler doucement pour ne pas que ses voisins de table de m’entendent. Je savais à quel point s’était désagréable de ne plus avoir d’anonymat, et quel mal elle s’était donné pour essayer de passer inaperçu. Même si sa table était dans un coin reculé du café, elle était exposée aux autres. « J’ai eu un gros coup de cœur pour ta musique, tu sais. » Peut être que commencer par dire ça était inapproprié, en fait. Elle allait probablement me prendre pour une fan. Maladroit un jour, maladroit toujours…

Quand je l’ai vu sur scène, elle était totalement le genre de personne qui jouait la musique que j’aimais. Sa voix était grave et elle dégageait quelque chose d’intense qui se détachait des voix féminines que j’avais déjà pu entendre. Elle avait quelque chose, un certain charisme et ça me plaisait. Une fois sa première chanson finie, je me devais de lui demander si une collaboration lui plairait. Même si la réponse était non, cela aurait été l’occasion d’échanger quelques mots. Elle avait l’air d’être une personne différente. Ses textes parlaient d’eux même et sa personnalité se lisait à travers ce qu’elle transmettais au public. Seulement je n'avais pas pu la voir, lui parler.

Quand elle répondit brièvement à ma question, alors que j’enchainais par ma seconde phrase, je savais que je tapais dans le mille. Elle venait de me prendre pour un fan. Bon, ce n’était pas totalement faux, puisque j’aimais réellement ce qu’elle faisait, mais en tant que musicien moi aussi, ce n’était pas le terme exact qui pouvait me qualifier au mieux. Lorsqu’elle brandit son stylo, mon visage se décomposa. Comment réagir à ça? « Tu as une feuille ? Une photo ? Un livre ? Un CD ? .. un truc ? »

Instinctivement et sans m’en rendre compte, je regardais l’intérieur de mes mains, occupées par ma simple boisson et avant que je ne prenne la parole pour dissiper le malentendu, elle parla de nouveau. « Désolé je .. j'ai déjà essayé et j'arrive vraiment pas à faire ça sur un t-shirt ! Ça bouge, c'est pas stable, c'est .. affreux. Ça fait paté et pas joli après .. » A présent, les types à sa table me regardaient eux aussi et une vague de timidité submergea mon corps tout entier. Je ne savais plus où me mettre et c’était vraiment embarrassant. Il me prit un certain temps pour réfléchir à quoi répondre, histoire de ne pas me ridiculiser un peu plus. Les gars semblaient énervés d’être interrompus et même Anna qui me prenait pour un fan semblait confuse que je sois ici, simplement pour lui quémander un autographe.

« Écoute, c’est pas du tout ce que tu penses, » riais-je nerveusement, légèrement mal à l’aise en passant ma main dans ma nuque. Comment tourner ça? Et avec ces mecs qui me regardent, pendu à mes lèvres. Mais dégagez, bordel! « Je m’appelle Edward… Edward Liebestoll, je suis musicien, je chante dans un groupe. J’ai assisté à l’un de tes concerts une fois et j’ai beaucoup apprécié ta prestation. Je me demandais si… Enfin, si… Si tu cherchais quelqu’un avec qui bosser? » OK, c’était un peu direct. Mais c’était le dernier de mes soucis. J’étais tellement préoccupé par le regard maintenant furax de l’un des types et par l’idée de m’en aller en vitesse, que je voulais abréger cette rencontre au plus vite. Peut être que la prendre à part aurait été une approche plus intelligente.

C’est pas que j’étais pas intelligent, mais sous la pression, j’avais vraiment tendance à faire n’importe quoi, aller dans la précipitation.