Déjà Mardi... ça faisait au moins une semaines, maintenant. dans ma tête, j'avais l'impression que cette situation durait depuis des mois, pourtant. Les jours étaient longs, et je ne me souviens pas avoir prononcé le moindre mot de tout le week-end. Si j'avais su à quel point le poids de la culpabilité pouvait sembler lourd lorsqu'on était le seul à le porter, jamais je ne me serais aventuré dans un désastre pareil. J'étais passé à l’hôpital vendredi pour un contrôle sanguin, et en avais profité pour prendre des nouvelles d'Evelyn qui était, selon les médecins, toujours dans le même état depuis son arrivée. Quel état? J'en sais rien... la dernière image que j'ai d'elle, c'est un regard vague lancé dans ma direction.
Aujourd'hui, la jeune femme était, parait-il, retournée à ses esprits. Certes... ça veut dire qu'on avait le droit d'aller la voir. J'ai manqué de rire jaune en voyant la porte devant laquelle on m'a amené après m'avoir informé de ça: une salle spéciale capitonnée pour les cas psychiatriques lourds qui risquaient de se blesser. Je crois que j'ai passé deux bonnes minutes devant cette porte après que le médecin ait annoncé à Eve qu'elle avait de la visite, et puis à la fin, j'ai finis par m'asseoir contre à défaut d'entrer dans la pièce.
Si mes yeux fixaient quelque chose, ce n'était rien d'autre que le vide entre mes deux pieds posés parallèlement l'un à l'autre. C'est fou... j'étais tout simplement incapable de faire face à cette personne. J’appréhendais beaucoup trop le jugement qu'elle porterait sur moi, puis-ce qu'après tout, j'avais grandement participé à gâcher l'une des dernières choses qui la motivaient à vouloir aller de l'avant, soit son avenir avec Sonic. Je ne pouvais pas dire "mon père" vu que ce dernier m'avait clairement fait comprendre qu'il ne voulait plus entendre parler de moi, et je comprenais tout à fait sa réaction vis-à-vis de moi.
Evelyn était revenue à elle depuis deux jours. Deux longues journées où elle ne cessait de repasser la scène dans tous les sens, durant elle ne comprenait pas ce qui avait pu la mener à être comme ça, dans un état tel où elle ne souhaitait que sa mort. Même encore maintenant. Ses pulsions ne disparaitraient pas comme ça. La jeune allemande ne pensait qu'à son existence qui était un fléau, au fait que plus personne ne pouvait la comprendre, qu'elle ne s'en sortirait jamais. Il y a deux ans, elle avait fui la ville, ne pouvant plus se regarder dans un miroir et là, à peine revenue qu'elle sombrait déjà. La dépression, l'envie de mourir, l'envie de le retrouver, de le prendre à nouveau dans ses bras, choses irréalisables. Sa vie s'effondrait alors qu'elle avait travaillé d’arrache-pied pour se remettre à flot mais voilà que non. Abominable garce. Mariée sur un coup de tête, ou grace à une bouteille, Eve n'avait jamais souhaité ça. Et assise dans un coin de sa cellule, elle s'était recroquevillée en position fœtale. Les infirmières passaient la voir, essayaient de la remettre sur pied en la coiffant, la faisant belle mais à peine les choses faites qu'elle s'arrachait sa coiffure, se griffait le visage en hurlant qu'elle ne voulait pas. Elle suppliait les gens d'abréger ses souffrances, de la tuer. Pourquoi tout le monde était-il si cruel ? Les crises avaient redoublé, elle ne mangeait plus, elle ne voulait pas aller mieux. Sonic passait la voir tous les jours, essayait de la faire se sentir vivante mais c'était toujours la même chose. « Disparais, laisse moi ou tue moi, lui hurlait-elle. » On ne comprenait pas ce qui la conduisait à être ainsi. Sa grossesse n'arrangeait rien. Elle se laissait mourir, elle ne voulait pas de cet enfant. Jamais, plus jamais.
Pourquoi ce jour-ci serait différent ? Pourquoi choisirait-elle la vie à la mort ? Nul ne le savait. Assise dans un coin de la pièce, elle vacillait, la bouche entrouverte, laissant échapper quelques gémissements. « Madame Thompson, vous avez de la visite. » Illuminée, la jeune mariée releva la tête et regarda l'infirmière qui levait les mains comme pour la calmer. « Mademoiselle, hurla-t-elle, mademoiselle, mademoiselle. » Elle vacilla un peu plus, poussant un feulement, n'osant pas regarder le visiteur qui restait dans l'embrasure de la porte, fuyant également son regard. Si elle se souvenait que c'était lui qui lui avait sauvé la vie. Oui. Son visage était la dernière image qu'elle avait dans la tête. Robbyn Thompson, son beau fils lui avait sauvé la vie bien qu'elle pensait qu'il serait sans doute le premier à la comprendre. Elle rejeta la tête en arrière et il commença à parler. Alors, quand le jeune homme lui rappela qu'elle était enceinte, elle se leva et partit se jeter dans ses bras, en pleurant. « Je n'en veux pas. Je suis une mauvaise mère. Pourquoi Robbyn ? Pourquoi ? » Elle s'écarta et abattit son poing contre le mur capitonné, essayant d'arracher la protection. « POURQUOI TU NE M'AS PAS LAISSE MOURIR ? POURQUOI ? POURQUOI ? » Elle hurlait avant de se prendre la tête entre les mains et de courir se mettre dans un coin en poussant des gémissements.
La réaction d'Evelyn avait été beaucoup plus forte que ce que je m'étais approximativement imaginé, et également différente au niveau des sentiments qui allaient avec « Je n'en veux pas. Je suis une mauvaise mère. Pourquoi Robbyn ? Pourquoi ? ». J'avais gardé les bras allongés contre mon corps, lequel s'était raidit en une fraction de secondes alors que la jeune femme venait de se jeter sur moi. Mon dieu... elle ressemblait plus à... une sorte d'animal qu'à un humain. Cela créa une boule dans ma gorge, et je ne pus répondre quoi que ce soit avant que la rousse se lève pour essayer d'arracher un bout du mur en vain en me demandant pourquoi je ne l'avais pas laissée mourir. Ce que je devais penser de tout ça? J'en sais trop rien, c'était tout à coup flou dans mon esprit, car la réalité et mes attentes ne corrélaient pas. Elle aurait voulu que je la laisse mourir. Oui... mais elle ne voulait pas mourir quelques heures avant, lorsqu'elle était avec Sonic et que je n'avais pas parlé à ce dernier. Alors j'étais quoi, moi, dans tout ça?! Ça me donnait mal au crâne d'essayer de tout remettre en place. Parce que bon, si je n'avais pas été le déclencheur de l'incident, quelqu'un ou quelque chose d'autre l'aurait été, et peut-être qu'il n'y aurait eu personne pour la retenir de se suicider. Suicide. Tous mes amis voulaient se suicider les uns après les autres... Imogen, Yuri, Enora, Ange et surtout Evelyn. Nous vivions entourés par la mort presque non-stop, et je trouvais ça tellement dommage que les choses se passent ainsi alors qu'on n'avait même pas vraiment commencé nos vies. Est-ce que ce monde était si triste que ça pour que tant de gens veuillent le quitter?
Mes yeux suivirent la patiente alors qu'elle courait à l'autre bout de la pièce, mais je ne pris pas la peine de bouger pour autant, me contentant de l'observer en silence avant de croiser mes bras sur les genoux et d'y poser le menton. Il y a énormément de choses que j'avais envie de lui dire, énormément, presque autant qu'à Sonic, et les mots étaient tellement difficiles à trouver, pourtant. Mais je pense que nous avons, en tant qu'êtres humains, un instinct commun à tous les animaux, lequel nous poussait à exprimer ce qui nous tenait le plus à coeur lorsque la situation devenait désespérée pour nous.
Et je suis un mauvais fils.
Je me suis levé pour m'approcher d'Evelyn et m'asseoir en face d'elle en prenant une grande inspiration. Je n'ai pas pu m'empêcher de me mordre la lèvre inférieure, et il a aussi fallut que je me force pour ne pas me mettre à pleurer malgré ma voix déjà instable, mais il fallait que tout ça sorte, quelle que soit la réaction de la jeune femme.
Mais t'es la seule mère que j'ai jamais vraiment connue, indépendamment de Mary Jude, et même si j'en ai donné l'impression parce que je suis un connard d'une possessivité maladive, tu m'as jamais été déçu... tu sais pourquoi? Parce que... aucun gamin peut penser ça de ses parents.
J'ai à nouveau posé le visage sur mes genoux tout en l'observant comme un enfant dans sa posture étrange.
Evelyn donnait peine à voir. On avait l'impression que son esprit était parti. Sauf qu'il était toujours là. Plus malade, plus destructeur. Elle ne voyait plus le bien et le mal, elle ne sentait plus rien, comme ci on l'avait vidé de toute émotion, comme un tigre blessé qu'on avait maintenu en cage. Si quelqu'un avait été à sa place. Elle aurait sans doute versée une larme, aurait voulu se détruite et c'est ainsi que la personne qui l'accompagnait devait se sentir. La catatonie avait bien des effets, était néfaste pour la personne qui en souffrait et on ne savait pas trop comment s'en dépêtrer. Il lui arrivait encore de fixer le vide devant elle, mais Eve se faisait violence pour ne pas replonger. Quatre putains de jours à être restée un légume, quatre jours où elle avait bien failli connaître une fin atroce. Assise dans son coin, elle cherchait à fuir à nouveau, ne regardant pas Robbyn, les larmes affluaient comme un robinet mal réglé et elle ramena à nouveau les genoux prêts d'ellle, toute tremblante incapable de se contrôler. « Pour... » Sa voix tressautait. L'allemande devait quand même se contrôler, elle devait tout faire pour protéger son bébé même si elle voulait avorter. Alors la rouquine prit une profonde inspiration en fermant les yeux, serrant les poings et enfonçant les ongles dans sa peau. « Pourquoi tu serais un mauvais fils. » Sa voix n'était plus qu'un chuchotis, à peine compréhensible tellement elle n'arrivait pas à articuler d'une manière tout à fait convenable. Robbyn disait qu'il était qu'il était un mauvais fils. Mais pourquoi ? Pourquoi ? La question tournait dans sa tête, elle l'ignorait. Alors, elle sentit sa chair céder sous ses serres. Ploc, ploc, ploc.
Doucement et se faisant violence, elle releva la tête. Maman ? Il avait dit Maman ? Il avait dit qu'elle était comme une seconde mère pour lui ? Hein ? Quoi ? Tic, tic, tic. Evelyn se remémora l'annonce de sa grossesse. C'est le bébé qui l'avait sorti de sa torpeur. Et si Robbyn était en train de la sauver à son tour. Ploc, ploc, ploc. Le sang se déversa de ses plaies et tâcha le sol matelassé alors jusque là blanc immaculé. Lentement, elle déssera les poings et mima une caresse du bout des doigts. Contournant fictivement le visage de son fils. « Je... Je... » Incapable de prononcer ses mots, incapable de dire quoi que ce soit. Une larme coula. Une unique. L'allemande venait de réaliser quelque chose. Ses enfants avaient besoin d'elle. Ses deux fils – bien que Robbyn est son âge – et sa petite fille. Mélodie était malade, elle devait rester forte pour elle. Pour Calvin. Il aurait eu honte d''elle s'il avait su qu'elle était sur le point de lâcher. « Je t'aimerai toujours. » Voilà ce qu'il lui avait dit un jour. Son unique. Elle l'aimerait toujours aussi. Alors, elle se rapprocha de Robbyn, essuya ses mains sur sa combinaison et prit le visage de Robbyn à deux mains avant d'incliner sa tête et de baisser son front. « Quoique tu ais dit, quoi que tu ais fait, je te pardonne. Je t'aime aussi. » Elle dit ça dans un sourire, son premier depuis des mois. « Aides moi. Je ne saurai pas gérer cette grossesse. Je n'ai jamais voulu être enceinte. Ton père... » A la mention de Sonic, elle détourna le regard. « Je le fais souffrir. Aides moi s'il te plaît. » Eve avait pris une décision, elle irait mieux. Pour Sonic, pour Beverly, pour Imogen, pour ses enfants, pour Max, pour Robbyn... et pour Sonic.
C'était pénible de voir Eve se faire du mal de la sorte, et je n'avais pas vraiment envie d'être dans sa tête en ce moment, car ça devait à coup sûr être le chaos. Après tout, on l'avait mise dans cette salle où elle ne pouvait pas se blesser, on lui avait retiré tout moyen de se blesser, et je ne veux pas imaginer les autres précautions prises par l’hôpital pour sa sécurité... et mon pouvoir d'influencer les gens en une phrase, je ne veux pas non plus savoir d'où il venait. Ce n'était pas un don, loin de là, parce que j'étais capable du meilleur comme du pire avec ça... mais j'étais conscient que j'avais cette capacité à renverser beaucoup de situations avec les mots. C'est ce qui avait arrêté Imogen et bien d'autres amies plusieurs fois lorsqu'elles voulaient baisser les bras, ce qui avait poussé Andrew et même Sonic à me frapper, ce qui faisait que les gens évoluaient d'une manière ou d'une autre, mais toujours avec une rapidité incroyable qui ne me laissait jamais le temps de faire marche arrière avant qu'un changement s'opère. À l'avenir, je m'étais promis de tout faire pour aider les autres, et j'avais aussi déjà commencé à m'effrayer du devant de la scène. Pour le moment, je n'allais moi-même pas bien, alors il ne fallait pas me demander quoi que ce soit car j'étais trop déboussolé pour agir. Mais quand ça ira mieux... je ferais n'importe pour eux, car mes amis et mes proches me donnaient l'envie de vivre et d'accepter de prendre des pilules pour rester dans cette communauté. Et puis, j'avais des projets pour le futur, une réelle envie d'aller de l'avant qui était revenue avec le retour d'Andrew. Sans lui, j'avais l'impression d'être comme Evelyn dans cette pièce bien que je me contenais, et s'il était vraiment décédé d'une overdose, je ne l'aurais certainement pas supporté. L'attachement, c'est aussi merveilleux que dangereux. Il faisait des miracles comme des atrocités...
L'allemande avait fini par s'approcher pour prendre mon visage entre ses mains, et les quelques mots qu'elle prononca après cela me firent tellement de bien que je n'ai pas pu m'empêcher de fermer les yeux avant que des larmes s'en échappent. Son pardon était l'une des seules choses que j'avais besoin en ce moment, en dehors de celui de mon père qui serait plus difficile à obtenir, et à présent, je jure que ce genre d'accident de ne produira plus. Plus jamais. Oui je serai là, oui, je vais t'aider. Après avoir pris une grande inspiration, je finis par me redresser et lancer un coup d'oeil à la caméra installée dans un coin de la chambre. Ben oui, vous voyez, elle peut aussi être calmée, votre patiente! Je me demandais s'il lui passaient de la musique de temps en temps afin de la distraire un peu, d'ailleurs...
Les choses vont bien se passer, je serai là, promis.
Je fis une légère pause lorsque Sonic fut cité. Non, ce n'étais pas mon père. Plus pour le moment, tout du moins... j'avais brisé notre relation. Tu crois? Je l'avais pas vu autant en forme depuis des mois, pourtant... tu l'aides à se sortir de ses idées noires alors qu'il est à peu près vivant. Même si tu t'en rends peut-être pas compte, tu lui fais plus de bien que de mal.
À nouveau, je fis une pause, puis levais une main pour la poser sur sa tête en souriant légèrement.
Evelyn comprenait soudainement l'importance de sa vie. Elle était restée fidèle à un mort. Un mort. Rien que ça, c'était une erreur dans l'équation de rester fidèle à quelqu'un qui est décédé certes dans des conditions tragiques mais qui en quelque sorte nous a abandonné. Sonic ne l'avait jamais abandonné même quand elle avait été enceinte. Il avait toujours été là pour elle, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Certes leur relation avait été chaotique mais elle était si jeune et lui si différent d'elle. Une vision contradictoire de la vie. L'un voulait guérir tandis que l'autre n'avisait qu'à s'autodétruire. Des conceptions si différentes. L'une ne voyait que par la fidélité tandis que lui n'arrivait pas à résister à la tentation. Que dire ? Que faire ? Tout c'était bousculé dans la tête de la jeune Evelyn qui avait choisi la solution de facilité, la fuite. Elle avait fui San Francisco, sa sœur malade, son ex, tout. Elle avait eu une sorte d'overdose et à peine revenue qu'elle se retrouve déjà submergée par le raz de marée, se noyant ne pouvant respirer. Face à Robbyn, avec lui, tout semblait si simple et quand elle le vit pleurer, elle essuya doucement les deux petites gouttes qui dévalaient lentement sur ses joues. Evelyn se sentait à nouveau elle même, ne sachant pas trop par où commencer. « Mon esprit est cassé Robbyn. Est-ce que tu crois que je saurai supporter cette nouvelle grossesse ? La dernière a bien failli me tuer. » Ce qui était la vérité. Etant seule à l'accouchement de Mélodie, elle avait bien failli y rester et le fait que l'allemande fut seule à ce moment là, l'avait profondément affecté. L'annonce de sa maladie avait été la goutte d'eau. Mélodie y avait échappé de justesse mais souffrirait d'épilepsie jusqu'à la fin de ses jours.
Revenir à la vie n'est pas une chose si simple cependant. Combien de jours était-elle restée dans l'état de catatonie ? La dernière chose dont elle se souvenait c'était Sonic lui demandant quasiment le divorce et elle n'avait pas supporter. La chambre blanche, ses mains meurtries, elle les ouvrit devant elle pour regarder les quatre petites plaies sanguinolentes, elle ne faisait que de se blesser elle même ou ses proches. « Pardonnes moi s'il te plaît. Pour tout. Pour ce mariage. » Un petit gémissement d'animal blessé sorti de sa gorge et une nouvelle crise la saisit alors elle s'éloigna de Robbyn pour reprendre sa place initiale. Que lui arrivait-il ? Crise de folie ? Maladie qui gagnait du terrain ? Et si les médecins avaient échoué et si elle ne souffrait pas du Tay-Sachs ? Non, les tâches rouges le montraient. « Ich verspreche, dass alles gut wird » Inconsciemment, elle posa sa main sur son ventre et baissa les yeux pour le regarder. Enceinte. Elle n'arrivait pas encore à y croire. Les médecins devaient faire de nouvelles analyses à sa demande afin de vérifier s'ils ne s'étaient pas trompés mais il n'y avait pas d'erreur possible. Evelyn sentait le bébé grandir. Soucieuse elle fronça les sourcils. « Tu vas être grand frère il semblerait. Il n'y a pas de doute que le bébé soit de ton père puisqu'il est le seul... » Le seul avec qui elle l'avait fait sans protection. Quels idiots ils avaient été. Que dire de plus ? De parfaits imbéciles. « Est-ce que tu crois qu'il veut cet enfant... ? » Evelyn avait vu combien son mari avait changé. Amaigri elle le soupçonnait de boire encore plus ou même d'avoir essayer la drogue. Elle l'avait vu prendre des petits comprimés. Comment elever un enfant avec une mère folle, mourante et un père drogué. « Je veux avorter. On y arrivera pas. »
J'observais Evelyn retourner à sa place initiale sans bouger. Calme, mon regard la suivait. Ce qui venait de se passer m'avait apaisé, et bien que je m'inquitétais pour la jeune femme, bien que ses peurs soient fondées, bien que je souffrais actuellement d'un problème d'identification qui m'amenait à vouloir de plus en plus contacter Keenan pour retourner à "la maison" afin de retrouver mes esprits et mon équilibre interne, eh bien la situation actuelle ne m'ébranlait pas plus que ça. Face aux personnes qui avaient besoin de moi, je savais me montrer solide, car oui, j'étais solide. Pas à la manière de l'anglais, pas à la manière de Sonic, mais à celle d'un mélange de toutes mes expériences vécues jusqu'à présent. En silence, je me mis à écouter les arguments d'Evelyn concernant sa grossesse et le fait qu'"ils n'y arriveraient jamais". Une seule phrase retint mon attention, et en l'entendant, mes yeux virèrent au jaune comme lors de chaque émotion forte chez moi.
« Est-ce que tu crois qu'il veut cet enfant... ? »
Mon regard perçant balaya la rouquine de haut en bas comme s'il s'agissait d'une inconnue à analyser. S'il voulait de cet enfant..? Oh, combien de choses avait-il à se reprocher au sujet de mon éducation? Combien de temps passait-il avec les gamins de sa chérie en essayant certainement d'éviter les erreurs qu'il avait commises avec moi? J'ai bien vu les efforts qu'il faisait avec eux... mais j'étais incapable de jalouser ces enfants car je les aimais trop pour ça. Les deux petits étaient plus jeunes que je l'étais à l'époque, certes, et ils étaient aussi beaucoup moins déshumanisés que moi lorsque Sonic m'avait trouvé, alors c'était certainement très différent... mais il était content avec eux, n'est-ce pas? Il n'était plus livré à lui-même. J'avais beau être entré dans une guerre froide avec mon père, cela ne m'empêchait pas de savoir qui il était et ce qu'il était capable de faire ou de ne pas faire. Or, ses capacités à s'occuper d'un être vivant étaient presque aussi bonnes que celles qui lui permettaient d'en démolir d'autres. Après tout, il n'a jamais levé la main sur moi. Mes souvenirs me firent remonter suffisamment loin dans le passé pour en mélanger quelques aspects, alors inconsciemment, j'oubliais de parler en anglais et répondis en allemand.
« Bien sûr qu'il le veut. Il sera là, tes enfants vont pas souffrir de ses excès. C'est sacré pour lui. »
Mots prononcés avec automatisme, à la manière de ces instructions qu'on vous met une fois dans la tête avec une voix monotone mais qui ne s'oublie pourtant pas.
Un médecin toqua à la porte et s'excusa avant de m'annoncer que le temps de visite était écoulé. Déjà? Oh, elle devait prendre son traitement... je n'avais pas envie de voir ça, je n'aimais pas les médicaments, je n'aimais pas savoir que des pilules pouvaient calmer, exciter, rendre docile, ou dans mon cas, simplement empêcher de mourir trop rapidement. Haha... les hôpitaux étaient pourtant faits pour y mourir, et dieu sait le nombre de personnes qu'on a placé dans le lit de gens qui y sont décédés. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir, j'ai peur de mourir.
Non! Non, j'ai pas peur, je vais bien, je relativise. Reprends-toi Robbyn, y'a pire que toi, regarde Evelyn. Je la regarde, je regarde le médecin, le médecin me regarde, Evelyn me regarde pas.
« Laissez-nous juste une minute, s'il vous plaît... »
L'homme accepta, et je m'approchais de mon "amie". Elle était faible, et de mon côté j'étais fragilisé, mais ça irait. Alors je passais une main derrière sa tête pour l'approcher de moi et embrasser son front gentiment. Je ne sais pas si Sonic était parvenu à la toucher ou à la réconforter de la sorte lors de ses visites, mais j'espérais que cela ne tarderait pas. Ma voix s'éleva doucement afin de ne pas être trop audible. Retour en allemand, je n'avais vraiment pas envie que quelqu'un puisse entrer dans notre conversation. Exclusif, Possessif, je l'étais dans tous les sens du terme.
« Parles-en avec lui, mais ne t'inquiète pas trop pour tes enfants... et oubliez pas la lune de miel. Sonic est une arme de destruction massive... mais c'est aussi un bouclier... laisse-lui l'occasion de te le prouver. »
Evelyn était là, face à Robbyn mais on était en droit de se poser la question de savoir si elle était réellement là ou non. Un monstre. Une bête dénuée d'esprit qui restait stoïque, à regarder celui qui était désormais son beau-fils. Et si elle avait fait une erreur en venant dans cette ville ? San Francisco ne lui avait apporté que du malheur. La cité américaine avait pris la petite européenne pour la façonner et en faire une sorte de bête de foire, un corps vide, une enveloppe charnelle dénuée de sens, une âme damnée. Les stars souffraient souvent de stress, les européens s'adaptaient mal et elle en était la preuve vivante. Evelyn se rappelait parfaitement de son premier jour à San Francisco, elle venait pour voir un spécialiste sur l'épilepsie et indirectement le retrouver. Heureuse, accompagnée de son chien, elle s'est dite qu'elle commencerait une nouvelle vie ici, que rien ni personne ne lui dicterait sa conduite et elle avait eu raison. Elle avait débuté une nouvelle ère, l'ère du chaos. Soudainement, elle a rencontré Imogen, ne pensant pas une seule seconde que les gestes de son « amie » était calculée, qu'elle était sa famille. Après, elle a approché Beverly, retrouvée Maël une ancienne connaissance, sympathisé avec sa copine, Mary Jude. Ne parlant pas un mot d'anglais, elle avait appris la langue, préservait précieusement son accent et puis, l'allemande était tombée sur Robbyn. Que se serait-il passé si elle ne l'avait pas connu ? Elle n'aurait pas connu Sonic. Mais Calvin serait quand même mort... Et Evelyn aussi. Mais que dire d'autre ? Son mariage avec Sonic était-ce une bonne idée ? Son envie de mourir était plus forte que tout, elle en avait marre.
Alors, le fantôme resserra les pans de son maillot pour cacher ses mains éraflées, écoutant Robbyn lui répondre en allemand. Trop à l'ouest pour relever qu'il lui parlait dans sa langue maternelle. Bon dieu, ce que l'Allemagne lui manquait, elle aurait tellement aimé revoir sa mère. Après la mort de son père, Eve n'avait passé que peu de temps avec sa mère adoptive mais la voir était au-dessus de ses forces. Il n'était plus là. Celui qui lui avait tenu la main pendant l'accouchement de Matthew, qui l'avait consolé à la mort de son premier enfant, qui lui avait offert Debussy. Son chien. Celui qui avait emménagé avec elle dans l'appartement miteux de Chinatown, qui était partie avec eux à Los Angeles. La rouquine s'est sentie mieux en retrouvant Stuart, à replonger quand Sonic l'a trompé – signe évident qu'il ne l'aimerait jamais – mais qu'est-ce qui avait changé ? Quelles étaient les motivations de ce mariage ? De l'envie d'avoir cet enfant ? Les yeux dans le vague, rougis par les larmes, elle releva la tête et regarda un moment Robbyn. « Je connais Sonic, je sais comment il est. Mais c'est de moi que j'ai peur. Il ne m'aimera jamais. J'ai fui la ville, il y a deux ans parce que j'avais eu trop de trop. Perdre Calvin, mon échec avec Sonic. Je suis trop sentimentale. Et j'ai peur de... Je... » Allez exprimes-toi ma vielle. La future maman se maudissait intérieurement en tapant du poing contre le sol matelassé. « J'en ai marre d'être faible. Oh regardez la pauvre Evy, son mec est mort, un autre l'a trompé. Oh, regardez cette pauvre folle dans une cellule. Oh, regardez cette jeune mère qui souffre de catatonie. NAN, NAN ET NAN. Je ne laisserai plus quelqu'un me faire du mal. » Un médecin sent la crise de nerfs et indique à Robbyn qu'il est temps pour lui de partir et elle détourne le regard. Ce sentiment, celui qu'elle avait ressenti une fois, ce feu se propageant dans ses veines, cette envie de détruire. La folie l'emportait encore une fois et quand la main froide de Robbyn la touche, elle eut un sursaut. Sorte de décharge électrique. Quand les lèvres de « son fils » se posèrent sur son front, Eve se contracta. Elle n'avait plus l'habitude du contact. Sonic avait voulu la toucher tant de fois, elle avait refusé en manquant de lui mordre la main.
'Je me fais la promesse de ne plus souffrir à cause d'autrui. De détruire quiconque tenterait de m'atteindre. Par tous les moyens.' Voilà ce que l'esprit malade venait de se promettre. Voilà ce qu'Eve pensa intérieurement. Elle la tiendrait. Autrui n'incluait pas ses enfants mais elle écraserait les autres comme des brindilles. Wake Up ! Où est passée la fille qui avait un caractère de merde, qui a attiré un américain dans ses filets en lui mettant un coup de poing, de l'allemande qui s'est intégrée au système américain. Vois les choses comme elle viennent, tu n'auras plus à renouveler ton Visa. Perfect ! « Je n'ai pas besoin d'un bouclier Robbyn. Qu'il fasse un bon père pour mes enfants et c'est tout. Je l'aime. Tu le sais, tout le monde le sait. Depuis deux ans. Mais... la réciprocité n'est pas vraie. Alors, il va falloir faire sans. Pour la lune de miel, elle semble un peu compromise. Je suis réveillée depuis deux jours, en asile depuis six et je ne pense pas qu'un voyage soit à l'ordre du jour avec ma grossesse. » Même si Eve rêvait de partir à Paris, ça attendrait.
La situation dépassait un peu Robbyn qui ne sut pas trop quoi ajouter de plus, voyant bien que la situation était en train de déraper et qu'il ne pourrait pas garder Evelyn tranquille à lui seul. Il n'insista donc pas plus longtemps avant de mettre fin à la rencontre, puis se leva pour sortir de la pièce en soupirant. Dieu sait si cette femme arriverait un jour à se remettre sur pieds... cela devenait de plus en plus improbable.