| Dim 31 Juil - 6:08 | |
| ton histoire PARTIE I: DOMENICO TORRÈS GARCIÀLa naissance
-Eduardo, ¡rápido! criai ma mère, une belle latina dodue. Siento la cabeza del bebé!
En position semi-assise, ma mère respirait bruyamment pendant que l'une de mes soeurs, Irma, épongeait son front. Entassées dans la miniscule chambre à coucher de mes parents, mes trois soeurs faisaient du mieux qu'elle pouvait pour soutenir ma mère dans cette douleureuse épreuve. Ne pensez pas que, même au mois d'avril, accoucher dans un climat humide peut être agréable. Au contraire. Dans la petite maison de taule et de boue dans laquelle nous vivions, il n'y avait encore pas d'air climatisé, même pas d'électricté pour pouvoir brancher un ventilateur. Alors, avec tout cette humidité, pas étonnant que ma mère était dans tous ses états. Bon, elle n'était pas à sa première grossesse- mais bien à sa quatrième -, mais l'effort lui semblait toujours aussi pénible. S'il y a bien une chose que mon père n'a jamais pu faire pour rendre la vie plus facile à ma mère, c'est bien pouvoir partager cette douleur de l'enfantement. Dans cette chaleur accablante et poisseuse, mon père était parti téléphoné dans la seule cabine téléphonique de la rue pour contacter le seul médecin du bidonville de Quito. Bien entendu, après quelques sonneries, il fut bel et bien su que ma mère devrait se passer du docteur pour accoucher. Revenant bredouille vers ma mère, mon père dut s'improviser médecin pour quelques heures et s'occuper à me sortir de là. Encore à cette heure-là, mes parents ignoraient que la vie leur apporterait un garçon. Il en avait tant entendu un après trois grossesses qu'ils n'avaient osé espérer une seconde fois et être déçus par la suite. On pouvait dire que j'arrivais comme une grande surprise. D'ailleurs, au bout de trois longues pénibles heures à huler, pousser et expirer le peu d'air que l'humidité leur laissait, un cri vint percer les oreilles de tous. Le mien. Le signe que j'étais en vie. Seulement en m'entrepercevant, ma mère déclara d'un souffle:
- Vamos a llamar a Domenico.
Domenico signifie «Qui appartient au seigneur.» Voilà ce que j'aspirais à mes parents: j'étais un cadeau de Dieu. Si cela était vrai, j'avais alors une mission à accomplir. Les temps étaient encore trop jeunes pour savoir ce que ce cadeau signifiait vraiment. Malheureusement.
L'enfance
- Domenico, me disait mon père, jugará al fútbol con sus amigos. Me puede conseguir fácilmente. - Mi padre. Estoy bien donde estoy.
Je devais avoir six ans, mais je voulais déjà aider mon père. Il était le seul à soutenir financièrement la famille avec le petit garage qu'il partageait avec l'un de mes oncles dans le bidonville. C'était assez pour nourir une famille de six, mais pas assez pour pouvoir leur offrir autre chose. J'avais vite appris la valeur des choses en grandissant dans une famille pauvre. Parfois, quand mon père revenait avec un giganteste pain en guise de souper pour toute la maisonnée, personne ne chialait. On acceptait, car on savait que c'était tout ce qu'on pouvait s'offrir. Mais, c'était surtout parce qu'on savait que si notre père aurait pu nous offrir plus, il l'aurait fait sans broncher. Cela pouvait sembler triste, on pouvait penser que j'étais malheureux à vivre dans un bidonville crasseux, puant et en désordre. Pourtant, je m'y plaisais : je n'enviais pas la vie des autres puisque j'ignorais un autre mode de vie que celui que je menais. Parfois, je croisais des touristes à la peau blanche qui me glissait un billet de 1 dollar américain, mais je l'acceptais sans vraiment comprendre. À mes yeux, l'argent n'avait pas d'importance. Ce qui me contentait, c'était de faire plaisir à mes parents ou à la communauté. Comme chaque maison était entassée les unes sur les autres (et parfois même empilées), les liens entre les familles voisinantes étaient assez serrées. J'aurais pu les considérer comme ma deuxième famille. Cet espèce de cocon familiale et amicale qui m'entourait m'a toujours été très sécurisant et rassurant même si, dans les faits, notre mode de vie était rempli de danger et d'instabilité. Encore aujourd'hui, je n'ai jamais connu quelque chose de pareille et j'aimerais bien le retrouver. Bref, donc, en grandissant dans ce bidonville un peu chaotique, j'ai par le fait même appris à vivre avec les nombreuses fêtes qu'on célébrait entre voisins ou simplement pour s'amuser, j'ai connu les boîtes de nuit torrides des bas fonds de Quito, j'ai côtoyé la misère pendant si longtemps que je suis devenu un enfant très mature même du haut de mes six ans. Dans le monde dans lequel j'évoluais, tu devais parfois apprendre à t'éduquer seul, mais le plus important, à t'élever tout seul du reste des autres. Car, on partait dévantagé de la plupart du reste de la planète en vivant dans de telles conditions. Donc, le plus tôt on en prenait conscience et se forçait de changer les choses, le plus tôt on avait la chance de se sortir de cet enfer. Et ça, je l'avais compris parfaitement.
- Cuando crezca, répétai-je pour une énième fois à mon père tout en frottant une vieille Chevrolet, yo tengo una casa grande y ustedes, mamá y las chicas que viven conmigo. Incluso habrá un mustang.
J'avais des rêves, des ambitions pour essayer de trouver meilleur ailleurs. Il était faux de dire que je ne me déplaisais pas ici, mais je sentais que ce n'était pas un bon endroit où nous pourrions, où nous devions vivre éternellement. Encore là, j'étais gamin et rien ne me semblait impossible. Cela faisait toujours sourire mon père. Et faire sourire mon père, cela m'a toujours plu. Il était mon idôle. Se donner corps et âme à son travail, s'occuper aussi bien de ses enfants, être un mari aimant semblait un vrai défi ici. J'avais déjà plusieurs de mes amis qui n'avaient pas de père ou que le leur battait leur mère. Des pères comme les miens, il s'en faisait peu. Et je savais que je voulais lui ressembler. D'ailleurs, j'étais presque son portrait craché alors, on pouvait dire que j'étais bien parti. Comme j'avais ça de gagner, j'essayais de faire autre chose. Par exemple, en allant à l'école, comme j'avais déjà de bon résultat, je finissais rapidement mes devoirs et, au lieu d'aller jouer avec mes amis, j'allais rejoindre mon père à son boulot et l'aidait. Chaque fois, il finissait par m'ordonner d'aller m'amuser puisqu'il voulait que je profite de ma jeunesse. J'y allais toujours à contre-coeur, car je me réalisais plus en l'aidant qu'en m'amusant bêtement à frapper sur un ballon. Mais, j'y allais. Parce qu'en acceptant, je devenais un petit garçon raisonnable et obéissant: le rêve de tout bon père. Alors, c'était à peu près à cela que ressemblait ma vie: un lot d'imperfections, mais somme toute, un bonheur incomparable.
La brisure
Jusqu'ici, même si j'avais eu la vie dure, je m'en tirais pas mal et tout avançait normalement. J'allais chaque dimanche dans ma petite église, j'étais un bon fils et frère et le gouvernement nous avait épargné dans ses hausses d'impôts. Toutefois, chaque histoire a besoin d'un peu de drame, de tragique. Si vous voulez, mon avis, je m'en serais passé. Cependant, je n'étais pas celui qui avait le pouvoir d'en décider. Oh non! Et pour avoir de la tragédie, il y en a.
Cela commence le 7 décembre 1997. Tout s'annonçait être une journée comme les autres. Pourtant, il n'en fut pas ainsi. Cela devait être un dimanche matin, car d'habitude, chaque dimanche mon père écoutait la radio dans la cuisine puisqu'il ne travaillait pas. Avec grand effroi, mes parents apprirent qu'une grosse tempête tropicale traversait le Pacifique et atteindrait la ville de Quito dans la soirée. Chaque habitant avait le choix d'aller dans les grands centres se réfugier pendant le déluge ou rester dans sa maison et se barricader. Bon, pour ce qui était de nous, mes parents et moi vivions au moins chaque année deux grosses tempêtes. Chaque fois, c'était de gros vents et beaucoup de pluie. Toutefois, nous étions épergnés. Mes parents pensaient encore avoir affaire au même genre de tempête. Alors, il préférait barricader la maison comme à l'habitude. Bien sur, pendant toute la journée, mes soeurs eurent la dure tâche de me distraire et de répondre à mes questions par des hochements de tête pour ne pas éveiller la moindre inquiétude chez moi. Malgré tout, je n'étais pas dupe: je savais que quelque chose se tramait. Toutefois, essayer de résister à trois soeurs aînées qui essaient d'accaparer votre attention, c'est très difficile. Donc, comme à l'habitude, mes parents avaient barricadés les fenêtres avec de vieilles planches de bois trouvées dans le dépotoire longeant les maisons de notre rue pour empêcher l'eau de rentrer dans la maison (car toutes les maisons du bidonville de Quito n'ont pas de vitre) pendant une grande partie de la journée. Il ne devait rester que quelques planches à poser sur le toit quand on entendit la pluie tomber très fort. À ce moment, je compris que nous faisions face à une autre tempête. Je n'étais pas encore prompt à m'inquiéter que mes parents soient dehors puisque ce n'était que de la pluie. Pourtant, autre chose attira mon attention: des cris. On ne pouvait pas les entendre très bien avec le bruit de la pluie tombant sur la taule, mais c'était un son perceptible. Il était encore très loin, mais drôlement terrifiant. Pris de panique, je voulus voir ce qui se tramait dehors. J'échappai soudain à la grippe de mes soeurs et sortis dehors.
- Domenico, criaient mes soeurs en choeur.
Je ne me suis cependant pas arrêté de courir. J'étais à peu près certain que j'étais maintenant devenu invisible dans ce rideau de pluie. Si mes soeurs essayeraient de me trouver à l'horizon, elles ne verraient probablement rien. Moi non plus d'ailleurs, tout en avançant, j'ignorais où j'allais. Je me laissais guider par le son des cris. Je devais probablement avoir parcouru un kilomètre quand j'entendis les cris encore plus fort et soudain, la terre gronder. Ce son si peu familier avait de quoi effrayer n'importe qui, même le plus courageux des hommes. Du haut de mes sept ans, j'étais encore plus terrorisé. J'eus ensuite l'instinct de me cacher, me réfugier dans un endroit sûr où ce son troublant ne pourrait parvenir à mes oreilles. Je fonçai directement vers ma droite et je découvris un immeuble de béton abandonné. J'enfonçai la porte de bois avec une brique et y pénétrai. Je me mis à monter l'escalier à vive allure. Une fois au sommet, je fus en mesure de voir mieux la situation. Dans le bidonville, une énorme coulée de boue dévalait les collines et engloutissait tout sur son passage. J'eus soudain l'envie de rebrousser chemin et d'aller voir ma famille, de les sauver. Alors que je me précipitai vers l'escalier, un éclair émergea du ciel. Je crus comprendre que c'était un signe de Dieu qui m'empêchait de descendre. Donc, pris au piège, je me couchai sur le sol dur et froid en me repliant sur moi-même. Je passai une nuit dans la terreur et grelottement. Je ne suis même pas sur d'avoir fermé l'oeil.
Quand le soleil se leva le lendemain matin, j'entendis les oiseaux gazouiller normalement, comme si tout était normal. J'allais apprendre que ce n'était pas la cas. N'ayant pas oublié les événements de la veille, je descendis les escaliers avec le coeur qui débattait: il fallait que je rentre à la maison pour voir si ma famille était saine et sauve. Dès ma sortie, un spectacle fut tout autre: la ville que je connaissais si bien, ce bidonville dont je connaissais tous les recoins était maintenant transformée du tout au tout. Je ne reconnaissais même pas certains bâtiments devant moi: certaines maisons avaient été détruites par la coulée, d'autres déplacées à des centaines de mètres. Pendant un moment, je me mis à paniquer. Je me disais que j'arrivais trop tard, qu'il n'y avait plus d'espoir. Puis, je me resaisis: je pensais que mes parents avaient eux aussi pensé fuir pour me récupérer et qu'ils auraient pu être, tout comme moi, épargnés de la catastrophe. Je me mis alors à parcourir cet enfer à leur recherche. Lors de mes recherches, une femme blanche me trouva sur son chemin. Elle m'appela une première fois, mais je ne répondis pas. Elle essaya ensuite de m'interpeller avec un Espagnol approximatif et je m'arrêtai. Elle s'approcha de moi et me prit la main. Elle ne me dit rien d'autre. Elle m'amena avec elle et étrangement, je la suivis.
Quand je vis de grandes tentes blanches avec du matériel médical, je compris qu'elle m'amenait dans un campement d'une ONG. Mon premier réflexe fut d'essayer de me défaire de sa poigne, mais à sept ans, je n'étais pas assez fort pour me échapper à l'emprise d'une adulte. Par chance, quelques heures après mon arrivée, une traductrice et une équipe de recherche m'invita à aller à la recherche de ma famille. Une fois rassuré, je les guidais du mieux que je pouvais dans ce fouillis. Nous marchâmes longtemps, sans rien trouver qui m'était familier. Puis, au loin, je vis un toit m'étant familier. Je l'aurais reconnu entre mille: j'avais aidé mon père à la réparer l'été dernier. À cette vue, je m'élançai vers lui. La bande d'étrangers me suivirent et m'arrêtèrent avant que je plonge dans les décombes. La traductrice se pencha et me tint compagnie pendant que l'équipe d'experts fouillaient les décombes. Nous sommes peut-être restés une heure sans bouger et parler à attendre qu'ils reviennent. Je serrais mes poings de toutes mes forces en espérant voir l'une de mes soeurs me dirent que je lui avais flanquer une de ses frousses. J'espérais voir ma mère couverte de boue, mais toujours aussi souriante, peu importe la situation. J'espérais voir mon père s'élancer vers moi pour me prendre dans ces bras. Plutôt, je vis l'équipe s'avancer vers moi. Un homme se pencha face à moi et utilisa les seuls mots espagnols qu'il devait connaître.
- ¡lo siento.
J'ouvris la bouche pour hurler mon désarroi. Aucun son n'en sortit. PARTIE II: DOMENICO MAÏKE TORRÈSL'adoption
Pendant six mois, j'ai été mis à l'orphelinat. Je détestais ça. Je ne parlais à personne. Tout ce que je faisais, c'était de faire des châteaux de sable dans la cour. Je haïssais la vie. Je haïssais d'être encore vivant. J'avais compris ce que mon nom voulait dire: j'étais Domenico et parce que j'appartenais au seigneur, j'avais la chance de ne pas partir en même temps que les autres. Bref, pendant six moi, je ne parlais pas. Les bonnes soeurs faisaient du mieux qu'elle pouvait pour me faire parler: me punissait, récompensait, mais cela ne fonctionnait jamais. J'étais mué dans le silence, mué dans ma peine et ma frustration. Je n'avais que huit ans. On aurait pu déclarer que ma santé mentale était gravement atteinte. D'ailleurs, plusieurs de mes camarades commençaient à le penser. Cela renforça mon isolement des autres. Je ne voulais avoir affaire à personne.
Pourtant, ce que plusieurs auraient considéré comme une chance m'arriva. Alors que j'étais en train de construire un énième château de sable, je vis l'une des soeurs s'agiter en pointant ma direction et une autre tenir une petite valise dans sa main. Quelque chose se tramait et je n'en avais aucune idée. Dans ma naïveté d'enfant, je croyais qu'on m'envoyait en prison pour avoir refusé d'ouvrir la bouche pendant tout ce temps. L'apparition d'une femme blanche m'en dissuada. Il me semblait maintenant que l'apparition d'une femme blanche me portait toujours malheur. Même si je l'avais vu s'approcher, je ne lui adressai aucun regard. Au pas de la porte, les deux soeurs regardaient notre échange curieusement, sans vouloir s'en mêler. La femme blanche m'observa longtemps sans rien dire. Je la laissai faire même si je voulais être seul. Après un long moment, elle s'agenouilla à côté de moi, en évitant de me toucher.
- Te vas al orfanato. Una familia que se adopte.
Je n'eus pas de réaction. Un enfant normal aurait sauté de joie d'avoir la chance de repartir du bon pied. Un enfant de l'orphelinat aurait surtout été très heureux de savoir qu'on voulait de lui. Pour ma part, je m'en foutais carrément. Que je sois à l'orphelinat ou ailleurs, cela ne faisait pas de différence: je souffrais tout de même. Toutefois, j'étais loin de me douter qu'en suivant cette femme de l'agence, je m'apprêtais à quitter l'Équateur, ma terre natale. Si j'avais su, je me serais enchaîné de toutes mes forces ici. Mon pays était la seule chose qui me restait. En me l'enlevant, on me détruisait complètement. Ce changement brutal amena d'ailleurs son lot de conséquences, mais bon, je n'en étais pas encore rendu là. Nous nous rendîmes à l'aéroport et je pris pour la première fois l'avion. Cela m'effraya un peu, mais je n'en laissais rien savoir à mon accompagnatrice. J'ignorais encore ma destination. L'équipage parlait tous anglais alors je ne comprenais pas un mot. Le trajet fut long, mais à mon arrivée, je compris que je n'étais plus en Équateur. Mon avion avait atterri à Los Angeles. La dame me prit par la main et s'occupa de prendre mes affaires. Je ne réalisais pas encore tout ce qui m'arrivait. Mon environnement était changé du tout au tout. Alors que nous marchions dans les grands couloirs de LAX, je vis parmi la foule, un couple impatient. Ce couple était composé d'une grande rousse habillée comme dans les magazines que j'apercevais au marché de bindonville et d'un homme grisonnant avec le teint bronzé. Les deux semblaient nerveux. Voyant que la dame m'amenait vers eux, je compris qu'il devait être le couple intentionné qui avait décidé de me prendre en charge. Une fois que nous fîmes arrivés devant eux, je vis les yeux de la dame rousse s'embrouiller. L'homme, quant à lui, ne put dissimiler un sourire. La traductrice commença alors à leur parler en Anglais, donc je ne compris strictement rien de leur échange. Puis, après un petit moment, la traductrice se tourna vers moi.
- Domenico, se trata de Grace y George. Bienvenido a tu nueva familia!
Puis, après ces six mois de silence, je pris enfin la parole en gardant ma mine impassible.
- Nunca serán mis padres. Nunca.
Même si mes parents adoptifs ne parlaient pas parfaitement Espanol, ils avaient très bien compris ce que j'avais dis.
Hawaï
Les premiers mois à Hawaï ne furent pas facile. J'atterrissais dans une maison qui ne ressemblait pas du tout à la mienne. Elle ressemblait au rêve que j'avais, à celle que je rêvais d'acquérir pour y faire vivre toute ma famille. Alors, d'y vivre, cela me faisait mal. Car, après tout, j'avais obtenu ce que je désirais à une exception près: ma famille ne pourrait jamais profiter de ce luxe. Ils étaient tous morts. Et étrangement, vivre dans ce palace me le rappelait encore plus qu'être à l'orphelinat. Alors, cela m'enfonça encore plus dans mon silence. Je leur ai fais vivre un sale calvaire. Mes parents adoptifs avaient pris un mois entier pour pouvoir m'aider à bien m'intégrer ici. Ils étaient à mes petits soins et voulaient mon meilleur. Ils avaient même pris des cours d'Espagnol pour faciliter notre communication. Pourtant, je leur en voulais terriblement, même s'ils n'étaient responsables de rien. Il fallait que je tente de trouver des coupables à ma douleur. Depuis cette terrible phrase lancée à l'aéroport, je ne leur avais pas adressé un mot. Même pire, je n'osais les regarder dans les yeux quand ils me parlaient. Ils tentèrent tant bien que mal de m'apprendre l'Anglais, de me faire goûter aux plaisirs de l'American life. L'ironique dans tout cela, c'est que j'avais appris très facilement l'Anglais, mais comme je n'ouvrais jamais la bouche, ils n'en avaient pas la moindre idée. Mes nuits étaient ponctuées de cauchemars et d'insomnie. J'étais tout seul pour affronter mes démons dans cette immense chambre. Plus les jours passaient, plus je m'éloignais de la culture équatorienne. J'avais le mal du pays: je voulais rentrer à la maison. Quand George reprit le travail, les choses ne s'étaient guère améliorés. Grace devait affronter seule le fardeau de m'élever et faire comme si tout allait bien. Souvent, je l'entendais pleurer dans la cuisine alors qu'elle m'installait devant un dessin animé dans la salle de séjour adjacente. J'avais appris plus tard que George et elle ne pouvaient avoir d'enfant. Même les cliniques de fertilisation in vitro ne fonctionnaient pas. Ils s'étaient tourné immédiatement vers l'adoption, mais les procédures étaient tellement longues. Quand le drame en Équateur avait frappé, les procédures s'étaient assouplies et accélérées et ils y avaient vu leur unique chance. Je pensais qu'ils devaient regretter d'avoir repêcher un enfant de sept ans au lieu d'un bébé tout neuf. Longtemps, je l'ai écouté tout en faisant mine de ne pas l'entendre. Je n'étais pas prêt à porter le poids de la douleur des autres alors que j'avais déjà la mienne qui pesait lourd sur les épaules. Puis un jour, alors que j'étais en train d'écouter ma mère adoptive sanglotter, je vis un bout de papier qui traînait. Intrigué, je m'en approchais: c'était un papier confirmant maintenant ma citoyenneté américaine. Et sur le papier, il était écrit: Domenico Maïke Torrès. Maïke, c'était un prénom que je n'avais jamais reçu. C'était un prénom que George et Grace m'avaient donné. Et je compris pourquoi: parce qu'en dépit du second prénom qu'ils ajoutaient au mien, ils conservaient mon nom de famille. Torrès. La famille dans laquelle je grandissais s'appelait Hutcherson. Rien avoir avec Torrès. Juste voir le fait que je ne perdais pas mon passé avec seulement la garanti de mon nom de famille sur son bout de papier fut assez pour me faire changer d'idée. Je me levai du sofa, agrippai une boîte de mouchoirs et la tendis vers ma mère adoptive. Surprise, elle me regarda tout en essuyant ses larmes. Je n'avais peut-être pas envie de devenir quelqu'un de bavard, mais j'allais au moins ne plus jouer au moine.
- Tu n'es pas si mal, lui avais-je dit dans un Anglais impeccable.
À partir de ce moment, j'ai commencé à m'ouvrir un peu plus. Je me suis donné comme devise de toujours penser aux autres avant mon propre bonheur. Ce moment coïncidence à peu près avec mon renouement avec le système scolaire et ma rencontre avec Kahina. Après avoir passé des mois enfermé dans ma forteresse, a avoir l'école à la maison, il était temps que je renoue avec la civilisation. Il n'y en a pas eu de facile. Par ma réticence au mode de vie américain et sa superficialité, je ne me faisais pas beaucoup d'amis, mais avec Kahina, c'était différent. On pouvait dire que c'était la première amie que je me faisais de toute ma vie, car avant, ça ne comptait pas vraiment. Avec elle, même si j'avais toujours mes problèmes dans un recoin de mon esprit, je semblais tout oublié. On s'entendait tellement bien. On avait des intérêts communs et bon, contrairement à bien des camarades de classe, elle ne me jugeait pas. Il s'est ensuite avéré que Kahina soit plus qu'une amie. Eh oui! Première petite amie à l'âge de 8 ans presque 9. C'est assez étrange et un cadeau inespéré après tant de souffrance. C'était un amour naïf, simple et vrai. Je suis quelqu'un d'assez intense dans mes relations et je crois que je l'ai vraiment été, même à un si jeune âge. J'adorais Kahina. J'aimais passer du temps avec elle ou lui donner un bec sur la joue. C'était ma meilleure amie, ma petite amie et ma confidente. Je n'avais pas besoin d'autre chose. Toutefois, rien ne dure. Deux ans plus tard, elle changea vite son fusil d'épaule et un mec plus vieux et plus intéressant fit son apparition. Soudainement, je n'étais plus aussi important. J'ai eu beau tenté de la convaincre que le bonheur était dans mes bras, même aussi jeune, mais mes arguments ne semblaient pas faire le poids contre l'amour aveugle qu'elle lui dédiait. Cela m'a énormément blessé, car non seulement j'étais en train de perdre ma petite amie, mais ma meilleure amie semblait en même temps se désintéresser de ma compagnie. Ayant vécu assez d'abandon de la sorte, j'ai décidé de prendre les devants et de couper moi-même nos liens pour éviter qu'elle le fasse et que j'en souffre. Un peu plus tard, j'ai essayé de la remplacer par une fille prénommée Michelle, mais bon, ça ne collait pas entre nous. Puis, j'ai décidé que je me tiendrais loin des filles pour un moment, mais aussi loin du monde en général.
La suite de mon adolescence fut très noire. Les démons que j'avais réussis à apaiser en la présence de Kahina ressurgissaient. Mon côté solitaire s'accentuait et je passais des heures dans ma chambre à lire ou à faire des pompes. Avec Grace et George, au moins, tout allait bien. Je passais énormément de temps avec mes parents soit dans des voyages ou dans des activités père/fils ou mère/fils. Ils m'apprenaient tant sur la vie. Ils ont vraiment fait du mieux qu'ils pouvaient pour être présent pour moi. Et même, ils respectaient mon intimité et mon besoin de solitude. Je n'aurais pu demandé mieux comme parent adoptif. Ils m'aimaient comme s'ils m'avaient conçu. Ils étaient pas mal les seules personnes à l'époque qui me considéraient comme normale et exceptionnelle. Au lycée, tout le monde me prenait pour un fou, un mec capable de violer une fille sur commande. Parce que personne ne pouvait déchiffrer mes pensées et que je parlais très peu, on me pensait capable des pires crimes. D'ailleurs, je n'étais pas comme tous les mecs de mon âge: je ne cherchais pas la moindre occasion pour sortir et aller faire la fête. C'était même plutôt le contraire. De plus, comme on en savait très peu sur moi, cela entretenait encore plus le mystère et, par le fait même, aidait à propager n'importe quel mensonge sur mon compte. Pourtant, je m'en fichais. Je savais que je n'avais besoin de personne pour me dire qui j'étais. J'avais vraiment hâte de quitté Hawaï: si ce n'était de mes parents, je serais parti bien avant cela.¸
Los Angeles
Après avoir gradué, mes parents décidèrent de déménager à Los Angeles puisque c'était l'endroit où se situait mon université. En effet, j'avais décidé d'aller en droit comme mon père sans trop savoir pourquoi. Mon père espérait que je reprenais sa boîte quand il serait plus vieux et moi, n'y voyant pas trop d'objections, j'avais accepté sans trop broncher. Contrairement au lycée et à l'école primaire, je m'étais fait quelques amis à LA. Bon, amis étaient un mot bien fort. Je voulais dire, j'avais trouvé des personnes avec qui m'éclater. La plupart ignoraient tout de moi, mais c'était ce qui me plaisait: je ne voulais pas avoir à partager mon passé avec qui que ce soit. La vie d'université était définitivement faite pour moi: je réussissais mes cours aisément, je jouissais d'une liberté sans pareille, je sortais comme il me le plaisait, etc. C'est aussi à cette période que j'ai commencé à me tapper des filles. Je ne me suis jamais engagé dans une relation sérieuse parce que je n'en avais pas envie. J'avais trop de peurs reliées au passé pour tenter de vouloir y replonger une seconde fois. Bref, en menant une vie comme celle-là, je m'y plaisais, mais je ne me posais pas beaucoup de questions et cela finit par me jouer un tour. Un soir, alors que j'étais dans un club latin - à ma demande - avec des potes de la fac, nous étions en pleine discussion existentielle sur le futur. Plusieurs de mes copains envisageaient de s'installer ici et de trouver une fille, peut-être une bonne à marier. J'avais quelques-uns qui souhaitaient aller vivre ailleurs ou d'autres qui souhaitaient seulement vivre ainsi pour le restant de leur jour. Le futur qui nous semblait avant si loin était au pas de notre porte: dans deux ans, si tout allait bien, j'aurais un travail permanent et il faudrait que je commence à considérer ce que je voulais dans la vie.
- Hey Dom, me lança un de mes amis, que comptes-tu faire à la sortie de la fac?
Je n'avais que 20 ans à cette époque et je me suis posé la question: est-ce que je veux vraiment suivre les traces de mon père? Est-ce que je veux vraiment être avocat? Qu'est-ce que moi je veux vraiment? À sa question, je n'ai su quoi répondre. Je n'y avais jamais franchement réfléchi jusqu'à cette soirée. Pendant toute la nuit de cette soirée, des questions me sondèrent de toutes parts. Le lendemain matin, après une nuit de tourments, j'avais enfin réussi à trouver une partie de la réponse: je ne voulais pas suivre les traces de mon père. Je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire précisément, mais tout ce que je savais c'est que j'avais besoin de temps pour y penser et que la fac n'était pas un bon endroit pour y réfléchir. Donc, dans la même période de temps, j'annonçais à mes parents la décision que j'avais prise de quitter l'université et de prendre une année sabbatique pour mijoter sur mon avenir, sur ce que j'étais, en fait, sur bien des choses. Mes parents accueillirent la nouvelle sans trop broncher. Je leur en étais reconnaissant. J'avais besoin de ce temps. PARTIE III: DOMENICOSan Francisco
Ma desination pour cette quête personnelle s'avéra être San Francisco. Je ne l'avais pas choisi pour des raisons particulières outre le fait que c'était une grosse ville et qu'elle était relativement proche de Los Angeles, là où vivait mes parents. J'ai commencé à travailler comme jardinier et je gagne relativement bien ma vie. Ce n'est pas beaucoup d'argen, mais sufisamment pour un jeune homme célibataire de 21 ans comme moi. J'ai fait quelques rencontres et quelques retrouvailles. Je ne sais pas trop quoi espéré trouver ici. Ma seule attente, c'est peut-être d'arriver à déterminer ce que je veux et qui est véritablement Domenico.
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