Entre rêve et réalité, ma mémoire se ruait, vers cette époque, pourtant pas si lointaine. Vers cette obsession maladive, cette vie oisive, mêlée entre peine et désir, d'être chagriné, mais sans cesse inspiré. Elle a pu, sans le savoir, raviver ce qui semblait être éteint, condamné. Cette chevelure, ce regard, cette petite étincelle, ce rire, la plus belle copie que je puisse avoir de ce spectre qui me tourmente encore.

Je la retrouvais, par moment, dans ce magasin, seul lieu où je me permettais de distraire mes prunelles, retrouvant un semblant de réconfort, me noyant joyeusement dans mon passé. Son prénom était un mystère, son travail, sa vie, autant de questions sans réponses. Je n'avais pas besoin de réponses. Ce flou semblait agiter mon imaginaire, le titiller, me permettant de créer, d'être inspiré, de me sentir en vie. Mon regard croisa soudainement le sien, un regard que je n'ai pas su soutenir, un regard que j'ai fuis, avant de m'éloigner.

J'étais désormais diplômée à mon plus grand bonheur. Je pouvais profiter de ces trois gros mois de vacances avant de repartir à l'attaque. Nouvelle école, nouveau programme, nouvelle élite. Je rentrais prochainement à l'académie des pilotes de lignes. J'étais aussi excitée qu'une enfant la veille de Noël, comme également terrorisée. J'allais me retrouver entourée de jeune hommes et j'allais devoir travailler plus que d'habitude: me faire une place digne de ce nom en tant que femme. Néanmoins, avant de penser à tout ça sérieusement, j'avais le temps de flâner et  profiter des beaux jours. Mon père se mariait dans un mois avec sa nouvelle femme - avec qui je vivais depuis un long moment maintenant et j'étais à la recherche de bijoux, accessoires et bien sûr sous-vêtements qui iraient avec ma robe.

J'étais entrée dans un magasin que j'appréciais et étais partie directement dans la partie lingerie. Evidemment, lui était également présent. J'ai regardé en coin pour l'observer discrètement. Ce type, je ne le connaissais pas et pourtant j'étais persuadée qu'il fréquentait les mêmes endroits que moi ou alors il s'amusait à me suivre. La deuxième option était peut-être un peu folle et sûrement paranoïaque. Cependant complètement fausse, non. Quand, j'ai croisé son regard il s'est dépêché de baisser les yeux avant de partir plus loin. J'ai souri, il avait l'air timide c'était mignon. Comment craindre à un homme timide qui vous suit ? S'il voulait mon numéro, il l'aurait déjà fait, comme les autres mecs. J'ai attrapé deux petites culottes et suis partie vers l'inconnu. L'occasion pour que je l'aborde se présentait juste sous mon nez ! A grandes enjambées, j'ai fini par le rejoindre. « J'aimerais avoir votre avis. Laquelle me va mieux au teint ? » J'ai alors levé une culotte en dentelle de chaque côté de mon visage, une rose et une bleu pâle. J'étais mauvaise, s'il était timide ça n'allait pas l'aider. J'ai eu un petit sourire en coin avant de baisser les deux sous-vêtements. J'ai osé: « Vous m'espionnez ? »

La regarder, la contempler, était un rituel. L'interrompre serait un crime. Pourtant, c'est bien ce qu'elle venait de faire. J'étais plongé dans mes rêveries, peinant à mémoriser ces captures d'elle, ce parfum enivrant. Un parfum? étais-je si proche d'elle? « J'aimerais avoir votre avis. Laquelle me va mieux au teint ? » Un fin sourire vint se dessiner sans que je ne le contrôle. Cette divine créature, avec... des culottes? Un sourcil arqué, je finis par porter une brève attention à ces deux sous-vêtements en face de moi. Confus, je passais une main dans mes cheveux avant de repérer un tanga en dentelle bleu sarcelle. Mes mains se posèrent sur cet article avant de s'arrêter net face à cette question. « Vous m'espionnez ? » Un raclement de gorge, le regard fuyant, échappant à ses yeux. Je finis par lui tendre le sous-vêtement que j'ai choisi, tentant de garder un semblant de neutralité dans mon expression. « Ce bleu vous irait encore mieux au teint. »

Faisant un pas en arrière, converser avec ce mirage me semblait effrayant. Plongé dans ma confusion, je soupirai, le regard toujours baissé avant de m'adresser à elle une nouvelle fois. « Je ne vous espionne pas, je me ressource. »