Une fois n'est pas coutume, je voulais sortir de chez moi, changer un peu d'air. Non, en fait je fais ca tout le temps. Mais cette fois, ce n'est pas pour écumer les bars pour me foutre le cerveau à l'envers, ni pour aller voir mon dealer habituel. J'avais simplement envie de dessiner en plein air, juste pour le kiff. Dessiner des gens heureux, malheureux, des amoureux, des minots pas encore soucieux. Inconscients de la réalité de la vie, des responsabilités que la vie nous incombe une fois qu'on passe à l'âge adulte. Ils ont de la chance, j'aimerai bien revenir à cette époque de ma vie, ne pas connaître la mort, la déchéance, la violence, vivre dans la peur perpétuelle de se foirer, d'être sans avenir, encore perchée de la veille. Mais c'est trop tard pour revenir en arrière, et de cela j'en garde un goût amer.
J'me suis postée à plusieurs endroits. D'abord à la terrasse d'un café, à croquer les petits vieux qui discutaient du beau et mauvais temps, des temps anciens, les temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, disaient-ils. Puis sur la plage, où des enfants riaient, sautaient dans l'eau, sur le sable, jouant une balle au pied. Chaque coup de crayon était une étape dans la finalité, qui marquait bien le mouvement de chacun, comme un work in progress dans une même oeuvre qui restera toujours incomplète. Puis finalement, le gré du vent me portait vers le Golden Gate Park, avant même de retourner chez moi. Il se pouvait que j'trouve finalement ce petit couple d'adolescents heureux qui manquait au tableau que je m'étais dressé en quittant mon appartement, plus tôt. Si jamais je ne le trouve pas, je m'en tiendrais à une nature morte, surement.
Je me suis baladée, longuement dans les allées du parc, à la recherche de mon Graal artistique, sans le trouver. Cependant, face à moi, au loin, se trouvait une chevelure blonde que j'connaissais que trop bien depuis mes jeunes années. Les soirées bourgeoises où j'me devais d'être présente, la petite gamine blonde espiègle et pourtant bien à l'image de la bourgeoisie qui m'a trop longtemps collée à la peau, avant ma presque émancipation sociale. Isaure, ma protégée ? Sérieusement ? Non, c'est pas possible. Je marchais d'un pas un peu plus pressé pour m'en assurer, avant de ralentir à nouveau, m'arrêtant finalement alors qu'elle s'approchait encore.
- On dit plus bonjour aux vieilles connaissances ?
Je me baladais dans le parc, la tête dans les étoiles. Je ne faisais que penser à tout et à rien et j’en avais marre de tourner en rond dans ma grande villa. Ma mère invitait pas mal de futures Miss pour les entraîner au concours de Miss Californie, étant donnée qu’elle a été elle-même miss il y’a 20 ans. C’était fatiguant de voir ses filles, elles étaient stupides les pauvres. Qu’elles se taisent un peu et qu’elles fassent ainsi diffuser la paix dans le monde, certaines ont même des voix agaçantes que ça m’hérisse les poils sur les bras. Bref.
Aujourd’hui il faisait un temps fabuleux, le soleil de Californie un pur bonheur. J’avais besoin de voir cette verdure et de me poser tranquillement sur un banc pour lire du Baudelaire et m’évader dans son monde. Je cherchais tant bien que mal un banc de livre et vu temps c’était quasiment mission impossible. Hélas pour moi. Je regardais tout autour de moi et rien a signalé. Je voyais pleins de couples surtout et étrangement ça me faisait un léger pincement au cœur. Pourquoi ? J’étais bien célibataire et je n’avais aucuns garçons en tête. Mais j’avais encore la conversation Facebook d’hier soir en tête avec Saul sur ce qu’était le réel amour. Il m’avait fait réaliser que mes 2 ans de relation avec Yoan au lycée n’était aucunement de l’amour. Pas le vrai, le pur. Mais qu’est-ce que c’était donc réellement ?
J’étais tellement concentrée sur mes recherches d’un banc, car je me refusais de m’assoir dans l’herbe qu’une voix semblait s’adresser à moi. Je m’arrêtais soudainement, je fronçais les sourcils, je regardais cette personne de bas en haut d’un air… Dégoûté ou presque. Qui était-ce ? Je la fixais dans le blanc des yeux et là je tiltais.
- Ga…. Gayle ?
Là je fis les gros yeux et je recommençais de la regarder de bas en haut, c’était quoi tous ces tatouages ?? Me demandais-je d’un air blasé dans ma tête.
- Tu… As changé.
La façon dont je lui dis voulait tout dire à mon avis, elle me connaissait, elle savait que je n’étais pas fan de cet art et que ce genre d’excentricité n’était pas du tout mon délire. Dans tout cela, j’en oubliais carrément de lui dire bonjour.
J'ai longtemps détesté qu'on me remarque en tant que fille de monsieur Blackstone, la petite fille sage qui disait oui à tout, malgré sa moue enfantine qui ne désirait pas faire tout ce qu'on lui demandait. Quand mon père a épousé Sandy, sa pétasse peroxydée aux nichons refaits par l'argent familial, j'étais vraiment pas pour. Mais allez donc dire à des adultes que vous ne voulez pas de cette union intéressée, alors que vous êtes qu'une gamine insignifiante. On vous ri au nez, tout simplement. Alors je n'ai rien dit au sujet de cette union, sans réellement l'apprécier et en pensant qu'il n'y avait pas d'amour dans cette union. Je le pense encore, mais bon, Sandy me déteste, je la déteste, ca n'aide surement pas au bordel, en plus du fichu traumatisme de la robe absolument hideuse qu'elle m'a fait porter ce jour là. Rien que d'y penser, j'ai des frissons.
En quinze ans, j'ai changé, j'ai évolué. Pas aussi bien que tout le monde pouvait l'imaginer, c'est vrai. Personne ne pensait que j'allais devenir une femme rebelle, pleine de tatouages, excentrique, fêtarde, délurée, lesbienne et tout ce que je suis à ce jour. Je me rappelle encore de quand j'étais jeune et innocente, du moins presque. Sans tatouages, sans rien qui disait que j'allais changer de trajectoire dès lors que j'allais atteindre l'âge de la majorité. J'ai commencé mes tatouages à 18 ou 19 ans, j'sais plus vraiment. D'abord un, pas trop voyant aux yeux du monde puisqu'il était et est encore sur ma cuisse, le portrait de Ludwig Van Beethoven, mon dieu. Puis les autres sont arrivés petit à petit, alors que je fuyais cette bourgeoisie et ces soirées trop...trop snob, trop pas à mon image. Aujourd'hui, mon corps est une oeuvre d'art, qui se complète à coup d'aiguille encrée.
Je ne m'attendais pas à revoir Isaure après tout ce temps. Nos pères s'étaient violent pris le bec il y a quelques années et Isaure, fille de ses parents, a préféré couper les ponts avec moi par la même occasion. Je n'avais pas réellement compris pourquoi elle se mettait dans des histoires d'adultes alors qu'elle était encore trop jeune pour comprendre ces histoires, et pourquoi je devais également prendre après toutes ces soirées où j'm'occupais d'elle. Soit. Elle était visiblement choquée de me voir, vu la façon dont mon nom a eu du mal à sortir de sa bouche. Un léger rictus se profilait sur mes lèvres à ce moment là.
- C'est gentil d'me reconnaître, Isaure.
Elle me scrutait comme si elle voyait une personne qui revenait d'entre les morts. Mais pas très heureuse de mon changement. On ne peut pas plaire à tout le monde, alors j'm'en fiche un peu. Je ne vais pas subir des interventions au laser pour retirer tous mes tatouages pour son confort personnel, c'est mort.
- Bonjour à toi aussi, ca fait plaisir de te voir. Et t'as grandi depuis la dernière fois qu'on s'est vues.
Elle a pas spécialement changé. Elle semble toujours autant détester les tatouages et tout mon univers. Elle va devoir faire avec, parce qu'on ne manque pas de tatoués à San Francisco, ca c'est sur.
Elle semblait si naturelle si... Je ne sais pas. Je la regardais de bas en haut avec de gros yeux. Tant de tatouages, je ne savais plus quoi penser. Elle était si gentille, intelligente, parfaite à mes yeux, une grande soeur et là... Tant d'encres. J'avais encore ma mère en tête. "Les gens tatoués sont des imbéciles, des gros cas sociaux qui aiment souffrir volontairement, ils sont des pauvres bêtes." Elle me faisait à chaque fois ce genre de remarques à chaque tatouages qu'elle voyait dans la rue.
J'étais bouche-bée ouais, sans voix, je l'écoutais sans l'écouter, j'étais tellement... Surprise.
- Je euh... oui j'aime toujours lire...
Répondis-je difficilement à sa dernière question. Elle avait l'air de s'inquiéter pour moi, de se rappeler de tas de choses... Après tout elle a été importante dans ma vie, elle me gardait lors des bals ou des réunions organisées par nos deux pères.
- Et toi tu as... Changé...
Je me répétais bêtement, j'avais l'air d'une attardée mentale à mon avis, ça devait être drôle à voir.
- Depuis quand tu as tout... tout ça? Je savais que tu dessinais mais je ne savais pas que tu étais le monde du... du tatouage.
Je regardais ses bras, il y avait tellement de choses que j'avais du mal à tout dissocier.
- Tes parents n'ont rien dit ?
Bah ouais... Moi mes parents me tueraient si j'avais un simple petit coeur de 2cm sur 2cm, alors si j'étais comme Gayle à présent, ils mettraient fin à leur propre vie en croyant avoir tout raté à mon humble avis.
J'étais tellement perturbée par les tatouages de Gayle que j'en oubliais mon but premier de ma venue ici: lire en paix, me reposer. Je ne pouvais quand même pas ignorer Gayle désormais, ça serait mal poli, une part de moi voulait savoir ce qu'elle devenait mais une autre part me disait "imagine si tes parents te voient, ils te tueront." Mais ils ne me verront pas, exact? Non, non, je suis seule avec Gayle ici, ce n'est pas un crime, je n'irais pas en prison pour ça, je ne fais rien de mal... Oui, c'est ça.
- Excuse moi tu dois me trouver.... stupide de te regarder comme ça.
J'ai une sainte horreur de ces bourgeois qui se croient tout permis, qui pensent connaître la différence entre le bien et le mal, qui pensent même avoir la science infuse sous prétexte qu'ils ont misé gros sur leur apprentissage et sur l'apprentissage étriqué de leurs progénitures. En somme, je me suis mise à détester les parents d'Isaure, connaissant à peu près la raison pour laquelle nos pères se sont "séparés" socialement. J'ai appris avec l'âge que l'habit ne fait pas le moine, et que l'argent n'est pas preuve d'intelligence, car beaucoup de gens embourgeoisés sont cons comme leurs pieds et ont fait fortune sur un coup de chance, ou simplement parce qu'ils sont malins et pourris jusqu'à la moelle, pour un peu qu'on puisse passer l'éponge sur quelques malversations. Des pions du gouvernement qui ont eu le cul bordé de nouilles, qui sont nés dans un tas de merde et qui ne se sentent plus pisser dès que chaque mois, ils touchent un salaire avec quatre ou cinq zéro derrière le chiffre premier. Il n'y a ni bien, ni mal. Seuls des avis divergents selon la façon dont on vit sa vie et selon les préceptes inculqués dans l'enfance. Mais ca, beaucoup l'oublient.
Je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche, mais ce n'était pas pour autant que la vie m'a épargnée de ses coups de pute. Ouais, ma famille est fortunée, et pourtant, j'ai pas ma vraie mère avec moi, j'peux pas la serrer dans mes bras, j'peux juste regarder ce portrait figé sur une photo et sur ma peau, ornée de ses ailes d'ange et au creux de moi, sur une partie de mon flanc. Quand j'étais petite, avant qu'elle ne meurt, elle m'avait promis qu'elle serait toujours près de moi. Elle avait faillit à sa promesse, mais je ne lui en ait pas tenu rigueur étant donné qu'elle n'a pas fuit et qu'elle ne voulait pas mourir. Ce n'était pas sa faute, alors je lui ai rendu hommage. Personne ne peut connaître la raison de tous ces tatouages, et les expliquer un par un serait bien trop long, et toujours aussi incompréhensible pour certains, à l'esprit trop étroit.
- Les gens changent, c'est le cours de la vie. Et ca fait bien...cinq ans, voire six que j'ai commencé à m'faire tatouer. Et non, mon père n'a rien dit, et ma belle-mère n'a rien à me dire.
J'pouvais sembler froide à balancer ca de but en blanc, mais comment répondre à cela ? J'suis libre de mes faits et gestes depuis l'âge de vingt ans, j'ai vécu mes propres expériences, j'ai tiré des leçons de mes erreurs et m'sentir observée de cette façon, ca me stresse un peu. J'me sens comme un animal de foire.
- J'sais que t'es pas stupide. T'es juste...fermée comme une huître à ce sujet, comme tes parents.
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