J'arrêtai pas de faire les cents pas dans le salon de mon appart. La main sur mon ventre encore plat, je faisais des allers et retours. Je flippais. Je flippais grave pour la première fois de ma vie. J'avais encore les mots de Gaïa dans ma tête "meurtre, meurtre, meurtre". Je préférai nettement accomplir une mission pour mon gang où il fallait buter quelqu'un que d'aller à ce foutu hôpital me faire aspirer le foetus. Coup de klaxon. Je regarde par la fenêtre, la bagnole de Caleb est en bas. Je souffle un coup, j'attrape mon sac puis je le rejoins. Je rentre en silence du côté passager, ne mettant même pas ma ceinture. Je fixe droit devant moi, j'ai le visage fermé, j'essaye au maximum de retirer toutes ces putains d'émotions que je ressens à l'intérieur de moi. J'ai juste envie qu'il démarre, et qu'on en finisse.

Ca y est, c'était le jour J, le 1er juillet. Elektra devait aller se faire avorter. Rien qu'à y penser, ça me donnait des frissons. J'aurais vraiment voulu qu'elle évite ça et qu'elle n'ait jamais à devoir avorter, cependant, ça nous était tombé dessus. Et il s'agissait de mon enfant aussi... Chaud. Garé devant sa maison, je klaxonne, signalant ma présence. Assez rapidement, elle me rejoignis dans la voiture, s'installant sans dire un mot. Avant de démarrer, je la regarde puis lui lance « Ta ceinture s'il te plait. » Je préférais ne pas évoquer pour le moment ce qui allait suivre, histoire de ne pas trop l'embêter, car je sentais son stress, sa panique. C'était normal après tout. Je démarre ensuite et roule jusqu'à l'hôpital. Au bout de quelques minutes, je me décide à rompre le silence pesant. « On en aura bientôt fini, ne t'en fais pas. Ca passera plus vite que tu ne le penses. » J'essayais de la rassurer, c'était mon job après tout, je ne comptais pas la laisser seule dans cette merde.

Ta ceinture s'il te plait. Je souffle, agacée, puis je mets ma ceinture, continuant de regarder en face de moi. Je l'obéis pas. Je fais juste ça pour qu'il ne me fasse pas plus chier. Il démarre et je continue à fixer devant moi. La route défile. Plus le temps avance, plus je sens mon ventre se contracter. Instinctivement, je pose une main dessus, essayant de me concentrer sur ma respiration. On en aura bientôt fini, ne t'en fais pas. Ca passera plus vite que tu ne le penses. Ma mâchoire se crispe. Je ne le regarde toujours pas. On ? C'est moi qui vais me faire aspirer le fœtus. Pas toi. Je lâche, en tournant ma tête de l'autre côté, ne voulant pas le regarder.

Je m'attendais bien à ce qu'elle soit de mauvaise humeur. Sa réponse se voulait sèche, tranchante. Je ris légèrement et rétorquai « Ouais "on", parce qu'il s'agit de notre enfant, qu'on l'a fait ensemble et que je suis là pour t'accompagner. Donc, ça me concerne et me touche aussi. Alors arrête de m'attaquer inutilement. Tu as le droit de te détendre là, personne ne t'attaquera. » Je lui jetai un regard à la fin de ma phrase puis je reposais mes yeux sur la route. Encore une quinzaine de minutes normalement, à cause de ces putains de feux.

Je continue de regarder la route défiler. Je pourrais me mordre les ongles tellement le stress était en train de me gagner. Putain. Et ça me rendait encore plus folle d'être dans cet état. Ouais "on", parce qu'il s'agit de notre enfant, qu'on l'a fait ensemble et que je suis là pour t'accompagner. Donc, ça me concerne et me touche aussi. Alors arrête de m'attaquer inutilement. Tu as le droit de te détendre là, personne ne t'attaquera. Je souffle, exaspérée. Alors que ma main fait des petits allers retours sur mon ventre plat mais habité par un petit être. Je peux pas me détendre. Je réplique simplement, ne voulant toujours pas croiser son regard.

Bon, elle n'était effectivement pas décidée à se relaxer. Je la comprenais en même temps. Je ne disais alors rien. J'attendais, continuant à rouler. Une fois arrivés sur le parking de l'hôpital, puis m'être garé à une place, je coupai le moteur. Encore dans la voiture, je respirai un grand coup. Ne regardant pas la jeune femme, je dis sincèrement « Je suis désolé. Que tu doives subir ça. »

On arrive. Enfin ou pas enfin. J'aurai aimé retarder la chose. Mais la retarder ne servait à rien. J'allais devoir le faire de toute façon. Je continue de regarder les voitures garées qui défilent. Jusqu'à que Caleb se gare à son tour. Je suis désolé. Que tu doives subir ça. Il a l'air sincère. Je reste silencieuse. Je me retiens. Ouais, de pas craquer. Pas devant lui. Il ne m'avait même pas vue craquer quand il avait rompu avec moi. Alors j'allais pas le faire maintenant. Je reste silencieuse, je détache ma ceinture puis je sors de la voiture sans répondre. Direction l'accueil de l'hôpital.

Aucune réponse. Elle se tait, ne me regarde pas. Elle détache sa ceinture puis sort de la voiture tout simplement. Je fais de même et ensemble, on se dirige vers l'accueil de l'hôpital. Ca faisait bizarre de marcher et me tenir à ses côtés sans lui prendre la main, comme auparavant. Une fois à l'intérieur, avant d'arriver à l'accueil, je lui souffle quelques mots « Tu as pris la bonne décision. N'aie pas de regret. Et ça va bien se passer. Je te laisse pas. Pas cette fois. » A nouveau, j'étais sincère. J'étais également stressé pour elle, alors j'essayais de la rassurer au maximum, ainsi, je me rassurais également.

On marche. Chaque pas me rapproche de cette fatalité. J'étais obligée. Je ne serai pas une bonne mère. Je ne le serai jamais. Comment je pouvais l'être alors que la mienne m'avait lâchée à la naissance. C'était limite un cadeau que je faisais à ce gosse. On rentre dans l'enceinte, près de l'accueil. Je sens Caleb s'approcher un peu pour me dire quelques mots, Tu as pris la bonne décision. N'aie pas de regret. Et ça va bien se passer. Je te laisse pas. Pas cette fois. Je tourne ma tête, pour la première fois pour le regarder dans les yeux. Ses yeux que je n'ai pas croisé depuis la dernière fois. Puis je me tourne vers l'accueil pour annoncer à l'infirmière mon identité et mon rendez vous. Elle termine par faire des papiers, puis nous amener dans une chambre, déposant une chemise bleue d'hôpital. Elle dit qu'elle reviendra après. Je fixe la chemise. Si t'étais encore avec moi, t'aurai voulu le garder ?

Le stress s'emparait de moi aussi. Je ne pensais jamais avoir à accompagner une jeune femme à avorter. Je ne savais pas à quoi ressembler ce genre de processus, je savais juste que ça devait être assez douloureux. Et je m'inquiétais pour Lektra. J'avais pas envie qu'elle ait mal, qu'elle souffre. Surtout que je me sentais responsable quoi. Je la suivais en direction d'une chambre où elle devait se changer et se vêtir d'une tenue spéciale "patient". Ca faisait bizarre. Elle s'adresse enfin à moi pour me demander si j'avais voulu garder l'enfant si j'étais encore en couple avec elle. Je me pose sur une chaise à côté de la fenêtre, tournée vers le lit. Je réfléchis à sa question durant quelques secondes. Je savais que je n'étais pas encore prêt à être papa. Cependant, si j'étais bien avec Lektra et qu'elle avait envie de le garder, j'aurais cédé. Pas par contrainte, non, mais parce que l'idée m'aurait séduit aussi, au bout d'un certain temps. J'en aurais été convaincu et ça m'aurait sans doute plu. Mais finalement, ce n'était pas le cas, car nous étions maintenant séparé. « Je pense que oui. » Je la fixe sans rien ajouter.

Je sais pas si sa réponse allait vraiment m'apporter quelque chose. Mais j'étais curieuse de savoir. De toute façon, j'allais avorter, j'allais faire sortir ce truc de mon ventre et on en reparlerait plus jamais. J'appréhendai le "après" aussi. Allez savoir pourquoi. J'avais toujours été la fille forte. Mais avec ce qui se passait en ce moment, j'avais l'impression de devenir faible. Et ça aussi ça me faisait flipper. J'aimais pas ça. Alors que mes doigts triturent le tissu de la chemise d'hôpital, j'observe Caleb s'assoir sur la chaise en face. Je pense que oui. Je maintiens mon regard sur lui, alors qu'on se regarde un moment, avant que je baisse les yeux sur le lit, prenant la chemise, puis disparaissant dans la salle de bain. Je me déshabille lentement. Puis je l'enfile. C'est tellement con ce truc, on voit toujours les fesses. Mais je laisse ma culotte, pour l'instant. J'en ressors, à moitié à poil. Ce truc dévoile presque tout. De toute façon, Caleb connait mon anatomie. Je me glisse dans le lit en silence, après avoir laissé mes affaires de côté. La porte s'ouvre, l'infirmière revient et me donne un cachet pour décompresser. Elle le laisse sur la table, avec un verre d'eau, et me dit qu'ils viendront me chercher dans pas longtemps. Elle sort puis je fixe le cachet, sans le prendre. Restant toujours silencieuse.

Quelle drôle de situation. Je me retrouvais avec mon ex à l'hôpital pour qu'elle avorte de notre enfant. J'aurais souhaité ne jamais en arriver là, surtout pour elle. La malheureuse allait subir une interruption volontaire de grossesse, sans avoir eu d'autre choix que cette solution. Elle m'avait justement demandé si j'avais voulu le garder si elle et moi étions encore en couple. J'avais répondu que c'était probable que oui. Elle ne dit rien. Elle s'en va simplement dans la salle de bain pour enfiler la chemise. Elle en ressort quelques minutes après. Calmement, elle rejoint le lit, sans dire un mot. Je l'observe attentivement. Elle semblait si effrayée, malheureuse. Ca me fendait presque le coeur de la voir dans cet état. Une infirmière rentre pour lui laisser un cachet à prendre et s'en va. Lektra reste immobile, elle attend. « Prends-le, ça te fera du bien. » Et plus je la regardais, plus je me sentais mal. Elle n'avait pas l'air bien du tout... Je décidai alors de me lever pour aller m'assoir sur le lit, juste à côté d'elle. Je pris sa main pour la mettre dans la mienne et lui dis doucement « Tu es forte Elektra. Tu vas y arriver. Tu es coriace, ça se passera bien. » J'attendis un instant puis la pris dans mes bras et déposai un baiser sur sa tête. « Et je ne te laisse pas toute seule ma belle. »

Je continue de fixer le cachet. J'essaye de vider mon esprit. Mais je n'y arrive pas. Je n'arrête pas de m'imaginer pleins de trucs, trop de trucs. Je ne sais même pas à quoi m'attendre avec tout ça. On a eu beau m'expliquer comment ça allait se passer, je me faisais des films. Puis j'avais eu des cauchemars. J'y avais cru voir mon gosse mort. Des complications. Bref, des trucs qui me faisaient bien chier. Prends-le, ça te fera du bien. Je ne tourne pas mon regard sur lui. Je déglutis, puis je termine par prendre le cachet avec un peu d'eau. Je repose le verre, voyant Caleb bouger, je tourne mes yeux vers lui, le voyant s'installer à mes côtés. Mon regard se baisse sur sa main qui prend la mienne. J'aurai pu avoir un mouvement de recul face à ça. Mais je regarde juste nos mains liées, ne serrant pas tellement la sienne. Tu es forte Elektra. Tu vas y arriver. Tu es coriace, ça se passera bien. Je ne disais toujours rien. A ma grande surprise, il s'approcha pour me prendre dans ses bras. Je restais stoïque. J'aurai pu encore le repousser. Mais j'en avais besoin. En tout cas là, à ce moment. Mon corps réclamait de l'attention. Je ne pouvais pas être seule pour ce genre de truc. Et il était là. Je sens ses lèvres sur ma tête, alors que je croise son regard quand il se détache un peu, Et je ne te laisse pas toute seule ma belle. C'est tellement con que je pense ça, mais je venais de repenser à nous deux. Pourtant je devrais pas. Alors que je continue de le regarder, toujours silencieuse, la porte s'ouvre à nouveau sur deux hommes. Ils annoncent qu'ils viennent me chercher pour l'intervention. Ils commencent à prendre tout le nécessaire, et je ne lâche pas la main de Caleb. Je n'ai pas envie d'y aller. Désolé monsieur, les accompagnants ne sont pas acceptés... mais vous pouvez attendre votre amie ici. Ma gorge se serre, j'en tremblerai presque. J'ai pas envie de lâcher sa main bordel.

Pendant quelques minutes, c'était comme si Elektra et moi étions encore ensemble, en couple, amoureux, heureux. Cette idée était plutôt séduisante, mais plus d'actualité. Pourtant, j'aimais bien ce que l'on vivait à ce moment-là, cette soudaine proximité. Je sentais que dans le fond, elle me manquait quand même. Je m'étais investi dans cette relation et donc forcément, elle avait réussi à obtenir une partie de moi, tout comme j'avais réussi à obtenir une partie d'elle. Elle gardait sa main dans la mienne, signe qu'elle appréciait mon geste. J'espérais que ça lui apporterait un peu de soutien tout de même. Quelques secondes après, deux hommes entrèrent pour prendre Lektra et l'emmener en salle d'opération ou un truc du genre. Ils précisèrent que tout accompagnateur était interdit. Je soupirai mais continuais de tenir la main de la brune. Elle n'avait non plus pas envie de la lâcher. Je la regardais, fronçant légèrement les sourcils et prenant une voix douce, chuchotant presque. « Hé, hé, regarde moi... » Je posais la main qui était libre sur son menton pour pivoter sa tête vers moi afin qu'elle puisse enfin me regarder dans les yeux. « Ca se passera bien, ok ? Je t'attendrai juste en-dehors de la salle. Il n'y aura pas de problème. Je veillerai sur toi. » En effet, je voulais vraiment que tout se passe bien pour elle, je voulais la protéger du mieux que je le pouvais. Or, ce n'était pas le médecin qui allait procéder à l'avortement. Je ne pouvais pas faire grand chose, mis à part être là et tenter de la réconforter.

Putain j'ai pas envie. Merde, j'ai pas envie que ces types viennent et m'emmènent dans une salle pour m'aspirer le foetus. Ouais, j'en tremble. J'suis pas peureuse pourtant, loin de ça, mais ce putain de truc me fout les chocottes. J'ai presque la chair de poule. Et je ne veux pas que Caleb me lâche. Je préférai qu'il vienne avec moi, qu'il me parle tout le long pour que je puisse penser à autre chose. Putain, jamais j'aurai cru que ça allait être aussi dur. J'en peux plus. Je fixe les deux hommes en blanc, plutôt avec un regard noir alors qu'ils y sont pour rien. Mais ils vont faire partit de ceux qui vont m'enlever ce truc de mon ventre. Hé, hé, regarde moi... J'entends la voix lointaine de Caleb résonner dans ma tête. Je me sens obligée de tourner la tête quand il la fait pivoter avec ses doigts. Mes yeux croisent les siens alors qu'une boule se forme dans ma gorge. Une boule de rage. Je pourrai dévaster la chambre à cet instant précis tant tous mes sens sont multipliés. Ca se passera bien, ok ? Je t'attendrai juste en-dehors de la salle. Il n'y aura pas de problème. Je veillerai sur toi. Mes lèvres se pincent. Je serre sa main encore plus fort. Un des mecs s'approche de nous, l'air désolé, Il faut y aller mademoiselle. J'hésite encore un instant, puis je termine par lâcher la main de Caleb à contrecoeur. Les deux types en blanc profitent de cet instant pour détacher le lit et m'emmener avec, sortant de la chambre, y laissant Caleb. Je regarde mes mains, j'ai même pas envie de voir où on m'emmène. Ils me laissent dans un coin un moment, puis reviennent me chercher, me demandant mon identité pour la énième fois. Ce que je leur réplique avec un peu trop d'énervement dans ma voix. Le cachet fait pas effet sur moi putain. Je rentre dans une salle trop blanche encore. Des gens masqués. Je reste allongée alors qu'ils font tout ce qu'ils veulent me faire. Je veux pas... je veux pas.