Arnóra se posa enfin dans le canapé. Elle avait passé la journée à remettre la maison en ordre. Et ouais, c'est pas parce qu'on a un colocataire gay qu'il fait forcément plus propre. Elle n'avait pas envie d'accueillir Oakley dans un taudit, elle serait passée pour quoi ? Déjà que c'est assez compliqué comme ça entre eux...

Les pizzas étaient commandées, elles ne tarderaient pas arriver, tout comme son invité. D'ailleurs, il était temps pour elle de se préparer si elle ne voulait pas le faire fuir. Des dizaines de pensées s'entrechoquaient dans son esprit, c'était habituel lorsqu'il s'agissait de ce garçon. Il la déstabilisait tellement et pourtant, elle retournait inlassablement vers lui. Ca méritait bien une séance de psychanalyse. Elle ignorait quelle était la bonne façon d'agir envers lui. En public, il était de toute façon hors de question qu'elle se montre trop gentille ou trop proche. Cette relation, elle ne la devait pas simplement au jeune tatoué. Evidemment, elle l'avait désirée, elle aussi. Ca l'arrangeait plutôt bien de ne pas s'afficher au bras de quelqu'un. Elle ne résidait ici que depuis un an et elle ne disposait pas vraiment d'assez de temps pour des histoires de couples et tout ce que cela peut occasionner. Elle passait du bon temps avec Oak' en privé et c'était le principal.

On ne va pas le nier, un jour ou l'autre, la jeune femme aurait besoin de bien plus que ça. C'était dans sa nature. Elle était une loveuse invétérée et elle ne pouvait vivre sans tous ces chichis un peu clichés : une rose à la saint-valentin, le dimanche au lit en amoureux, s'attraper la main au bord de la mer. Un jour ou l'autre sa vraie nature se repointerait illico presto, lui gratifiant de la plus grosse claque de tous les temps. Elle l'entendait déjà d'ici, un peu comme une conscience que l'on tente vainement de refouler « Hey ! Regarde ce que j'ai pour toi ! ». Et elle se tiendrait là, face à la tatouée, un coeur en peluche géant entre les doigts et un beau gosse romantique-qu'on ne voit que dans les films-surmonté d'un ruban noué. Quel cadeau !

Comme si tout cela ne suffisait pas, Oak' était du genre exclusif. Il supportait mal de voir la belle se faire charmer ou entrer dans le jeu d'un autre homme. Alors comme définir cette relation secrète... autrement que par "relation secrète"...? Est-ce qu'il s'amusait avec d'autres filles ? Est-ce qu'elle avait le droit de vivre sa vie librement à côté de leurs moments ? No idea. Ce n'était pas dans ses intentions pour l'instant mais comment devait-elle réagir si, un jour, l'occasion se présentait ? Imaginez : grosse soirée, de la bière, de la vodka, ça danse, ça sue... Et là, THE beau gosse de la soirée qui lui fait les yeux doux, qui la baratine un peu à propos de tout ce qu'il aime chez elle sans même la connaître et qui lui propose une petite heure de pause jacuzzi. Que répondre à cela ? « Non merci, j'ai une relation secrète avec un mec qui aime pas trop que j'en séduise d'autres alors tu vois... A la prochaine hein ! ». No way. Arnóra n'était pas du genre à s'en aller avec le premier venu, elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle avait couché avec un mec, mais elle restait une jeune femme séduisante avec certains besoins, disons.... naturels !

Sortie de la douche, elle chassa ses idées farfelues, l'heure était grave : il lui fallait dégoter une tenue. Aaah, le problème de toutes les femmes. La plupart d'entre elles crient au scandale, prétendant n'avoir rien à se mettre... Arnóra se recroquevillait dans un coin, se balançant comme une autiste parce qu'elle en avait trop et qu'elle ne pouvait pas faire de choix concret, de peur de se mettre tous les autres à dos en les délaissant. Trêve de plaisanteries, elle n'avait plus le temps. Un short en jeans ras des fesses et un long débardeur imprimé gris ferait l'affaire. Elle enfila une paire de chaussettes montantes et des baskets. La sonnette retentit. Mystère, le livreur de pizzas ou son invité ?

Ma journée de cours venait de se terminée et contrairement à mon habitude, je n'avais rien prévu pour ce soir, enfin si, mais rien qui ne concerne le travail. Quand je ne suis pas à l'université, c'est sûre et certain que je suis au boulot. Je ne vis que pour cela, rien d'autre ne compte pour moi. J'ai de sacrés projets dont tous ignore l'existence et je le vis bien. Ça ne me manque pas de sortir avec des copains à tous les soirs et faire la fête, du moment que je suis toujours défoncé ça me va et puis j'suis pas le genre de mec super sociable de toute façon, mais pour une fois, j'ai décidé de mon plein gré de mettre mon taff de côté juste pour pouvoir passer un peu de temps avec Arno'. C'est une fille chouette, elle est agréable à regarder et elle kiffe les tatouages. Quand je suis avec elle généralement je passe du bon temps, on ne se prend pas trop la tête, c'est naturel quoi, mais quand y'a des gens autour c'est inévitable, je garde mes distances. Je suis bien en sa compagnie, c'est ça qui me pose le plus  problème dans l'histoire.

Bref, je rentre chez moi histoire de me prendre une douche vite fait, j'vais certainement pas me présenter chez elle avec mon air de plouc habituel et j'en profite pour sortir des fringues que j'ai pas l'habitude de porter. Rien d’extravagant, juste un brin différent. Lorsque je suis finalement prêt, je sors de chez moi et file en direction de chez Arno' à pied, mains dans les poches et la clope au bec. J'aspire quelques lattes puis recrache la fumée accumulée dans mes poumons avant de me perdre complètement dans mes pensées. Tout de suite je me met à penser à ma mère, à mon enculer de père et à ma vie en générale avant que mon inconscient me propulse sur le cas de la belle tatouée. J'aime pas penser à ce genre de chose, j'aime pas penser aux filles en général. Pour moi ce n'est qu'un ramassis de problèmes, une perte de temps rien de moins... Mais Arno' c'est pas pareil. J'suis pas amoureux, je suis juste bien quand je suis avec elle... on peut faire n'importe quoi, jamais je vais l'entendre se plaindre ou me parler de ses milles et une conquêtes puisque la dessus elle me rejoint. Si elle a envie de coucher avec quelqu'un c'est pas moi qui vais lui dire non, ça va me faire chier certes parce qu'elle est l'une des rares filles de cette ville à ne pas se comporter comme une salope et une des seules pour qui j'ai du respect, mais voilà vivre et laisser vivre. C'est pas ma petite amie, elle me doit rien, j'lui doit rien, mais des marie couche toi là, ça m'intéresse pas.

Notre relation est étrange je l'avoue, parfois il m'arrive de me poser des questions à ce sujet, mais quand je commence à me sentir trop près d'elle, je m'éloigne un moment histoire de reprendre le contrôle de mes pensées. Personne n'est au courant de notre bonne entente, je n'ai pas particulièrement envie que la terre entière sache que j'suis capable d'être sympa avec quelqu'un... Donc dans le privé c'est complètement différent qu'en public. J'sais pas ce qu'elle ressent face à cela, mais si ça venait à la déranger, je ne pourrais que la laisser aller. Elle est libre après tout et personnellement, je ne cherche pas spécialement à avoir ce genre de discutions avec elle, ça gâcherait tout.

Après de longues minutes passées à réfléchir et quelques clopes enchaînées les unes après les autres, j'arrive finalement chez mon hôte. Je prends une bonne inspiration et toque doucement à sa porte. D’instinct je fais un pas vers l'arrière et remet mes mains dans mes poches jusqu'à ce qu'elle ouvre. Lorsqu'elle le fais après quelques secondes seulement d'attente, l'ombre d'un sourire s'affiche sur mes lèvres. « Salut. Ça va? » Dis-je simplement, heureux de l'avoir en face de moi. Cette fille est vraiment jolie et parfaitement mon genre physiquement, j'me lasse jamais de la regarder et de contempler ses tatouages. « J'peux entrer? »

- J'peux entrer ?

Ce sourire très fin qu'il lui adressa resserra le coeur de la jeune femme. Et oui, il ne fallait pas le nier, Oakley ne la laissait pas totalement indifférente. Même s'ils passaient le plus clair de leur temps à se bouffer la gueule comme des chiffonniers, ils devaient s'adorer quelque part. Au fond. Très au fond pour lui, en tout cas. Mais Arno' était démonstrative, c'était sa nature et elle ne comptait pas changer pour lui ni pour quiconque d'ailleurs. Pourtant, rien ne la prédéfinissait à être aussi généreuse et affectueuse. Son enfance et son adolescence s'étaient déroulées dans le plus grand néant d'affection que l'on puisse imaginer. La seule personne l'ayant aimée sincèrement avait été son père et il n'était plus de ce monde. Sa mère, elle, n'avait jamais daigné lui  adresser un sourire, un regard plein d'amour, aucun réconfort. Des coups et encore des coups. Lorsqu'on est un enfant innocent, on préfère se faire frapper plutôt que de se faire ignorer. Il vaut mieux une mauvaise attention que pas d'attention du tout. L'ignorance détruit un être. Testé et approuvé. Alors elle se retrouvait pas mal awkward avec toutes ces relations sociales. Surtout ces temps-ci où elle se retrouvait plus exposée que jamais aux yeux du peuple.

Alors qu'elle refermait la porte derrière lui, elle s'approcha ensuite, un large sourire sur le visage. Elle passa un bras autour de sa nuque et embrassa sa joue. Un baiser appuyé et spontané.

- Je suis contente de te voir ! J'ai commandé des pizzas, ça te va ?

En bonne hôte qu'elle était, elle se dirigea instinctivement dans la cuisine, s'emparant de deux verres, lesquels elle posa sur la table. Elle ouvrit le mini-bar et s'arrêta un instant sur les diverses bouteilles d'alcool présentes. Trop de choix tue le choix. C'était une baraque de camés alcoolos. Depuis qu'elle vivait avec Tim, elle aurait été en mesure de devenir alcoolique, de se mettre une cuite tous les jours et de recommencer le lendemain. De plus, le supermarché ne se trouvait qu'à une rue de la leur. Parfois, elle méprisait cette déchéance perpétuelle, cette tentation malsaine qui régnait dans ce coin. Elle haïssait le fait de ne pas être comme tout le monde. Qui possédait autant de bouteilles chez lui, sérieusement ? Le point positif était qu'elle ne se retrouvait jamais à court lorsqu'un invité débarquait à l'improviste.

- Tu veux boire quoi ? Demanda-t-elle en souriant. Je suis la reine des cocktails !

Elle opta finalement pour une vodka red bull. Classique mais efficace. Elle ne serait pas saoule rapidement. Elle tenait plutôt bien ce cocktail. Elle était réellement contente de retrouver Oakley en privé. Ces derniers jours avaient plutôt été chauds entre eux. Des tensions inutiles, des mises au point qui n'aboutiraient probablement jamais mais... Elle revenait inlassablement vers lui. Relation malsaine d'après Tim, substitut de drogue pour elle. Le jour où elle rencontrerait quelqu'un capable de la satisfaire pleinement, elle n'aurait plus à se soucier de tout ça. Et lui trouverait quelqu'un bien rapidement aussi. Ce jour là en revanche, ce serait plus compliqué pour gérer la tatoueuse. Elle préféra laisser ces pensées de côté pour ce soir, ils étaient là pour rigoler, passer du bon temps, critiquer de mauvais films et finir un peu pompette à se partager un dernier morceau de pizza.

« J'me lasserai jamais de regarder chacun de tes tatouages. » Dis-je pour moi-même le temps qu'elle ce décide à me laisser entrer chez elle. Il est évident que nous sommes bien différent tous les deux, mais au bout du compte, on se rejoint sur un tas d'autre truc. Elle est en quelque sorte mon opposé sentimental, mais au final on se complète bien. J'suis terre à terre, j'crois pas au grand amour et elle de son côté est une amoureuse inconditionnelle. Ça m'agace par moment je ne peux pas le nier, mais du moment que ça ne me concerne pas, je laisse couler. Bon nos divergences d'opinions à ce sujet à entraîné quelques tensions entre nous, mais je crois que nous avons joué carte sur table cette fois. J'suis pas le mec super qualifié pour expliquer les choses, surtout lorsqu'il s'agit de vie à deux ou de sentiments, mais j'crois bien m'être fait comprendre à présent.

J'entre donc finalement chez elle sans trop m'aventurer dans son appartement, préférant attendre qu'elle me détaille le plan de match qu'elle avait prévu pour ce soir, mais avant tout, la brunette s'avança vers moi et vint déposer un petit baiser imprévu sur ma joue. J'ai horreur de ce genre d'attention, vraiment. Toute marque d'affection me répugne au plus haut point peut importe de qui il provient. J'aime pas avoir l'impression d'être proche de quelqu'un, d'avoir ce genre de familiarité. Quand je laisse ce genre de chose se produire, j'ai l'impression de perdre le contrôle et je déteste ça. « C'était de trop ça. » Grognais-je à son intention lorsqu'elle s'écarta de moi. J'voulais pas trop cassé la joie qu'elle avait de me vois, mais je préférais l'avertir quand même de gardé ce genre de petite surprise pour un autre que moi. « Génial. » Dis-je simplement sur mon ton habituel lorsqu'elle m'annonça qu'elle avait commander des pizzas. Y'a à pas dire, Arno' avait pensé à tout et elle faisait absolument tout dans les règles de l'art.

Lorsqu'elle s'éloigna de moi, je pris l'initiative d'aller m'asseoir sur le canapé et m'empara de la télécommande afin de choisir un truc potable à regarder. « J'boirai ce que t'as à m'offir. » J'allais pas faire un caprice pour un verre de rhum ou un verre de vodka, du moment qui à de l'alcool, moi j'suis heureux. La belle fini par revenir vers moi avec un mélange qu'elle avait spécialement fait pour l'occasion, même si c'est un truc tout con et l'accueilli d'un bras autour de sa taille. Incohérent je sais, je refuse un baiser pour mieux l'enlacer, mais ce n'est pas du tout la même chose, j'veux dire l'étreinte n'a durée que quelques secondes. « T'as prévu quoi comme film? » demandais-je après lui avoir fait une petite place sur le canapé, prenant bien soin de garder mes mains chez moi cette fois pour ne pas lui donner trop d'espoir.