24 mai 2014, 7:30 pm à San Francisco.

J'ai bien mis une éternité avant de me décider de l'appeller.  J'allais le réveiller au beau milieu de la nuit mais il était le seul à pouvoir comprendre. Le seul qui m'apaiserait sans doute. Alors je lance l'appel, tout en marchant dans la rue, les sens en panique.  

La sonnerie de mon téléphone hurle et me réveille simultanément. Je le laisse sonner, hésitant un moment avant d'attraper le cellulaire. Les yeux à moitié ouverts, la luminosité de l'écran agresse mes pupilles. Le prénom de Sierra s'affiche, je fronce les sourcils légèrement avant de répondre. Allo ? Je me redresse légèrement en me frottant un oeil.

Les tonalités retentissent, j'ai peur qu'il ne réponde pas. J'en venais même à commencer par regretter mon appel. Il m'avait bien dit que pouvais le contacter n'importe quand ? Au bout de quelques secondes, il décroche, mon coeur s'emballe. Je suis désolée de te réveiller... Ma voix est triste, mélancolique, pleine de culpabilité.

Je m'éclaircis un peu la voix en l'écoutant s'excuser. Non, non. Arrête. Je t'ai dit que ça me dérangeait pas. Le ton de sa voix m'inquiète. Elle est plus enjouée à l'habitude. Qu'est-ce qu'il se passe ? Tout va bien ? Je me rappelais de notre conversation sur Facebook, où elle me disait qu'elle ne m'appellerait qu'en cas d'urgence.

Le parc municipale n'est pas encore fermé, j'en profite pour y entrer et m'installer sur un banc. Il me rassure alors j'avoue. J'ai merdé. Je passe ma main sur mon visage, me rendant désormais pleinement compte de mon acte. J'ai frappé Julie. Mes yeux commencent à s'embuer et un sanglot s'échappe de ma gorge.

L'idée qu'il lui arrive quelque chose me fait l'effet d'une claque. Je suis bien réveillé à présent, c'est certain et ses paroles ne me rassurent pas. Merdé ? Elle m'annonce ensuite qu'elle s'en ai pris à sa meilleure amie et lâche un sanglot troublé. Mon ventre se tort légèrement. Wow. Ok. Bon, raconte-moi.

Il veut que je lui raconte. Je renifle un peu en séchant mes larmes sur les joues. Julie m'a traîné au centre commercial cet aprem. J'avais consommé avant et une fois là-bas je me suis sentie mal... J'avais l'impression d'étouffer, que le monde était contre moi. Julie me faisait paniquer et elle m'énervait à me parler de toi... Tout s'est passé très vite, j'ai perdu la raison et je lui ai donné un coup de poing. L'idée que je puisse faire mal physiquement un de mes proches me dégoutait. Je me dégoutais. Je suis horrible. J'ajoute alors que des nouvelles larmes me viennent.

Le stress accélère un peu mon rythme cardiaque. Putain, fallait vraiment que ça arrive alors que j'étais à des kilomètres d'elle. Je passe une main sur mon visage en l'écoutant, silencieux et attentif. Tout s'assemble très vite dans mon esprit lorsqu'elle me raconte. Elle est en manque. Elle a déconné, elle s'en veut terriblement. Je soupire par inquiétude. Écoute, tu n'étais pas dans ton état normal. Oui, c'est grave. Oui, c'est stupide mais ce n'était pas toi. Je le sais. Peut-être mieux que personne. Et je ne pense pas que Julie soit idiote. Elle doit en avoir conscience. J'espérais avoir raison. Respire, calme-toi. C'est ta meilleure amie et elle t'aime, quoi qu'il puisse se passer. D'ailleurs, où es-tu ?

Je reste muette, terrorisée. Saul essaye de me rassurer. Ce n'était pas moi mais pourtant c'était bien ma main qui avait fait mal à Julie. Elle ne pouvait pas me pardonner... Je lui avais menti sur la drogue et maintenant je me mettais à l'agresser. Je me sentais tellement mal. J'avais honte. Je ne suis pas totalement convaincue par ce qu'il me dit mais je ne dis rien. Je me lève de mon banc quand le gardien me fait signe de partir. Je sors du parc. Je vais chercher ma voiture. Que j'ai laissé au parking du centre... A une heure à pieds.

Je suis mal à l'aise à l'idée d'être aussi éloigné d'elle à cet instant. Ce n'est pas au téléphone que je devrais être, c'est simplement avec elle. Sierra, tu n'es pas quelqu'un d'horrible. Je le dis sincèrement, elle illuminait mes journées sans s'en rendre compte. Tu es humaine, tu n'es pas parfaite et tu as tes faiblesses comme tout le monde. Je ne sais pas si ça peut te rassurer mais j'ai fait pire que ça. C'est dit de façon lointaine. Avoir failli tuer deux personnes, ça compte. Non ? Tu es partie sans Julie ?

Je commence à marcher sur le trottoir, gardant mon sac contre ma poitrine, le regard sur le sol. Lorsqu'il me dit qu'il a fait pire, je déglutis. Sa phrase raisonne lentement dans ma tête mais je ne dis rien. Habituellement curieuse, je n'en ai pas la foi ce soir-là. Julie je l'ai... Abandonné à l'hôpital.

Son silence ne fait qu'amplifier mon malaise. Cependant, je ne dis rien à ce sujet. J'essayais de trouver un moyen de la rassurer, même si je n'étais clairement pas le plus doué pour ça. Elle voulait t'y emmener, c'est ça ? La situation me paraît confuse. Sierra aussi me paraît confuse.

Elle a appelé les pompiers quand on était encore au magasin. Je soupire longuement. Je me rends d'ailleurs compte que je ne sais pas où je vais. Je lui avais dit non, je ne voulais pas aller à l'hôpital. Elle ne m'a pas écouté ! Je dis en m'énervant à moitié. Je m'arrête à un carrefour. Mon sens d'orientation m'a filé entre les doigts, je suis perdue.

Mes sourcils se fronçaient d'eux-même. Je me sentais tellement con. Sierra, pourquoi tu ne voulais pas aller à l'hôpital ? Mon ton est calme. Étrangement calme comparé à ce que je ressens sur le moment. Je la sens s'énerver, au fur et à mesure. Merde.

Sa question me pétrifie sur l'instant. Je me mords la lèvre. J'étais partagée entre l'envie de lui avouer et l'envie de me taire. C'est après plusieurs secondes que j'ouvre la bouche et parle un peu sèchement. Parce que. Je suis juste fatiguée, mon corps crie famine de nourriture et de came. Les quelques passants que je croise m'effrayent, alors je me retiens de demander mon chemin et je trace. Je souffle. Je vais te laisser dormir, je pense... J'ajoute un peu bêtement, alors que c'est bien la dernière chose que je souhaite à cet instant.

Elle me répond sèchement. Ça me perturbe, je déteste me sentir impuissant. Je déteste la fatalité. Je soupire, énervé à mon tour. Parce que quoi, Sierra ? Je suis un peu dur dans mon intonation. Qu'est-ce que tu ne me dis pas ou ne veut pas me dire ? Tourner autour du pot, ça sert à quoi ? Elle répond qu'elle pense me laisser. Tu crois que je vais vraiment dormir alors que je ne sais pas où tu te trouves, que t'es complètement bouleversée et que je ne suis même pas là ? J'avais dit ça en haussant légèrement le ton. Il y a un silence ensuite, un lourd silence qui m'agace. Sierra, je crois que tu sous-estimes ton importance pour moi. Je voudrais être avec toi... Alors non, tu ne raccroches pas. Et là, la tristesse m'attrape la trachée, clairement.

Saul est énervé, je l'agace. Moi, alors que je pourrais calmer le jeu, je m'emporte aussi. Tu veux vraiment savoir, hein ? Je joue la conne, je ne devrais pas. Pas avec lui. Bientôt, une boule se forme dans ma gorge alors que je crache le morceau énervée et déséspérée. Je déteste les hopitaux. Ils m'ont pris mon bébé. Je m'effronde mentalement. Je n'ai plus dit à voix haute mon bébé depuis plusieurs mois et ça me fait mal. Je garde le silence ensuite. Seuls mes pleurs se font entendre. Je l'écoute. J'aimerais qu'il soit là aussi. Je ne raccroche pas alors...

Cette situation m'énervait car les choses ne se passaient pas comme j'aurais voulu qu'elles se passent. Son ton monte en agressivité. Je reste silencieux, incapable de répliquer. J'attends. Le mot bébé sort de sa bouche et ma gorge se serre instinctivement. Quoi ?! Je peine à croire ce que j'entends et pourtant, j'y suis bien forcé. Ses pleurs me font mal au coeur littéralement. Je ne sais pas quoi dire. Ni quoi faire. Puis elle me dit qu'elle ne raccrochera pas. Je profite quelques minutes du silence pour me calmer et trouver les bons mots. Tu aurais pu me le dire plus tôt, tu sais. Je suis là pour toi. Je le serais longtemps encore, même si la distance est entre nous pour le moment. Je me masse la nuque à l'aide de ma main libre puis je continue. Je suis désolé pour ton enfant... Ça ne le fera pas revenir mais je le pense sincèrement et je comprends mieux à présent. Il faut que tu parles à Julie, que tu lui expliques. Te renferme pas sur toi-même, ça te rongera de l'intérieur et je refuse que tu sois malheureuse. Je me surprenais un peu. Je n'avais pas parlé comme ça depuis quelques années...

Un silence apparaît à nouveau, puis Saul reprend la parole. Son ton est calme, il m'apaise. Je frotte mes yeux. C'est dur d'en parler. J'essayais de noyer ce souvenir, me forçant à penser que j'avais été enceinte dans une autre vie mais pas celle-ci. Je n'avais pas envie de lui donner plus de détails, pas maintenant, pas dans ces conditions. Il s'excuse puis me parle de Julie. Il n'y a rien à lui expliquer, elle sait comme le fait que je suis une junkie. Je ne veux pas la revoir... J'ai trop honte.

Je sais que c'est dur mais tu en as besoin. Fais-le à ton rythme, mais fais-le. C'est important. Je suis plus tendre, plus détendu même si l'inquiétude me trouble encore. Elle me dit qu'elle a honte, qu'elle n'aura pas le courage de faire face à Julie en ce moment et qu'elle sait déjà tout. Je me mords un peu la lèvre inférieure. Je crois qu'elle est inquiète, Sierra. Mais fais comme tu le sens. Prends le temps de te reposer. Le recule te fera sûrement du bien.

Je respire doucement, j'ai cessé de pleurer. Je reste silencieuse après les paroles de Saul. Je remonte la fermeture de mon sweat. J'avais vraiment de la chance qu'il soit là, du moins qu'il puisse m'écouter. Je suis soudainement submergée par une vague de de tendresse à son égard. Je... Tu.. Merci d'être là.

Elle semblait se calmer, du moins ses pleurs diminuaient et ça apaisait mes craintes. Même si certaines persistaient. Me remercie pas. Je le mérite clairement pas en plus. Je sors mon paquet de cigarettes à cette pensée. Comme si la nicotine allait me faire oublier la distance. Tu me promets que tu resteras pas dehors cette nuit ? Je dis, avant d'amener la cigarette jusqu'à mes lèvres pour l'allumer.

Il ne veut pas que je le remercie, il me dit qu'il ne mérite pas. Ça me fait mal de l'entendre dire ça et ça me rappelle qu'il est très très loin. Laisse-moi te remercier. Ça me fait du bien de te parler. Je recommençai à reconnaître les rues. C'était déjà un bon point. Je ne resterai pas dehors, promis.

Hm ok. J'insiste pas. Je tire une première latte et sens la fumée descendre ma trachée. Je préfère que tu m'appelles lorsqu'il se passe une truc. Parce que je faisais vraiment attention à elle. Parce que c'était comme ça. Tant mieux. Et si tu pouvais éviter les mauvaises fréquentations, ça serait merveilleux... Je dis en riant légèrement et pour détendre l'atmosphère aussi.

Je l'entends fumer. J'avais bien fait de l'appeler alors. Je ne me voyais pas appeler quelqu'un d'autre que toi. Je souris un peu dans le vide et réfléchis un instant suite à sa phrase. Je vais faire attention là... J'avais envie de sucre glace, quand même.