C'est de bonne humeur, complètement défoulée, et détendue que je me rendais à pattes chez Madaleane. Madaleane. Je le kiffais son prénom. J'aimais bien l'appeler comme ça aussi même si elle préférait qu'on la surnomme Mad. En même temps cette nana était totalement cinglée, ce sobriquet lui allait à merveille. J'aimais les gens totalement cinglée. Ils m'aimaient aussi -normalement- puisque j'avais aussi des phases où j'étais complètement cinglée. Comme les chats en fait, quand ils se mettent à sauter de partout. Et cette Madaleane est ce dont j'avais le plus besoin ; un peu de folie et de gaieté dans ce monde de brutes ! Pas au courant que j'avais perdu mon bébé en décembre et c'était tant mieux. Elle avait un don pour me redonner la pêche et me faire devenir à nouveau la Sierra que j'étais avant le drame: pétillante, amoureuse de la vie.

J'arrivai enfin devant sa porte d'entrée, comme prévu à l'heure où j'avais dit que je passerais. Je l'avais prévenu via facebook que je passerais enfin d'après-midi pour lui parler de quelque chose. J'étais excitée comme une puce. Je sonnai. J'avais hâte de lui parler de ma proposition de devenir une roller girl ! Je sortais d'ailleurs tout juste de mon entraînement. Après le départ d'une des filles de la team, il nous fallait une remplaçante. A vrai dire, je ne savais vraiment pas si Mad était une fille sportive ou pas et assez "forte". Quoiqu'il en soit avec le look et la folie pour tenter de postuler. Puis ce serait trop bien d'être entre copines sur le rink, pas vrai ? J'attendis sagement devant sa porte pour qu'elle vienne m'ouvrir.

Plus ça va et plus je me plais dans cette ville. C'est bizarre, moi qui ne m'accroche jamais et qui ne supporte pas la stabilité ; j'avais bien envie de tenter le coup à San Francisco. De nouvelles personnes étaient venues décorer mon quotidien et l'air de rien, ça apaisait les cicatrices. Ça me faisait prendre conscience qu'au final, tout allait bien. Je reprenais un peu du poil de la bête comme on dit et je récupérais mes couleurs délurées. Le trop plein de sentiments m'avait sacrément bousculé et comment dire ? Le drame ne m'allait pas franchement. Je suis trop jeune pour passer mon temps à être blottie dans les douleurs. Sentimentales ou pas. Les choses entre Luke et moi allaient mieux, je suppose même si les doutes restaient un peu au-dessus de nos têtes. On gérait comme on pouvait et j'avais été claire dans mon désir d'évoluer ici, à la place de Paris. Paris me faisait peur, Paris m'angoissait et guérissant tout juste, il était évident pour moi qu'y retourner n'était pas une bonne idée.

On avait parlé d'emménager ensemble dans cette ville aussi mais je ne pouvais pas m'empêcher de m'interroger. J'épluchais les annonces à la recherche d'un appartement, pourquoi pas d'un loft sans grande conviction. Ce sont mes peurs qui me faisaient reculer. C'est ce que je me disais. Mes peurs ou peut-être mon instinct ? Je fermais le journal en fronçant un peu les sourcils. Finalement, je ferais ma recherche plus tard... Pour l'instant, j'attendais l'arrivée de Sierra. Sierra, la première fois que je l'ai aperçue, j'ai su qu'elle et moi on allait s'entendre. On se ressemble beaucoup. Avec nos couleurs et nos esprits qui peuvent parfois paraître enfantins. Le regard des gens nous importait peu dans ces moments-là et on arrivait à se contenter de choses simples et pourtant sincères. J'adorais cette fille et passer du temps avec elle me rappelait indirectement la fille qui avait peu à peu disparue à cause de ses propres peurs. Sa présence me faisait du bien et quelque part, j'espérais que la mienne lui fasse le même effet. Elle m'avait avertie sur facebook qu'elle passerait dans le courant de la journée et ce fût chose faite lorsque j'entendais la sonnette résonner dans l'appartement. Persuadée que c'était elle – vu que je n'attendais personne d'autre – je me suis levée pour courir un peu jusqu'à la porte et l'ouvrir avec un sourire collé aux lèvres. Salut ! Viens, entre ! Je la laisse entrer pour refermer la porte derrière moi. Comment tu vas ? Tu veux un truc à boire ? Peut-être à manger ? Excuse pour le désordre, j'ai pas vraiment eu le courage de ranger. Je rigolais un peu à mes derniers mots. C'est pas vraiment comme si j'étais très ordonnée pour le moment. Parce que oui, ça dépendait de mes humeurs.

Madaleane ne tarda pas à m'ouvrir la porte. Un sourire jusqu'aux oreilles vint alors éclairer mon visage blanc. « Coucou ! » Je lui dis une brève accolade, et pénétrai dans sa demeure. Je posai mon sac de sport sur le sol, et me débarrassai de mon manteau et écharpe puis de mes docs. Je connaissais bien son appartement, je faisais un peu comme chez moi et je savais très bien qu'elle n'y verrait aucun inconvénient. La belle déballa un paquet de questions, et à vrai dire j'écoutai à peine quand elle me disait que c'était le bazar. Je regardais vaguement de droite à gauche et c'est vrai que j'avais connu mieux. En ce qui me concerne, même si j'avais peut-être l'air bordélique physiquement (rien qu'à voir la gueule de mes cheveux...) et peut-être mentalement (haha), j'avais un petit côté maniaque qui aimait que mon appartement soit rangé. Quand on vit en colocation c'est assez dur, et même si on disait sur moi que je foutais toujours le bordel, je finissais toujours par le ranger assez rapidement. Par contre  Julie... Il ne fallait pas voir sa chambre. C'était Hiroshima². « Je vais bien et toi ? » Je fermai un instant les yeux, pour savoir de quoi j'avais réellement envie d'ingurgiter sur le moment. « Je boirais bien du jus de fruits si t'as. Pas du jus d'orange, je n'aime pas. Mais si t'as genre jus multivitaminé -le top-, jus de pomme ou nectar pêche... Ça me va ! » Je rigolai un peu. La fille à peine chiante. Je me mis alors à suivre Mad en direction de sa cuisine. Discrètement, je me mis à la regarder de haut en bas. « Dis-moi, t'es sportive toi ? » Honnêtement, je n'en avais pas trop l'impression mais je pouvais me tromper ! Si ce n'était vraiment pas le cas, c'était le moment de s'y mettre. J'étais prête à être sa coach personnelle. Parce que c'était bien de commencer à faire un peu -beaucoup- de renforcement musculaire par exemple avant de commencer le derby (j'vais souffert sans en avoir fait, maintenant j'étais rôdée). Enfin, je m'enflammais peut-être un peu trop. J'attendais de voir déjà ce qu'elle allait me répondre afin de me lancer dans ma proposition.

Madaleane confirma mes propos sur le fait que le jus d'orange c'était pas bon. Ouais, c'est acide. J'aime bien la couleur orange (non sans blague !) mais le fruit en lui-même... Beurk. Puis c'était un jus trop banal, et on sait que la banalité et moi ça fait quatre milles deux cents cinquante-deux. La chance que j'avais aujourd'hui ! Elle avait pile poil ce que je voulais. Je pris donc le verre de jus multivitaminé et la remerciai. Au final, je l'imitai et m'installai sur l'autre tabouret à ses côtés. Tabouret qui me donnait l'impression d'être grande, mais dont il m'était difficile de m'y hisser vu la grandeur de l'objet. Je bus une longue gorgée de mon jus de fruit, avant de me concentrer sur sa réponse. Pas trop sportive à ce que je comprends ? Je ne l'étais pas non plus avant le roller derby, c'est vrai. Bon si, un peu quand même. « En fait, tu vois je fais du roller derby. Je sais même plus si je te l'avais déjà dit, enfin bref ! » Je fis tourner mon verre entre mes doigts et ajoutai avec un grand sourire: « Mon équipe recherche une nouvelle fille puisqu'une a du arrêter. J'ai tout de suite pensé à toi. » Madaleane avait ce grin de folie, de rock, de féminin, de sexy, d'acharnée qui correspondait à l'image que j'avais pour le roller derby. « Ça te plairait de nous rejoindre ? Du moins, juste essayer si tu veux ! »

Ça y est, j'avais posé ma question à Madaleane. Enfin, je lui avais lancé ma proposition. A peine avais-je lâché ces quelques mots qu'un magnifique sourire débarqua sur ses lèvres, ce qui me fit également sourire. Elle s'exclama qu'elle était d'accord. Je tapais alors dans mes mains comme une petite fille l'aurait fait. Ou bien une gogole, au choix. Je pris la parole à sa question: « Je pense ouais. T'as la folie, l'originalité et la niaque pour en tout cas ! » Je nous voyais déjà patiner ensemble, s'entraîner ensemble, se battre ensemble contre l'équipe adverse, de se casser la gueule ensemble, de comparer nos bleus ensemble, de rigoler ensemble. J'avais hâte ! « Du coup, tu pourrais venir avec moi dès samedi aux entraînements. C'est de 14h à 16h en général. Si tu veux, j'ai des anciens patins que je pourrais te prêter. » En attendant qu'elle en achète, parce que c'était toujours mieux d'en faire dans des patins où on se sentait bien dedans, comme des pantoufles quoi. Je savais déjà qu'elle taillait comme moi (oui j'avais observé la taille de ses chaussures) (oui ça pouvait faire psychopathe de pieds). Aaaaah j'avais hâte.

Voir sourire et rire ses ami(e)s c'était une des plus belles choses au monde, selon moi. L'amitié c'était tout pour moi. Ma famille aussi évidemment, bien qu'elle ne soit plus au complet. Si mes proches pouvaient être heureux, ça me faisait plaisir et ça me rendait heureuse. Voir dans cet état Madaleane ne faisait qu'agrandir mon sourire. Je l'écoutais parler, s'exciter, sans rien dire. A cet instant, je me rendais compte d'une chose: j'étais vraiment heureuse de l'avoir en amie. On se complétait, on se ressemblait, elle était mon grand rayon de soleil. Je souris à nouveau. J'étais aux anges. Je n'avais même pas fumé, non. Je ne pouvais pas être plus sobre et naturelle. Je me penchai alors vers Mad, et enlaçai mes bras autour d'elle.« Tu sais, je t'aime. » J'avais l'habitude des contacts physiques avec les autres, j'aimais ça et ça ne me gênait pas. J'étais plus timide dans les paroles. Lui dire je t'aime pouvait être perçu comme anodin venant de ma part, puisque j'étais du genre à aimer tout le monde. Mais en réalité c'était faux. J'aimais les gens peut-être mais pas suffisamment fort pour leur dire. J'étais réservée en ce qui concernait d'exposer mes sentiments et quand j'avais envie de dire je t'aime à quelqu'un en général je mettais toujours trois siècles avant de sortir la phrase. Mais cette fois-ci, s'était venu naturellement. Pour moi, c'était plus que de simples mots que pouvait balancer une nana à son copain au bout de deux jours de relations. Pour moi, c'était important et j'estimais que je me devais le dire quand j'en étais sûre, quand je le ressentais au plus profond de mon être, et aux bonnes personnes. Mad était la bonne personne, la bonne amie, la fille qui pourrait me donner envie de me tirer une balle si elle disparaissait (et Dieu sait comme j'étais contre le suicide). Je me reculai, la laissant un peu respirer. J'avais les yeux tout brillants. Oui parce que quand j'étais trèèèès heureuse, il pouvait aussi arriver que je pleure... Néanmoins, valait mieux des larmes de joies que de tristesse. Quelle greluche, je faisais ! J'avais l'impression d'être la gamine hyperactive que j'étais -quoique j'étais toujours hyperactive-.  « Désolée je suis débile... » Je frottais mes yeux et me mis à rire. Putain la honte. Ça va que j'étais face à Mad et pas quelqu'un d'autre parce que là, j'étais bonne pour aller chez les fous.

Ouais, j'étais émotionnée. Elle aussi sans doute, puisque -plus vite que la lumière- elle descendit du tabouret, me serra dans ses bras et sautilla sur place. Elle cria qu'elle m'aimait elle aussi, et sur le coup, ma cervelle a du planter cinq secondes avant que je me mette aussi à sauter avec elle, tout sourire. Madaleane se calma par la suite, et je fis de même. Reprenons nos esprits. Je m'installai également à ses côtés. En un revers de main, j'essuyai mes yeux. « Tout ça, m'a donné chaud ! » Dis-je en plaisantant et en terminant mon jus de fruit cul sec. Je posai mon verre vide et passai ma langue sur ma lèvre supérieure. Je tournai mon visage vers elle, l'observais un moment puis autour de nous, avant de reposer mon regard vert (qui au final ne s'avère pas vert, mais je ne le sais pas encore qu'il n'est pas vraiment vert ->).  « Tu verras, tu vas te retrouver avec des bleus sur les cuisses et fesses. Surtout au début. » Les désavantages du Derby, les blessures de guerre qu'avec les filles nous aimions comparer. Toujours fières d'avoir le plus gros bleu que la copine, haha. Même encore maintenant, il m'arrivait d'en avoir. Ce n'était pas forcément très sexy, surtout quand on a une peau très blanche comme la mienne. Je posai l'extrémité de mes deux indexs sur le comptoir et commençai à battre la surface dure. « On fait quoi, chérie ? »