C'était abominable ce qu'il s'était passé cet après-midi. J'en étais encore toute retournée. Je la détestais cette femme, je la haïssais. Pourquoi mon père s'était mariée avec elle au juste ? J'avais juste envie de me tirer de cette famille. Famille que je ne connaissais réellement que depuis trois ans. J'étais beaucoup mieux au cirque, en plus Caleb me manquait... Je venais de sortir en douce de chez moi et faut avouer que quand on vit dans un grand domaine c'est plutôt facile. Déjà à dix-sept ans et demi, j'aimais les robes. J'étais encore une adolescente qui se cherchait et j'étais dans ma phase un peu gothique. Rébellion, oblige. J'avais toutefois relevé mes cheveux en queue de cheval parce que je savais que Khan préférait quand mon visage n'était pas encombré par mes cheveux bruns. Gardant mon portable dans les mains, je galopais dans la grande allée qui menait au portail. D'ici quelques minutes, je serais loin de cette maison et proche de mon petit copain qui devait me chopper à un centaine de mètre d'ici, comme il était prévu.

Un coup d’œil à sa montre, confirma à Khan qu’il avait tout intérêt à s’activer s’il ne tenait pas à être en retard à son rendez-vous avec sa petite-amie. C’était étrange d’utiliser un tel diminutif pour une personne qui menait une existence sans attache, excepté pour celle de son père adoptif, qui d’ailleurs lui avait clairement fait comprendre qu’avec leur vie, des relations aussi profondes que sérieuses étaient totalement proscrites. Pourtant, le voilà en couple, d’une certaine manière, avec cette brune dont il n’avait pu résister au charme. Jeune, c’était le cas de le dire mais il n’avait jamais fait attention à ces détails. En tant que mâle qui se respecte, il s’était d’abord intéressé à elle pour ses atouts physiques et ne se doutait en aucun cas qu’elle n’avait que dix-sept ans, il lui en donnait facilement dix-neuf ou vingt. Une chose en entraînant une autre, ils s’étaient retrouvés à se fréquenter hors cadre amical, car même les amis, Khan n’en avait pas, bien qu’il fut très sociable et ne rechignait pas à aller lancer la conversation avec des inconnus. Tout le contraire d’Arkadiusz qui restait dans son coin, ronchon et envoyait bouler toute personne qui amorcerait un semblant de dialogue avec lui, pas étonnant qu’il fut si bouffer par la solitude et les pensées sombres qui en découlaient. Khan gara sa moto –qu’il louait le temps de son séjour ici- et n’eut même pas le temps de s’allumer une cigarette qu’il vit apparaître Jules. Alors qu’un sourire se frayait un chemin jusqu’à ses lèvres, celui-ci mourut immédiatement lorsqu’il vit l’expression de la belle. Machinalement sa main alla se loger sur le visage de la jeune femme « Qu’est-ce qui se passe ? »

Khan était loin d'avoir le même âge que moi et alors ? Il me plaisait, j'étais amoureuse de lui et j'étais heureuse qu'il s'intéresse à une fille de mon âge. Je marchais rapidement au bord de la rue déserte. Entendant un bruit de bécane, je relevai la tête et le vis. Je ne pus m'empêcher de sourire, avant de courir jusqu'à lui. Mon protecteur, mon confident était là. Mon cœur battait la chamade, mon souffle était court. J'arrivais juste au moment où il allait allumer sa cigarette. Je ne fumais pas, je n'avais jamais essayé d'ailleurs. Il posa sa main sur mon visage et me demanda ce qu'il se passait. « Je... On peut marcher ? » Je reprenais mon souffle et pris sa main dans la mienne. Nous étions que sur une route de campagne pourrie, et elle bordait une petite forêt. Il se décidait enfin, et je l'emmenais alors à pénétrer les bois. Nos pas faisaient craquer les branches qui se trouvaient sur le sol. Par chance, nous étions l'été, le soleil se couchait tard. Je lâchai la main de mon petit ami un moment et lançai: « J'ai commis quelque chose d'horrible aujourd'hui. » Je me stoppais net, sentant à nouveau une boule dans ma gorge. Mes larmes me montèrent rapidement aux yeux. « Khan, j'ai tué quelqu'un... » Je m’effondrai.

Le jeune homme n'était pas sur de suivre. Le moins que l'on put dire c'était qu'il ne s'attendait mais alors pas du tout à une telle révélation. Pourtant, il reconnaissait dans ses prunelles la même détresse qui l'avait habité lorsqu'il avait tué le prêtre en s'enfuyant de l'orphélinat. Ce même désespoir, teinté de dégoût de soi-même, bien que dans son cas, son geste fut tout à fait justifié comme aimait à lui rappeler son père adoptif. Les morts qu'il avait entassés sur son passage ne l'émouvait pas autant que le premier, à force de pratique, il avait pris le rythme mais certaines victimes lui restaient plus en mémoire que d'autres. Il ne fallait jamais leur imaginer, une famille, des proches qui pleureraient sur leur dépouille, une règle qu'il oubliait parfois de suivre. C'était dur et il était encore trop jeune pour devenir si insensible au sort d'autrui. "Comment ça t'as tué quelqu'un ?" répondit-il machinalement. Question stupide, en avait-il conscience. "Viens on va s'asseoir" il ne lui demanda pas son avis, avisant non loin de leur position un endroit où ils pourraient s'installer sans problème, il la força à le suivre "Raconte-moi...qu'est-ce qui s'est passé ?"

J'étais effrondée. Les larmes glissaient sur mes joues. J'avais honte de moi, terriblement. Pire, j'avais l'impression d'être un monstre. Non, je n'avais plus l'impression: j'étais un monstre. C'était d'ailleurs pour cette raison que j'avais réussi à tuer cette fille sans arme cet après-midi. Sans répondre à mon copain, je me laissai entraîner sur un tronc couché au sol. Je m'installais à côté de lui. Il voulait que je lui raconte ce qu'il s'était passé. Je revoyais malheureusement la scène face à moi, tandis que j'essuyais mes yeux d'un revers de main. « Je... Kathrina, tu sais ma belle-mère, elle nous a emmené mes frères et moi à une sorte de combat d'hommes cet après-midi. » L'humain était malsain et cruel. Je savais que les combats de chiens existaient mais j'étais tombée des nues cet après-midi. « Elle m'a forcé à me battreà mon tour, contre une belle somme d'argent et... Je ne pouvais pas refuser. » Ma belle-mère me faisait plutôt peur, et bien que je n'éprouvais que trop peu d'amour pour mon père et mes frères, je savais qu'elle était capable de leur faire du mal si je ne lui obéissais pas. Comme me faire du mal à moi aussi. Dans tous les cas, je n'avais pas envie que quelque chose arrive par ma faute. « Au début, je voulais pas, je savais pas quoi faire, mais mon adversaire ne se gênait pas pour me frapper. » J'avais quelques hématomes sur le corps dont une sale marque rouge au niveau du cou, que j'avais caché d'un petit foulard. Mon nez avait également saigné. « Je voulais pas mourir Khan, alors j'ai finalement essayé de me défendre... Et, je l'ai tué. » J'émis un nouveau sanglot. Les choses entraînant les autres, j'avais perdu la raison et j'avais tué cette adolescente.