« Mais tu fous quoi ? » La voix s’infiltra dans mon oreille à la manière d’un tir d’arme à feu qui serait venu me faire sauter la tête. Par pur réflexe, je lâchais donc l’erlenmeyer vide (heureusement) que j’avais en main et fis un écart monstrueux en arrière. Je crois que jamais, jamais mon cœur n’était passé aussi près de me lâcher. Une chance que je ne sois pas cardiaque, car je me serais sans doute écroulé sur place, à l’instant où je vous parle. Mais que se passait-il ? Eh bien, dans l’immédiat, je ne savais même pas qui était entré dans la pièce, mais l’intervention de la personne en question venait de me donner des sueurs froides, car je pensais être… disons…. SEUL. Bref, maintenant que j’étais à distance de l’entrée de la salle, mon regard électrique et paniqué se braqua sur l’intrus… qui n’était autre que mon frère.

Mon… quoi ?!

Si mes mains étaient devenues moites juste avant, ce n’était rien comparé à ce qui était en train de se passer dans l’entièreté de mon corps en ce moment-même, puis-ce que j’étais parfaitement paralysé et ce jusqu’au bout des cils. L’espace d’un instant, mon cerveau avait ainsi cessé de fonctionner, laissant simplement place à l’adrénaline et à l’instinct de fuite… et puis j’ai finis par reprendre mes esprits, mais Nathanael était toujours là, dans l’encadrement de la porte, avec un air pas rassurant du tout dans les yeux. Ce n’était pas une illusion d’optique, ni une hallucination auditive. Calme-toi, Quinn, c’aurait pu être pire… genre… un gangster venu te passer sous contrat en échange du droit de rester en vie, ou alors la brigade des stupéfiants. Je pris donc une grande inspiration, puis remontais mes lunettes sur ma tête, tout en restant sur la défensive. Peur ? Oui, bien sûr que j’avais peur… j’étais terrorisé, même… mais en tant qu’homme qui essayait de se revendiquer en tant que tel, j’essayais de le cacher au mieux, quand même. Être genre… viril et courageux. Pas facile, quand on ressemblait à un rat de laboratoire comme moi et que même la muscu ou des orgies de nourriture n’y pouvaient pas grand-chose.

« Qu… qu’est-ce que tu fais ici ? » je déglutis « Tu peux pas entrer ici comme ça, Nate ! C’est dange- » eh merde. Mon regard roula vers le plafond, alors que mes battements de cœur se faisaient de plus en plus audibles dans mes tympans. « Dis moi qu’t’es seul, hein… ? »

« Mais tu fous quoi ? » Même si Nate avait déplacé son attention vers la table, je n’osais pas vraiment bouger, gardant ainsi le regard braqué sur mon frère, à l’affut de sa prochaine réaction qui, je le savais très bien, n’allait pas être de me féliciter. Je ne comprenais pas tellement comment il avait pu trouver ma planque… je faisais pourtant très attention lors de mes déplacements. Est-ce que mon comportement était suspect sans que je m’en rende compte ? Si c’était le cas, alors il fallait vraiment que je revoie ma manière de m’y prendre, bien que la pratique de mes activités semblait fortement compromise, à présent. Merde, tout de même !

Mon aîné s’était arrêté sur une bouteille Phénylpropanolamine, geste qui me fit serrer les dents, car j’avais le pressentiment qu’il était à deux doigts de trouver la pièce manquante du puzzle qu’il s’évertuait à reconstituer depuis qu’il était entré ici. Je vous assure que dans ces moments-là, j’avais envie d’avoir l’effaceur de mémoire des men in black… et ce deux fois plutôt qu’une. Qui sait, peut-être qu’un jour, je trouverais un moyen d’en concevoir un prototype ? Ouais, c’est ça, cause toujours… en attendant, t’en n’a pas sous la main et t’es un peu fait comme un rat, mon gars. « C’est ça ton job d’étudiant, petit con ? » Je ne répondis pas et me bloquais à nouveau sur place, histoire d’apprécier pleinement la colère qui montait dans la poitrine de mon frangin. Je n’aimais pas le voir comme ça, ni quand j’étais la source de son énervement, ni même quand je ne l’étais pas…. mais surtout quand je l’étais, ne nous voilons quand même pas la face. C’était une sensation très désagréable. Nate finit par shooter dans un carton et je me crispais un peu plus en manquant de sursauter à sa réaction. Immédiatement, mon regard glissa au sol et je me passais une main dans les cheveux, tout en récupérant ma paire de lunettes. J’imaginais beaucoup de scénarios possibles et aucun à la fois, ne sachant pas à quoi m’attendre de la part d’un membre de ma famille. Qu’est-ce qu’il allait faire ? Tout raconter à ma mère, me virer de l’appart et ne plus me parler ? En gros, voila ce que je risquais, n’est-ce pas ? Ce n’était pas si dramatique, à bien y réfléchir… c’est pas comme si- « Tu me déçois. »

Je relevais brusquement la tête pour me confronter au jugement de mon interlocuteur, juste l’espace de deux secondes. Constat : il était vraiment déçu. Vous ne saviez peut-être pas ce que ça représentait pour moi, qu’on me dise ça… que lui me dise ça… mais…

Mon visage fit à nouveau face au sol, puis je croisais les bras, lèvres tremblantes, parfaitement muet.

Il me fallut quelques temps avant de me remettre d’aplomb face à ce qui était en train de se passer. Ça semblait irréel, peut-être même bien que ça l’était, aussi… mais en même temps, si c’était vraiment un cauchemar, ça fait quelques secondes que je me serais déjà réveillé dans mon lit. Sans rien ajouter, je me suis dirigé vers la table pour commencer à ranger le matériel que j’avais sorti tout à l’heure, mais j’ai finis par m’arrêter et me tourner à moitié vers Nate, sans doutes pour vérifier qu’il était encore là et qu’il avait toujours cet air effrayant sur le visage. Confirmation : c’était bien le cas. Je n’avais jamais eu peur de mon grand frère… pas comme ça… et je n’avais jamais imaginé non plus qu’il finirait par me suivre ici un jour. Qu’est-ce que j’allais faire, maintenant, hein ? Il allait me foutre dehors ou alors au contraire me brider pour surveiller mes faits et gestes, ça, je le sentais venir et ça me déplaisait. Pire ! Et s’il en parlait à notre mère, de tout ça ? « C’est pas c’que tu crois… » Marmonnais-je tout en déposant les flacons dans le carton. L’idée de me débarrasser de tout ce matos me semblait parfaitement inconcevable, tout comme l’idée que j’allais devoir trouver une excuse à dire aux gens qui fournissaient pour moi. Un soupir intérieur m’échappa. J’étais aussi frustré que honteux, suite aux paroles de mon aîné, si bien que j’ai finis par lui faire face avant de terminer ce qu’il m’avait intimé de faire. « Je suis pas le seul qui cache des trucs aux autres… je te déçois… t’as pas le droit de me dire un truc comme ça… j’suis ptetre … mais j’ai pas trahis le reste de ma famille, okay... ? » Mon regard vint se planter sur le sien avec tout le courage que je fus capable de rassembler. Je crois qu’avec cette soudaine cassure et même si ça pouvait paraître être le mauvais moment, on avait une petite conversation à avoir concernant certains doutes qui planaient… notamment sur notre sœur.