J’avais débarqué à San Francisco depuis presqu’un mois. J’avais presque tout plaqué derrière moi. Parce que je ne pouvais plus faire face à tous ces démons qui me hantaient. J’avais lâché la photographie, j’avais laissé l’appartement d’Edda. J’avais laissé Edda carrément. Il fallait que j’oublie ses yeux, son odeur, son rire, sa voix, sa façon d’être. Il fallait que je la raye de ma vie, mais aujourd’hui c’était encore trop dur pour moi. C’était une étape que je ne pouvais pas franchir, même exilé à San Francisco. J’écrasais mon mégot dans mon cendrier et attrapais ma veste. Il était 22 : 30. Je décidais de sortir dans le seul bar de la ville que je connaissais à l’heure actuelle, le « Manchester ». J’avais toujours aimé sortir. C’était une addiction dont je ne pouvais me passer. Même à l’époque où j’ai commencé à voir ma petite amie sombrer dans la drogue, j’aimais sortir de mon coté. J’aimais les bars et l’ambiance qui y régnait. Je commandais une bière sans faire attention à la blonde accoudée au bar à coté de moi. Je plongeais mon regard dans mon verre, avec le réel espoir de pouvoir m’y noyer. Au bout de quelques secondes, je clignais des yeux et regardais autour de moi. A coté de moi, la blonde releva la tête au même moment. Je reposais mes yeux sur elle. Je connaissais cette petite blonde. « Lera ?... » Lera faisait partie de tout ce que j’avais abandonné en venant à San Francisco. C’était étrange de retomber sur elle ici.
Journée des plus longues. Dire que j’étais épuisée ne serait qu’euphémisme. Je n’en pouvais plus de tous ces parcours aux quatre coins des USA. Quelle idée aussi de mettre leur foutu fashion week en ce moment ? D’organiser toutes ces réceptions à deux balles où on avait pour obligation d’afficher un grand sourire et de dire merde à tout ce que la plus conne du coin pouvait raconter. En gros, ce n’était pas mon activité car avec ma franchise exacerbée et mon fort désir de n’être pas là, j’en avais blessé plus d’un, ce qui n’était pas bon pour business, assurément. Enfin, il avait bien sûr fallu que, sois je dise qu’il ne s’agissait là que d’une plaisanterie de mauvais goût ou de présenter mes plus plates excuses, me recherchant des circonstances atténuantes dans lesquelles je ne pouvais pas convoquer l’extrême connerie, bêtise, stupidité de mon interlocuteur, bien entendu. La vie de photographe qui tentait de se faire une place dans le monde à coup de coudes était plus difficile que je ne l’aurais cru mais au moins j’avais la satisfaction d’avoir mes clichés reconnus par les professionnels avisés et mon talent apprécié par les marques qui me choisissaient pour leur campagnes ainsi que par mon magasine qui, malgré son exigence, me faisait confiance.
Bref, trêve de prises de tête et place à la détente. Je pénétrai dans le bar, un verre ou même plusieurs ne pourraient en aucun cas me faire de mal. Sans doute ne rentrerais-je pas en solitaire ce soir. J’avisai une place au bar à côté d’un jeune homme tatoué qui ne semblait pas enclin à la conversation. Cette silhouette ne m’était pas inconnue. Plus je me rapprochai, plus ce sentiment s’amplifiait. Arrivé à au siège à sa droite, je finis par reconnaitre Jim. Le moins que l’on put dire c’était que j’étais surprise de le voir ici, aux dernières nouvelles San-Francisco n’était pas son lieu de vie. Je pris place, commandai mon verre de vodka habituel et attendis de voir combien de temps lui faudrait-il pour me reconnaitre. Nous relevâmes la tête au même moment bingo.
« Je me demandais combien de temps t’allais mettre pour remarquer ma présence. »
J’eus un sourire.
« Depuis quand t’es ici ? Et d’ailleurs qu’est-ce que tu fous ici à SF ? »
Penser à Lera avait le don de plaquer un sourire sur mon visage. Mais je savais que je n’avais pas le droit à l’erreur. Pas le droit d’avoir l’air abattu, parce qu’elle me ferait mordre la poussière jusqu’à ce que je me ressaisisse. C’était un mal pour un bien. Quand j’avais commencé à être reconnu, Lera débarquait dans la photo. J’avais voulu l’aider. Comme on m’avait aidé. Je m’étais attaché à elle parce qu’elle avait une espèce de joie de vivre dissimulant tellement de choses qu’elle en était fascinante. Jamais je n’avais pensé pouvoir tomber sur elle à San Francisco. A vrai dire, c’était la raison pour laquelle j’étais venu ici, pour ne plus revoir personne « d’avant ». Tout ce qui avait un lien avec la photo et ma vie passée me ramenait inévitablement à Edda et c’était assez dur comme ça. Je voulais vraiment tourner la page. C’était nécessaire et je le savais. Je faisais donc des efforts pour oublier. C’était tellement étrange de voir à coté de moi, la bouille blonde de Lera. Comme un coup du destin. « Je me demandais combien de temps t’allais mettre pour remarquer ma présence. » dit-elle en souriant. Ça aurait pu prendre beaucoup plus de temps étant donné que je redescendais rarement sur terre. J’aurais très bien pu passer la soirée à coté de Lera sans même le remarquer. Je souris. « Depuis quand t’es ici ? Et d’ailleurs qu’est-ce que tu fous ici à SF ? » questionna Lera. Depuis quand ? « Depuis un mois environ. Je suis là pour tourner la page. » lançais-je, sans vraiment vouloir développer. Je ne savais pas trop si Lera était au courant de tout ce que j’avais vécu dernièrement, mais je n’avais pas envie de m’étaler si jamais elle ne l’était pas. Un barman passa devant moi, derrière le comptoir. D’un geste de la main, je retenais son attention, pendant que je regardais Lera. « Tu m’accompagnes ? » demandais-je. L’idée de passer le reste de la soirée avec Lera n’était pas des plus déplaisantes, je reconnaissais que ça me manquait de ne plus travailler, et encore de ne plus travailler avec elle.
J’acquiesçai simplement, sourire aux lèvres avant de commander comme à mon habitude une vodka, première d’une longue série, de ça je n’en doutais pas. Une fois servie, je trinquai avec mon ami à…il nous fallut un moment avant trouver quelque chose d’un minimum intéressant, nous optâmes donc pour nos retrouvailles impromptues dans ce bar. Le hasard pouvait apparemment avec du positif, ainsi il me permettait de passer la soirée en meilleure compagnie. J’étais contente de revoir Jim, je lui devais tant et n’avais jamais pu avoir le loisir de le remercier pour son temps et son énergie qui m’avait permis d’entrer dans la mode avec plus de facilité donc c’était plaisant d’avoir une nouvelle fois affaire plus, d’autant plus que je lui devais énormément. L’on pouvait dire qu’il était responsable de mon succès actuel, merci à ses conseils avisés m’ayant ainsi permis d’éviter certains pièges qui auraient pu avorter ma carrière.
« Et ça fonctionne ? »
Je faisais ainsi référence à ce qu’il m’avait dit plus tôt, sur son désir de tourner la page. C’était également un moyen implicite de savoir s’il tenait le coup, sans pour autant l’exprimer clairement. C’était curieux que beaucoup de gens choisissent le soleil de Californie pour panser leurs plaies, d’ailleurs j’en avais fait de même quelques années plus tôt et le résultat était quelque peu mitigé. Les fantômes du passé étaient plus que coriaces et je ne doutais pas que celui de sa défunte petite-amie le suivît jusqu’ici.
La vraie question était de savoir pourquoi j’avais choisi San Francisco pour mon exil. Parce que c’était ce qui m’avait semblé le plus éloigné de New York, où reposait le corps d’Edda. Et parce qu’il était hors de question que je retourne à Los Angeles. C’était là que tout avait commencé, je savais que c’était une spirale infernale et que retourner là-bas ne ferait que me repousser vers les mêmes erreurs. Lera commanda un truc à boire, pendant que d’un geste, je commandais une autre bière. J’avais l’impression d’être déconnecté de la réalité avec Lera à mes cotés, parce que je l’avais laissée derrière moi. La revoir ravivait tellement de choses en moi… « Et ça fonctionne ? » lança Lera. J’eus un petit rire ironique. Pas le moins du monde. Je ne passais pas un jour sans me dire qu’il fallait que j’oublie Edda et sans que paradoxalement elle soit toujours aussi présente dans ma tête. J’étais coincé dans mon propre piège. «Pas vraiment, je crois… » souriais-je, pour cacher tout ce qui se passait à l’intérieur de moi. Si Lera savait ce qui était arrivé à Edda, alors elle traduirait facilement mes paroles. Je n’avais pas besoin d’exprimer clairement mes pensées. Je bus une gorgée et tournais mon regard vers la jolie Lera accompagnée de sa vodka. « Et toi, qu’est-ce que tu fais à San Francisco ? » J’étais curieux de savoir ce qui l’avait amené, elle, ici.
J’acquiesçai simplement, comprenant tout à fait où il voulait en venir. Combien de temps m’avait-il fallu pour me défaire de l’emprise de Gareth ? Je doutais d’ailleurs que cela fût complètement le cas à présent mais j’osais croire que j’étais sur la bonne voie. Combien n’avais-je pas affiché ce fameux sourire ? Tous ceux qui avaient déjà eu à l’utiliser le reconnaitrait sans grand mal. J’esquissai également un petit sourire avant de descendre la moitié de mon verre. Deux âmes égarées qui venaient noyer leur peines dans des boissons alcoolisées, même s’ils savaient pertinemment que ça n’irait pas mieux le lendemain, ce serait même pire une fois notre clarté d’esprit retrouvé, sans doute était-ce le lot de toutes les personnes présentes dans ce bar. Un second verre ne serait pas refus tout comme fait.
« Envie de nouveauté et d’entamer un nouveau chapitre »
Dis-je simplement d’un ton nonchalant. Il n’y avait rien de plus à ajouter à ce sujet, je ne doutais pas que Jim comprenne, ne désirant pas non plus s’étendre sur les sujets qui fâchent. Après tout, le but était d’avancer non pas de rester prisonnier des souvenirs, chose plus compliquée à appliquer. Néanmoins, au moins pour ce soir, j’avais pour but d’éloigner un peu la présence d’Edda, en espérant que cela fonctionnât. Vidant mon verre, j’en commandai un second pour nous deux et lors nous fûmes servis, je soulevai ma boisson afin de trinquer.
« Eh bien à…disons à nos retrouvailles ! »
J’eus un petit sourire.
« Comme c’est positif, ne dis pas le contraire tu es heureux de me revoir, on va passer une bonne soirée et éviter de trop penser. »
Une petite pause.
« Ta mission, si tu l’acceptes, inutile de préciser que tu peux pas refuser, c’est qu’à chaque fois que tu te sens sur le point de bader, tu bois. T’inquiètes pour les conso, c’est moi qui invite »
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J’avais débarqué à San Francisco depuis presqu’un mois. J’avais presque tout plaqué derrière moi. Parce que je ne pouvais plus faire face à tous ces démons qui me hantaient. J’avais lâché la photographie, j’avais laissé l’appartement d’Edda. J’avais laissé Edda carrément. Il fallait que j’oublie ses yeux, son odeur, son rire, sa voix, sa façon d’être. Il fallait que je la raye de ma vie, mais aujourd’hui c’était encore trop dur pour moi. C’était une étape que je ne pouvais pas franchir, même exilé à San Francisco.
