Je refermai la porte derrière moi d’un geste las et avisai le canapé sur lequel je m’affalais comme une masse. J’étais au-delà de l’épuisement, le travail devenant de plus en plus compliqué au magasine et mes responsabilités sans cesse croissantes. En outre, je n’avais pas eu une nuit de sommeil convenable depuis un très long moment, de toute les façons, j’avais fini par abandonner l’idée alors je compensai en clopes et en caféine. Je m’en allumais d’ailleurs une, balançant mon sac dans un coin. Je rangerais plus tard. Skye ne serait sûrement pas ravie de un, de me trouver entrain de fumer à l’intérieur, chose qu’elle ne supportait –dieu que je m’en foutais- et que les affaires ne soient pas à leur place respective, elle pouvait se montrer des plus maniaques quand elle s’y mettait. Je voyais d’ici le discours qu’elle me servirait si elle venait à me retrouver dans une telle position. Je soupirai longuement. Cette cohabitation commençait à vraiment me peser, je considérais que j’avais passé l’âge pour partager mon lieu de vie avec qui ce fût, il serait nul doute temps que je déménage. Ce fut bien le temps que cela avait duré mais l’on n’avait pas prévu de passer toute notre vie ensemble. Trente ans plus tard, assises sur ce même canapé, nos chats sur les jambes à regarder une énième rediffusion des Feux de l’amour, que l’on aurait attendu avec impatience. Je chassai cette vision d’horreur en secouant légèrement la tête. Cela n’était pas prêt d’arriver puisque je serais à coup sûr morte avant. Vu mon existence des plus dissolues, je n’avais que l’embarras du choix concernant les causes. Soudain la sonnette se fit entendre.
« Bordel ! »
Scandai-je. Je n’attendais personne, Skye n’était pas là. Peut-être était-ce quelqu’un qui avait confondu sa sonnette avec la nôtre alors je patientai en silence. Il s’en ira sans doute, pensant qu’il n’y avait personne. Mauvais calcul l’agaçante mélodie retentit de nouveau. Faire le mort n’était pas la solution puisque j’avais lancé mon disque d’AC/DC qui appartenait jadis à mon père et même si le volume était bas, je ne doutais pas que l’on puisse l’entendre de l’extérieur. Comprenant que l’importun n’avait aucune intention de s’en aller, je me levai alors, de mauvaise grâce, inutile de le préciser. Que ne fut pas ma surprise d’y découvrir Harvey. Si je m’étais attendu à ça ! Cela faisait longtemps que nous n’avions plus parlé et les seuls contacts que nous avions eu, c’étaient de puériles prises de tête durant lesquelles il me faisait part de tout son mépris. Je m’effaçai pour le laisser entrer, puis refermai la porte.
Une journée de plus venait de se terminer au boulot, j'étais épuiser, mais pas d'épuisement. Je me sentais vide au fond de moi, il me manquait quelque chose, une présence familière. Tout changeait peu à peu autour de moi. Shawn avait reprit avec Ethan et leur relation devenait de plus en plus sérieuse, tout le monde autour semblait soudainement devenir niais et complètement gaga et ça me répugnais au plus haut point. Tout le monde sauf une personne avec qui j'étais jadis lié d'affection. Lera.
Malgré toute les années qui c'étaient écoulées depuis notre séparation, je n'ai jamais accepter la façon dont elle m'a laissé tomber sans la moindre nouvelle. Pourtant elle et moi étions comme les doigts de la mains lorsque nous étions gamin et puis aujourd'hui plus rien. Rien, mis à part du mépris et un brin de rancune au fond de mon cœur. Je lui en voulais toujours autant, mais comme je semblais '' maturer '' en quelque sorte, je me sentais enfin prêt à avoir une discutions avec elle, histoire de remettre les pendules à l'heure.
Je pris donc la direction de chez elle, fièrement vêtu de mon uniforme d'officier et alla sonner à sa porte. Tout les jours je passais devant chez elle pour me rendre chez moi, mais le détour ne me dérangeait guère pour une fois. Un coup de sonnette, un moment de suspend dans le temps et puis personne. N'étant pas le genre de mec à tourner les chevilles après une première tentative, je tendis la main une seconde fois pour répéter la même manœuvre, attendant sagement qu'elle vienne m'ouvrir.
Lorsqu'elle ouvrit finalement, mon regard se porta automatiquement sur elle, mon visage complètement vide d'expression. Je n'étais pas venu ici pour faire du lèche cul, mais pour régler notre différent qui durait depuis trop longtemps déjà. J'entrai donc chez elle lorsqu'elle s'effaça et attendit sagement qu'elle me guide pour la suite en répondant simplement à sa question. « Un brin de lucidité et une montage de souvenirs. » Dis-je d'un ton neutre sans la quitter des yeux en espérant qu'elle comprendrait ou je voulais en venir.
J’acquiesçai simplement à sa réponse et ne pus m’empêcher de l’observer plus en détail, tentant néanmoins de conserver une certaine discrétion. Dieu que cela faisait longtemps. Trop longtemps. Sil n’y avait eu cette putain de fierté mal placée, sans nul doute que j’aurais été cela qui serait allée le voir pour une discussion. En plus de cette fierté made in Vilte, il y avait également la peur qu’il me rejette, ce qui serait légitime au vu de la situation actuelle. Personne n’aurait pu l’en blâmer, certainement pas moi. J’avais fait de mauvais choix qu’il me fallait désormais assumer, aussi difficile furent-ils. J’avais merdé, purement et simplement alors toutes les conséquences qu’avaient résulté de ma décision de partir avec Gareth étaient amplement mérités et je devais me résoudre à les affronter un jour.
En outre, mon ami me manquait énormément bien que je m’étais refusé à le reconnaître afin de minimiser ma peine. Elle avait été ce frère que je n’avais pas eu et l’avoir en face de moi faisait remonter à la surface des souvenirs que j’avais cru oubliés, ou du moins entreposés bien loin de mon existence actuelle. Cette vie n’était plus mienne et j’y avais renoncé le jour où j’avais fait le choix de l’amour. Enfin amour…en voilà une bonne blague. Disons le choix de la destruction, cela serait nettement plus véridique au vu de ce qui se passât par la suite.
« Assieds-toi »
L’invitai-je.
« Tu veux boire quelque chose ? »
Je n’étais pas le genre cataloguée comme hôte parfaite, c’était juste un moyen là de retarder l’inéluctable, complètement stupide puisqu’il fallait bien que nous arrivâmes au sujet qui fâche et le plus tôt serait sans doute le mieux. Je me demandais cependant s’il était possible que je retrouvasse ma complicité d’antan avec Harvey, tant d’années s’étaient écoulées durant lesquelles nous avions évolués, subis des changements et expérimentés bon nombre de choses qui avaient sans doute profondément modifié ce que nous étions auparavant.
« Eh bien, par quoi tu veux commencer ? »
Je faisais ainsi référence à la raison de sa venue, nul doute qu’il avait des questions précises car je me voyais mal me lancer dans un récit général de ma vie depuis que j’avais coupé les ponts avec lui.
Je mis quelques secondes avant de réagir à son invitation, ne sachant plus ce que j'étais venu faire ici. Une tonne de questions me percutaient l'esprit, dont une qui me venait à répétition. Est-ce que cette discutions allait réellement changer quelque chose? Est-ce qu'elle prendrait le temps de m'écouter jusqu'à la fin ou est-ce qu'elle jouerait encore de ses grands air pour me foutre dehors de chez elle? Pour être honnête, je n'en savais rien et c'est ce qui m'effrayait le plus dans l'histoire. Me lancer à l'aveuglette sur un terrain aussi glissant que celui-ci, n'est pas du tout dans mes habitudes, mais depuis l'incident, l'eau à couler sous les ponts et bien des lunes ont vu le jour.
Je l'ai donc suivi en silence avant de prendre place sur l'un des canapés. Mon regard balaya la pièce, je ne savais pas quoi dire. « Non, ça ira. » Répondis-je simplement à son offre en m'installant confortablement sur mon siège. Ça me faisait étrangement bizarre d'être dans la même pièce qu'elle, la dernière fois qu'une chose semblable c'est produite, nous devions avoir six ans maximum. Elle est devenue une femme à présent et pour ma part, j'en avais traversé des choses avant de venir me présenter devant elle. Un soupir m'échappa.
« Je sais pas trop... » Mon regard se perdit dans le vide l'espace d'un instant avant que je ne glisse une main dans mes cheveux, quelque peu décourager. « J'ai pas envie de savoir pourquoi t'as fait ça, je crois qu'on connaît tout les deux la raison inutile de se voiler la face. Je pourrais t'accuser de bien des choses dans cette histoire, mais ça ne me servirait à rien parce que tu trouveras de quoi répondre à toute mes accusations. » L'ombre d'un sourire se dessina au coin de mes lèvres à ces paroles. Lera semblait être devenu le genre de femme qui n'a jamais rien à se reprocher, le genre de demoiselle à qui tout le monde doit tout sans discuter, limite la reine d'Angleterre quoi. « Quand je suis revenu à San Francisco, je t'en voulais toujours autant, mais je crois que le temps fait bien les choses, du moins dans mon cas. J'ai maturer, j'ai réfléchis et je crois simplement qu'il est temps pour moi de passer à autre chose. Je continue de croire que t'as eu tord dans l'histoire, mais j'ai plus envie de me prendre la tête avec cette histoire! » Voilà qui était dit.
J'ai vécu toute ces années avec une rage au cœur, cette rancune envers elle et ça m'a pourrie la vie, maintenant je voulais avancer, avec ou sans elle. « Fait ce que tu veux de ça, moi j'enterre la hache de guerre. J'en ai marre et je suis prêt à passer à autre chose. » Un petit regard dans sa direction et je me relevais pour regagner la porte d'entrée. J'étais venu pour cela après tout. Rien de plus, rien de moins.
Je l’écoutais religieusement et étais ravie de constater que nous étions sur la même longueur d’onde, seulement un avait eu les tripes ou bien la maturité nécessaire pour venir affronter l’autre. C’était ce que j’appréciais le plus chez Alex, cette capacité à faire face aux problèmes quelques qu’ils furent, courageusement, à l’image de ces princes de conte de fée qui étaient prêts à sauver leur princesse au mépris de tous les dangers. C’était d’ailleurs ainsi que je voyais mon ami à l’époque, comme le prince qui me secourrait à chaque fois que j’en aurais besoin, ce qui arrivait très souvent, en effet plus jeune, j’étais des plus maladroites –ce qui avait sans doute beaucoup influencé sur mon karma aujourd’hui- alors Harvey avait le don de m’éviter des chutes ou autres choses du même acabit. Il était mon prince charmant, mon chevalier servant, la personne sur qui je savais que je pouvais aisément me reposer, ayant toujours été quelqu’un de très solitaire, même enfant. Pourtant j’avais tout foutu en l’air. Comme ça. Un claquement de doigt, un battement de cœur et j’oubliais tout ce qui avait pu constituer ma vie, surtout les être chers à mes yeux. L’inconscience de la jeunesse, dira-t-on sûrement.
C’était là une des plus grandes erreurs de ma vie et je n’aurais de cesse de l’avoir rattrapé, du moins ce qui pouvait l’être encore. Ensorcelée par les vaines promesses d’un être illusoire, j’avais fait une croix sur tout ce que j’avais construit en ce temps-là. Pour me noyer, corps et âme dans la débauche, quelle magnifique décision ! L’amour était décidément une mauvaise conseillère, nous octroyant des œillères à la première accélération du rythme cardiaque, à la première moiteur des mains, au premier balbutiement, au premier sourire embarrassé, au premier rougissement des joues…
Soudain, finissant sa tirade, il se leva, prêt à partir, ayant sans doute dit ce qu’il avait à dire. Pourtant je ne désirais pas que les choses s’arrêtèrent ainsi. Je tenais bien trop à lui pour que nous nous quittions sur cette situation, j’avais également des trucs à dire…à lui dire…
« Attends ! »
Cela était sorti tout seul. Maintenant quoi ? Je ne savais par où commencer. Il y avait tellement de choses dont nous devions discuter à mes yeux, tellement de choses que j’avais besoin qu’il sût, même s’il ne trouvait pas cela utile, pourtant mes mots se perdaient dans ce flot d’informations.
« Je suis désolée…vraiment désolée, si tu savais »
C’était sincère. Je n’avais pas pour habitude de m’excuser devant qui que ce fût, bien trop fière pour cela mais il était nécessaire qu’il le sache car c’était le cas. Je m’en voulais réellement pour ce que j’avais fait, et encore plus de n’avoir su faire la part des choses à son arrivée à San-Francisco.
« Je sais que j’ai merdé et j’imagine que quelque part tu m’en voudras toujours un peu d’avoir fait ce que j’ai fait, crois-moi, si je le pouvais, je changerais beaucoup de choses, j’éviterais de commettre des erreurs monumentales comme celle de couper les ponts avec toi… »
Je fis une pause, cherchant mes mots. Je n’étais pas du tout douée dans cet exercice et je craignais de faire une autre gaffe.
« La vérité c’est que j’aimerais tellement que tout redevienne comme avant, je sais cela impossible, une dizaine d’années a passé mais j’ai l’espoir, peut-être vain que l’on retrouvera notre complicité d’antan. Il faudra du temps, j’imagine mais… »
Un autre silence.
« …tu me manques »
Finis-je par lâcher, me mordant la lèvre inférieure, regard fuyant, signe de nervosité et d’embarras. Je ne voyais qu’ajouter de plus. C’était que l’on nomme couramment une pente glissante. Avancer à l’aveugle, je détestais ça, plutôt, cela m’effrayait pourtant parfois c’était essentiel…j’imagine.
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