« Je vais lui dire quand il rentrera en ville. Ca ira mieux après, t’en fais pas. »

Je sais plus trop quand j’avais écris ça à Ethan, mais ce qui est sûr c’est qu’on parlait de Harvey et que je n’avais toujours pas eu la discussion en question avec lui depuis mercredi soir. D’un côté, c’était un peu normal vu qu’il était tout le temps dehors et qu’on n’avait pas trop eu le temps d’avoir une conversation correcte où j’aurais senti qu’il m’écoutait avec ses deux oreilles… et de l’autre côté, c’est quand même aussi parce que je craignais pas mal sa réaction face à ce que j’avais à lui dire. Si y’a bien une chose dont je n’avais pas envie, c’était que ma relation avec mon meilleur ami soit brisée pour quelque raison que ce soit. Je tenais trop à lui, et quoi qu’on en dise, il était irremplaçable dans ma vie. Enfin bon… j’pouvais pas garder mes trucs personnels pour moi, avec Alex, surtout pas en ce moment parce que ses interventions sur facebook ne faisaient que mettre tout le monde mal à l’aise. En plus, il aurait finit par se rendre compte qu’il y avait un truc qui n’allait pas dans mon comportement, si ce n’était pas déjà le cas.

Une fois que Louise fut partie de l’appartement, j’attendis un peu le temps que mon pote se remette de « ses émotions » sous la douche et tout le tra la la qu’on fait suite à des ébats sexuels, puis me décidais à l’aborder en m’approchant de sa chambre pendant qu’il changeait ses vêtements. [fallait vraiment qu’Eanna fasse la lessive, on n’avait plus rien à se mettre ou presque, d’ailleurs]

« Tu repars tout de suite ou on a le temps de parler deux minutes ? »

Je l’observais sans vraiment le voir, m’approchant lentement de son lit sans pour autant m’asseoir dessus lorsqu’il me fit comprendre que j’avais son attention. Comment est-ce que j’allais aborder ça, hm. L’avantage d’être face à un mec, c’est que je savais très bien qu’il serait inutile de passer par 4 chemins pour lui dire ce que j’avais à dire. C’est pas ça qui aurait changé sa réaction, j’le savais bien.

« Y s’est passé pas mal de trucs pour moi ces dernières semaines... j’suis enfin en train de me trouver une place sur c’te planète et d’être moins paumé, je pense. Mais ça se passe pas comme je l’avais imaginé… »

J’enfonçais mes mains dans mes poches et commençais à détourner le regard immédiatement.

« Ca fait un petit moment que je suis avec quelqu’un, en fait. C’est compliqué… »

Plus je l’entendais parler, et plus j’avais envie de me tirer de là en courant. Ma tête faisait « non » à chacune de ses questions tandis que mon poing droit se resserrait de plus en plus. Lorsqu’Alex se leva, cela n’arrangea rien au fait que j’avais tout à coup perdu tout mon courage, mais son regard m’empêcha à lui seul de faire un seul pas en arrière ou d’adopter une attitude fuyante. C’est à ce moment précis que je me suis rappelé ce qu’on ressentait lorsque son supérieur à l’armée vous fixait de cette façon juste horrible qui ne vous laissait pas le choix de répondre à la moindre de ses questions. Qu’on le veuille ou non, Harvey sortait tout droit des champs de bataille et même si j’étais son meilleur ami, je ressentais très fortement l’autorité que ses yeux dégageaient. Durant une fraction de secondes, j’avais ainsi eu l’impression de me retrouver face à un sergent Marins et sur le coup ça me déstabilisa un peu.

« C’est. C’est pas une… »

J’inspirais profondément et me calmais suffisamment pour soutenir son regard imposant, lèvres pincées.

« J’suis homosexuel Alex. »

Ce qu’il venait de me balancer me laissa sur le cul, lui plus que pour les autres. Plus ça allait et plus je me rendais compte que personne ne semblait prendre ça mal dans notre entourage. C’était plutôt les autres, ceux qui ne nous reconnaissaient pas en tant qu’individus avec une sensibilité comme la leur, mais juste en tant que « membres d’une catégorie qui les dérangeait ». C’était eux les vrais problèmes…

Harvey était sorti de la pièce plus vite que je l’aurais imaginé (ou pas, en fait), et je n’attendis pas pour le suivre à la trace sans lui laisser le temps de trop s’éloigner. Qu’il me cogne, j’en n’avais plus rien à faire à ce moment-là. Ca ferait mal sur le coup, mais la blessure finirait par passer.

« Tu m’expliques comment j’aurais pu te faire confiance à toi alors que j’étais à -20% de confiance vis-à-vis de moi-même jusqu’à maintenant ?! Hey ! »

Je fis en sorte de me placer devant lui pour l’avoir en face à face.

« J’l’ai jamais dis ouvertement à qui que ce soit! Si d’autres personnes sont au courant, c’est soit parce que je me suis retrouvé dans une situation où j’ai été obligé d’avouer, soit parce qu’elles ont fait des suppositions sans que je confirme quoi que ce soit, jamais ! T’es le premier à qui j’en parle uniquement parce que j’ai choisi de le faire et non pas parce que j’ai été obligé! »

Il n’était pas question qu’il remette en doute la valeur de notre amitié, ce n’était même pas envisageable. Je lui avais effectivement raconté de la merde (qui n’était qu’à moitié fausse) pendant un certain temps et je n’allais pas le nier, mais le fait qu’il m’en veuille maintenant qu’il avait droit à la vérité me dépassait. Il pensait quoi, que c’était simple de se rendre compte que ce qu’on a cru vrai pendant 25 ans ne l’était en fait pas du tout? Qu’il suffisait de s’en rendre compte pour oser aller en parler autour de soi ? Certainement pas.

Je soutins son regard un moment, puis finis par lâcher prise et fermais les paupières en soupirant. Pourquoi est-ce que ça leur semblait si « simple d’en parler » à tous ? Hm… surement parce qu’ils n’étaient pas à notre place.