Chapitre 1: No matter how many deaths that i die, i will never forget.
« Vous pouvez commencer Levanah, je vous en pris » me dit mademoiselle Conrad, ses yeux rivés sur moi. Je restais muette une poignée de secondes. Par où commencer ? Tout me semblait si brouillon... Je tentais de me concentrer sur la thérapie que j'avais suivi ces deux derniers mois, de que nous avions traité, ma psychologue et moi.
« Juin 2009, j'ai quitté Honolulu. J'étais acceptée au San Francisco Art Institute, mais c'était plus par besoin de changement que j'ai migré vers le continent. J'ai vécu les premiers mois avec Noham et Aaron, deux de mes plus proches amis, puis j'ai trouvé une colocation avec... Enora. Coup de foudre amical. Enora Rainbow Hendricks. Et ce n'était que le début. J'ai rencontré une myriade de personnes fabuleuses, bien que je ne leur ai jamais vraiment dit que je les considérais comme tels. » Pause. Ma psy me regarde toujours, petit sourire aux lèvres. Ses énormes lèvres et son petit nez pincé me déconcentrent. « Tout se passait bien jusqu'à ce que... je tombe malade. Et là tout à changé. J'ai changé. Je ne me sentais pas bien depuis quelques semaines déjà, sans vraiment comprendre d'où venait le problème. Un matin j'ai fait un malaise, on m'a hospitalisée et j'ai su ce que c'était. Une leucémie. » Je savais cacher mes émotions, mais pas les neutraliser. Je sentais en moi comme un ouragan de sentiments différents: colère, tristesse, perdition et lâcheté se côtoyaient, fusionnaient, implosaient. « Je passais de la gamine faible et apeurée à la rebelle repoussant ses limites. Je ne savais pas si je devais tester ma santé ou la ménager... jusqu'à ce que je rencontre Khris. » Mon interlocutrice afficha un sourire satisfait. Elle attendait que je lui parle de Khris, et cela depuis le début. C'était par étapes que je devais lui résumer ces trois dernières années. Arrivée, maladie, Khris, dégringolade, les deux dernières étant primordiales. Je n'avais pas aimé Khris Jones. Je l'avais inhalé, respiré; j'avais insufflé une partie de lui en moi. Cependant, ce n'avait jamais été fusionnel... mais explosif entre nous. Cette dimension spectaculaire avait donné vie à notre incroyable couple. Impossible de l'oublier et impossible de le retrouver. Le temps avait faire le reste.
« Je l'ai aimé dès que je l'ai vu. Je pensais que ce genre de trucs n'arrivait que dans les bouquins ou dans les films, mais pourtant ça m'est tombée dessus comme ça, sans prévenir. J'étais amoureuse de Khris Jones, et Khris Jones m'aimait aussi. Pourtant, la boucle n'était pas bouclée. J'étais la poudre et lui la flamme, ou un truc du genre. A trop se frotter, ça devait exploser à un moment ou à un autre... » continuais-je calmement. Ce qui arrivait ensuite était le moins facile à exprimer. Je sentais mon estomac remonter dans ma gorge à chaque fois que j'y pensais. Ce sentiment là, c'était la culpabilité. « J'ai fait une fausse couche, fin Août 2011. Je n'étais pas au courant de ma grossesse et j'aurais probablement avorté si j'avais su. Seulement je pouvais pas regarder Khris dans les yeux après ça. J'étais qu'un boulet malade qui le faisait souffrir, alors je me suis barrée. J'ai abandonné ma famille, Enora, Khris... Ce fut la plus douloureuse erreur de ma vie, partir à Rome. Le plus grand centre de recherches sur la leucémie s'y trouve, mais rien n'y fit. Je n'étais pas chez moi. » Respirer, je devais respirer. Paraître neutre, même si je bouillonnais.
« Et vous êtes revenue à San Francisco deux mois plus tard... » continua la psychologue qui, par son habituelle impassibilité, mettait mes nerfs à rude épreuve. « Oui, je suis revenue, avec but en tête d'oublier Khris et de me faire pardonner, vis à vis de mes amis je veux dire. Je me plongeais alors corps et âme dans mon nouveau boulot... ça aussi, c'était une grosse connerie. Même si j'étais une bonne assistante styliste, du 50h par semaine quand on est gravement malade, c'était pas génial. Mon état de santé a empiré, ma famille a donc décidé de me faire rapatrier dans mon état d'origine, ici, à Hawaï. » Silence. J'avais condensé mon récit afin de satisfaire les attentes de ma psychologue, sans pour autant flancher dans le mélo-drame ridicule. J'avais ma fierté à préserver, même si dévoiler ses faiblesses faisait du bien.
Mon interlocutrice se leva et partie chercher quelque chose dans un des tiroirs de son bureau. « Vous avez les résultats ?! » Je m'étais exclamée si vivement lorsqu'elle revint avec la lettre de l'hôpital en main que je ne pus rester assise. Mes yeux devinrent humides, mes mains tremblaient. « Je voulais être certaine que vous étiez prête à encaisser ce que pourrait vous apprendre cette lettre. » Nouveau sourire de sa part. Je prends la lettre qu'elle me tend et l'ouvre de mes long doigts fins. Le papier de l'enveloppe se déchire, laissant apparaître une autre feuille plus fine, tamponnée du sceau de l'hôpital de Honolulu. Une larme s'échappa de sa prison de chair et coula le long de ma joue. Vide intense. Mon ventre se nouait, mes narines se rétractaient. Silence profond. Mon esprit implosa. « Positif. » Trois syllabes qui m'inspirait trois mots: j'allais vivre. « Je crois que San Francisco vous attend, non ? » Mademoiselle Conrad voyait juste. Ma vie était là-bas, je le savais. Ce bilan ne m'avait que confortée dans l'idée que j'y avais laissé quelque chose d'inachevé. Sur le chemin de la rédemption, j'allais revenir, une ultime fois. Je n'étais pas guérie à proprement parler, mais le traitement faisait effet, la chimio aussi. Bon sang. J'allais vivre bordel !
Chapitre 2: No matter how many lives that I live I will never regret.
Gros sac à main, et valise énorme. C'était un condensé de ma vie de je prenais avec moi. « Je te perds encore une dernière fois, c'est ça ? Quoi qu'il arrive tes pas te ramènent là-bas... » Ma mère était émue, je le savais. C'était une des rares fois où je la voyais ainsi. Entre elle et moi, ça avait toujours été compliqué: de ses six enfants j'étais à la fois la petite dernière et la seule fille. Pourtant les épreuves que j'avais du endurer nous avaient rapprochées, d'une certaine manière. Pas de belles phrases de mère à fille, non. Juste l'évidence qu'elle avait été là pour moi, à travers ses silences.
Je jetais un regard derrière elle. Quatre de mes grands frères étaient présents. Fergus, Alan, Lilo et Seth. Mes nièces m'envoyaient des bisous avec leurs mains, mes frangins me faisaient des grimaces d'au revoir. Il manquait Charlie, l'aîné, mon protecteur, parti sillonner le monde. Mon père non plus, n'était pas présent, comme à son habitude. Toujours absent à s'occuper des autres plutôt que de ses enfants. Mais peu importait, mon affection à son égard en restait inchangée. Même si il était toujours an Afghanistan en temps que bon militaire de sa patrie, je ne pouvais lui en vouloir: c'était mon père. « Fais pas tourner la tête aux San Franciscains petite Levy, tu sais qu'ils sont dingues sur le continent ! » hurla Lilo à mon attention. Tout en m'asseyant sur une place extérieure du bateau, je lui souris. Quel con, ce grand frère ! Toujours le mot pour rire, quelles que soient les circonstances. BRRRR. Bruit sourd: le bateau était fin prêt à partir. Dernier regard à l'attention de la tribu Keynes qui me faisait de grands signes du port.
Les minutes passèrent. Je pensais à tout et rien à la fois, scrutant l'Océan, le vent balayant mes cheveux. Je m'allumais une cigarette afin de donner plus de consistance à ma rêverie, lorsqu'elle ci fut subitement interrompue. Il y avait un homme assis également en extérieur, un peu plus loin. Cela aurait été mentir de dire qu'il était désagréable à regarder. Plus âgé que moi d'une dizaine d'années, son regard noir et perçant forçait le mien à le fixer. Un beau mec, un peu mauvais garçon sur les bords. Son teint pâle trahissait un mal de mer qu'il tentait de camoufler. Je tirais sur ma cigarette, sans dire un mot. Je détournais mon regard, reportant mon attention sur l'horizon. Comment pouvais-je savoir que ce même homme allait bientôt foutre un si grand bordel dans ma tête qu'il donnerait par la même occasion un nouveau sens à ma vie ?