L’après-midi avait été particulièrement banale, je m’étais ennuyée et avais passé ma journée devant mon carnet de croquis, dans mon dressing et mon petit atelier de couture miniature et bien entendu avait finit par me poster devant mon ordinateur. J’y avais discuté quelques minutes avec Clyde, certainement une des personnes que je connais le plus en San Francisco, et bien sûr le petit Alekseï, une personne si chère à mes yeux. J’avais discuté avec lui après que l’on se soit mutuellement taquiné un peu à propos la dernière soirée que nous avions passé ensemble, mais notre petite discussion sur le web a malheureusement été rapidement stoppée par un appel. Stupide appel qui venait de laisser ce petit moment parfait tomber à l'eau. Il était appelé au boulot, et c’est à ce moment que je décidais de sortir un peu de mon habitation afin de prendre enfin l’air et de voir ce qui pouvait se passer hors de mon petit cocon. Sortir un peu de mon monde, bien que je le faisais bien assez souvent le soir. Et ça ne menait pas toujours à des situations très concluantes.. De toute manière, il m’était évident qu’un peu d’air frais me ferait alors du bien à ce moment précis de la journée. Il faisait beau, les oiseaux chantaient et les papillons volaient. Très sérieusement, la journée était présentement parfaite pour se changer les idées sous quelques rayons de soleil californien.
Je saisis alors mon manteau après avoir fermé mon ordinateur, mon sac après y avoir déposé mon matériel nécessaire que je considérais presque comme mon matériel de survie et sortais en direction du centre commercial, un de mes lieux préférés de la ville bien que ceux-ci étant en très grand nombre. Une fois que j’y fus arrivée, je me mis à faire du lèche vitrine. Il y avait tellement d’articles que je désirais, tellement d’articles que je rêvais de porter, que je ne pouvais m’empêcher de rentrer dans les magasins, toucher ces superbes vêtements et les essayer afin de m’apporter une dose supplémentaire de rêve. Mais tout cela ne menait à rien, pas aujourd’hui en tout cas. J’avais déjà trop dépensé au niveau vestimentaire et il fallait que je me calme pour ce mois-ci, ma carte bleue en fumait presque. Je me dirigeai alors vers le supermarché, assez déçue, et m’achetais deux ou trois fruits que je mangeais sur ma route du retour ainsi que quelques petites courses.
Une fois rentrée et avoir rangé mes courses, je me postais à nouveau devant l’ordinateur. Alekseï était revenu, et je lui fis part de ma terrible douleur. C’était presque de la torture à mes yeux. Il me proposa alors de passer chez lui, histoire qu’on mange une glace devant une romance. L’idée de romance dévia vers le film d’horreur, et ceci ajouté à la glace me laissait de marbre. J’étais une froussarde, et je ne voulais pas grossir. Un tas d’éléments pour que je ne vienne pas s’exposaient sous mes yeux. Pourtant, je décidais finalement de venir grâce aux dons de persuasion de mon ami. Il fallait dire qu’en plus de ça qu’en général je ne pouvais refuser ce genre de choses à Alekseï. C’était mon petit Alekseï, je l’appréciais tellement et j’aimais passer du bon temps avec lui, alors ma décision était toute prise, glace et film d’horreur ou non.
Je rangeai alors quelques affaires dans un petit sac à part, quelques affaires de sport plus précisément puisque mon ami m’avait proposé une séance de sport après la glace que nous avions planifié de manger, et sortis à nouveau de chez moi. Cette fois je me dirigeai jusqu’à la maison d’Alekseï et finissais par frapper à sa porte. Je ne savais pas si j’allais rester le soir même ou non, alors j’avais également prévu un petit short et un débardeur au cas où, car je ne souhaitais pas m’incruster mais je savais très bien que cette soirée n’allait pas me laisser indifférente. Bien sûr, à cause du film d’horreur. Je n'avais plus qu'à attendre que le jeune homme ne daigne me répondre.
Ça avait été une journée particulièrement éprouvante, suffisamment pour que je n'ai pas l'envie de faire autre chose que glander devant l'ordinateur dès que je rentrais chez moi. C'était sans aucun doute le cas de Jake aussi, puisque je ne l'avais pas particulièrement entendu de la journée ; sans doute avait-il aussi les pieds en éventail dans sa chambre en sirotant un verre devant sa télé. Je parlai un moment sur facebook, discutant avec Lexus et m'amusant à parler muscles avec elle. Evidemment, s'entretenir pour les autres n'a en soi aucun intérêt. Personnellement, je m'entretenais aussi pour mon travail ; un flic maigrichon ne fait jamais peur à des malfaiteurs, il se fait tataner la banane et on en parle plus...
Je m'étais résigné à l'idée de rester affalé comme un gros américain sur le canapé avec les pieds sur la table basse, sans aucune gêne et parfaitement à l'aise, pour réviser mes cours sur ordis et m'offrir quelques pauses bien méritées... mais le travail en décida autrement. Mon portable sonna, mon chef me réclamant au centre de police pour parler d'une affaire. J'annonçai donc à Lexus que je devais la laisser tandis qu'elle me répondait que de toute manière, elle avait l'intention de faire un peu de shopping. Tant mieux, elle prendrait l'air aussi de cette manière.
Je fermai l'ordi sur la table basse et, prenant mon courage à deux mains, me changeai pour aller au boulot. Arrivé sur place, mon chef m'expliqua la situation ; un braquage à main armé, le suspect principal avait été arrêté et placé en garde à vue, un collègue le cuisinait avec ses questions. On m'indiqua quelques tâches à faire, que je fis sans broncher malgré la tonne de travail, si bien que cela me prit plusieurs heures. Une fois le tout terminé, je rendis le nécessaire à mon chef, qui me congédia avec le sourire ; je rentrai chez moi et à peine arrivé devant l'ordinateur, je vis Lexus se connecter. Un sourire se dessina sur mes lèvres alors que je lui demandais comment s'était passé le shopping ; la pauvre n'avait rien acheté, pour une femme, ce devait être le désarroi le plus total. Je lui proposai de venir et voyant qu'elle acceptait, je refermai l'ordi et me rendis au video club le plus proche pour prendre un film d'horreur. Inutile d'acheter de la glace, en fait, Jake et moi aimions tellement ça qu'il devait certainement y en avoir au congélateur. Je mis du temps à me décider, optant finalement pour... REC 2. C'était un film sorti depuis déjà deux ans, alors je me disais que si Lexus l'avait déjà vu - ce qui m'étonnerait tout de même, si elle avait si peur que ça des films d'horreur - l'eau aurait suffisamment coulé sous les ponts pour être effrayée à nouveau.
Je louai le DVD et retournai chez moi au pas de course, jetant la boîte du film sur la table basse et me dirigeant vers la cuisine pour fouiller le congélateur. Je trouvai une glace à la vanille bourbon aux éclats de cookies, fraîchement achetée et qui n'avait pas encore été ouverte. C'était parfait, entre autre. Je sortis deux cuillères et entendis toquer : elle était déjà là. Zut, j'étais encore avec mon uniforme de police. J'ouvris la porte en souriant, me dégageant du passage pour laisser la jeune femme entrer dans la maison.
« Je viens de sortir la glace, le film est sur la table. Va juste falloir que je me change, avant ! »
Je refermai la porte derrière elle en lui désignant REC 2 d'un signe du menton.
« On va se mettre dans la chambre. La télé est un peu plus petite, mais on sera mieux sur le lit, et si t'as peur tu pourras te cacher sous la couette. »
Je patientais tranquillement devant la porte, jetant un coup d’œil de temps à autre, de droite à gauche, et observais les nuages défiler dans le ciel alors qu’Alekseï m’ouvrait la porte. Ce n’était pas la première fois que je venais ici, mais j’avais toujours la curiosité de vérifier que rien n’avait changé. Un sourire se dessina lorsque la porte s’ouvrit. Mon petit Alekseï, en tenue de policier. Je le voyais très rarement vêtu de la sorte, et je ne savais pas si je devais rire ou si je devais m’abstenir de toute remarque. Je n’étais pas habituée, il était plus courant pour moi de le voir en civil, habillé comme tous les autres. Mais il fallait dire que cet uniforme lui allait à merveille, je le regardais de haut en bas avec un petit sourire mais ne disais rien. Eurk, les chaussures. Heureusement que cela faisait uniquement partie de sa tenue de travail.
Visiblement j’étais arrivée largement trop tôt, c’est pourquoi monsieur était encore en tenue de travail. Et c’est aussi pourquoi il avait l’air légèrement débordé. Alekseï me répondit qu’il venait juste de sortir le grignotage et que le film était sur la table. Je lui esquissais un petit « Bonjour » taquin et ne me gênais pour rentrer. Je restais cependant à la porte, n’osant pas trop m’avancer sans qu’Alekseï me le propose. En fait, je m’avançais seulement pour visualiser ce qu’Alekseï tentait de me montrer. Je balayais mon regard dans le salon jusqu’à tomber sur le film d’horreur qu’avait loué mon ami. REC 2. Je fixais d’abord le boitier sans rien dire, déjà assez angoissée à l’idée de regarder ce genre de film. Je le regardais, grimaçais et passais mes mains sur mes yeux. « Tu es sûr de vouloir regarder ce film ? »Dis non, dis non, dis non. Par pitié. Alors que je laissais glisser mes mains le long de mon visage, je regardais le visage d’Alekseï. Evidemment, la réponse allait être négative, Alekseï allait trop prendre plaisir à me voir morte de trouille qu’il ne pouvait laisser passer une telle occasion. Je grimaçais à nouveau et laissais une mine boudeuse se dessiner sur mon visage.
Alekseï m’informa qu’il comptait se changer, et je n’attendais plus alors qu’il me propose de rentrer. De toute façon il l’aurait fait tôt ou tard. J’acquiesçais par un simple mouvement de tête et me dirigeais vers le canapé après avoir posé mon sac de sport et mon sac à main à terre. Je m’asseyais là, et saisissais la pochette du DVD afin de lire le synopsis du film. Je laissais mon visage entièrement grimacer à la vue de l’histoire : Un film d’horreur à propos de personnes dans un immeuble, enfermés. Cela ressemblait fortement à une maison ou un appartement, et j’accusais Alekseï de l’avoir fait exprès, ainsi je me ferais encore plus facilement des films. Je jetais un coup d’œil autour de moi et glissais en un premier temps le boitier derrière un canapé. Je me reculais et remarquais que la cachette n’était pas discrète pour le moins du monde. Je soupirais et décidais de reprendre le DVD et de le glisser sous le canapé, là il ne le verrait pas.
Je soupirais, et attendais le retour de monsieur Volkov le policier avec un air tout à fait innocent. Je n’avais pas vu le DVD, il s’était volatilisé bien entendu. J’avais caché le DVD, et je décidais de me cacher aussi, histoire de rire un peu. Je rampai à terre et me cacha discrètement dans la penderie servant à ranger les manteaux, assise, mes sacs contre moi. Allait-il croire que j'étais partie ? On va voir si monsieur a de si bonnes qualités d’investigateur.
Heureusement pour moi, j'avais l'habitude d'enlever et retirer mon uniforme, parce qu'honnêtement, les premières fois, ça prend du temps ! Je défis les lacets de mes rangers, les laissant à côté de la porte et allant chercher des affaires de rechange dans ma chambre ; jogging et marcel. Qui a dit tenue décontractée ? Oui, bon. Je vous l'ai dit, j'avais envie de glandouiller, alors le jean et les chemises resteraient dans mon armoire. Un léger rire m'échappa alors que j'entendais Lexus me demander, du salon, si j'étais certain de vouloir regarder ce film. Mon simple rire suffit probablement à lui faire comprendre que j'étais sûr de moi. Je me glissai dans la salle de bain, refermant derrière moi et retirant ceinture, matraque, flingue, chemise, pantalon, bref, la totale... pour me rhabiller. Soudainement, je me sentais bien plus léger ; ça faisait du bien mine de rien de retirer tout son attirail.
Je ressortis une fois habillé, jetant mon uniforme dans la panière à linge sale et posant mon équipement sur le bureau de ma chambre, pour finalement rejoindre Lexus dans le salon... ou pas, d'ailleurs. Je posai les mains sur les hanches, balayant la pièce du regard.
« Lexus, tu improvises une partie de cache-cache ? Ton éternelle grâce ne te permettrait pas de fermer la porte d'entrée sans faire de bruit, je sais que tu es là. »
Un sourire se dessina sur mes lèvres alors que je croisai les bras sur le torse. Bon, voyons, réfléchissons. Je la connaissais suffisamment pour savoir que toutes les blagues du monde ne la feraient pas rire, elle préfèrerait s'étrangler plutôt que me laisser la localiser ainsi. Je pouvais aussi très bien fouiller toutes les cachettes probables de la maison, j'étais mieux placé pour les connaître après tout, mais cela prendrait trop de temps à mon goût. Je m'approchai du canapé, lèvres pincées, et soulevai les quelques coussins pour vérifier si le DVD était caché derrière l'un d'eux. Je laissai à nouveau parcourir mon regard autour de la pièce... pour revenir sur la cuisine et froncer les sourcils.
« HEY !! Qu'est-ce que vous foutez-là ! »
Je contournai rapidement le canapé et déboulai en trombe dans la cuisine, renversant une casserole qui traînait, ouvrant la fenêtre brusquement et tapant dans le mur... pour simuler une bagarre et une tentative d'évasion. Le vacarme envahit toute la maison alors que je m'appuyai sur le bar, bras croisés. Peut-être que si j'affolais Lexus, elle se manifesterait plus rapidement pour comprendre ce qu'il se passait ? Rien de mieux qu'une ruse pour attirer sa proie.
J’étais donc là, assise dans l’obscurité totale dont faisait preuve le placard et l’oreille bien tendue. J’écoutais le moindre bruit et essayais de faire le moins de bruits possibles afin de ne pas me faire remarquer. J’entendais d’ici Alekseï enlever sa ceinture, et je trouvais qu’il était particulièrement long. C’est si long que ça à enlever un uniforme de policier ? J’écoutais donc et fut alertée de son arrivée en entendant quelque chose tomber dans une autre chose. Si je faisais travailler un minimum mon intellect, je devinais qu’il jetait un vêtement dans ou sur quelque chose puisqu’il venait juste de se changer. Et cette chose était certainement un simple panier à linge.
La partie de jeu allait commencer. Quelques bruits de pas, un silence. Il s’était arrêté, il devait certainement regarder autour de soi et commencer à réfléchir. Alekseï demanda d’abord si j’avais décidé d’organiser une partie de cache-cache qui n’était pas inscrite sur notre programme de fin de journée. Je n’allais bien évidemment pas lui répondre, je n’étais pas bête à ce point, mais je ne retenais pas un petit sourire sur mon visage. Il m’informa alors qu’il était persuadé que je me trouvais encore chez lui, et il avait raison. J’aurais dû claquer la porte, cela aurait été tellement plus crédible, mais je n’y avais simplement pas pensé. Mon plan était loin d’être parfait et si Alekseï était bon enquêteur et bon policier il me trouverait rapidement d’une manière ou même d’une autre. C’était toujours silencieux, et il suffisait que je me mette à rigoler légèrement pour me faire repérer. Pourvu qu’un manteau ne me tombe pas dessus car je ne serais pas capable de retenir un petit cri de surprise.
Mes pensées furent interrompues par quelques bruits de pas. Je ne situais pas vraiment Alekseï dans la pièce mais savait parfaitement qu’il n’était pas à la porte du placard. Je ne bougeais pas, aucun bruit ne sortait de ma cachette. On aurait dit que je retenais mon souffle. Il ne faisait aucun bruit non plus, il ne disait rien et ne maugréait pas. J’entendis d’un coup des pas accélérée et la voix d’Alekseï s’élever. Un bruit gigantesque s’échappa alors d’une pièce différente de la cuisine, on aurait dit le bruit du cuivre ou du fer à terre. Une casserole. Pourquoi une casserole tomberait-elle toute seule ? Alekseï n’était pas encore assez fou pour parler tout seul à ce que je sache, mais je trouvais cela particulièrement étrange que pile au moment où je m’étais caché quelqu’un s’était introduit dans la maison. Comme par hasard, et en plus de ça Alekseï n’avait pas pris la peine de chercher plus que cela. Même si de telles suppositions me venaient à l’esprit, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’un tel scénario pouvait être réel. Un intru pouvait surgir à tout moment, jour comme nuit, il n’était donc pas impossible qu’Alekseï ne simule rien.
Je sentais mon cœur battre la chamade et successivement la panique m’envahir progressivement. Que faire ? Je bougeai légèrement, ouvrit délicatement la porte en veillant à ne faire aucun bruit et glissais ma tête hors du placard. De l’air frais, mine de rien ça sent assez mauvais là-dedans, surtout quand une paire de chaussure traîne. Personne en vue. Je laissai mes sacs où j’étais initialement cachée et marcha à quatre pattes à terre avant de me lever en silence alors que j’arrivais à la hauteur de la cuisine. J’apercevais alors Alekseï, seul. Il m’avait bien eut, bien essayé. Mais il n’allait pas m’avoir comme ça le coco. Je reculai, pensant qu’il était trop risqué de passer franchement devant la cuisine, et décida de me remettre à quatre pattes. Je rampai le long du canapé et réussit à éviter la porte pendant que mon ami continuait son brouhaha. Une fois l’obstacle passé je courrai sans bruit jusqu’à sa chambre, d’où l’utilité d’être particulièrement légère. Là, je vis le linge sale posé dans le panier à linge et souriais rapidement. Bonnes suppositions. J’ouvris délicatement la fenêtre qui grinça légèrement. Une grimace s’installa sur mon visage, et j’en profitais pour courir dans le jardin afin d’échapper à Alekseï au cas où il avait entendu le petit grincement. Peut-être aurais-je du me cacher sous le lit. Bref. J’arrivai à la fenêtre de la cuisine et aperçu Alekseï, positionné dos à moi. Reine des acrobates que je suis, bien sûr je suis purement ironique, je m’introduis avec une multitude de difficultés par la fenêtre de la cuisine qu’il avait alors ouverte et le suivais avant de poser mes mains brusquement sur ses épaules et crier : BAAAAAAAAH ! histoire de le faire flipper un peu. J’avais bien le droit à cela. Et s’il n’avait pas peur ou s’il n’était pas, alors je serais particulièrement déçue. Je posais ma main sous mon cou et essayais de reprendre mon souffle tout en rigolant de bon cœur.
Accoudé au bar, j'attendais, me demandant quelle serait la réaction de Lexus. C'était au choix, elle pouvait se dire que j'avais pété la carafe, que je devenais fou, elle pouvait être interpellée par le bruit comme se dire que c'était effectivement un piège... Quelques secondes après mon vacarme, je n'entendais toujours rien, Lexus ne s'était pas manifestée. Elle me connaissait bien, peut-être suffisamment pour se méfier ? J'eus un léger sourire à cette pensée, songeant qu'à l'heure actuelle, Lexus devait être en train d'échauffauder un plan pour se venger de ma tentative.
Je décidai donc de faire un nouveau tour dans la maison, passant à proximité du salon... pour constater que désormais, la porte du placard était ouverte. Un nouveau sourire se dessina sur mes lèvres alors que je fourrai les mains dans les poches de mon jogging, aux aguets. Lexus allait probablement tenter de m'avoir par surprise, autrement, pourquoi serait-elle sortie de sa cachette sans se montrer pour autant. Je balayai la pièce du regard, faisant attention au moins bruit, moindre mouvement, moindre souffle... J'entendis un bruit, très léger, mais un bruit tout de même, provenant de derrière moi, certainement la cuisine. Je fixais devant moi, l'air songeur ; Lexus arrivait........ je le sentais.
Les mains froides de la jeune femme se posèrent soudainement sur mes épaules, contact frais qui me fit frissonner mais n'arrêta en rien mes réflexes, le cri de la jeune femme destiné à m'effrayer s'éteignant. Déjà, je lui attrapais les poignets sans me retournant et je la tirai, courbant le dos et la faisant passer au-dessus de moi pour la faire atterrir sur le canapé moelleux en faisant attention, bien évidemment, à ne pas lui faire mal. Ce fut à mon tour de rire, me penchant au-dessus d'elle avec une lueur malicieuse brillant dans le regard. Levant un bras, je lui désignai du doigt le placard dans lequel elle s'était caché qu'elle avait oublié de refermer.
« Si tu n'avais pas oublié un détail aussi important, permet-moi de te dire que tu aurais fait une bonne criminelle. »
Je contournai le canapé, m'étirant et savourant la sensation de ne plus avoir des pieds pesant deux tonnes chacun avec les énormes rangers. Debout devant Lexus, je fus soudainement pris d'un vertige, si bien que je m'assis rapidement à côté de la jeune femme en me passant une main sur le visage avant de relever les yeux vers elle et sourire pour ne pas qu'elle s'inquiète.
Mes mains glacées posées sur ses deux épaules ne semblaient lui occasionner aucun sentiment de frayeur particulier. Pas de sursauts, pas de cris, pas de tremblements. Aucun signe de terreur. Mis à part peut-être une légère surprise qui pourrait lui serrer le cœur l’espace d’une seule seconde, Alekseï n’avait réagi en rien. Je ne bougeais pas et restais là, les mains posées sur sa peau chaude. Il ne disait rien, mais d’un coup se pencha en avant et m’attrapa les poignets fermement. Impossible de se débattre. Je laissais s’échapper un petit cri, mon seul et unique moyen existant pour me défendre face à un policier musclé, et me retrouvais sur le dos d’Alekseï. Je n’y restais pas longtemps car il me fit pivoter par l’avant et me fit tomber sur le canapé. Il n’avait réellement pas flippé, et moi j’avais été quelque peu surprise par son action. Je levais le visage vers celui d’Alekseï alors posé au-dessus de moi et le regardais rire. Il s’amusait bien, il m’avait eu une fois de plu. Une petite moue se dessina sur mon visage. Je n’étais pas contente, je n’avais pas réussi à lui faire peur. C’était comme un petit jeu, et je réagissais plus comme une gamine plutôt que comme une mauvaise joueuse.
Il leva un bras et pointa du doigt et du regard le placard. Je jetais un regard à ce qu’il me montrait et me pinça les lèvres. La porte du placard, j’avais oublié de la fermer et elle l’était à la base. Alekseï avait l’œil partout et remarquait le moindre détail, j’aurais dû me douter que mon plan serait tombé à l’eau quoi qu’il arrive car il trouvait toujours quelque chose pour me contrecarrer. Et cela avait le don de m’agacer, même si cela restait seulement un agacement encore amical. Presque même une compétition à mes yeux. Je continuais à faire ma petite bouille d’enfant, et celle-ci s’accentua lorsqu’Alekseï ajouta que j’aurais fait une très bonne criminelle si je n’avais pas oublié ce médiocre détail qu’était la porte du placard. Mais je n’étais pas une bonne criminelle, et je trouvais cela particulièrement nul. J’aurais voulu qu’on me dise que mon plan était génial, j’aurais adoré voir Alekseï crier et pouvoir me moquer de lui. Mais c’était l’arroseur arrosé, et c’était de moi qu’on se moquait désormais.
Alekseï fit finalement le tour du canapé et se posa devant moi avant de s’être étiré. Ah ce petit air satisfait, j’aurais voulu lui donner un coup avec ma force de mouche, autant dire qu’il n’aurait rien senti mais aurait compris dans quel sentiment il venait alors de me plonger. Peu importe. Il avait l’air serein au début, puis il adopta un air assez bizarre par la suite. J’examinais son comportement et le voyais rapidement s’asseoir à mes côtés sur le canapé douillet, cherchant un appui en s’asseyant. Mauvais signe. Il passa une main sur son visage, ce genre de choses que l’on fait lorsqu’on se sent particulièrement mal. Je fronçais les sourcils et le fixa d’un air inquiète. Vraiment très mauvais signe. Je le fixais donc, et lui comme par hasard entama un nouveau sujet tout en me regardant d’un air plus serein et souriant. Il voulait esquiver ce qui venait tout juste de se passer, il voulait tout simplement que j’oublie. Mais je n’oubliais pas ce genre de choses. J’avais bien vu qu’il se sentait mal, je n’étais pas dupe, et s’il croyait pouvoir esquiver ce sujet aussi aisément, alors il était complètement à côté de la plaque. Je ne tournais pas autour du pot et ne répondais pas à sa question. Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ? Ne me dis pas non, j’ai vu tu sais, je ne suis pas dupe. Les bornes étaient posées, il ne pouvait les dépasser sans risquer une séance de boudage de ma part ou sur une attitude de maman poule qui veille sur son petit poussin. Il m’avait demandé où j’avais caché le DVD et j’avais pensé faire une tête d’innocente en un premier temps, puis me rendais compte que malgré ma bonne volonté, j’avais oublié où j’avais placé le DVD. Alekseï n’allait pas me croire, bien sûr, mais j’avais réellement oublié et je n’avais plus qu’à ressasser dans ma mémoire afin de retrouver l’objet perdu. Objet qui d’ailleurs, s’il était définitivement perdu, ne me manquerait pas il faut dire. Je souriais doucement à cette pensée et regardais Alekseï d’un air attendrit et surtout inquiet.
En voyant la tête boudeuse de Lexus, je me mis à me poser quelques questions. Peut-être que la prochaine fois, je devrais la laisser gagner ? C'était un peu maladroit, d'autant plus que j'étais flic, pas acteur, je n'avais jamais fait de théâtre et si j'étais capable de masquer mes émotions, je n'étais pas forcément très doué pour en arborer des fausses. Si je n'avais pas peur et que je criais quand même pour faire semblant, j'étais certain que mon cri aurait tout d'un cri superficiel et que Lexus s'en rendrait compte, et pire, qu'elle bouderait encore plus que si je n'avais tout simplement pas crier. Jouer la comédie, c'est pas conseillé, encore moins quand on sait pas jouer un véritable rôle, ce qui était mon cas. Ouais, pour les missions d'infiltration, j'étais pas forcément le plus doué et donc pas le volontaire rêvé. Volontaire, ou pas d'ailleurs. J'avais conscience d'être nul en comédie et je n'allais pas m'inventer des talents.
Mon vertige me prit soudainement, sans crier gare, si bien que je m'assis très vite dans l'espoir qu'il s'en aille, et c'est ce qu'il fit. Le vertige était parti aussi vite qu'il était apparut, et j'espérais que ça n’inquiéterait pas Lexus, puisqu'après tout, ce n'était rien de bien grave, ce n'était qu'un vertige. Pourtant quand je la regardais, après avoir posé ma question et en dévisageant ses traits, je compris que non, je ne m'en tirerais pas aussi facilement que je l'aurais aimé. Je la fixai quelques secondes alors qu'elle prenait la parole pour me demander de lui dire ce que j'avais, et me prévenant que j'avais tout intérêt à ne pas essayer de lui mentir. Et comme déjà dit précédemment, j'étais de toute manière très nul en comédie. Je secouai légèrement la tête, m'appuyant contre le dossier du fauteuil bien confortable et adressant un sourire réconfortant à la jeune femme, posant ma main sur la sienne pour accompagner mes paroles.
« Je t'assure que je vais bien et je n'essaie pas de te mentir. J'ai simplement eu un vertige, c'est rien de grave et ça peut arriver à tout le monde, j'imagine que c'est parce que je dors pas particulièrement bien en ce moment. Mais je saurais pas te dire pourquoi j'arrive pas à dormir, je me réveille, sans vraie raison, et je n'arrive plus à me rendormir. T'as pas à t'inquiéter, ça va passer ! »
Je me tus, réfléchissant à ce que je venais de dire. Il était vrai que depuis quelques temps j'avais du mal à dormir, soit je me réveillais et il était impossible pour moi de me rendormir, soit je me réveillais, pour me rendormir et me réveiller à nouveau, et ainsi de suite... J'avais souvent des migraines et des vertiges, mais j'attribuais ça à mon manque évident de sommeil, éventuellement à un possible surmenage entre mon travail et les cours, mais je faisais avec et je savais que ça ne durerait pas. Je ne voulais pas que Lexus s'inquiète pour moi, j'étais certain de ne rien avoir en particulier ; et puis ça ne me le faisait pas depuis longtemps, seulement quelques jours, ça finirait tôt ou tard par s'en aller et ce jour-là, je pourrais lui dire que j'avais eu raison de lui dire de ne pas se faire de soucis.
Je l’observais, et il en faisait de même. Il devait avoir compris en voyant l’expression de mon visage qu’il n’avait pas intérêt à s’aventurer sur le terrain du mensonge. La santé, c’est une des choses les plus importantes au monde et on ne rigole pas avec cela avec moi. Je trouve ce sujet loin d’être hilarant. Je lui parlais, et il m’écoutait déblatérer attentivement. Je savais qu’il aurait préféré que j’oublie ce passage, mais je ne le voulais pas. Je ne voulais prendre aucun risque, si Alekseï se sentait mal alors il fallait tout faire afin qu’il se sente mieux ou que ça ne s’empire pas, et puis je ne voulais pas le retrouver inanimé ou souffrant sur son canapé ou dans le lit cette nuit. Hors de question, ce n’était même pas une question de finir avec une énorme culpabilité pesant sur mes épaules, il s’agit seulement de prendre soin d’un ami cher, d’un ami que j’aimais tellement et avec qui j’aimais laisser filer le temps.
Alekseï s’installa confortablement sur le canapé, il avait alors l’air d’aller beaucoup mieux et rien que cela me rassurait. J’avais compris qu’il avait lu dans le fond de mes pensées, il avait saisi qu’il n’avait pas intérêt à mentir. Il balança sa tête et laissa un sourire glisser sur ses lèvres. Je le contemplais et le laissais poser sa main sur la mienne. Je comprenais rien que par l’ensemble de son attitude que je n’avais pas à m’inquiéter et que tout allait bien. Alekseï me le confirma à haute voix en m’assurant que ce n’était qu’un vertige passager et que ça allait déjà mieux. Il m’expliqua alors que cet étourdissement était peut-être dû à son manque de sommeil. Alors qu’il me racontait ses problèmes actuels de sommeil, je penchais légèrement la tête pour le regarder et l’écouter et laissais la curiosité et l’intrigue grandir dans ma tête. C’était bizarre cette histoire, vraiment. Je n’avais jamais vraiment eu de problèmes en ce qui concerne le sommeil et dormais la plupart du temps comme une vraie marmotte, alors ce genre de soucis m’était complètement étranger.
Tout ce que je pus répondre en premier fut un simple « C’est étrange. » Je devais avoir l’air d’une imbécile, bien sûr que c’était étrange, il n’était pas nécessaire que je le dise pour qu’Alekseï s’en rende compte. Je me demandais alors s'il avait été voir un médecin, mais n'osais pas le lui conseiller. Je ne savais plus trop quoi dire alors à ce moment, et Alekseï quant à lui ne rajoutait aucun mot supplémentaire à sa confidence. J’étais assez rassurée mais je gardais un soupçon de méfiance au fond de moi. Toute cette histoire n’était pas claire à mes yeux. C’était trop étrange pour ne rien cacher selon moi. J’espérais me tromper, pour une fois c’était réellement ce que je souhaitais. Je regardai Alekseï avec un minuscule sourire au coin de mes lèvres et m’approcha de lui. Il était affalé dans le coin du canapé, semi-assis. J’en profitai alors pour me poser contre lui, ma tête sur son torse et les jambes tendues sur le canapé. Je levai la tête vers lui et lui sourit plus clairement. Je ne disais rien, mais j’espérais alors qu’il comprendrait que j’étais là pour lui en toutes circonstances. « Dans ce cas tu devrais peut-être plutôt te reposer ce soir, on peut le faire une autre soirée la glace et le film. Je pourrais tout essayer pour te faire dormir, qui sait peut-être que je pourrais t’aider à passer une nuit complète. Je veillerai sur toi, et je concocterais des potions magiques de sommeil. » Je ne cherchais en rien à esquiver le film d’horreur pour cette fois, ma proposition était réellement sincère et porteuse d’une bonne volonté.
Je me mis à rire doucement d’un petit rire cristallin sans pour autant quitter ses yeux du regard.
Les deux premiers mots de Lexus m'arrachèrent un nouveau sourire. Si c'était étrange ? Un peu. Les insomnies le sont toujours un peu, au final. Pourquoi notre organisme nous empêche parfois de dormir même quand on n'aspire qu'à dormir ? Pourquoi parfois on est obligé de se forcer à garder les yeux fermés à s'en faire mal aux paupières dans l'espoir de dormir ? C'étaient d'excellentes questions auxquelles je n'avais pas la réponse. J'avais déjà songé à aller voir un docteur dans l'espoir qu'il éclaire ma lanterne, mais j'avais très vite abandonné ; ce n'était probablement que passager et le docteur coûtait cher aux Etats-Unis, je n'avais pas d'argent à dépenser pour une éventuelle insomnie qui n'avait aucune réelle répercussion sur mon quotidien, du moins le pensais-je. Au moins, mes paroles et semblants d'explications semblèrent à peu près suffisants pour Lexus qui, bien que l'air toujours inquiet, ne me faisait plus les gros yeux de la maman poule, un comportement qui m'amusait plus qu'autre chose, au final. Au moins, elle n'insista pas, ce qui me fit plaisir et évita de me mettre mal à l'aise puisque je n'avais pas davantage d'informations à fournir, j'avais déjà tout dit.
Je ne bronchai pas lorsque la jeune femme s'allongea carrément sur moi, la tête sur mes genoux et les pieds sur l'accoudoir du canapé. Je me remis simplement droit pour éviter qu'elle soit dans une position inconfortable, posant un bras sur elle et l'autre jouant avec quelques mèches de ses cheveux. Je la regardais, pensif, un léger sourire figé sur mes lèvres. J'étais bien, Lexus savait comment me mettre à l'aise. Un léger rire franchit mes lèvres à sa dernière phrase. Des potions magiques de sommeil ? Lexus la bonne fée, comme ça lui allait bien... Je secouai légèrement la tête, amusé, avant d'enfin lui répondre.
« Ça va, tu sais, je ne suis pas en sucre. Mais c'est gentil de te préoccuper de ma santé. Mais honnêtement, je n'ai pas besoin qu'on me bichonne et qu'on me borde, je préfère encore passer une bonne soirée avec une amie pour m'endormir avec l'esprit tranquille. »
Ce n'était pas une énième tentative de la convaincre de regarder le film avec moi, je voulais simplement qu'elle ne se préoccupe plus de ce qu'il s'était passé. Pour moi ce n'était pas important et même quand j'étais malade, je préférais qu'on s'applique à me faire oublier que je n'étais pas dans mon assiette plutôt qu'on me noie sous la compassion. Oui, ça fait plaisir de se sentir compris et soutenu... Mais j'avais une fierté démesurée et je n'aimais pas qu'on me voie faible, peu importe la situation dans laquelle je me trouvais. J'acceptais l'aide, mais... une aide, disons, discrète. Je pris un air innocent, lui appuyant doucement sur le ventre de mon index, le regard taquin avant de détourner la tête, feignant l'angélisme.
« Mais, si tu veux veiller sur moi pendant que je dors, ça veut dire que tu vas devoir dormir ici. »
Je faisais sourire Alekseï, c’était toujours cela de gagné. Peut-être avait-il des soucis personnels et qu’il ne voulait pas m’en parler, peut-être était-ce réellement ce qui le perturbait et l’empêchait d’observer une nuit complète de sommeil sans se réveiller l’espace de quelques minutes ? Chacun avait son lot de secrets, et il est parfois bon de garder et d’entretenir son petit jardin secret. Alekseï avait cependant trop tendance à garder les choses pour lui, il me semblait qu’il les considérait comme des faiblesses. Et il cachait au maximum ses faiblesses en général. Je ne savais pas vraiment si l’on pouvait dire que c’était son métier qui l’avait rendu ainsi ou le contraire. J’étais curieuse de savoir comment pouvait être Alekseï dans le passé, était-il différent ? Anyway, je n’allais pas forcer Alekseï à se confier à moi. S’il venait à le faire, il faudrait que cela vienne naturellement de lui, je ne voulais absolument pas l’obliger à ce sujet car je savais ce que c’était de vouloir à tout prix garder les choses enfouies au plus profond de soi pour pas que notre fierté en prenne un sacré coup.
Je le regardais de mes yeux bleus, avec un léger sourire sur les lèvres accompagné d’un rire adorable, sans vouloir trop m’en vanter. Alekseï n’avait rien dit lorsque je m’étais installée confortablement sur lui, il me regardait même avec un sourire tout en jouant avec une de mes mèches de cheveux. Il s’installa à nouveau, histoire que je me sente encore mieux alors que je me sentais déjà bien, et passa un de ses bras sur moi. J’avais l’impression d’être dans un petit cocon, en sécurité. Tout allait bien, j’étais rassurée et largement à mon aise ainsi. Il se mit à rire en m’entendant parler de potion magique pour le sommeil. Je faisais une brève moue d’enfant et me mis à rire avec lui. J’étais finalement encore une grande enfant. Il secoua la tête et me répondit qu’il n’était pas en sucre. Je rigolais et lui répondait. Je sais bien mon grand, mais tu ne peux pas me dire que tu es en béton non plus. Chacun a ses faiblesses, et ça te ferait pas de mal qu’on veille un peu sur toi pour au moins une soirée. Tu devrais laisser ta fierté de côté un instant, non tu n'es pas d'accord avec moi ? Je vais pas te manger parce que tu es un petit poisson fragile. Je ne suis pas un requin petite tortue. Une grosse carapace mais un petit être fragile et solide à la fois à l'intérieur. Comme tout le monde j'imagine d'ailleurs, plus ou moins. J'étais bien sûr consciente que ce que je disais n'allais pas forcément lui plaire, mais j'avais raison et j'en étais convaincue. Et puis je disais tout cela sous un ton taquin, il n'avait pas à le prendre mal.
Alekseï posa son index sur mon ventre et y effectua une légère pression. Il tourna ensuite la tête et prenait un air de pur innocent. Eh ! Je le regardais alors, les sourcils froncés. Je grimaçais en suite et répondais à son geste Touche pas à ma graisse, terrain interdit. Je donnai un petite tape sur la main d’Alekseï, la pris dans la mienne et la posa sur le canapé. On sort du terrain interdit maintenant, zone interdite, terrain défendu, personne ne s’y balade. Alekseï me signifia en suite que si je voulais veiller sur lui, je devais dormir ici. Je le fixai un moment, cherchant quelque chose à répliquer. Je devais gagner cette petite bataille, le dernier mot devait me revenir à tout prix. Faux, faux et faux, tu as tout faux, si je veille sur toi, cela veut dire que je ne dormirai pas. Donc je ne dormirai pas ici, je resterai simplement ici à tes côtés. Sauf bien sûr si tu n’en as pas envie et que tout ce que tu souhaites soit que je m’en aille … Bien entendu. Je le regardai avec un air malicieux et me mis à rire avant de lui tirer la langue significativement, j’étais contente de l’avoir piégé et j’espérais qu’il n’allait rien me rétorquer. J’étais curieuse de savoir ce qu’il avait à dire et ainsi de lui répondre à nouveau pour le ridiculiser, mais d’un côté j’étais sûre de gagner cette fois s’il ne disait rien. J’étais comme tiraillée. Le mieux était qu’il me réponde, mais qu’il me laisse l’occasion de le casser. Gentiment bien sûr, je n’étais jamais vraiment méchante bien entendu. Je basculai légèrement, ma mémoire avait arrêté de flancher et je me souvenais enfin de l’endroit où j’avais caché le DVD. Sous le canapé, comment avais-je pu ne pas m’en souvenir ? C’était relativement simple. Je tenais en équilibre entre Alekseï et le canapé tout en espérant ne pas faire souffrir mon acolyte, et tentais d’attraper le DVD d’une main.
A sa graisse ! Je me mordis la lèvre pour ne pas exploser de rire. Comme si elle était grasse. Bon dieu, si elle trouvait qu'elle avait de quoi nourrir les cochons, on allait tous finir par se faire vomir. Je levai les yeux au ciel, m'appuyant davantage contre le dossier du canapé avant de reporter mon attention sur elle. Au moins, ses quelques mots sur sa soit-disant graisse m'avaient fait passer l'éponge sur ce qu'elle avait dit précédemment et que j'avais préféré ne pas commenter. Lexus savait parfaitement que j'étais un homme très sensible, j'avais mal au coeur rien qu'en parler de ma petite soeur et de sa malformation. Je n'avais pas honte d'elle et ce n'était pas pour une telle raison que je ne parlais pas d'Irina. J'avais plutôt honte d'être en bonne santé alors qu'elle, elle avait toujours, depuis sa naissance, eu des problèmes respiratoires. Honnêtement, qu'est-ce qu'un vertige face à ça ? Je ne pouvais pas être faible, même si je ne me sentais pas bien, ce n'était rien, un petit vertige de pacotille, je ne pouvais pas insulter ma soeur en me plaignant parce que l'espace de deux secondes ma tête m'avait joué des tours.
L'espace d'un instant, je songeai à l'embêter encore un peu en recommençant mon manège sur son ventre, mais je me ravisai finalement. Ça finirait sans doute par l'énerver et ce n'était pas ce que je voulais.
« Ta graisse, tu parles. J'en ai plus que toi, alors j'peux toucher. »
J'arquai un sourcil en esquissant un léger sourire, haussant les épaules en l'entendant jouer sur les mots pour ce qui était de "dormir chez moi". Que pouvais-je lui répondre ? Elle avait raison, si elle veillait sur moi, elle ne pouvait pas dormir. Je me mordis la langue. Je ne pouvais simplement pas la laisser gagner de la sorte, ce serait trop simple pour elle et je n'avais pas pour habitude de me laisser abattre si facilement. Je la fixai quelques secondes droit dans les yeux, laissant un léger blanc s'installer entre elle et moi. Les mots n'étaient pas utiles pour le moment, la provocation était palpable entre elle et moi, à la manière dont on se regardait, on défiait l'autre, on se connaissait et on voulait tous les deux gagner. Mais j'avais déjà gagné la partie de peur, peut-être devrais-je la laisser gagner cette bataille-là... mais pas sans me battre un minimum. Elle se pencha un peu, semblant vouloir attraper un truc sous le canapé. Le DVD ? Sans doute, autrement je n'avais aucune idée de ce qu'elle aurait pu cacher là-dessus. Je me penchai un peu en avant tout en la tenant pour lui permettre de récupérer le DVD loué. Je hochai finalement la tête en me réinstallant correctement, prenant un air désinvolte et, lui prenant la main, je me mis à jouer avec ses doigts, l'air pensif.
« Ben, je me disais que de toute manière, te connaissant, tu serais pas capable de faire une nuit blanche même après avoir avalé cinq cafés... Encore moins si tu n'as personne avec qui faire la conversation. »
Je reposai les yeux sur la boîte du film d'horreur, puis reportai mon attention sur la jeune femme, esquissant un sourire en coin.
« Quoique, si tu regardais le film toute seule et que je n'étais pas là pour te soutenir, tu ne fermerais sans doute pas l'oeil de la nuit. Tu en penses quoi ? On fait ça ? »
Je le voyais se mordre la lèvre comme pour retenir son vague sourire ou son probable rire à l’entente de mes remarques. Je lui tirais une nouvelle fois la langue, vexée car il me semblait réellement être pourvue de graisse, rien qu’un peu, et cela me rendait malade. Il se replaça confortablement sur le dossier du canapé et resta silencieux le temps de quelques secondes, voire minutes. En tous les cas, je me demandais ce à quoi Alekseï pouvait bien penser. J’aurais aimé m’introduire dans son cerveau et comprendre parfois ce qui provoquait ce silence. J’étais persuadée qu’il s’agissait là d’une réflexion sérieuse, peut-être même sur quelque chose qui le touchait personnellement étant donné le sujet que j’avais pointé du doigt quelques secondes ou minutes auparavant. Je n’aurais peut-être pas dû, même s’il était important que j’en parle aussi brève que soit mon intervention. J’avais terriblement envie de le taper sur la cuisse, ou de le pincer, ou de le chatouiller. Faire quelque chose pour le réveiller, on aurait dit une statue ou une personne complètement hypnotisée et je détestais particulièrement cette atmosphère pesante.
Il brisa le silence de glace qu’il avait à lui seul installé, par une phrase surprenante étant donné le contexte. Je ne pensais pas qu’il allait repartir sur ce sujet, je pensais qu’il allait chercher à éviter une quelconque question sur ce qui venait de se passer en se retirant du canapé et en se mettant à faire autre chose. Mais non, je m’étais trompée. Je ne comptais pas insister sur ce sujet, mon but n’était en aucun cas de rendre Alekseï mal à l’aise, vraiment pas. Je voulais le faire rire à tout moment, quand ça va et quand ça ne va pas, lui changer les idées et lui faire apprécier toutes les petites choses de la vie. C’était pour moi l’utilité d’avoir des amis, des amis qui savent te faire rire comme lâcher ton sac et te sentir largement mieux. C’était ça pour moi, ce qui faisait des amis pour moi quelque chose d’essentiel.
Il continua donc sur ce sujet, me rappelant comme beaucoup de monde l’avait fait que je n’étais pas grosse (alors qu’en réalité je pense tout le contraire) et qu’il avait plus de graisse que je n’en avais. Je le regardais, avec un regard presque méfiant et suspicieux, regard qui s’accentua quand il rajouta qu’ainsi il avait tous les droits de toucher ma graisse. Je fronçais mes sourcils à nouveau, comme pour avoir l’air méchante et mauvaise et prétendre que j’avais la possibilité de me défendre face à lui. Euhm, ce n’est pas pareil. Toi tu n’as pas de graisse, tu n’as que du muscle. Et le muscle ça pèse plus lourd que la graisse. Donc techniquement j’ai plus de graisse que toi. Et toc ! Alors que je lui faisais remarquer que si je devais veiller sur lui je n’avais pas la possibilité de dormir, je vis que j’avais marqué un point. Alekseï s’était fait avoir, je l’avais eu. Chacun son tour. Un nouveau blanc s’installa, et cette fois j’étais sûre qu’il réfléchissait à une quelconque phrase qu’il pourrait me rétorquer afin de perdre encore une fois cette bataille. Après m’être penchée, soutenue par le bras d’Alekseï, et avoir attrapé le DVD que je posais sur mes cuisses, je me calai contre Alekseï et ferma les yeux, un sourire satisfait posé sur mes lèvres. Toujours aucune réponse, lui avais-je posé une colle ? Abandonnait-il ? Cette perspective me semblait plus que parfaite et c’est ce pourquoi je me mis à sourire.
Alekseï attrapa délicatement ma main et se mit à jouer avec elle doucement. Visiblement il réfléchissait encore, il n’allait donc pas me laisser gagner si facilement. Je retenais un soupir et ouvrais les yeux pour regarder la pochette du DVD. Rien qu’à la regarder, un soupçon d’angoisse traversa mon corps tout entier. Je ne disais cependant rien et me contentais de retourner la pochette pour ne pas à avoir à voir la couverture de celui-ci. Pas la peine de se faire peur d’avance.
Alekseï affirma que je n’étais absolument pas capable de rester toute la nuit éveillée sans que quelqu’un ne me tienne compagnie. Il serait probable que je flippe au moindre bruit, mais j’en étais tout à fait capable. Il serait seulement nécessaire de me laisser dormir une bonne partie de la journée du lendemain. Je répondais un simple Ah oui, tu crois ça ? avant qu’Alekseï rajoute quelque chose qui donnait une nouvelle tournure au défi. J’aimais largement moins cette alternative et je dois dire que je n’en menais pas large. Je le vis regarder furtivement le DVD et esquisser un sourire, un sourire en coin. Le genre de sourire qui ne présageait rien de bon. Cela ne me plaisait guère. Alekseï me proposa alors de regarder le film d’horreur seule. Mon sang se glaça complètement et rapidement. Je ne répondis rien sur le coup et fixa la pochette du DVD que je venais tout juste de retourner. Toute seule ?... Il était certain que j’allais mourir de peur, encore plus que si je ne le voyais pas accompagnée. De toute manière Alekseï allait certainement plus rire qu’autre chose s’il le regardait avec moi, et puis ce n’était qu’un film … Et puis il ne pouvait pas vérifier que je l’avais vu s’il n’était pas là. Je retins à mon tour un petit sourire en coin et le regarda en penchant un peu la tête en arrière. D’accord, j’accepte. Mais dans ce cas-là cela ne sert à rien que je reste ici. Vrai après tout, je pouvais très bien rentrer chez moi, j’avais une télévision moi aussi. Et toc Alekseï. 2 à 2.
Le point positif, c'est que Lexus n'insista pas davantage en ce qui concernait ma sensibilité. En même temps elle me connaissait bien, et elle savait désormais très bien ce que signifiaient mes silences, mes moments d'absence. Je pouvais compter sur elle dans les moments difficiles, j'étais au courant que je pouvais me confier à elle sans craindre quoique ce soit, ni être jugé, ni que ce que j'aie à dire soit répété. Mais mon problème ne venait pas de Lexus, bien de moi et de ma difficulté à parler de mes ressentis. Je pouvais en avoir envie, les mots ne venaient pas, c'était comme ça. Lexus avait appris à ne pas essayer de me tirer les vers du nez et attendre que les mots me viennent avec l'envie de lui parler. Elle était vraiment adorable et je ne savais pas comment je pouvais la remercier pour le soutient quotidien qu'elle m'apporter, quelque soit l'épreuve que je traversais, aussi infime soit-elle. Et même quand je ne lui disais rien, j'avais la sensation qu'elle savait. C'était absurde, mais elle réagissait toujours d'une manière rassurante, exactement comme elle aurait eu à le faire en sachant ce que j'avais. C'était comme si elle pouvait lire en moi ; c'était désagréable et agréable à la fois. Je n'avais pas toujours besoin de mettre des mots sur mes pensées pour que Lexus me comprenne.
Je haussai les épaules à son constat concernant la différence entre graisse et muscle, amusé.
« Certes ! Mais entre nous, si l'un de nous devait être donné à manger aux cochons, tu crois vraiment que ton ventre proéminent aurait une chance d'être choisi ? »
Pour appuyer mes dires, je refermai les doigts sur son ventre, attrapant le peu de peau que je pouvais attraper. Et c'était vraiment de la peau, même pas de la graisse, et je ne cachais pas que j'avais un peu galéré pour l'attraper.
« En tout cas t'as la peau bien tendre, ça donne envie de te manger. »
Un sourire se dessina sur mes lèvres alors que je laissais son ventre tranquille. Elle était aussi grosse que courageuse. Regarder le film seule ? Je savais qu'elle ne verrait rien du film, même si elle faisait l'effort de le mettre sur lecture et le laisser tourner jusqu'à la fin du générique, elle se cacherait tout le long du film. Je la dévisageai une fraction de seconde à sa réponse et baissant les yeux vers la boîte du DVD, j'empoignai cette dernière et regardai la couverture.
« Détrompe-toi, tu dois absolument rester ici. Il faut que je puisse m'assurer que tu le regardes vraiment. Te fais pas de soucis pour moi va, je me trouverai quelque chose à faire pendant ce temps-là ! »
J'arquai un sourcil en relevant les yeux vers elle, provocateur. Je n'étais pas suffisamment novice pour me faire avoir en la laissant regarder le film seule "chez elle", je savais qu'il y avait de fortes chances pour qu'elle ne regarde pas le film, au final. Et là, était-elle toujours partante ? Ou tout de suite un peu moins ?
3 à 2, avantage pour lui. Alekseï avait raison, je pouvais très bien rester là, chez lui sur ce canapé et devant cette télévision, afin de regarder ce fichu film d’horreur. Il n’y aurait eu que moi, ou si j’avais été avec quelqu’un d’autre, je n’aurais pas pu retenir un petit couinement de peur. Mais là, il s’agissait bien d’Alekseï, et lorsqu’on se lançait un défi il n’était presque jamais question de défaillir. Impossible, il fallait le relever dans la mesure du possible. Il était donc nécessaire que pour cette fois je surmonte la peur dont je faisais d’ores et déjà preuve et dont j’allais obligatoirement faire preuve une fois le DVD lancé. J’étais peureuse, et il fallait que j’aie l’air courageuse et pas effrayée pour un sou. Il était alors complexe d’être amie avec Alekseï dans un tel moment, c’est-à-dire lorsque notre amitié se modifiait en une sorte de relation de compétition et de défi. J’y prenais toutefois un malin plaisir et appréciais cette petite activité que nous partagions ensemble et qui s’était progressivement installée entre nous. Bientôt, à force de m’exercer, j’aurai peut-être la chance de devenir actrice.
Alekseï continua sur le sujet délicat de toute femme normalement constituée et complexée, et il était évident pour lui que je n’étais pas grosse. Facile à dire pour lui. Tout le monde me disait la même chose, mais il m’était impossible de confirmer ce genre de dires. J’étais mal faite pour moi, j’avais du ventre et trop d’imperfections qui me complexaient de jours en jours. C’était un frein pour moi, c’était complexe à gérer lorsque l’on fait partie d’une école de mode, car il m’arrivait de défiler. Une réelle appréhension m’envahissait toujours, je n’aimais pas qu’on me juge négativement et j’étais constamment persuadée qu’on allait le faire. Bref.
Mon ami haussa les épaules d’un air amusé, et j’étais encore là contre lui, avec ma petite mine boudeuse. Il se moquait, mais je ne trouvais pas ça drôle, même s’il y avait plus dramatique comme sujet de discussion. « Ce serait un gâchis de donner un si bel homme au cochon, non ? Et oui mon ventre proéminent pourrait être choisi ! » Je lui tirais la langue et continuais de faire une petite bouille d’enfant boudeuse. Il se moquait, c’était sûr, mais il avait dit que j’avais un gros ventre. Il l’avait dit sans le penser, alors je savais que j’allais pouvoir lui ressortir ses dires si j’en avais besoin, pour le piéger. Je gardais cette phrase sous le coude, au cas où à l’avenir.
« En tout cas, t’as la peau bien tendre ça donne envie de te manger » Je le fusillais du regard, j’avais la peau douce, mais de là à dire que j’étais bonne à manger … J’avais l’impression d’être un morceau de viande, et je n’aimais pas vraiment la comparaison. Un bout de viande... Il y avait plus élégant et plus séduisant à vrai dire. Alekseï sourit par la suite en m’entendant dire que je pouvais le regarder seule et que j’avais également la possibilité de rentrer chez moi pour le visionner. Il n’était pas bête, il avait deviné le fond de ma pensée, bien entendu. J’étais prise, comme un rat. Beurk, un rat. Il regardait la pochette du DVD que j’avais si sciemment cachée, et ce toujours avec ce petit sourire. Il avait gagné pour le coup, mais ce n’était pas fini. La bataille n’est pas achevée. Il arqua un sourcil et me regarda d’un air provocateur. Il m’incitait à regarder le film, ici bien entendu afin qu’il me surveille. Je m’avançais très peu afin de me retourner et de le regarder pour le fusiller à nouveau du regard, on m’aurait poussé je serais tombée dans ses bras en l’espace de deux courtes secondes. Je lui frappais l’épaule, de ma force de mouche, et le regardais par la suite avec un regard rempli d’envie de relever ce défi. « Je le regarderai ton film, ici, seule ou accompagnée. Mais je le regarderai du début jusqu’à la fin. »3 à 3.
Les quelques mots étaient sortis d'entre mes lèvres sans que j'aie vraiment à y réfléchir, je n'avais pas l'intention de me faire avoir. J'avais guetté la réaction de la jeune femme, et celle-ci ne s'était pas faite attendre, passant de stupeur à déception, puis à la frustration. Elle avait espéré m'avoir, mais il ne suffisait pas de garder la boîte près d'elle, je voulais qu'elle regarde le film. Elle était froussarde, s'était-elle vraiment imaginé que j'allais lui confier la tâche de regarder le film sans m'assurer qu'elle l'ait vraiment fait ? Et puis, le plus drôle serait la tête qu'elle ferait à la fin du film. Si elle était seule chez elle, comment pourrais-je la voir ? Je me mordis la langue pour ravaler le rire qui m'avait chatouillé devant son regard assassin et sa petite frappe sur mon épaule, frappe qui ne m'avait pas fait mal le moins du monde. Et de toute manière, il n'était pas dans l'intérêt de Lexus de me faire mal. L'espace d'une seconde, je regrettai qu'elle ne m'ait pas frappé plus fort parce que la force qu'elle avait donné ne suffisait pas à simuler une douleur, je ne pouvais pas la prendre au piège. Dommage. Une prochaine fois peut-être... !
« Très bien, si tu acceptes le défi, alors qu'attendons-nous... ? »
J'avais la main toujours sur la boîte du film. Doucement, je poussai la jeune femme sur le côté, reposant ses pieds au sol pour pouvoir me relever. Comme prévu, je lui mettrai le film dans la chambre. Quitte à la forcer à regarder un film d'horreur, autant faire preuve d'un minimum de compassion en lui laissant l'occasion d'enfouir sa tête sous une couette. Je jetai la boîte sur mon lit, prenant le DVD et le plaçant dans le lecteur avant de mettre stop pour empêcher que le film ne démarre sans Lexus. Je posai la boîte sur ma table de chevet et croisai les bras sur mon torse, me tournant vers Lexus avec un léger sourire.
« Je serai dans le salon si tu as vraiment trop peur et que tu refuses de le voir jusqu'au bout. »
J'arquai un sourcil, amusé. Je savais malgré mes mots que jamais, Ô grand jamais, Lexus n'accepterait pareil affront et j'étais certain qu'elle préférerait se laisser mourir sous la couette, faire une syncope ou que sais-je encore, plutôt que se lever pour admettre sa défaite. Je regagnai le salon et m'installai confortablement sur le canapé, hésitant entre glander ou réviser mes cours.... faire son vilain garçon ou son élève modèle. Dur dilemme. Réviser, et puis quoi, au final ? J'allais entendre le film et je n'allais pas cesser d'imaginer la tête que Lexus pourrait bien tirer, il me serait impossible de travailler dans ces conditions-là. A cette pensée, un sourire se dessina sur mes lèvres.
On aurait presque pu ressentir une forme d’agressivité dans les derniers mots que j’avais prononcé. Bien sûr, Alekseï ne me craignait pas le moins du monde, encore heureux puisqu’il était policier, et il n’y avait aucune chance pour que je ne lui fasse du mal au niveau physique du moins. Je pouvais toujours le toucher et frôler ses cordes sensibles si je voulais jouer la carte de l’agressivité typiquement féminine bien qu’aussi masculine, car c’était tellement simple pour une femme que de frapper avec sa force de mouche, mais cela ne servait à rien. Je ne voulais aucunement faire du mal à Alekseï, et il ne fallait absolument pas que cette forme de jeu ne dérive vers un côté encore plus néfaste voire négatif, ce n’était pas mon but et je pensais réellement qu’Alekseï partageait mon avis sur ce sujet.
Lui, ça l’amusait toujours autant de me voir réagir ainsi. Je ne contrôlais pas réellement ce genre d’émotions. Je savais en garder certaines pour moi, mais il y en avait toute une liste d’autres sentiments qui sortaient tout naturellement de ma bouche ou qui s’exprimaient dans mes gestes sans que je ne réfléchisse à l’image ou l’impression que je pouvais donner en réagissant sur le qui-vive. Quand on m’embêtait, je devenais agacée et parallèlement agressive. Et là, cela m’énervait franchement de ne pas pouvoir gagner contre Alekseï sans passer par la solution compliquée. Bien évidemment, plus je m’énervais à ce propos, plus Alekseï s’amusait. Alors il fallait que je joue la carte de l’indifférence, et je devais me contenir afin de lui laisser le moins de plaisir possible. Il comptait me faire souffrir en regardant ce genre de film, car oui il s’agissait là presque d’une torture à mes yeux, alors je me vengeais à ma manière. Cependant, j’avais déjà réagi à ses provocations, alors il devait très sûrement savoir que je ressentais toujours la même sensation de frustration et que je ne faisais que tenter de l’apaiser avec les moyens du bord. « Très bien, si tu acceptes le défi, alors qu'attendons-nous... ? » Je le regardais toujours d’un regard assassin, voire même noir de frustration et de défiance, et répondais presque sèchement mais surtout d’un air déterminé « Très bien Alekseï, on attend rien du tout. Je vais voir le film, maintenant. Je préfère sa compagnie à la tienne. » C’était méchant en soi, surtout lorsque l’on considérait le ton sur lequel je parlais, mais il savait très bien que je plaisantais, car au fond tout ça n’était qu’une plaisanterie. Il fallait juste bien jouer son rôle, ne pas faire tomber son masque avant que la bataille ne soit terminée au risque de devenir plus vulnérable.
Doucement il détacha mon corps du sien pour pouvoir se lever et aller mettre le DVD dans la chambre. Ce n’était pas très malin, s’il pensait que j’allais être rassurée car en soi un lit c’est assez rassurant et confortable et bien il se trompait. Il était à côté de la plaque, car si je regardais le film dans cette chambre, tous mes soupçons se porteraient sur cette chambre, et je ne dormirais pas de la nuit. Je soupirais légèrement à cette idée et regardais Alekseï aller installer le DVD dans le lecteur prévu à cet effet. J’étais personnellement assise sur le canapé, genoux contre la poitrine, et attendait patiemment, bien loin d’être impatiente que ce fichu film commence. Il revint alors au bout d’une ou deux minutes et m’informa qu’il était à disposition si jamais j’avais trop peur. Il pouvait rêver, je pouvais très bien faire une crise d’angoisse ou me sentir sur le bord d’une crise cardiaque que je ne l’appellerais pas pour me venir en aide ou pour me rassurer. J’allais faire des sacrifices, mais j’allais gagner cette bataille. Il s’installa à mes côtés, l’air plutôt satisfait, tandis que moi je ne lui répondais pas et partais dans la chambre. Je fermai la porte, m’asseyait sur le lit et commença à regarder le film. Dès les premières minutes de visionnage je sentais mon sang se glacer et mon cœur palpiter. C’était mal parti, mais je devais à tout prix prendre sur moi.
Voilà, Lexus était devant son film, celui qui très certainement deviendrait son préféré sous peu puisqu'elle préférait sa compagnie à la mienne. Etant donné que j'étais un mec génial, elle ne pourrait que tomber amoureuse de Rec 2 et se le repasser en boucle, je ne voyais aucune autre issue à la soirée. Un sourire étira mes lèvres à cette pensée ironique. Je savais que Lexus n'était pas sérieuse, mais elle jouait tellement bien la comédie ! Je n'avais pas ses talents d'actrice. Je savais masquer mes émotions lorsque le besoin s'en faisait ressentir, mais je ne savais pas en arborer d'autres qui n'étaient pas les miennes. Enfin, masquer ses émotions, c'était déjà un gros travail en soi, alors j'étais plutôt fier de moi, même si je n'atteignais pas le niveau de Lexus. C'était déjà un niveau raisonnable voir gratifiant à mes yeux, et je ne voulais pas qu'on me retire cette gloire-là.
Je jetai un coup d'oeil à ma montre. Ça faisait déjà vingt minutes que je tripatouillais mon portable et que Lexus s'était enfermé dans la chambre. J'entendais du salon les cris qui sortaient de la télé lorsqu'une fille hurlait dans le film, tellement la maison entière était silencieuse. Je me mordillai la lèvre inférieure, Me levant du canapé et m'approchant de la porte de ma chambre pour y coller mon oreille. J'entendais le film, mais pas Lexus. Elle n'émettait pas le moindre son, à tel point que je finis par me demander si elle était vraiment dans la chambre. Mais elle y était forcément, je ne l'avais pas vue sortir, j'étais resté devant la porte tout le long. Et elle ne risquait pas de sortir par la fenêtre puisque ce serait le meilleur moyen de s'écraser par terre et s'offrir un aller-retour gratuit pour l'hôpital. Pas si gratuit que ça en fait, l'aller-retour, quand on y repense bien.
Je rangeai mon portable dans la poche et abaissai doucement la poignée de la porte pour entrer dans la chambre, refermer la porte derrière moi et me glisser sur le lit aux côtés de Lexus, un sourire aux lèvres. Fort heureusement, aucun de nous deux n'avait eu l'idée de plonger la pièce dans le noir pour rendre le film plus "captivant", aussi n'avais-je donc pas risqué ma vie simplement en ouvrant la porte de la chambre. Je me serais trouvé bien embêté de me faire flinguer ou que sais-je encore parce que Lexus m'avait pris pour je ne sais trop quel démon possesseur d'âmes. Je ne prononçai aucun mot, reportant mon attention sur le film que j'attrapais en cours de route et m'adossant au dos derrière moi. Je ne comprenais pas tout mais je m'en fichais pas mal. De toute manière, les scénarios des films d'horreur étaient rare très élaborés et il ne me faudrait pas bien longtemps pour me mettre dans le bain.
Je détestais les visions d’horreur qui défilaient sous mes yeux, passant de giclées de sang à une fille se faisant exorciser. Tout ça était affreux, je fermais les yeux dans les moments gores et les ouvrais aussi tôt. J’avais beau avoir peur et être complètement dégoutée par ce que je voyais, je devais rester forte et n’absolument pas laisser la moindre crainte se dessiner sur mon visage, cela ferait trop plaisir à Alekseï. Il ne fallait donc pas que je lui laisse ce malin plaisir. J’étais donc là, semi-assise et à la fois semi-allongée dans le lit d’Alekseï, la couverture remontée jusque sous mon menton et mes mains agrippées à un oreiller que j’avais glissé sous la couette. Je sursautais à la moindre musique flippante et laissais mon sang se glacer à chaque scène insupportable. Le temps me semblait interminable, terriblement long, et j’avais l’impression que ce film ne s’arrêterait jamais. Je regardais le réveil et me rendais compte que seulement 20 minutes étaient passées. Il restait encore une foutue heure et cinq minutes à supporter ce film, d’après ce que j’avais vu sur la pochette du DVD du moins. J’avais regardé à peine un quart du film, et je me demandais alors si j’allais être capable de le regarder en entier. Un cri sortant de la télévision perça presque mon tympan et me fit sursauter une énième fois. Je retenais le petit cri que j’avais failli faire sortir à l’entente de cet horrible son, comme à chaque minute du film qui s’écoulait, et serrait aussi fort que je le pouvais le pauvre coussin posé sur mes genoux. J’aurais payé cher pour arracher la prise du mur et stopper ces bruits effrayants, même si je n’avais plus un rond sur mon compte bancaire.
Ce ne fut pas la seule fois où je sursautai, lorsqu’Alekseï ouvrit la porte, bien qu’il le fût doucement, j’eus bizarrement la même réaction. Ce genre de film développait chez moi un don fabuleux pour la paranoïa intensive. Chaque chose qui bougeait était susceptible de se ramasser un coussin ou d’avoir les tympans percés, si jamais il en possédait. Je gardais cependant mon calme extérieurement et ne montrait ni mon sursaut, ni ne criait lorsqu’Alekseï rentrait. J’avais vite reposé mes yeux sur l’écran en face de moi, de manière à lui faire croire que je ne l’avais pas regardé une seule seconde, étant trop intéressée par le film qui m’horrifiait désormais depuis de longues minutes. Mon jeu de comédienne devait être parfait et aucune émotion de ne devait transparaître.
Je ne voulais certes pas montrer à mon ami que j’étais terrifiée mais je n’allais certainement pas me gêner pour lui montrer que je lui en voulais de ne pas m’avoir fait de suite gagner et m’avoir imposé de force ce film. De force car il était évident que j’allais relever le défi qu’il m’avait lancé, et il n’avait pas trouvé mieux comme défi. Pourquoi ne pas m’avoir fait regardé un film particulièrement chiant, culcul la praline et complètement débile qui ne me ferait pas rire l’espace de deux secondes ? C’était sûrement tellement plus amusant de me voir terrifiée, tellement plus amusant d’avoir la possibilité de se moquer. S’il m’avait fait regarder un film pourri, j’aurais pu le critiquer avec lui, alors que cela n’était qu’impossible avec le film que je regardais présentement car lui, ça le faisait discrètement rire et il aurait de quoi me charier pendant des mois, voire des années, si jamais j’osais tourner de l’œil ou crier l’espace d’une seconde. Hors de question de montrer la faiblesse dont je faisais preuve. J’allais juste lui montrer la rancœur que j’éprouvais. Je prenais mon coussin, le plaçait plus près du bord droit et m’éloignait distinctement d’Alekseï. Je n’échangeais aucun regard et aucun mot avec lui, reniant tout semblant de sympathie. J’étais plutôt fière en réalité du creux et de la distance que j’avais imposé entre nous, et je me demandais si Alekseï serait plutôt embêté par ce geste ou amusé. Dans tous les cas possibles, ma personnalité rancunière se faisait sentir.