Vous parlez de ma vie ? Je ne saurais même pas par quoi commencer. J’ai seulement vingt-quatre ans et je consulte déjà un psychologue. J’ai besoin de parler, j’ai besoin de livrer tout ce que j’ai sur le cœur, cependant j’ai quelque chose qui m’en empêche. Comme un voile sur la bouche, je n’arrive pas à desceller, à trouver la clé qui permettrait ma bouche de s’ouvrir, laissant ma voix prendre le contrôle et battre ma fierté. Je n’aime pas m’avouer, je déteste ça, je suis trop imbus de moi-même pour m’imaginer livrer mes faiblesses. J’aurais trop peur qu’elles soient utilisées contre moi, c’est impensable.
Les séances avec mon psychologue, desquelles je sortais toujours empli de regrets, se ressemblaient malheureusement toutes. J’entrais dans ce bureau qui me faisait froid dans le dos, et je m’allongeais sur long canapé de cuir, le regard dans le vide, les yeux à moitié clos. Je ne daignais même pas regarder mon interlocuteur, j’avais trop peur qu’il me pose les questions qui m’effrayaient. Je me sentais caché, lorsque mon regard ne croisait pas le sien. J’avais peur de trop de choses, de la vérité par commencer. J’avais peur de m’avouer vaincu. J’avais toujours été ce garçon auquel on ne s’était jamais attaqué. En effet, lors de mes années lycées, comme j’aime les appeler maintenant, depuis mon cursus scolaire terminé, j’avais toujours été celui qui était respecté. Peut-être était-ce le déguisement dans lequel je me plongeais le matin, cette veste de football qui me rendait invincible. Capitaine de l’équipe de football, j’avais eu droit à ce que tout le monde rêve. Les filles qui voulaient toutes de moi, la notoriété et le respect dans le lycée. Issu d’une famille aisée, je ne pouvais même pas dire qu’il y avait de quoi se plaindre. Les gens auraient ri s’ils savaient mes envies. De quoi une personne riche et populaire pouvait-elle avoir besoin ? D’un nouveau téléphone ? D’un voyage à l’autre bout de la planète ? Je pouvais avoir tout cela. La seule chose qui me manquait, c’était l’amour. J’aimais m’imaginer amoureux. Je me voyais romantique, attentionné, puis ensuite, je me rendais compte que cette personne que je construisais de toute pièce, lors de mes multiples scènes imaginées, n’était pas moi. Je n’avais pas le droit d’être quelqu’un de gentil, quelqu’un d’attendri par les sentiments. Je m’étais toujours juré, depuis toujours, de ne jamais m’attacher à quelqu’un. Quelle que soit cette fille, elle n’aurait jamais ma dignité, ma fierté. C’était tout bonnement impossible qu’une fille puisse détruire la carapace dans laquelle je m’étais immiscé lors de ma jeunesse.
Plus jeune, je n’avais pas eu cette carrure. J’étais plutôt rond, je n’avais pas de belles dents et je n’étais pas aussi populaire. À vrai dire, j’étais plutôt celui qui était martyrisé par les plus grands car j’étais seul. Je n’avais pas beaucoup d’ami. Je n’étais pas le plus malheureux, loin de là. J’avais la chance d’avoir une famille soudée, qui l’est toujours d’ailleurs, mais venir à l’école était plutôt une corvée qu’un plaisir. Ce n’était pas vraiment normal. Bien sûr, je n’étais pas jeté dans les poubelles ou tabasser par plusieurs gars à la sortie des cours. Je subissais juste quelques moqueries, des insultes, mais c’était toujours. Se faire insulter, ce n’était pas facile, mais j’essayais de ne pas montrer ma peine. Je serrais les poings dans mes poches, je les serrais tellement fort que mes doigts semblaient traverser la paume de ma main, puis je me jurais de changer pour le lycée. Changer… ça semblait tellement facile quand j’y pensais, et pourtant, il m’en fallu du courage pour devenir celui que je suis maintenant. Il m’en fallu tellement que je me demandais si je n’allais pas sombrer dans la drogue ou ce genre de chose. Jamais. Au lieu de ça, j’avais préféré me lancer dans le sport. Ce fut une révélation. Je commençais à jouer au football. C’est un sport très connu et réputé, là à San Francisco, mais je n’avais jamais vraiment essayé d’y jouer. La révélation.
C’est ainsi que je devins celui que je suis à l’heure actuelle. Celui que j’aime voir dans le miroir. Les gens peuvent me penser orgueilleux, fier de ma personne, mais personne ne sait pas où je suis passé. Personne ne sait combien de fois j’ai voulu devenir maigre à n’avoir que la peau sur les os. Maintenant ? C’est peut-être cruel. Non, ce n’est pas peut-être cruel, c’est juste abominable. J’aime regarder les gens en surpoids et me moquer. Je me dis que s’ils voulaient être fins, ils pourraient l’être. Je me dis qu’ils auront peut-être la chance, grâce à mes moqueries, de devenir une personne qu’ils aimeront voir le matin, dans le miroir. Je me consolais de cette manière, en me disant que les insulter les aiderait. Cependant, j’étais devenu ce connard, ce mec que j’avais tant détesté voir m’insulter au collège. J’étais devenu le même. C’était comme une vengeance sur la vie. Ouais, c’était ça, l’esprit de vengeance qui régnait dans mon cerveau.
La fin du lycée fut malgré tout, malgré toute cette popularité, une libération. J’étais content de sortir enfin diplômé et de me dire que le travail m’attendait. L’école n’avait jamais été mon truc, mais avec des parents comme les miens, il valait mieux que je travaille. Ils me laissaient beaucoup de liberté, tant que cela ne se voyait pas sur mon travail. Heureusement pour moi, j’apprenais plutôt vite, je me familiarisais vite avec les matières étudiées à l’école et le football m’apportait beaucoup de point. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire de ma vie. J’avais pensé devenir psychologue. Je me disais que je pourrais me consoler avec les soucis des autres. Est-ce que ça aurait des conséquences bénéfiques sur moi ? J’en doutais fortement. J’aurais plutôt sombré, encore plus. J’entamai alors des études dans le journaliste. Après tout, pourquoi ne pas continuer dans les domaines dans lesquels j’étais le plus à l’aise. J’étais plutôt à l’aise avec l’idée de parler devant une caméra, surtout lorsqu’il s’agissait d’animer la rubrique sportive. Quand le post s’ouvrit à moi, je saisi ma chance et n’hésite pas une seule seconde. Je devais faire quelque chose de ma vie. C’est ainsi que je devins ce journaliste qui croisait tous les jours, ou presque, le regard de la seule fille qui m’avait toujours résisté. Je ne supportais pas l’idée qu’une fille puisse refuser mes avances. Je supportais encore moins le fait que plus elle me repoussait, plus je m’accrochais à elle. C’était insupportable, et pourtant incontrôlable. Où cette histoire allait-elle nous mener ? Affaire à suivre.[/center]