{ La seule arme des enfants contre le monde, c'est l'imaginaire. Claude Miller23 Novembre 1990 - Venise.
Durant plusieurs mois, Diego n'avait pas parlé de ses doutes et de ses craintes à sa femme, Krista. Il ne voulait pas la laisser tombée alors qu'elle attendait leur premier enfant. Et puis elle avait fait tellement d'efforts en si peu de temps, il ne voulait pas la voir replonger dans l'enfer duquel il l'avait sortie. Non, il ne se le pardonnerait jamais si elle retouchait à la drogue par sa faute, elle qui, par amour pour lui, avait eu le courage de tout arrêter. Après tout, depuis qu'elle s'était réorientée vers un nouveau chemin, leur vie avait été des plus heureuses; ils s'étaient mariés, avaient voyager à travers le monde, et attendaient un premier enfant. Ils pensaient que le pire était maintenant derrière eux.
Diego n'avait pas pu assister à l'accouchement de Krista. Il avait reçu un appel de sa femme à son bureau qui lui demandait de venir de toute urgence à la maternité, qu'elle avait perdu les eaux. Laissant toutes ses affaires sur place, il s'y était rendu aussi vite que possible, mais se trouvant à plus de deux heures de route de la maternité, il était arrivé trop tard de quelques minutes, et le bébé était déjà la. Le bonheur ne fut tout de même pas des moindres quand, pour la première fois, on lui posa son enfant dans les bras. Une magnifique petite fille à laquelle ils avaient déjà attribué depuis plusieurs semaines le prénom de Jazz. Ils avaient trouvé intéressant de l'appeler de cette façon car, en plus de trouver ce prénom doux, original et mélodieux ( c'est le moins qu'on puisse dire ! ), ils n'avait encore jamais croisé de personne ayant le même. Les deux premiers mois, le jeune couple était sur un petit nuage. Diego en avait oublié toutes ses appréhension, & Krista semblait être une nouvelle femme, comme si rien ne s'était jamais passé. Tous les trois habitaient un grand appartement luxueux au centre de Venise. Oui, l'argent n'était pas ce dont ils avaient le plus besoin, puisque Diego possédait plusieurs maisons et appartements partout en Italie, des habitations que d'autres personnes lui louaient. Mais le bonheur de cette petite famille ne dura pas longtemps. Diego était sorti prendre l'air après une dispute avec Krista, prenant la petite Mona avec lui dans une poussette. Il ne resta pas dehors bien longtemps. Lui & sa femme s'étaient disputés pour une histoire complètement stupide, et il tenait à s'excuser auprès d'elle. En entrant dans l'appartement, il posa sa jeune enfant dans son lit puis chercha Krista. Elle ne semblait être nulle part, pourtant il n'était pas sorti plus d'une demi heure, elle ne pouvait donc pas avoir disparu aussi vite. Finalement, c'est dans la salle de bain qu'il la retrouva, assise sur le bord de la baignoire.
« Krista ? Je voulais m'excuser de mon comportement, je ... »
Il s'arrêta net. Sa jeune femme avait relever la tête vers lui, il y avait quelque chose d'anormal sur son visage. Une expression qu'il n'avait plus vu depuis longtemps, quelque chose d'invisible pour une autre personne que lui.
« Krista ... Tu t'es droguée ... »
La jeune femme renifla, puis se mit a pleurer. Il la consola, mais au fond de lui, quelque chose lui disait que c'était le début de la fin. Il le savait, maintenant qu'elle avait recommencer, elle ne s'arrêterait plus. Il ne voulait plus de cette vie, il en avait trop souffert pour que tout recommence. Sans réfléchir, la peur de se voir à nouveau emporté dans un tourbillon de problèmes le poussa à mettre sa femme et sa fille à la porte, sans l'ambition de les revoir un jour.
Jazz avait grandit. Elle et sa mère étaient repartie en Amérique rejoindre toute la famille de Krista qui habitait à Cannes, en France. Elle avait su parler et marcher très tôt, bien avant les autres enfants. Et puis, avant même d'être allée à l'école pour la première fois, elle avait su compter, écrire son prénom et ... Jouer du piano. Oui, la jeune enfant s'était découvert une passion et un véritable don pour la musique, sans doutes un don que lui avait apporté l'originalité de son prénom. Elle passait son temps à chanter, même en dormant, et son seul sujet de conversation était la musique. A l'age de six ans seulement, elle était nommée soliste dans la chorale de son école. C'est d'ailleurs à la représentation de fin d'année de cette chorale qu'elle remarqua que quelque chose n'allait pas chez elle, qu'elle était différente. Dans la salle, les parents de chaque enfants étaient la; Le père et la mère. Mais elle, un père, elle n'en avait pas. Pourquoi ? Y avait-il une raison ? Avait-elle, quelque part dans le monde, un géniteur inconnu ? Ou bien avait-elle été conçue différemment des autres ? Et pourquoi, hormis elle, tout le monde avait ses deux parents présents ? Bien évidemment, elle avait toujours su qu'elle n'avait qu'une mère, mais elle avait penser ça normal. Que si certains d'enfants naissaient blonds ou bruns, d'autres naissaient sans leur père. Mais ce soir la, elle s'était rendu compte que ce n'était pas le cas. Elle aussi, elle aurait aimé pouvoir se jeter dans les bras d'un père à la fin du spectacle. C'est à la fin de la représentation, alors que la plupart de ses camarades choristes se dirigeaient vers le buffet ou était servi tout un tas de friandises et de boissons, qu'elle alla voir sa mère et lui posa une question qu'elle ne lui avait jamais posée autrefois.
« Maman, pourquoi j'ai pas de papa ? »
Elle avait hésité à répondre à ce moment la, comme si elle ne s'y était pas préparé. Puis elle s'agenouilla devant elle et la regarda quelques instants avant de lui dire :
« Parce que ton papa à toi est un méchant. Il n'a pas voulu nous garder avec lui pour s'amuser tout seul. Il ne méritait pas d'avoir une petite fille aussi merveilleuse que toi »
ça lui suffisait. Après tout, pouvez-vous me dire quel enfant de six ans voudrait vivre avec un père méchant ? Personne. Mais le fait de n'avoir que sa mère ne rendait pas pour autant l'existence de Jazz trop triste ou trop ennuyeuse, bien au contraire. Elle & sa mère n'étaient pas riches, mais n'étaient pas non plus dans le besoin. Elle continua donc à grandir, pensant souvent à sa " différence ", se posant des questions sur son père. Elle l'imaginait fou, méchant, terrorisant tous les habitants de la ville, sale, grand. Elle le voyait avec des dents noires, vivant dans une toute petite maison sombre en campagne, des tonnes de cannettes de bières sur le canapé, élevant un troupeau de crocodiles dans le bassin de son jardin qui ressemblait plus à un marais. Bien entendu, lorsqu'elle le décrivait à sa mère, celle-ci rigolait & lui disait que son père était une personne tout à fait normale. Mais elle ne voulait pas le croire. Pourquoi aurait-elle deux parents normaux loin de l'autre ? Et s'il était normal, pourquoi n'était-il pas la, avec elle ? C'était tout simplement impossible, et selon elle, sa mère lui racontait des histoires simplement parce qu'elle ne voulait pas lui faire peur.
{ L'adolescence est l'âge où les enfants commencent à répondre eux-mêmes aux questions qu'ils posent - George Bernard ShawOn dit que dans la vie, tout n'est pas toujours rose. Jazz en avait déjà fait l'expérience, même si elle n'était pas consciente de ça. Disons qu'elle avait été épargnée par la souffrance, mais pas par la tragédie. Certes, elle n'avait jamais connu son père, mais jusqu'ici, cette présence masculine ne lui avait pas vraiment manqué. Mais voila, à l'adolescence, la vie change et nous ne la regardons plus du même œil. Et ça, ce changement, tout le monde le vit, y compris Jazz qui n'a pas échappé à la règle.
Plus les mois passaient, et plus elle se posait de questions sur son père. Avec l'adolescence étaient arrivés les problèmes, et surtout les complexes. Non pas physiquement, bien au contraire, elle se trouvait très bien dans ce " nouveau corps ". Mais le fait de vivre uniquement avec sa mère lui donnait l'impression d'être mise à l'écart des autres. vers ses douze ans, elle avait commencé à se sentir mal à l'aise lorsqu'elle allait chez ses amies, en voyant une famille " normale " réunie autour d'une table. Elle qui aimait avoir toujours réponse à tout n'aimait pas qu'on lui pose des questions sur ce père dont elle ne connaissait rien. Puis les années passèrent, et ce malaise se transforma en colère. Pourquoi tous ses amis ne se rendaient-ils pas compte de la chance qu'ils avaient ? Étaient-ils toujours obligés de se plaindre d'avoir des parents sur le dos ? Ne pouvaient-ils pas profiter et arrêter de se créer des problèmes qui, au fond, n'en étaient pas ? C'est vers quatorze ans qu'elle commença à entrer en conflit avec sa mère. Elle en avait mare de ses mensonges, marre qu'elle la prenne pour une gamine : Elle voulait, une bonne fois pour toutes, savoir QUI était son père, savoir OU il se trouvait, et, surtout, POURQUOI il l'avait abandonnée. Elle ne le voyait plus comme l'être terrifiant qu'elle pensait autre fois. Non, maintenant, son père habitait une petite villa, il n'était ni trop grand ni trop petit, souriant. C'était le genre d'homme qui allait faire les courses avec sa femme, qui demandait à ses enfants comment s'était passé la journée d'école, qui les aidait à faire leurs devoirs. D'ailleurs, peut-être avait-elle aussi des frères ? Des sœurs ? Maintenant, lorsqu'elle posait des questions à sa mère, celle-ci lui criait dessus. Certainement en avait-elle marre que Mona ne pense QU'A son père. Elle devait se sentir abandonnée par sa fille, l'enfant qu'elle avait été seule à éduquer la délaissait au profit d'un homme qui les avait toute les deux laissées tombées & qui les faisait souffrir autant l'une que l'autre. Mais ça, Jazz ne pouvait rien en savoir. La jeune fille se renferma alors sur elle-même, se consacrant désormais à sa passion, la musique, grâce à laquelle elle espérait pouvoir vivre plus tard. C'était le moyen qu'elle avait trouvé d'extérioriser tous ses sentiments : Sa colère, son manque, sa tristesse ... Et le fait d'être intelligente n'arrangeait pas son moral. Elle avait l'impression d'être entourée de gens stupides, d'être incomprise et voyait tout le monde faire n'importe quoi autour d'elle. Tout ça ne fit qu'accentuer la violence de ses sentiments qui, on le sait tous, sont souvent incontrôlables et agressifs à cet age. Pourtant, à l'extérieur, Jazz était une jeune fille calme, douce, souriante, simple dont la présente était apaisante & rassurante.
C'est à ses quinze ans que Jazz & sa mère eurent une dispute de trop, et toujours pour la même raison.
« Si tu tiens tant à le revoir, ton salaud de père, pars donc le retrouver ! Puisque ta vie ici te déprime tant que ça, prends ton billet pour l'Italie et fous nous la paix avec tes questions ! Et surtout, prends un billet sans retour ! »
La porte claqua. La dernière chose à laquelle se mère pouvait s'attendre, c'était que Jazz s'exécute & parte en Italie. Elle partit sans affaires, sans rien. Elle ne prévint personne de son départ, ne laissa aucun moyen de la contacter.
{ On n'est pas forcément le père de quelqu'un mais on n'est jamais l'enfant de personne - Georges WolinskiVenise. C'était donc la qu'habitait le père de Jazz. Pour la première fois depuis quinze ans, Krista l'avait rappelé pour le prévenir de l'arrivée de sa fille chez lui. Alors il était venu. A l'aéroport, il vit une jeune fille d'un quinzaine d'années assise sur un banc, regardant partout autour d'elle. Elle ressemblait à ce que lui avait décrit son ex-femme. Il s'approcha d'elle, elle le regarda s'avancer avec des yeux innocents & pleins d'espoir.
Elle se leva. Alors c'était elle, sa fille ? Cet enfant à laquelle il avait pensé chaque jours, chaque nuits pendant quinze ans sans jamais oser l'appeler au cas ou elle lui en voudrait trop ? Elle était magnifique, avec ses longs cheveux bruns ondulés et ses grands yeux bleus. Elle le regardait de haut en bas. Il n'était pas du tout comme elle l'avait imaginé, que ce soit à ses six ans ou à ses quatorze ans. Il était très grand, fort, tatoué. On voyait bien qu'il aimait faire la fête, mais que ce n'était pas le genre de personne à aller trop loin. Un look un peu country & rock n roll. Ce n'est pas à lui que les petits minots du coin devaient venir chercher les ennuis ! Et pourtant, le première réflexe de Jazz fut de le frapper. Elle ne savait pas pourquoi, elle le frappa de toute ses forces. Et le grand homme menaçant la laissa faire, supportant en silence les coups de poings, de pieds et les cris de haine de sa fille. Puis elle se calma et le regarda droit dans les yeux.
Et pour la première fois de sa vie, elle se sentit libérée d'un véritable poids. Rien que le fait d'avoir frapper son père avait apaisé son esprit. Maintenant, tout allait changer. Elle se poserait jamais plus de questions sans réponse, elle ne harcèlerait plus sa mère pour en savoir plus.
Au cours des premiers mois en Italie se posa le problème de la langue. Jazz ne parlait pas un mot d'Italien, voila pourquoi Diego, qui avait appris l'Anglais lorsqu'il avait vécu avec Krista quelques années avant la naissance de leur fille, donna des cours intensif à sa fille. Il lui avait emménagé la chambre dans laquelle elle aurait du dormir étant petite, il lui avait racheter tous les meubles et de nouveaux vêtements. Contrairement à ce qu'elle aurait espéré, elle n'avait ni frère, ni sœur, ni belle mère. Diego lui expliqua qu'il n'avait jamais fait le deuil de sa relation avec sa mère, et que chaque fois qu'il avait essayé de refaire sa vie, tout avait fini par tomber à l'eau. Il lui expliqua aussi pourquoi il les avait abandonnées, elle et sa mère. Au fur et à mesures des semaines qui passaient, Jazz était de moins en moins renfermée sur elle-même. Elle avait l'impression d'être libérée, que la barrière qui l'avait freinée toute sa vie était enfin détruite.
Elle entra au lycée à Venise ou elle se fit tout un tas d'amis. En particulier un jeune homme du prénom d'Angelo avec qui elle eut tout de suite une relation différente de celle qu'elle avait avec les autres. Ils se voyaient en dehors des cours, passaient leurs soirées ensemble, se téléphonaient souvent. Ils flirtaient, tout simplement. Et puis, après quelques mois à se chercher, ils finirent par se mettre en couple. Les deux jeunes tourteaux étaient plus amoureux que jamais, ils étaient convaincus qu'eux deux, c'était pour la vie. Ils vivaient sur un petit nuage, aussi bien l'un que l'autre. Leur relation simple, innocente, insouciante et fusionnelle faisait beaucoup d'envieux parmi leurs amis. Jazz n'avait jamais été si heureuse que depuis qu'elle était venue vivre en Italie. Tout n'était que merveilles : Elle s'entendait très bien avec son père et avait l'impression de l'avoir toujours connu, elle avait des résultats scolaires satisfaisant, était chanteuse/pianiste dans un groupe de musique qu'elle avait fondé avec des amis, était appréciée de tous dans son lycée, n'avait aucun ennemi &, surtout, avait trouvé son âme sœur.
Un an passa, puis deux sans aucun problème à l'horizon. Jazz avait enfin trouvé son équilibre & n'avait plus de problèmes avec la langue. Elle était heureuse & épanouie, tout simplement. Mais comme partout, comme dans tous les foyers heureux, il faut un jour que le malheur vienne s'installer & dévaster les cœurs.
C'est un jeudi soir que tout bascula. Un simple coup de fil mit fin à deux ans de bonheur ininterrompu pour Jazz. Un coup de fil de la mère d'Angelo.
« Jazz, Angelo vient d'avoir un accident, il est à l'hôpital dans le coma. Les médecins ne savent pas encore si il va s'en sortir. Oh Jazz, c'est atroce ... »
Voila comment la jeune fille se retrouva au chevet de son petit ami durant toute une semaine. Assise près de lui, elle passait jours et nuits assise sur une chaise, lui tenant la main, priant pour qu'il se réveille un jour. Ses proches se faisaient beaucoup de soucis pour elle car elle pleurait constamment, elle refusait de manger et dormait peu. Jusqu'à ce qu'un médecin vienne lui annoncer le pire.
« Ecoutez, Mlle Kennedy ... Angelo ne survivra pas ... Nous devons le débrancher ... Mes sincères condoléances »
Ce jour la, elle comprit que sa vie ne serait plus jamais la même sans lui. Elle n'entendrait plus le son de sa voix, elle n'irait plus se blottir dans ses bras, 'elle ne sentirait plus la chaleur de sa peau contre la sienne, 'elle le l'entendrait plus jamais lui susurrer doucement " je t'aime " à l'oreille ... Elle n'aurait plus jamais le gout de vivre, et les étoiles dans les yeux comme une enfant. Elle avait perdu la seule chose au monde pour qui elle aurait pu tout donner, sa raison d'être sur terre. Tout était terminé.
{ Tout finit afin que tout recommence, tout meurt afin que tout vive - Fabre (Jean Henri)Vingt ans. Aujourd'hui, Jazz a vingt ans. Depuis la mort d'Angelo, elle a essayé de continuer à vivre comme une jeune fille normale ; elle a eu d'autres petits amis, d'autres garçons qu'elle a réellement aimé. Elle n'oubliera jamais Angelo, elle en souffre encore et préfère ne pas y penser. Aujourd'hui, elle a déménagé seule à San Fransisco ; loin de son père, loin de sa mère, près de ses rêves ... Ses rêves ? Vivre, être heureuse. Profiter de chaque instants comme ... Si c'était le dernier.