J'étais un peu surprise de trouver un message d'Hahdrim sur ma page facebook. Il passe me prendre après le boulot. Que prépare-t-il ? J'ai eu le temps d'y penser une bonne partie de la journée. Si avant tout était simple avec lui, je me sens chaque jour un peu plus perdue. Qui est-t-il ? Que sommes-nous ? Des questions qui se sont posées à la minute même où j'ai ressenti cette rage en le découvrant en charmante compagnie d'une autre que moi. Ce jour-là, mon amour propre avait prit une claque. Hahdrim, c'était juste le super pote avec qui je pouvais baiser. On avait aucun engagement. J'étais libre, lui aussi. Mais lorsque j'ai commencé à m'afficher dans les bras d'un autre, c'est complètement parti en vrille. J'avais perdu l'amant, mais aussi l'amant et ça me bouffait de l'intérieur. Hahdrim et moi, on se reparle depuis seulement quelques semaines, tout est encore frais. Mais après notre première conversation où nous avons avoué chacun avoir merdé, nous n'avons plus jamais abordé le sujet de notre relation. Je sais que pour le moment, nous ne sommes pas un couple. Bordel, suis-je vraiment le genre de fille à pouvoir être en couple avec qui que ce soit ? Alors je me rappelle la tristesse d'avoir perdu Hahdrim, ces soirées où je faisais chier Noah parce qu'il fallait que je vide mon sac. C'est l'heure de la fermeture et je devrais déjà être dehors pour lui sauter dans les bras, mais je suis hésitante, encore plongée dans quelques papiers. C'est quoi cette boule dans mon ventre ? Du stress ? Je respire un bon coup, je sors avec genre dix minutes de retard et quand j'ouvre la porte du magasin. Il est là. Droit comme un i, plus beau et plus classe que jamais. Alors soudain, je me sens complètement hors sujet. J'enlève mon bonnet et ma chemise à carreaux de bûcheron, juste pour être à sa hauteur. Je ferme la porte à clé et j'avance sans le lâcher des yeux. Pour une surprise... Je suis touchée de cet effort, mais je suis partagée avec l'envie de rire. C'est tellement à des années lumières de nous tout ça. Il n'y a plus que quelques centimètres qui nous séparent. Je tire sur le col de sa veste. « Très chic tout ça. Tu reviens d'un enterrement ? » plaisantais-je en me hissant sur la pointe des pieds pour rejoindre son visage. Je souffle. « Je risque de faire tâche à côté de toi. » Mon visage termine sa course dans son cou, il sent bon, je reste un instant comme ça.

Mon visage enfouit contre son cou, je profite paisiblement de l'instant. De ce présent. Il sera temps de penser à autre choses pendant le reste de la soirée, mais là, je veux juste m'imprégner de lui. Bordel, je ne sais pas à quoi je joue. Sa remarque me fait sourire. C'est vrai qu'avec sa dégaine et ses tatouages il ne ressemble pas à un homme d'affaires. Il est différent et c'est ce qui m'a plu au premier instant. Et puis, il y a nos origines communes, et le fait qu'on était sur la même longueur d'onde. Mais nos frasques nous ont changé. J'ai l'impression que nous n'attendons plus la même chose. Je réalise que j'ai besoin de lui, de le voir. Il m'a manqué ces derniers temps. C'est comme si nous avions décidé de nous éloigner pour mieux nous retrouver. Bordel, je suis niaise. Où est passé cette fille réclamant sans cesse de la violence comme preuve d'amour ? Finalement, j'ai peut-être une vision nette sur les sentiments, j'étais juste dans le flou pendant toutes ces années. Il s'écarte de moi et je le laisse faire à regret. Mes yeux fixent les siens comme pour y trouver des réponses. Mais je ne vois que son sourire en coin et sa voix qui me demande si je veux bien me prêter au jeu. Le bandeau noir dans ses mains me donnent des idées malsaines, l'envie de faire des cochonneries, comme d'habitude. J'hausse les épaules, je ne sais pas vraiment dans quoi je m'embarque mais ce petit jeu m'excite. Ses bras me conduisent jusqu'à sa voiture où il m'aide à monter. J'avoue que je laisse trainer mes mains un peu partout. Sur sa main, sur son bras, sur son genoux, sa cuisse... L'idée de m'aventurer dans l'inconnu me rend toute électrique. J'aime avoir le contrôle, mais avec lui, je me laisse guider. Il est encore plus dominateur que moi ... La voiture et le moteur s'arrête brusquement. L'air de jazz disparait quand j'entend sa portière qui claque et la mienne qui s'ouvre. Je frissonne quand il m'attrape pour me faire sortir. Il fait lentement tomber le bandeau de mes yeux. Je reste bloquée de longues secondes sur l'entrée du Genesis. Je le regarde avec un petit sourire. « Tu mijotes quoi Vokun ? » Mais il reste silencieux et préfère rentrer à l'intérieur. Je suis surprise de découvrir sur la table qui nous attend une bouteille de champagne, le tout accompagné d'une douce musique, d'une lumière tamisée. « Alors toi, tu ne fais pas les choses à moitié. » Je lui fais un petit clin d'oeil, parce que même si je garde mon caractère de conne et que je me fous à moitié de lui, je suis profondément touchée de ce qu'il a préparé. Nous nous installons à table. Il me serre une coupe et je ne le quitte toujours pas des yeux, avec ce petit rictus collé au coin de mes lèvres. « OUI ! » dis-je d'un cou. Il me regarde sans trop comprendre. « Je prend les devants au cas où tu me fasses ta demande en mariage ! » C'est tout moi ça, la nervosité me pousse à agir comme une conne quand lui semble se démener pour me faire une jolie surprise. Je soupire. « Désolée, c'est juste que tu ne m'as pas habituée à ce genre de chose . . » Je bois une longue gorgée des bulles qui se trouvent devant moi. Nerveuse.

Je me trouve devant cette scène atypique. Hahdrim n'agit pas comme d'habitude. D'ailleurs, je crois que je ne l'avais jamais vu faire autant d'effort pour une soirée. Je suis stressée, décontenancée et j'agis maladroitement. Il doit certainement s'imaginer que je me moque de son petit cinéma mais ce n'est vraiment pas le cas. Je suis touchée mais il y a un soucis avec moi, j'exprime toujours maladroitement ce que je ressens. Ce qui me rassure, c'est qu'il semble aussi nerveux que moi, après avoir trinquer, il avale sa coupe d'une traite. Alors je ne peux retenir un sourire. Entre nous, je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, je n'y avais même jamais songé. Les choses ont changé. Qui l'eut cru.

Il avait décidé de bousculer mes habitudes, de chambouler notre quotidien, de me surprendre et c'était réussi. Mais je ne m'attendais pas à ça. Alors que je suis certaine qu'il ne peut pas aller plus loin, je le vois jeter un œil vers la piste de danse. Ses lèvres bougent et je crois halluciner lorsqu'il me dit de venir. Alors je me mord la lèvre, j'suis pas habituée bordel. Tout ça ne me ressemble pas. Mais avec ce regard, avec ces efforts je ne peux pas faire machine arrière. Silencieuse, je pose ma main dans la sienne et nos corps se dirigent dans la pénombre du petit bout de parquet qui nous attend.

L'espace d'un instant, j'oublie où nous sommes, que toutes les personnes présentes dans ce restaurant ont les yeux braqué sur nous, que tout est aussi compliqué et simple à la fois, qu'on se prend beaucoup trop la tête. J'enfouis mon visage contre son torse et je profite de son odeur. Je m'en imprègne, je n'en perd pas une miette. Mais au moment où je me met fin à ce moment de plaisir, nos regards se croisent, il semble vouloir dire quelque chose et après quelques secondes d'hésitation, il se jette à l'eau. L'effet est immédiat. Je me raidis. Je soupire. Ce n'est pas la première fois que je veux lancer ce débat, mais je n'ai jamais osé. Je le fixe. « J'en sais rien. » Alors je reste évasive. Parce que c'est ce qu'on sait faire de mieux en matière de sentiment. Je me mord la joue, parce que ça me démange. « Les choses ont changé entre nous. Toutes ces histoires, toutes ces conneries . . » Je fais bien sûr référence à sa relation avec Arnora, à toutes ses histoires de jalousie. . cependant, autre chose occupe mon esprit. « Qu'est ce qui se passe pour toi, ça veut dire quoi tout ça ? »

C'était trop dur de mettre un mot sur notre relation. Hahdrim et moi, ça avait quand même toujours été plus ou moins compliqué, peu importe ce qu'on pouvait dire. On ne parlait pas de nous, de la relation qui nous avait toujours unit, on se contentait d'agir sans jamais trop réfléchir. Jusqu'à ce qu'on finisse par se prendre le retour de bâton en pleine gueule. Nous étions jaloux et possessifs. Hahdrim s'était rendu dingue à cause de ma relation avec Utz. J'agissais avec lui comme avec tous les autres, mais cette fois il avait été obligé de constater que ce n'était pas anodin. La relation que j'avais avec Utz était comme celle que j'entretenais avec lui. C'était malsain, mais on ne s'était jamais rien promis. Alors il avait voulu me tester, me provoquer et j'étais forcée de reconnaitre que ça avait marché...

La musique s'arrêtait aussi doucement qu'elle avait commencé, brisant au passage l'intimité qu'on s'était formé. Je soupirais. Il semblait décontenancé par le retour de ma question. Après tout, c'était lui qui avait organisé tout ça, c'était à lui de me dire ce qui se passait entre nous. Je le suivais sur la terrasse, attrapant le paquet de clopes qu'il me tendait. L'air frais me faisait un bien fou. J'allumais ma meurtrière en attente d'une réponse. Je fixais l'horizon mais sa révélation m'interpelait, puis lentement je cherchais son regard. Hahdrim me rendait faible, seulement je ne pouvais pas m'empêcher de penser à cette fille, Arnora. Il était clair que moi aussi j'étais en train de ressentir des choses insoupçonnables, mais oserais-je seulement lui avouer ? "Je suis perdue Hahdrim. J'étais folle de rage de te voir avec elle... Tu me manquais, tu ne me parlais plus. J'comprenais plus rien." Je marquais une pause pour reprendre mon souffle, pour trouver du courage. "J'comprenais pas où j'avais pu fauter. On ne s'était rien promis, tu sais... Et puis... Et puis j'ai compris que j'étais jalouse de te voir avec une autre. Bordel... Je t'en veux de me faire sentir comme ça. Je t'en veux parce que j'ai pu voir que tu étais attaché à elle... Imagines que je me demande à chaque instant si c'est toi le père de son mioche, parce que tu peux pas me la faire à l'envers. Tu l'as baisé et ça je m'en fous, j'peux pas te juger. Mais oses me regarder dans les yeux et me dire que tu ne ressentais rien pour elle." Je baissais les yeux. Je n'étais pas toute rose dans cette histoire et je n'étais pas en train de le blâmer. Il fallait une bonne fois pour toute que je vide mon sac.

Si je pensais qu'il pouvait être le père ? Bien sûr, c'était même ma plus grande crainte à ce jour... Personne n'est à l'abris des accidents, pas même lui, même avec les plus grandes protections. Ses mots me faisaient mal. Je préférais ne plus le regarder de peur de m'énerver. Nous n'étions pas là pour nous déchirer. Alors je tirais nerveusement sur ma clope, mais les mots "j'étais attaché à elle" résonnaient dans ma tête au point que j'ignorais totalement l'autre partie de sa phrase. Quoi que nous pourrions faire, ce sujet reviendrait toujours sur le tapis. Je sais que nous sommes loin d'être parfaits mais pouvons-nous réellement être un couple comme les autres ? Un long silence c'était installé et je balançais ma clope aussi loin que je le pouvais. Cette discussion venait de jeter un froid. Un bruit de téléphone me fit sortir de mes pensées. Je grimaçais. C'était le portable d'Hahdrim et à la vue de sa tête, je pouvais aisément deviner que ce n'était pas une bonne nouvelle. J'allais lui demander s'il avait vu un fantôme mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il avait déjà prit les devants.

Il me tendait son téléphone que j'attrapais. Il était en colère, hargneux, et sa question ne m'indiquait rien de bon. Puis, je posais enfin mes yeux sur la photo en question. C'était Félix et moi. Je ne pouvais retenir un sourire avant de fixer Hahdrim. "Attends, t'es sérieux là ?" Je lui posais cette question car je n'en revenais pas qu'il me flic à ce point. "Lui, c'est Felix, et alors ?" Je ne comprenais pas très bien où il voulait en venir. Felix n'était pas le seul mec avec qui je prenais des photos. Je comprenais pas très bien pourquoi il était en train de me faire une scène. "Tu crois qu'il me baise c'est ça ?" Je rigolais. J'avais envie de hurler, de l'attraper, de le secouer. Ma réputation n'est pas des meilleurs sur ce point, mais quand même. Je me mordais l'intérieur de la bouche, en attendant une réponse de sa part. "Tous les mecs qui m'approchent me baisent forcément, c'est ça ? Dans ce cas tu sais la liste est longue..." Je lui lançais son téléphone. J'étais prête à me casser, c'était quoi ce cinéma sérieux. Il se la jouait romantique pour ensuite me piéger. "Putain Hahdrim..." Je passais ma main dans mes cheveux pour me calmer, pour tenter de rationnaliser les choses. "On joue à quoi sérieux ? J'préfère encore me casser si c'est pour entendre ce genre de truc, si t'as pas encore compris que c'est toi que j'veux, c'est ton problème, mais j'vais pas m'amuser à te faire un dessin." Sur ces derniers mots je le plantais sur la terrasse pour retourner chercher ma veste à notre table.

Je partais, je ne voulais plus le voir, je ne voulais plus entendre ces conneries. Je lui en voulais de ne pas comprendre tout simplement. C'est pas comme si j'étais habituée à ce genre de situation. Je m'éloignais aussi vite que je pouvais, j'étais en colère, mais une main m'empêcha de faire un pas de plus.  En quelques secondes, je me retrouvais collée au mur, ses lèvres sur les miennes. Mon coeur battait fort dans ma poitrine au point que j'avais l'impression qu'il allait sortir. Mes mains se posaient dans son cou, prolongeant cet instant. J'avais le souffle coupé et même si je voulais parler, aucun son ne pouvait sortir. Je me contentais de le fixer avec le regard brillant de surprise. "J'ai peur Sian. J'ai pas envie qu'un autre s'approche de toi de trop près. Félix je le sens pas. Je peux pas expliquer. Je sais juste qu'y'a quelque chose de pas net avec ce mec. M'en veux pas si j'ai envie de te garder pour moi seul." avouait-il. Encore une fois, tu n'étais pas d'accord avec ses mots, mais cette fois tu préférais ne pas relever.

Cette distance entre nous me semble énorme alors qu'il n'y a que quelques pas qui nous sépare. J'inspire profondément. Comment peut-il être aussi insupportable et devenir adorable la minute qui suit ? Je me sentais perdue et ça devait se voir sur mon visage. Il me fixait, m'avouait des choses et moi je restais silencieuse, comme si j'étais insensible alors que c'était tout le contraire. "Tu veux bien venir chez moi ? Qu'on passe une soirée et une nuit de fou rien que nous deux ?" Je le regardais s'avancer de quelques pas, son corps à quelques centimètres du mien. Je me mordais la lèvre inférieure comme pour m'empêcher de répondre. J'hochais simplement la tête de haut en bas pour confirmer, pour acquiescer.  Sa main, son regard, ses mots me transportent.  "Tu me rend fou Sian..." Tu fermais les yeux pour apprécier cette déclaration. Toi aussi tu me rends folle Hahdrim, pensais-je, incapable de lui avouer. Tu l'attrapais par la taille, posant un baiser sur ses lèvres avant de murmurer. "Allons-y." Nous partions, bras dessus, bras dessous en direction d'un terrain connu.