Je n'ai jamais été particulièrement doué pour raconter mon histoire, donc on va faire dans la rapidité ! Je vous passe les détails bien chiants, les premières années d'une vie qui a été on ne peut plus basiques et normales ! Je n'ai malheureusement jamais été un enfant précoce, doué d'un sixième sens ou encore surdoué à l'école, je n'ai toujours été que le troisième né d'une fratrie de 8 enfants. Deux grands-frères qui me rendaient la vie impossible et cinq petites sœurs (dont les trois dernières étaient des triplées) qui me prenaient pour leur poupée taille réelle, le tout allant avec les disputes et les bagarres que tout le monde connait si bien ! (Si non, vous avez bien de la chance).

Enfin, lorsque je parle de sœurs, en réalité c'est plutôt demi-sœurs étant donné que mon géniteur (le même que celui de mes aînés) est allé acheter un paquet de cigarette quelques mois avant ma naissance pour ne plus jamais revenir. Je me dis souvent que c'est peut-être pour ça qu'ils me cherchaient et me titillaient autant, après tout c'était ma faute si notre père était allé voir ailleurs, bien que j'ai toujours du mal à imaginer qu'un fœtus possède autant de pouvoir, mais passons ! Ma mère s'est trouvé un autre homme avec qui partager sa vie deux ans après ma naissance et elle s'est remariée pour pondre une ribambelle de filles comme je vous l'ai expliqué plus tôt. Je ne me suis jamais sentis proche de son nouveau mari qui considérait les premiers enfants de sa femme comme des bouches à nourrir qui ne lui appartenaient pas, mais j'ai toujours eu de quoi manger, un toit sur la tête, je ne vois donc aucune raison de me plaindre. En Roumanie, il existe bien plus malheureux que moi.

Notre vie a donc été très « normale », jusqu'à un jour bien précis. J'avais toujours été en bonne santé, puis un matin l'année de mes cinq ans, alors que nous étions assis à table en train de déjeuner, ça a été le blanc, le silence total, je n'entendais plus rien. J'avais beau lever les yeux pour regarder les autres membres de ma famille, voir leurs bouches bouger alors qu'ils bavardaient, plus rien n'arrivait à mes oreilles. J'ai commencé à paniquer en essayant de le faire comprendre à ma mère et il lui a fallu un bon petit moment avant de déchiffrer ce que je baragouinais. Après un passage chez le médecin, nous n'étions pas plus éclairés, mes oreilles étaient en parfait état, mais plus rien ne fonctionnait. Il n'y avait aucune raison pour que cela arrive et pourtant. Mes parents n'avaient pas les moyens de me faire consulter de spécialiste, je suis donc resté comme cela, sourd total dans l'incapacité de percevoir le moindre bruit. Autant dire que c'était un sacré changement lorsqu'on vivait dans une famille aussi nombreuse et aussi bruyante. Je dirais qu'au début, c'était même reposant ! Mais on s'en lasse rapidement malheureusement.

Les assistantes sociales qui furent mandées pour aider ma mère commencèrent à lui demander de me placer dans un centre spécial, mais rien n'y faisait et malgré toutes leurs explications très logiques, elle s'y refusait. Son fils sera un homme comme un autre et il n'irait pas vivre ailleurs que dans sa maison avec sa famille. Elle se mit donc en tête de m'apprendre à lire sur les lèvres, étant donné que j'avais entendu et parlé avant de devenir sourd, cela me simplifia les choses, mais ce fut néanmoins un exercice très difficile, il fallut apprendre à nouveau chaque mot, chaque phrase, chaque expression... Je pouvais encore parler, bien que je ne m'entendais pas, avantage que bien peu de sourds possèdent. Je rentrai ensuite dans une école normale, inutile de dire que de suivre un cours en étant sourd relevait du haut niveau, j'ai donc eu beaucoup de lacunes à ce niveau et mes notes n'allaient pas en s'améliorant. Mes professeurs avaient beau savoir que j'avais des problèmes qui expliquaient ça, ils n'avaient malheureusement pas le temps de s'occuper personnellement de chaque élève. Ma mère refusait de me mettre dans un centre spécial, et bien tant pis pour moi !

C'est pour ça que l'année de mes 18 ans, ma mère décida de m'envoyer chez son frère qui avait déménagé à San Francisco lorsqu'il était jeune et qui n'avait pas d'enfants, il pourrait m'offrir une bien meilleure vie soi-disant. Je n'eus pas mon mot à dire et je débarquai donc chez cet homme que je ne connaissais absolument et qui fit tout son possible pour me mettre à l'aise. Mais qui disait nouveau pays disait nouvelle langue, encore une fois ce fut la reprise à zéro, réapprendre les mots en une autre langue, encore une difficulté que je du passer. Je réussis à parler assez rapidement, en général les gens ne se rendaient pas compte que j'étais sourd, bien que l'intonation de ma voix avait quelque chose de spécial que certains mettaient sur le compte d'un retard mental. Mais essayez de parler sans vous entendre et vous verrez ce que ça fait ! Je dois dire que l'appui de mon oncle qui se révéla être un homme bon, m'aida énormément, sans lui je ne doute pas une seule seconde que je n'aurais jamais réussi à faire tout cela.

Histoire que je ne passe pas ma journée à ne rien faire entre deux apprentissages, mon oncle me proposa de lui servir d'assistant dans son métier, il était thanatopracteur, à savoir il embaumait les morts, les rendant présentables et s'occupant d'eux pour que leurs proches aient l'impression de les voir tels qu'ils les avaient toujours connus. C'était un métier qui me plaisait bien malgré son côté « glauque », nul besoin de parler et nul besoin d'écouter les autres, je me révélai être très bon dans ce domaine et mon oncle me pris rapidement en tant qu'employé à temps complet. Je revoyais de temps en temps ma famille en retournant en Roumanie puisqu'ils n'avaient pas les moyens de venir jusqu'ici, mais je ne me sentais pas particulièrement désireux de continuer à me rendre dans une famille ou je n'étais pas plus à ma place que cela. Ma surdité avait créé un fossé avec le reste de ma fratrie et la vie s'était tout doucement remise en route sans moi. Autant dire que je n'avais plus vraiment ma place attitrée et que je me sentais davantage proche de mon oncle que des autres.

C'était juste du côté de ma vie privée que les choses se gâtaient, je n'étais pas du genre à aller aborder les autres, autant du point de vue de l'amitié que de l'amour, disons que mon handicap ne facilitait pas l'intégration et que je me complaisais dans ce rôle de reclus de la société sans chercher à me mêler aux autres. Il fallut attendre mes 23 ans pour que les choses changent. Un soir mon oncle entra dans la maison que nous partagions et me demanda de monter en voiture avec lui, puis il me mena jusqu'à un chenil avant de me dire de choisir un chien. Ma première question fut « pourquoi », il m'expliqua alors qu'il s'était renseigné, il existait des chiens d'aide pour les sourds qui leur facilitaient la vie, mais ils coûtaient beaucoup trop cher pour nous, ce qui ne m'empêchait pas de tenter de dresser moi-même mon chien. L'idée me séduisit aussitôt, je choisis un golden retriever couleur renard qui semblait sur le point de mourir de tristesse et le nommai Charles, sans aucune raison particulière.

Il me fallut près de deux ans et demi pour dresser à peu près correctement Charles, il me tirait la manche pour me signaler que le téléphone sonnait ou que l'on frappait à la porte, sautait sur le lit pour dire que le réveil était en train de sonner, mais il me servait aussi dans la rue, lorsqu'on m'interpellait et que je ne pouvais l'entendre. Malheureusement il y avait encore certains points à revoir. Je me souviens encore d'un incident gênant, j'étais en voiture et j'avais dépassé la limite de vitesse sans m'en rendre compte, une voiture de patrouille me pris en chasse en mettant son alarme pour que je m'arrête, mais je n'entendis rien. Il me fallut pratiquement cinq minutes pour apercevoir la voiture dans mon rétroviseur et lorsque je m'arrêtai, le policier débarqua avec son arme hors de son holster, je dû présenter ma carte d'handicapé pour éviter de finir plein de plomb. Cela m'a souvent valu des remontrances lorsque l'on me parlait et que je n'entendais rien, et ce même si ce n'était pas directement de ma faute, bien que ce n'était rien de très important en comparaison du reste.

La vie dans cette ville se passa plutôt bien, seul l'incident de la tempête chamboula toute cette petite vie tranquille, je le constatai surtout avec un pic d'activité dans notre entreprise familiale. Qui disait catastrophe disait forcément beaucoup de mort, notre métier pouvait se targuer de ne pas connaître de baisse d'activité. J'avais déménagé de chez mon oncle par la même occasion, la maison avait été touchée et je considérais qu'il était plus que temps que je prenne ma vie en main. Heureusement pour nous, mon oncle et moi-même n'avions pas été touchés puisque nous étions en voyage d'affaire lorsque le plus dur de la tempête s'abattit sur la ville. Accompagné de mon fidèle Charles j'avais donc entrepris de trouver un petit studio qui n'avait pas trop été touché par les intempéries tout en continuant de revoir mon oncle quotidiennement puisque nous bossions toujours au même endroit. Au final, l'on pouvait dire que j'avais une vie tout à fait normale comme ma mère l'avait toujours souhaité.