Je comptais les billets, que ce mec venait de donner, avant de renfiler son alliance et de partir. Puis je les glissais dans la poche de mon short en jean. 200 dollars. C’était pas ce que j’avais fait de mieux. Mais il n’était que 22h, j’avais le temps de faire plus. Je coinçais une cigarette dans ma bouche et regagnait la rue, pas très éclairée. J’avais pris l’habitude de trainer dans les rues sombres de San Francisco. Ça me plaisait pas forcement, mais je faisais avec ce que j’avais. J’avais décidé de travailler seule, pour moi et personne d’autre. Je ne voulais pas d’un mac qui allait me prendre plus de la moitié de ce que j’allais gagner dans une passe. Alors forcement, je devais me débrouiller seule. C’était différent de la Suède. Là bas, j’avais eu Dan, qui m’avait créé des contacts. Je n’avais pas eu à faire le trottoir, c’était les hommes qui m’appelaient. Je n’avais plus qu’à les rejoindre dans l’endroit de leur choix. Ici, il fallait que je me fasse moi-même ma réputation. Je repartais en quelque sorte à zéro. Mais je m’en fichais. J’avais quitté mon pays, et ça me plaisait d’être ici. En un an, j’avais pris mes marques, j’étais libre, je n’avais plus mon frère, ni ma sœur sur le dos. J’étais moins angoissée à l’idée qu’ils découvrent ce que je faisais. Même si je n’avais pas honte, je savais très bien que ce n’était pas très glorieux. Ma cigarette terminée, je l’écrasais sur le trottoir. Je regardais mon reflet dans la vitrine d’une boutique éclairée par des néons. Un short en jean, un débardeur blanc, transparent, qui laissait voir mon soutien-gorge noir, des bottes motardes noires usées. Mes cheveux blonds, ondulés tombaient sur mes épaules. Je ne m’habillais pas comme ça la journée. Je n’aimais pas à avoir à mettre des fringues comme ça. J’avais eu l’habitude de me taper des mecs classes, peut-être même quelques PDG, qui m’avaient toujours demandé de mettre des robes de soirées, des fringues classes et chics, que je me payais avec l’argent qu’ils me donnaient. Mais ici, je savais qu’il fallait que je passe par là pour attirer les hommes… Je repris ma route, après un soupir et rallumais une cigarette. Je me trouvais alors, enfin, dans une rue plus éclairée et animée, devant un bar qui visiblement avait attiré du monde ce soir-là.
Les yeux rivés sur mon énième verre vide de la soirée, littéralement affalé sur ma chaise, je poussais malgré moi un long soupir. D’agacement ou d’ennui. Ou encore d’agacement lié à l’ennui ? Je ne saurais vous dire. Malgré mes réticences, je m’étais finalement laissé attirer dans un des rares pubs anglais de la ville. Ce genre d’endroits étaient vraiment prisés des américains étant donné que ces derniers semblaient plutôt férus de culture anglaise, probablement ce qui explique le monde réunir dans ce pub ce soir là. Tout les ingrédients habituels étaient réunis pour que je passe une soirée, la bière servie dans d’immense verre, la bande d’amis masculins sortant des blagues salaces sur commende et de la bonne musique. Cependant quelque chose clochait, je n’avais pas le cœur à la fête et ce n’était pas dans mes habitudes. Mes pensées déteignaient sur mon humeur et tout ce que je savais, c’est que ce n’était pas bon signe…
Le coup d’épaule qu’un de mes amis me donna tout en riant me sortit de mes rêveries. Finalement, une autre blague venait d’être racontée et je n’avais rien suivi. Afin de ne pas attirer l’attention sur moi, je fis comme les autres, je me mis à rire, cela dit, même à mon oreille, mon rire sonnait faux et j’étais intimement persuadé que les gars l’avaient également remarqué. Une fois la bonne « rigolade » terminée, je jetais un coup d’œil vers la porte d’entrée du pub. Je commençais à étouffer ici, et la constante odeur de nicotine qui flottait dans l’air ne faisais rien pour arranger l’affaire. Tout en refaisant face à mes amis, je me racla la gorge.
- Les mecs, je vais prendre l’air.
Sans même attendre une quelconque réponse, je me frayais un chemin, bousculant involontairement quelque personnes sur mon passage, jusqu’à la porte du bar que je poussa avec force. L’air était frais. Ça me fis un bien fou. Je levais le visage vers le ciel avant de passer mes mains sur ce dernier. Le ciel était noir, sans lune, ni même d’étoiles. Fermant les yeux, j’inspirais longuement dans l’espoir de faire un vide à l’intérieur de moi-même. Quand je rouvris les yeux, je ne pus m’empêcher de remarquer du coin de l’œil que je n’étais pas seul. La silhouette familière d’une demoiselle faisait face à la vitrine éclairée du pub. Reflexe humain, je me retourna afin de vérifié que mon imagination me jouait encore des tours. Bien heureusement pour moi, ce ne fut pas le cas. C’était Frankie. Pour faire court, Frankie s’était une fille avec qui j’avais quelque fois, comment vous dire, coucher. Mais au-delà du sexe; Frankie était une fille que j’appréciais vraiment. Multiples ont été les fois où nous sommes restés des heures sur l’oreiller à parler ou même rigoler. Quand on s’attache à ce genre de fille, c’est difficile de s’en passer. Pour en revenir au fait, quelque chose me frappa en premier. Que pouvait bien faire Frankie, seule dans les rues de San Francisco à une heure aussi tardive. Bien que nous étions en Californie, c’était très déconseillé. Et ensuite, pourquoi cette tenue ? Pour dire vrai, je n’avais encore jamais eu l’occasion de voir Frankie en short, enfin mini short et débardeur blanc, limite translucide. En journée, c’était plus le genre jean, basket, t-shirt, décontracté tout simplement.
Cela faisait déjà quelque minutes que j’étais posté là, derrière Frankie et si elle avait le malheur de se retourner, elle me prendrait probablement pour un pervers sexuel. Afin qu’elle remarque ma présence, je me racla la gorge plus fort que je ne l’aurais voulu. Un légér sursaut fit trembler ses épaules, ce qui me fit sourire. Avant même qu’elle ait le temps de se retourner, je l’interpella histoire de vérifier une toute dernière fois que je ne m’étais pas trompé sur la personne. C’était possible après tout. Le nombre de filles suédoise et blonde de surcroit avait explosé ces dernières années à San Francisco. Efin, assez divagué.
Ça avait l’air d’être une soirée auxquelles j’avais l’habitude de participer, de la bière, des clopes, de la musique, du monde. Je me demandais si ça valait le coup que j’aille y faire un tour, rapidement. Mais je me rappelais mon objectif : je voulais économiser pour me payer un appartement sur Sunset District ; Alamo Square était très sympa, mon appartement n’était pas trop minable, mais j’avais craquée pour le quartier de Sunset, c’était donc mon nouvel objectif et je ne devais pas m’en détourner. Je me demandais combien de temps j’allais attendre avant d’avoir un nouveau client. Pas très longtemps, j’imaginais. Je n’attendais jamais très longtemps, il faut croire que j’avais un physique qui plaisait. J’attirais surtout les mecs mariés de 40 ans, ce n’était pas ceux que je détestais le plus, ils étaient toujours poli et respectueux, je ne risquais rien avec eux. Une psy aurait peut-être pensé qu’il avait l’impression d’être avec leur fille en étant avec moi… c’était une idée qui me donnait la gerbe : envisageaient-ils le fait qu’en couchant avec moi, c’était comme coucher avec leur fille ? C’était vraiment horrible. Je détestais cette idée. Je me contentais d’être satisfaite quand c’était dans leurs voitures que je me retrouvais : j’étais entre de bonnes mains. C’était le cas de le dire… Je finis ma cigarette et l’écrasais par terre. Quand j’entendis un raclement de gorge derrière moi. je me composais mon plus beau sourire de séductrice et m’apprêtais à me retourner quand j’entendis mon prénom. Il n’y avait aucun mot pour décrire comment je me suis sentie tout à coup. Mon sourire se figea, mon sang se glaçait. J’avais reconnu cette voix, je n’avais même pas besoin de me retourner. C’était cette de Duke, j’avais assez souvent parlé avec lui au lit pour reconnaitre sa voix… Mes amis ne savaient pas ce que je faisais de ma vie, comment je gagnais de l’argent, j’imagine qu’ils pensaient que j’étais serveuse ou un truc du genre. Quant à ceux qui savaient, ils ne venaient jamais me voir sur mon « lieu de travail » sauf peut-être Hadryin, qui ne comptait puisqu’il venait du même milieu & qu’aujourd’hui, j’allais bosser pour lui. J’avais toujours fait attention que personne ne me voit, je ne voulais mêler personne à les histoires. Surtout pas Duke. Je me retournais, surprise. Tout à coup, j’avais envie de fumer un joint, histoire de me détendre. Comment j’allais me sortir de ça ? « Qu’est-ce que tu fais là ? » lançais-je, plus sur la défensive que je l’aurais voulu. Je m’éclaircissais la gorge. Il fallait me mon cerveau turbine et trouve une excuse, vite.