Je venais de terminer de ranger la maison après être sorti faire quelques courses pour ce soir. Oh, pas question de cuisiner quoi que ce soit, des pizza suffiraient largement, et puis c'était toujours bon en plus d'être convivial, selon moi. La conversation que j'avais brièvement eue avec Andreas avant de sortir au magasin me restait cependant encore en tête, car il m'avait parlé comme s'il savait quelque chose de plus que moi, et ça me frustrait. Oké, j'avais dis que Kaylee était plutôt mignonne et qu'elle m'intéressait éventuellement, mais ce n'était en tout cas pas un miracle chez moi d'être attiré par une fille, puis-ce qu'il suffisait qu'elles aient un minimum de formes pour retenir mon attention. D'ailleurs, je sais pas comment lui faisait avec Imogen... cette femme n'était pas, et je veux pas être méchant, mais elle n'était pas attractive. Dans mon cas c'était vraiment pratique, parce que sinon c'est clair que je l'aurais draguée depuis longtemps malgré le fait qu'Andreas était son copain. J'étais irrécupérable de ce côté-ci, je le reconnais, oui...

Je venais de décrocher le téléphone lorsque la sonnerie de l'entrée retentit. Ah, je détestais quand ce genre de choses arrivaient! En plus, c'était mon manager, et je ne pouvais pas me permettre de lui dire que j'avais autre chose à faire, du genre aller accueillir des amis pour une soirée alors que je devrais normalement travailler pour les enregistrements de la semaine prochaine. C'est donc avec le combiné collé à une oreille que je me dirigeais vers l'entrée pour ouvrir à Kaylee et Erwin, faire la bise à l'une et serrer la main de l'autre avant de leur faire signe d'aller au salon tandis que je causais avec le boss. C'était pas la meilleure des bienvenues, je le sais bien, mais ce n'était pas de ma faute si j'étais overbooké en ce moment. Enfin bon, après cet appel, j'éteindrais le téléphone, ce qui ne tarda pas à arriver après approximativement cinq minutes de "oui oui" de ma part. Un petit soupir de soulagement m'échappa, et je m'approchais de mes invités avec un grand sourire aux lèvres et les yeux qui dérivaient déjà sur le sac que tenait Kaylee.

Désolé pour l'accueil raté... business is business. Vous allez bien?

Lorsque Kaylee s'approcha de moi en souriant, la présence d'Andreas sembla devenir quelque chose de tout à fait inexistant durant l'espace d'une ou deux secondes.

Je vais bien merci ! Où puis-je les mettre ?

Ehm... viens, je te montre.

Heureusement que je sentais les yeux de mon ami Suédois posés sur moi depuis qu'on était dans le salon. Ça me rappelait un peu à l'ordre, même si je n'avais absolument rien fait d'outrageux pour le moment et que je ne comptais pas le faire de toute la soirée non plus. "Kaylee n'est pas une fille pour s'amuser", voila ce qu'il m'a dit y'a quelques heures, et je savais qu'il me surveillerait un minimum. Je peux comprendre que se soit une de ses bonnes copines, rien de personnel avec ça, mais mec, si elle m'apprécie et que je l'apprécie aussi, alors tu m'explique pourquoi je devrais me brider à garder les mains dans les poches et les yeux au sol?

En fait, tu peux déjà les mettre sur la table du salon, comme ça c'est fait. Vous voulez boire quelque chose?

J'allais chercher les boissons, puis revins pour les servir. Durant environ une petite heure, nous avons discuté de tout et n'importe quoi, et j'avais surtout cherché à trouver les points d'intérêt de Kaylee pour les mettre en commun avec les miens. Entre temps, nous avons mangé les pizza, et puis Andreas est allé aux toilettes, ce qui avait agit sur moi comme une sorte d'interrupteur. Je me suis immédiatement tourné vers la jeune femme pour lui sourire doucement en la fixant dans les yeux.

Je t'ai pas encore vraiment fait visiter... ça t'intéresse que je te montre la maison?

Je m'étais déjà levé du canapé entre temps et tendu une main dans sa direction.

Tu vis seul ? Ta maison est vraiment impressionnante, tu dois faire de ces fêtes ici... J'imagine même le nombre de personnes que tu peux inviter !

Oui, c’est vrai que la maison était grande, mais j’étais habitué à cette taille. Là où je vivais avant, les terrains étaient immenses et inhabités sur des kilomètres à la ronde puis-ce que les gens se regroupaient au bord de la mer et que le reste du pays était un peu laissé à la nature. Cet effet était encore plus important en Finlande qu’en Suède, d’ailleurs. Mais je vivais dans une famille nombreuse, et il fallait de la place pour caser tout ce monde. Comme l’un et l’autre de mes parents avaient des moyens financiers largement suffisants pour vivre sans compter, je me suis habitué à ce niveau de vie, et ça me déprimerait de devoir me contenter d’un appartement de deux pièces. Enfin… le pire, c’était juste la solitude, pour moi. Je donnerais n’importe quoi pour que ma maison soit toujours occupée par des amis, car me retrouver seul… eh bien c’était une véritable phobie pour moi. Je me mettais à paniquer comme jamais lorsque cela arrivait, et c’est pour cette raison que j’avais non seulement plusieurs chats chez moi, mais aussi une dame que j’ai rencontrée dans le quartier et à qui j’ai proposé de vivre avec moi en échange de son aide pour les tâches ménagères.

J’avais donc emmené Kaylee à l’étage et me suis dirigé vers la terrasse depuis laquelle on avait vue sur le port en dessous de la côte. Après avoir pris appui de mes avant-bras sur la rambarde, je tournais les yeux vers elle avec un gentil sourire.

J’ai une colocataire, elle a perdu son mari l’an passé et ne touchait plus de pensions, alors ils l’ont expulsée de chez elle. Du coup elle vit avec moi en échange et elle s’occupe de la maison. Et tu peux y aller pour les fêtes! Je sais pas combien j’en ai fais depuis le début de l’année, hahaha.

Honnêtement, j’étais plutôt content de l’éducation de mes parents. Ils m’avaient laissé pas mal de libertés pour m’exprimer à ma manière, mais j’ai toujours été cadré et attentif aux gens qui m’entouraient. Ca avait bien influencé la personne que j’étais aujourd’hui. Dans une autre vie, je n’aurais jamais laissé personne venant « de la rue » dormir sous le même toit que moi.

Je pense en faire une à la fin du mois d’Octobre, ça va être énorme ! Tu vois les bateaux là-bas ? Y’en a un qui appartient à un ami et il va me le prêter pour l’occasion… évidemment, t’es invitée. Et toi, tu vis où ? Il faudrait que tu me montres, une fois.

Je penchais un peu la tête sur le côté sans lâcher mon interlocutrice du regard pendant plusieurs secondes, puis tendis un bras vers son visage pour remettre une de ses mèches de cheveux en place.

Ta soirée de Haloween ? J'ai vu l'annonce sur facebook j'ai accepté avec plaisir ! Mais il y aura masse de monde ! Ca va être blindé.. Et je doute que tout le monde tienne sur le bateau.. D'ailleurs c'est vrai que ça pourra être sympa en soirée une petite sortie nocturne sur la mer.. C'est cool ouais.

Je ris à la remarque sur le bateau. Personnellement, je ne m'inquiétais pas... Kaylee n'avait juste pas encore vu la taille de l'embarquation, c'est tout. Mais ce serait quelque chose, et j'y tenais autant que je tenais à ma réputation (même si je devais donner l'impression d'être ce genre de mec qui n'est pas conscient de sa notoriété parfois) ou à convaincre Andreas de faire marche-arrière concernant une bien veille conversation qu'on a eue y'a deux ans et demi déjà.

Venir chez moi ? dis je avec un petit rire nerveux. Ca va vraiment te changer de décor par rapport à ici. Mais oui pourquoi pas, il n'y a pas de problèmes. Je te ferai des brownies !

Mon grand sourire ne partait pas facilement, notamment dans ce genre de situation où la conversation devient une excuse pour se rapprocher de l'autre qui nous intéresse sans le dire ouvertement. Je me suis donc appliqué à faire bien comprendre que oui, ça m'intéressait de connaître la vie en appart de Kaylee et que si en plus elle faisait des gâteaux, c'était top.

D'une étape à l'autre, nous en étions arrivés au moment où j'ai pu me permettre de toucher la jeune femme en lui remettant sa mèche en place avec un air appliqué sur le visage. Actuellement, j'étais un peu partagé concernant la situation... oui, elle était franchement mignonne, et oui, son attitude me faisait comprendre que je ne la laissais pas indifférente. Si Andreas m'a précisé qu'elle n'était pas une fille "pour jouer", je crois bien que c'est pour ça. Bien, alors je vais faire attention et ne pas y aller comme une brute.

Au fait, la Suède ne te manque pas des fois ? Tes cheveux blonds vont perdre leur éclat si t'y retourne pas vite.

Je n'ai pas bronché lorsqu'elle s'est permise de passer la main dans mes cheveux. Mon regard s'est simplement un peu plus focalisé sur le sien et je me suis redressé pour faire un pas dans sa direction avant d'incliner légèrement la tête pour avoir son visage en face du mien lorsque je lui parlais.

Ils sont vachement fins dis donc.. Puis doux ! Tu en as de la chance...

Bien sûr que mon pays me manque, mais j'ai de plus en plus de raisons de considérer la Californie comme une seconde maison... au moins je suis loin de certaines choses que je préfère ne pas voir.

Je penchais un peu la tête sur le côté pour l'appuyer contre la main de Kaylee tout en réfléchissant à ce qui était ou non acceptable de faire aujourd'hui. Une chose était certaine; cette fille avait du charme. Mais je ne sais pas trop ce que je voulais faire de cette information... parce que des filles charmantes, il y en avait tout un tas.

Y'a un truc au fond de tes yeux... tu caches quelque chose aux gens?

Je me suis penché vers son oreille pour partager quelques mots en toute intimité avant de me redresser en reprenant une distance politiquement correcte.

Je finirai bien par trouver ce que c'est, je sais qu'un sourire peut camoufler plus que ce qu'on pense.

Si je donnais l'impression de balancer des paroles pour me donner un genre, eh bien ce n'était pas volontaire. Les gens plats n'étaient bons qu'à tirer un coup avant d'être oubliés, et je ne faisais pas partie de cette catégorie là de personnes. Il se passait des choses dans ma vie, de l'autre côté de l'Océan. Des trucs immoraux... et je fermais les yeux à ce sujet alors que j'étais censé intervenir. Je ne sais pas combien de temps je tiendrais avec mes œillères. J'ai menti. Je ne veux pas retourner chez moi... je ne veux pas savoir ce qui se passe à la "maison".