Le retour à San Francisco a été brutal. Très brutal. Deux mois sans voir personne, en parlant français et rester loin de cette ville de malheur avait été très bénéfique mais je perdais encore un peu plus pieds. A l'aéroport, j'avais eu du mal à m'orienter, mon téléphone collé dans l'oreille, ma valise dans une de mes mains et perchée sur mes talons hauts, je crois que j'aurai pu faire peur à n'importe qui. Mais me voilà belle et bien de retour aux pays des sœurs Halliwell, de Buffy et de biens d'autres choses encore plus débiles, priant pour ne pas le croiser et enfin rester sur mes gardes car un malheur était si vite arrivé. Et puis sans oublier que je souffrais d'un mal qui m'était inconnu. Le mal du pays ? Une gastro ? Le stress ? Je ne savais pas trop. Alors, je restai là, stoïque dans la maison de Simon, me rongeant les ongles et essayant de me changer les idées. Puis, une idée lumineuse me vint à l'esprit. Et si, j'allais faire un peu de jogging. Allez Lilas, décrasse un peu tout ça et on va voir ce que ça donne. Ni une, ni deux, j'enfilai mes baskets et partis en courant, essayant de reprendre mon rythme d'antan, ignorant les nausées. Je repris une foulée énergique, contournant des obstacles, pénétrant dans un parc bien connu avant de voir les odeurs, les gens qui se faufilaient un peu partout, ignorant les images de mes vacances qui s'imposaient à mon esprit. Tout ça avait été tellement merveilleux que je ne savais pas comment j'en étais réduite à un tel état. Malade, chétive depuis mon retour, je savais que je couvrais quelque chose mais quoi ? Mystère. Je continuai ma progression quand je sentis l'air de se faire de plus en plus lourd et une crampe me saisir l'estomac. Je tombais alors à terre, chancelante, me tenant le ventre et trempée de sueurs. Mais qu'est-ce que j'avais bon sang ? Une main secourable se tendit et je me remis sur pieds pour de nouveau chanceler vers l'arrière tombant lourdement sur un banc avant de lever les yeux vers mon sauveur.
Si tu vaincs un ennemi, il sera toujours ton ennemi. Si tu convaincs un ennemi, il deviendra ton ami.
Mes yeux étaient plantées sur le panneau university juste devant moi. Bordel, qu’est-ce que je fichais là déjà ? Ah oui, j’observais mon prochain établissement scolaire. Il n’était pas nouveau pour moi, puisqu’à l’époque de mon arrivée à San Francisco c’est ici que j’allais pour commencer ma première année de lettres modernes. Première année que j’avais entamée et réussie. Cependant, je n’avais pas eu le courage, et j’avais autre chose à faire que de suivre une deuxième année. Je voulais gagner de l’argent avant tout et étudier en plus me paraissait un peu difficile, en sachant que je ne voulais pas perdre mon temps libre. Le boulot l’avait emporté et pourtant, si j’étais aujourd’hui là devant cette université de San Francisco c’était que j’étais à nouveau prête à me consacrer aux études. Pour le peu de temps qu’il me restait à vivre, je souhaiterais vivre mon rêve. Devenir écrivaine. Et pour réaliser mon rêve, j’avais besoin d’aide. J’avais déjà fait quelques concours de nouvelles et je m’en étais bien sortie, je voulais pousser plus haut mes limites. Ce rêve, ce putain de rêve je le réaliserais avant mes vingt-huit ans, il le fallait, je le voulais et j’y arriverais.
Abordant un des parcs de la grande ville, j’étais en même temps en train de feuilleter mon nouvel agenda. Ça avait été toujours un rituel pour moi d’acheter un agenda (même si à la fac tu t’en servais beaucoup moins). J’avais beau avoir vingt ans, j’aimais ça. On va dire que je rattrapais le temps perdu de ma jeunesse que j’avais passé loin de la société. Mon portable dans ma poche se mit à vibrer. Je me stoppai dans ma lecture inutile pour pouvoir répondre à mon petit-ami qui me demandait où j'étais, je lui répondis que j'étais dans le Licoln Parc. Apparemment il comptait me voir. Great. Ensuite, sans vraiment faire gaffe, je me mis à heurter quelqu’un. « Rain, c’est toi. » Je relevai la tête, confuse, prête à m’excuser de ma maladresse. Un punk, que je connaissais sous le nom de Shane, se tenait devant moi. J’hochai la tête, avant de passer mon chemin, il m’attrapa le bras. « Attends, tu n’as pas de la came à me filer ? » Son regard noisette insistant, attendait une réponse positive de ma part. Je me tournai pour lui faire face. « Ecoute-moi, Shane. Je ne vends plus depuis trois semaines. Je suis désolée, il va falloir que tu te trouves quelqu’un d’autre. Salut. » Je lui fis un léger sourire, avant de tourner les talons, pour continuer ma traversée dans la nature. Je cherchais une place sur un foutu banc ou dans l'herbe pour m'installer et attendre Drake mais disons, qu'il y avait pas mal de monde, même un peu trop de monde. J'aimais bien le contact humain, mais j'avais des limites, et encore heureux que je n'étais pas agoraphobe ou un truc du genre. Le parc était envahi par plusieurs petits enfants qui criaient dans tous les sens, des mères assises se racontant des potins, et Lilas. Attendez une minute, Lilas ?! Bon, okay la ville est grande, beaucoup de gens vont au parc, mais je ne pensais pas que je tomberais sur Lilas là maintenant. La jolie rousse que je n’aimais pas. Enfin, ce n’est pas que je ne l’aimais pas, je ne la détestais pas, mais elle ne faisait pas partie des personnes que je portais au cœur. Elle faisait apparemment du jogging, lorsqu’elle tomba d’un coup sur le sol Je fermai mon agenda, et le mit contre ma poitrine en observant la rousse. Un regard à droite, puis à gauche, rien. Très bien, aller vous faire foutre bande d’égoïstes ! Même pas capable de venir aider une jeune fille! Ma recherche sur un petit coin d'herbe agréable attendra un peu plus tard. C’est donc dans un élan de gentillesse que je me suis dirigée rapidement vers elle. Je lui tendis une main solide pour qu’elle s’aide à se relever. Oui, je ne l’appréciais pas tellement, mais je trouvais ça normal de lui donner un coup de main. Je rangeai mon agenda dans mon sac, puis je l’ai regardé à nouveau. « Lilas, tout va bien ? » Elle avait l’air d’avoir mal au ventre ou je ne sais où, disons que le peu de fois que je l’avais vu, je l’avais trouvé plus ‘vivante’ et colorée.
Je ne comprenais pas les gens. Je ne les comprendrais jamais. Avoir passée trois ans coupée du monde, savoir que personne ne pourrait jamais me comprendre, même pas mon meilleur ami. Je ne savais pas trop comment faire. Que dire ? J'étais amoureuse de Christopher et il y avait toujours un mais. On ne savait pas trop quoi faire dans ces cas là. Quand on a jamais aimé, qu'on fait une fixation sur un homme, un étranger qui est entré dans notre vie en pointant le bout de son nez, en toquant tel un homme poli, qu'on regarde avec un sourire gêné. Cette personne n'était pas Christopher et ne le serait sans doute jamais. Je fuyais Christopher par peur de l'engagement, par peur que quelqu'un m'aime parce que je suis un monstre, un pur cyborg. Je pensais qu'il me comprenait mais la réalité était que personne ne pourrait me comprendre. Les gens me regardaient, franche et rigolote mais également timide. Tant de pensées qui embarrassaient ma tête et je ne savais pas quoi faire mise à part courir. Voilà pourquoi j'ai chaussé mes baskets, ce matin-là. Ignorant les nausées, mes vertiges, je devais sortir, oublier. Je devais oublier ce que j'étais en train de devenir.
L'air frais faisait du bien. L'air frais aérait mon esprit, ouvrait d'autres possibilités. Dans peu de temps, je reprendrai le chemin de la fac, priant pour ne pas le croiser. Nous ne nous étions pas reparlés depuis quelques mois et c'était tant mieux. Je ne souffrais pas de son absence, juste de ce que j'avais cru ressentir, de ce que j'avais fait pour l'éloigner d'elle mais je savais que maintenant, j'avais agi comme une gamine. Une gosse. Je n'avais pas autant grandi que je l'espèrai. J'aurai peut être du m'excuser auprès d'elle pour ce que j'avais tenté de faire. Mais le mal était fait. Alors allons de l'avant. Je chassais donc tout ça de ma tête pour tout d'un coup sentir une douloureux me prendre au ventre. Comme ci on me coupait l'arrivée d'air et je tombai lourdement. Ma tête heurta le sol et j'essayai de me relever pour tomber aussitôt. Que se passait-il ? J'étais malade depuis mon retour de France. Je ne comprenais pas. Désemparée, je saisis la main qui était tendue face à moi et finis par m'assoir sur un banc. C'est là que sa voix vint à mes oreilles. Enora. Tu parles d'un hasard. Je levai les yeux vers elle, pour sentir une nouvelle douleur. Quelque chose coula le long de ma jambe et je vis une flaque de sang se répandre au sol et je laissai échapper un petit gémissement. Dans un geste second, je sortis mon téléphone et le tendis vers Enora. « Secours, articulai-je. » J'étais en train de perdre un bébé. Je reconnaissais les symptômes. Les pleurs coulèrent sans que je daigne comprendre ce qu'il se passait. Je me mis alors à trembler comme une feuille, sentant la douleur pour finalement m'effondrer à terre... comme une masse.
Sourire, verbe intransitif. Exprimer l'amusement ou la satisfaction par un léger mouvement de la bouche et des yeux.
Ces derniers temps, je souriais beaucoup plus, je me sentais mieux. Ma colère chronique contre le monde entier diminuait petit à petit, et j'avais commencé à me détacher de certains vêtements en les troquants contre d'autres jugés moins "opressants" par la société. Comme le dirait un psy, je faisais des progrès. J'avais lâché ce blog que je tenais depuis plusieurs mois, mais apparemment, l'un de mes fans l'avait reprit. Soit, ça ne me dérangeait pas.... j'avais juste envie d'aller de l'avant et de terminer mes études pour me lancer dans la vie active. Mon prochain but était peut-être simplement de faire changer Enora d'idée au sujet de ses envies de se tuer à 28 ans, maintenant. Au début, je n'avais pas bronché lorsqu'elle m'avait annoncé ce projet... mais plus le temps passait, et plus je me disais que je ne supporterais pas l'idée qu'elle s'en aille. Si vraiment je n'arrivais pas à la convaincre, eh bien je la suivrais, tout simplement. Merde Drake... je te reconnais plus.
Je me trouvais en ville à la sortie de mon service au cinéma lorsque l'idée me vint de contacter ma petite-amie pour savoir ce qu'elle faisait, et coup de chance, elle était en ville, non loin de là où je me trouvais. Après avoir rangé mon téléphone, j'achetais un coca cola au premier distributeur, puis me dirigeais vers le parc avec un casque stétéro sur la tête. J'avais vraiment besoin de me changer les esprits lorsque je sortais, parce que toutes ces personnes mortes qui se balladaient à San Francisco en essayant de parler aux vivants sans succès, c'était chiant. Et moi je les entendais, alors pour éviter de me faire aborder par des FANTOMES, OUAIS, j'étais obligé de feinter en écoutant de la musique. Un jour, j'allais péter un câble et commencer à crier tout seul dans un lieu public, et on me prendrait pour un fou.
Bref... alors que j'arrivais dans le parc et commençais à chercher où pouvait se trouver Enora, mon attention fut retenue par les réactions de certains passants tournés vers un banc. Par réflexe, je me suis approché de l'attraction générale, et quelle ne fut pas ma surprise en voyant Lilas assise là, à côté de ma copine. Elle était livide, et je n'eus pas le temps de demander ce qui se passait qu'elle versait déjà sur le côté. Je n'attendis pas qu'elle tombe au sol pour la rattrapper, puis levais la tête vers Nora avec une expression interrogative sur le visage.
Hey, qu'est-ce qui s'est passé? Appelle une ambulance.
Je ne savais même pas si Lilas venait de comprendre ce que je venais de lui dire. Bien sûr quand, on est blanche comme une poupée de porcelaine naturellement comme moi, sur le coup de voir cette couleur sur les autres ça me paraîtrait presque normal, mais je savais bien que Lilas était bien plus rose que ça d'ordinaire. Elle se crispa, et baissa les yeux sur le sol. Je suivis son regard pour y voir... Une flaque rouge vif sur le sol. What the hell?! J'étais plus que surprise de voir du sang qui glissait le long de sa jambe droite. C'pas tous les jours qu'on assistait à cette scène-là. La rousse lâcha une plainte, ce qui me sortit de ma contemplation sur ce sang qui s’évacuait en petit flot de son corps. « Secours » Lâcha-t-elle difficilement en me tendant son portable, que j'attrapais immédiatement. Elle tremblait, elle pleurait. Je remarquai un petit groupe de curieux qui s'était rassemblé autour de nous deux. J'allais saisir la jeune fille par l'épaule lorsqu'elle commença à chavirer... Mais ce fut avec classe et rapidité que mon amoureux la rattrapa. « Hey, qu'est-ce qui s'est passé? Appelle une ambulance. » Me dit Drake, avec un air interrogateur. Je ne pris pas le temps de lui répondre, j’étais déjà en train de composer le numéro d’urgence. Cependant tandis que des bips raisonnaient dans mon oreille, je fis des signes aux individus qui nous regardaient sans rien faire, je voulais qu’ils partent de là, qu’ils nous laissent ou alors qu’ils se rendent utiles, bordel ! « Allonge-là. » Avais-je dis à mon petit-ami avant que quelqu’un me réponde enfin au bout de la ligne. Et là, une flopée de questions.
Je tournais autour du corps de Lilas, et de Drake, gardant le téléphone à mon oreille. « […] Oui, nous sommes au Lincoln Park, près des jeux pour enfants. Non, non, je ne sais pas du tout. Je, non je n’ai rien fais… Attendez une seconde. » Je posai le téléphone contre ma poitrine et demanda à Drake « Relève lui le menton, sa tête vers l’arrière. » Pour éviter qu’elle ne s’étouffe avec sa langue. Je reposais le portable contre mon oreille et m’agenouilla devant le corps de Lilas. Je pus sentir son léger pouls, je profitai donc d’une main pour descendre le gilet de la rousse, et retirer la ficelle qui fermait son pantalon. Je connaissais quelques bases pour les premiers secours. « J’ai fait ce que je connaissais.. Je ne sais pas si la PLS est nécessaire. Quand ? Dépêchez-vous, mince ! Je oui… En fait… » Je restai figée sur place. Ok, dans le feu de l’action je n’y avais pas fait gaffe. Quelle andouille ! J’avais déjà lu ça. C’était tellement simple. « […] Oui, je l’ai dis, du sang, je suis dans l’incapacité de lui faire un garrot puisque qu’elle… Est en train de perdre son enfant. C’est parfait, j’arrive de suite. » Je ressentis un petit picotement dans le ventre. Je ne voulais pas d’enfants, je ne voulais pas être mère, ni porter une vie en moi, et pourtant de savoir que Lilas venait de perdre le petit embryon qui grandissant en elle, me fit mal. Pas pour Lilas, j’en avais quasi rien à foutre d’elle, mais pour l’enfant. D’ailleurs je me souviendrais toujours de ce qu’elle m’avait dit sur Facebook et qui m’avait profondément choqué à propos de si Drake & moi avions un enfant plus tard. Qu’elle brûle en Enfer ! J’étais décidemment trop gentille, j’aurais ne pas appeler l’ambulance, la laisser comme cela, comme une masse sur le sol, mais j’avais un cœur. Un cœur qui battait encore pour le moment.
J’avais laissé Kennedy tout seul, pour retrouver les ambulanciers à l’entrée du parc. Nous revinrent en courant pour la plupart vers la scène du malaise, et ils s’occupèrent de Lilas comme il le fallait. Drake et moi devions à présent la suivre (je n’en n’avais pas envie, je n’aimais pas les hôpitaux). J’avais pris sa main dans la mienne, et je m’étais appliquée pour essuyer le plus que je pouvais le foutu sang de l’utérus de Lilas qui était sur ma converse, lorsqu’on traversait le parc. C’était… Charmant. Qui veut des règles de son ennemi sur sa chaussure ? Pas moi. Nous voilà partis dans le camion, mon visage était fermé sur Lilas qui portait un masque qui lui balançait de l’oxygène. La camionette s’arrêta, et des klaxons retentirent. Je posai ma tête sur l’épaule de Drake, désemparée d’être tombée avec tout le monde dans un trafic de la circulation. Les sirènes de l’ambulance rugissaient, mais je sentais que nous ne bougions pas. Cependant, je vis clairement les paupières de Lilas bouger à cet instant.