Alan & Charlotte

Paris.
J’y étais à nouveau. Après tout ce qui s’était (pas) passé à San Francisco avec Léo, j’étais contente de revenir ici. Avec Lilas, que j’avais retrouvé après toutes ses années. Nous nous retrouvions à nouveau ensemble en France, c’était comme revenir des années en arrière.
Après quelques semaines passées avec Lilas & Chris, celui-ci était parti quelques temps voir sa famille et c’était Alan qui nous avait rejoins à son tour. C’était vraiment le bordel là au milieu. Entre Alan & Lilas qui n’arrêtaient pas de s’emmerder à tour de rôle, et toutes les sorties qu’on faisait ensemble, j’étais crevée… mais j’étais contente de l’être.
Ce soir là, j’étais recroquevillée sur ma chaise face à la table de la salle à manger, l’ordinateur portable posé devant moi, j’étais en train de manger des gâteaux en parlant à Khris qui devait débarquer demain. Ce qui laissait prévoir encore plus de n’importe quoi en France. Je me demandais sérieusement si je devais lancer un avis général à tous les parisiens pour les prévenir que Lilas, Charlotte, Alan et Khris étaient lâchés. Réflexion faite, il fallait mieux leur laisser la surprise… Sur le canapé face à moi Alan venait d’arrêter de jouer de la guitare et s’adressait à moi. Sa voix était différente, plus posée, ce qui me laissait surprise. La bouche pleine, je levais les yeux du lap top pour les poser sur lui. Ça avait l’air sérieux. Je fermais l’ordi, et le rejoignis sur le canapé, après avoir posé la guitare sur la table basse. « Tu me fais peur… » lançais-je, en souriant.
Je m’assis en tailleur face à lui, mes gâteaux posés entre nous. « Qu’est-ce qu’il y a ? »

Alan & Charlotte

J’avais vu en m’asseyant en face de lui qu’Alan avait été perturbé par la nourriture que je venais de ramener. Pourtant, il me connaissait maintenant, c’était plus fort que moi, je passais mon temps à bouffer. Je retins un sourire quand il attrapa un morceau. J’avais bien compris qu’Alan était très sérieux à cet instant, ce qui me laissait un peu perplexe. C’était assez rare venant de lui.
Puis il me posa la question. Est-ce que ça m’était arrivé ? De toute évidence, s’aurait été mentir de dire que non. J’étais du genre à être me faire avoir, malgré les apparences. La première fois que j’étais tombée amoureuse, j’avais fini en garde à vue, et la seconde fois, j’avais eu tellement peur de mes sentiments, que j’avais couché avec le père de mon mec. Léo et mes sentiments pour lui m’avaient vraiment foutu la trouille. Alors oui, je connaissais ce sentiment.
Je connaissais Alan et visiblement, il était en train de vivre la même situation. J’avais peur pour lui, je ne voulais pas qu’il lui arrive les mêmes choses qu’à moi. Je me doutais qu’il était perturbé d’avoir l’impression de se lier à quelqu’un. Ce n’était pas son genre. Je le regardais dans les yeux. Je n’avais jamais beaucoup parlé de mes histoires d’amours à qui que ce soit… « Hum… oui. C’est pas très agréable… » C’était vrai, se sentir obsédé par quelqu’un, pour moi ça s’apparentait à être sous l’emprise de quelqu’un, de ne plus pouvoir FAIRE ce que je voulais, parce que je ne pensais plus par moi-même. « Raconte-moi… » lançais-je à Alan. Il avait commencé à me parler de tout ça, j’étais prête à l’écouter...
Je me demandais aussi de qui il pouvait bien s’agir. Quelqu’un qu’on avait pu rencontrer ici ? Je passais le plus rapidement possible en revue toutes les personnes qu’on avait croisées depuis qu’on était arrivé à Paris. Mais j’abandonnais tout aussi rapidement : on sortait trop, tout le temps pour que je puisse me souvenir de tout le monde. Je n’avais qu’à attendre de le savoir de la part d’Alan. Je le regardais en grignotant.

Alan & Charlotte

Si j’étais du genre à ne pas me prendre la tête et ne rien prendre au sérieux ; le moindre petit truc, le moindre petit signe de tristesse ou autre, chez mes amis, pouvaient me rendre dingue. C’était vraiment le genre de truc que je voulais gérer. Ce que je faisais le plus possible avec Lilas, j’essayais comme je pouvais de lui faire tourner la page sur ses trois ans de cauchemars. Et si j’étais contente pour elle et Chris, j’étais aussi terrifiée à l’idée que ça ne se passe pas bien.
Et comme ce soir là, il y a quelques temps, quand Khris m’avait demandé de venir en catastrophe, j’avais accouru, j’avais BESOIN de m’assurer que tout allait bien pour lui (en l’occurrence, il baignait dans son sang, sur son canapé…). C’était plus fort que moi.
Quand Alan avait prit ce ton sérieux, que je ne lui connaissais pas vraiment, j’avais doucement commencé à m’inquiéter, quand il avait sous-entendu le faire d’être obsédé par quelqu’un, j’avais clairement paniqué, à cet instant, ma tête fonctionnait à mille à l’heure. Il fallait que j’encaisse le fait que mon meilleur ami avait des sentiments, visiblement très forts (et un peu flippants, du coup) pour quelqu’un, pour un mec. Je ne laissais rien paraitre, bien sur, comme toujours.
Je n’étais pas autant perturbée par le fait qu’il m’avoue avoir des sentiments pour un mec que par le fait en lui-même qu’il soit perdu dans ses sentiments. Je connaissais ça trop bien, pour savoir pertinemment que ça devait être un bordel considérable dans sa tête.
Alan était plus ou moins à contre jour, appuyé contre la fenêtre. Je le fixais. Il attendait de toute évidence une réaction de ma part. « Qu’est-ce qui te fais peur ? D’être obsédé par quelqu’un, ou d’être obsédé par un mec ? » Bon, c’était sans doute pas la meilleure réponse que j’aurais pu donner, mais c’était tout ce que j’avais trouvé à dire. J'avais plus qu'à espérer qu'il en tiendrait pas trop rigueur.
Je réfléchissais rapidement, finalement, c’était pas si hallucinant que ça de savoir qu’Alan aimait un mec. J’imaginais même plutôt bien la situation.

Alan & Charlotte

Je me demandais à cet instant s’il était possible qu’il y a un gène, un chromosome spécifique aux sentiments amoureux et aux envies de couple. Du genre, ce gène fait que tu es capable d’entretenir une relation saine et adulte avec quelqu’un que tu aimes. Etait-il possible que ni Alan ni moi, n’ayons hérité de ce gène ? Du genre malédiction qui nous frappe, impossible de s’attacher à quelqu’un et tout gâcher si jamais ça venait à arriver ?
D’accord, je partais dans des théories complètement absurdes et loufoques, mais quand même… Le fait que j’ai bousillé toutes les relations sérieuses que j’avais eu, pouvait quand même me poser la question.
Je croyais comprendre qu’Alan était dans la même situation. Si moi j’avais du mal à me lancer dans une relation, j’avais envie que tout le monde autour de moi soit amoureux. Et après je gueulais, bien sur, parce que j’étais toute seule, mais c’était un détail.
Alan s’était retourné, dos à moi, face à la ville, après ma question. Bon, j’aurais du trouver quelque chose de plus intelligent à dire. Je ne le lâchais pas des yeux (son dos, tout du moins). Attendant quand même une réponse de sa part. Je savais qu’il n’était pas du genre à se confier, mais j’osais espérer qu’il pourrait le faire avec moi.
Après un instant, il me répondit. Je ne dis rien sur le moment, je me contentais de me lever, lentement et de me diriger vers lui. Je m’appuyais contre le mur à coté de lui, les bras croisé sur ma poitrine. Qu’est ce que j’aurais pu lui dire ? J’étais exactement pareil. Je le regardais contempler Paris qui s’étendait devant nous. La folie nocturne qui commençait à s’agiter. Celle qu’on allait finir par rejoindre, comme tous les soirs. Je voyais à ses traits qu’il était énervé. Contre moi ? Contre ses sentiments ? « T’es comme moi, mais je pense qu’au fond, on peut pas fuir indéfiniment les relations… » C’était véridique, je me disais que si ça continuais comme ça j’allais finir seule. Je conseillais à Alan de ne pas avoir peur de se lier, j’aurais autant besoin que lui de suivre mon propre conseil… « Il le sait ? Je veux dire… il y a déjà eu quelque chose entre vous ? » Je ne voulais pas le forcer à me dire quoi que ce soit. Mais savoir s'il y avait déjà eu quelque chose entre eux pouvait probablement aider...

Alan & Charlotte

Debout à coté d’Alan, j’essayais comme je pouvais de me mettre à sa place. Je comprenais très bien le fait qu’il ait peur, ou quoi que ce soit, de ses sentiments, après tout, c’était compliqué à vivre comme situation, il fallait bien le dire.
Je le voyais dans son regard, dans sa façon de se tenir, qu’il s’énervait, qu’il essayait de se contenir. Il serrait les points, regardait au loin. Ses bras étaient tendus. Je ne me demandais alors plus pourquoi il était dans cet état là (je crois que j’avais saisi l’idée générale) mais plutôt quand ça allait péter. Si Alan était comme moi à ce point, ça n’allait pas trop tarder. Et je ne savais pas de quelle manière. Je l’avais rarement (jamais) vu en colère contre quoi que ce soit, à par des broutilles et quelques petites engueulades pas bien méchantes entre nous.
A ma première remarque, il ne dit rien, il resta stoïque un instant, avant de resserrer encore ses poings tatoués. Je les regardais. Pour ma part je ne bougeais pas, j’avais toujours les bras croisés. Dans ma tête, j’essayais de chercher comment j’allais aider Alan, d’une part à se calmer, d’autre part avec ses sentiments. Ce n’était pas une mince affaire.
A ma seconde question, Alan eu une réaction que je n’avais pas prévu. Je sursautais en clignant des yeux. « Alan ! » Merde, qu’est-ce qu’il lui prenait ? Alan venait d’écraser lourdement (c’était le cas de le dire) son poing dans le mur de l’autre coté de la fenêtre. Sur le coup, je ne dit rien.
Je crois que je venais d’avoir une réponse à ma question, c’était une réponse particulière, mais pour le coup elle situait bien les choses. Je comprenais d’un coup qu’il y avait effectivement eu quelque chose entre eux. Et que visiblement ça ne réjouissait pas mon meilleur ami. Alan ne me regardait toujours pas. Je passais derrière lui et me mis là ou quelque seconde plus tôt il venait de fracasser sa main. « Arrête. Ca va rien changer... » soufflais-je, en posant ma main sur son bras. Je n’étais pas certaine qu’il allait recommencer, mais tout de même, je ne voulais pas prendre ce risque.
Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre ? C’est pas grave ? C’est pas important ? Comment j’aurais pu dire ça, alors que je comprenais très bien que c’était faux, c’était important. Je ne voyais pas ce que je pouvais lui dire qui allait le rassurer… Il fallait qu’il parle avec ce mec, mais ça je ne me voyais pas le dire à Alan, pas là, maintenant, alors qu’il tapait dans les murs. Je le regardais, attendant qu’il lève les yeux vers moi. Peut-être qu’il allait m’en dire plus ? J’en doutais, ce n’était pas son genre, mais bon…

Alan & Charlotte

Je n’avais jamais vu Alan dans cet état là, et pour être franche, ça me détruisait à l’intérieur, je détestais le voir comme ça. C’était mon meilleur ami, et peut-être que je faisais preuve de trop d’empathie avec les gens que j’aime mais le fait était là : j’étais mal de le voir comme ça. Mon bras sur le sien, Alan sembla se calmer quelques instants. J’en profitais pour respirer, je retenais mon souffle depuis bientôt deux minutes, j’allais manquer d’air. Après deux ou trois secondes, je cru que tout irait bien, j’enlevais donc mon bras de celui d’Alan. Je me retournais quelques secondes et entendit une nouvelle fois le poing de mon ami s’écraser dans le mur, encore plus fort, encore plus profond. Je me retournais face à lui de toute vitesse. Il était à bout c’était évident, et moi j’étais là sans pouvoir rien faire. Je me sentais tellement inutile. C’était la sensation la plus horrible que je vivais depuis que Léo m’avait rejeté à San Francisco.
Comme si je ne paniquais déjà pas assez, je commençais à voir du sang couler être le mur et la main d’Alan enfoncé dedans. C’est pas vrai. Je fermais les yeux et me mordis la lèvre. Le voir dans cet état là me donnait envie de pleurer, mais je me ressaisissais comme je pouvais ; je savais que ce ne serait pas ça qui allait aider Alan. Quand je rouvris les yeux, Alan avait le front appuyé contre la fenêtre, je le regardais sans rien faire. Les images se bousculaient devant mes yeux, sa main, le mur, le sang… Je me disais que c’était impossible qu’il ait fait ça sans qu’il y ait des conséquences : une fracture ou autre chose. Je regardais sa main qui dégoulinait de sang. A ce moment là, Alan releva la tête vers moi. Son visage était baigné de larmes. Ça me déchirait le cœur. Je comprenais tellement ce sentiment de frustration qu’il devait vivre… J’avais mal pour lui.
Il me dit comme il pouvait ce qu’il avait sur le cœur. Instinctivement, je pris son visage dans mes mains et colla son front au mien. J’étais incapable de m’exprimer, j’osais espérer que ce que je pensais allait être compris par télépathie par mon ami. Je savais que c’était peine perdue, alors toujours le front collé au sien, je soufflais. « Ca va aller, je t’assure que ça va aller. Tu peux faire les deux. Tu peux être libre et l’aimer. J’te jure. » Alan était le mec le plus fort que je connaissais, je savais qu’il pourrait gérer ça, être lui tout en aimant quelqu’un, je savais qu’il le pouvait. J’en étais persuadée. Tout ce qu’il fallait c’était le persuader lui aussi, que c’était possible. J’avais moi-même les larmes aux yeux, mais je faisais tout mon possible pour qu’il ne voie rien. Je relevais la tête, soudain. « Ta main… Fais voir… » J’essayais de ne pas paraitre trop paniquée, ce n’était pas le moment, mais en voyant l’état de sa main, j’eus du mal à me contenir. Elle était toute sanguinolente, et je ne savais si c’était moi qui me faisait des idées, mais j’avais l’impression qu’elle avait gonflé, c’était pas bon du tout. « Il faut… Il faut aller à l’hôpital pour ça… »

Alan & Charlotte

Sa tête contre la mienne, Alan se calmait peu à peu. Je me détendais aussi de mon coté. J’étais rassure de le voir respirer un peu mieux. Il ne répondit pas quand je lui fis remarquer qu’il pouvait faire les deux. Peut-être qu’il comprenait juste, que je j’avais sans doute raison. Qu’il comprenait aussi que quoi qu’il arrive, je serai là. toujours. J’étais peut-être pas une fille exemplaire, loin de là, mais j’avais des principes, celui d’être toujours avec mes amis en faisait partie.
Pour moi, c’était plus facile d’avoir des amis que des petits copains. Moins de problème, en mon cas. J’imaginais que c’était la même chose pour mon meilleur ami.
Lorsque je lui parlais de sa main, j’avais l’impression qu’il venait de réaliser ce qui venait de se passer, à savoir, le fait qu’il venait de laisser son empreinte dans les murs. Si je n’arriverais pas à reboucher le trou, j’allais quand même faire en sorte de nettoyer le sang. Certes mes parents se foutaient bien de ce que je faisais de ma vie, mais retrouver des taches de sang sur le mur, mh… je n’étais pas certaine qu’ils apprécieraient.
Mais pas maintenant, à cet instant je me fichais complètement du mur, du sang. Enfin du sang pas tellement… J’avais déjà fait cette expérience quand j’étais allée soigner Khris quelques mois plus tôt et je devais me rendre à l’évidence, j’avais un problème avec la vue du sang. Mais comme chez Khris, je prenais sur moi. Parce que c’était pas le moment de paniquer pour un peu de sang. Sans compter qu’en plus d’être en sang, la main d’Alan avait doublé de volume.
Comme je m’y attendais ce têtu d’Alan m’assura que tout allait bien. Est-ce qu’il se foutait de moi ou me prenait pour une vraie débile (ou les deux) ?
Pour me prouver que tout allait bien, Alan bougea sa main et ses doigts. Il esquissa une grimace. C’est bon, il avait mal, il comprenait. « Arrête de te foutre de moi, ok ? Ramène tes fesses. » Puis, pour lui faire comprendre la situation, j’ajoutais en rigolant. « Khris va arriver demain, ok ? Et s’il voit que je t’ai laissé dans cet état là, alors c’est sur il va me tuer. Sans compter qu’il dira à ta sœur que je m’occupe pas bien de toi, et alors là, elle, elle me détestera. Alors comprends bien que c’est pas pour toi que je t’emmène à l’hôpital, mais bien pour moi et ma sécurité. » J’essayais comme je pouvais de dédramatiser la situation.
En même temps que je disais tout ça, à vitesse rapide pour ne laisser aucune seconde de répit à Alan, j’avais attrapé son bras valide et je l’entrainais dehors. Tout en me disant que ça allait être la première soirée où on n’allait pas picoler jusqu’au lever du soleil.