« - POPPY ARRÊTES DE BOUGER !!! »
C’était tout ma mère ça ! Je me souviens parfaitement des après-midis passées dans la chambre de ma mère, cette dernière faisant de moi une vraie petite poupée vivante. Poppy était mon second prénom et pourtant, ma mère m’a toujours nommé ainsi. Je vivais au sein d’une famille aimante et modeste. Nous vivions dans les quartiers bon marchés de Sydney, en Australie, ville ensoleillée et bien vue. J’aimais ma ville, ma terre, mon île, nous étions parfaitement heureux bien que ma mère avait tendance à prendre une assez grande place dans ma vie. Coiffeuse de profession, j’étais la première à tester ses nouveautés. J’étais un peu son cobaye, si vous voulez. Ma mère m’aimait, oh ça oui et si à cette époque je ne m’en rendais pas forcément compte, rapidement, cette réalité vint à mon esprit. Ma mère était dingue de moi, d’ailleurs, elle ne cessait de me dire que j’étais la chose qu’elle avait le mieux réussi dans sa vie. J’étais plutôt mignonne, il faut le reconnaitre, et pour ma mère, j’étais digne d’apparaitre dans des publicités. D’ailleurs, ma mère voyait en moi une future petite star. Elle m’a fait passé divers casting pour la télévision locale et même nationale. Mon père était d’accord puisque cela rapportait un peu d’argent à la maison. Ma mère était une inconsciente, une flambeuse tandis que mon père était responsable et très attaché à l’argent. Si j’étais le centre d’intérêt principal de ma mère, c’était loin d’être la même chose avec mon père. Légèrement distant, je savais pertinemment qu’il était déçu que je sois une fille. Lui, il rêvait d’avoir un garçon, or, ma mère refusait catégoriquement d’avoir un autre enfant, elle avait déjà assez à faire avec moi et nos petites séances de beauté. Ma mère était très présente dans ma vie et calculait le moindre détail de mon apparence. Le matin, elle me réveillait très tôt histoire d’avoir le temps de me coiffer, m’habiller et même parfois me maquiller. Elle voulait que je sois parfaite. Dans un sens, elle voulait impressionner les autres. Elle qui n’avait jamais rien fait de très important dans sa vie, se trouvait être différente des autres en ma présence. D’après elle, j’étais la plus belle, la plus intelligente, la plus charmante, la plus … parfaite. Moi, j’ignorais comment me placer. Je n’étais qu’une gamine après tout, je n’avais rien de bien exceptionnel. J’aimais jouer aux poupées, regarder les dessins-animés, m’amuser avec mes copines, avoir de bonnes notes et sortir le plus possible. J’étais une vraie petite tornade à cette époque là et il n’y avait pas moyen de m’arrêter. J’avais besoin de sortir, de voir du monde, de profiter du soleil et bien rapidement, la présence trop appuyée de ma mère vint à m’étouffer…
Notre premier conflit commença un samedi après-midi, j’avais douze ans. Nous étions toutes les deux assises dans une salle d’attente, attendant depuis plus d’une demi-heure que la directrice artistique nous face entrer dans la petite pièce. Une fois de plus ma mère voulait me faire passer dans une publicité. Encore une… Elle avait pour projet de me faire devenir actrice, d’ailleurs elle m’inscrivit même à des cours de théâtre. Elle voulait faire quelque chose de moi, quelque chose de formidable, quelque chose qui fait rêver… Pourtant, les bras croisés sur ma poitrine, mon visage n’était pas peint du même sourire que celui qui était affiché sur le visage parfait de ma mère. Non, je n’étais pas contente. J’en avais sérieusement marre de ces conneries, je voulais vivre une vie normale, je voulais être Marine -prénom français venant des origines de mon père-, seulement Marine et je n’avais pas pour ambition de devenir actrice ou quelque chose dans le genre. Quelques minutes plus tard, la directrice artistique m’avait fait entrer dans la fameuse pièce. Les questions banales auxquelles je répondis sans grand enthousiasme et enfin ce fameux slogan que ma mère m’avait fait apprendre par cœur depuis deux semaines. Un sourire forcé, une posture ridicule et voila que je déblatère ma phrase. Rapidement, j’avais détourné mon regard et j’étais partie, comme ça, sans avoir même fini. Ma mère s’était inquiétée et m’avait suivi jusque dans la rue. Alors je lui cracha tout mon mal être, tout mon désespoir au visage et pour la première fois de ma vie, je lus sur son visage une déception certaine, elle voyait enfin que je n’étais pas cet être parfait qu’elle croyait que j’étais…
Ce conflit marqua la fin d’une époque de paix et de prospérité. J’avais déçu ma mère, je le savais pertinemment et pourtant, je ne pouvais me résoudre à jouer ce rôle qui n’était pas le mien. Je ne pouvais plus prétendre être cette gamine parfaite et souriante à tout va. J’avais une personnalité, une âme et un certain caractère. J’étais une extravertie de nature et j’en avais radicalement marre des exigences de ma génitrice. Tout changea, rapidement. En un ou deux ans, ma mère cessait de passer du temps avec moi, elle devenait de plus en plus bizarre, elle s’énervait pour un rien. Elle criait, hurlait et pleurait tout le temps. Mon père lui, il restait passif, il ne faisait rien ce qui avait le don de m’énerver au plus haut point. Ma mère sombra alors peu à peu sous nos yeux. Mon père la pria d’aller voir un psychologue, chose qu’elle fit au bout de longs mois. Des calmants, des tonnes de calmants, c’était son remède miracle. Elle était complètement stone à longueur de journée. Mon père n’agissait pas, pensant que cela était la meilleure chose pour elle. Moi, je ne disais rien non plus. Je bouillais intérieurement, mais je n’osais vraiment agir. Jusqu’au jour de mes seize ans. Je rentrais de l’école, il était tard. Ma mère était en pleurs dans la cuisine, mon père regardait un match de football à la télévision. A peine étais-je rentrée que ma mère m’avais sauté dessus, m’asseyant d’insultes plus destructrices les unes que les autres. « - TU N’ES QU’UNE DÉCEPTION !!! TU N’ES RIEN, RIEN DU TOUT !!! TU AS GÂCHÉ MA VIE ! ». Des paroles bien durs pour la gamine que j’étais. Je l’avais ignoré bien que chaque phrase, chaque mot m’avaient atteint en plein cœur. J’étais alors montée à l’étage, dans ma chambre et j’avais pleuré, pleuré toutes les larmes de mon corps. Décidée à sortir de ce cauchemar, j’avais fait ma valise et après avoir enjambé la fenêtre de ma chambre, j’étais partie…
Ma première escale fut Canberra. J’y resta quelques jours, chez des amis. Mais je savais que l’heure de mon départ de cette île n’allait pas tarder. J’allais quitter l’Australie et j’étais pratiquement sûre que ma mère se fichait bien de cela. Une semaine plus tard, j’étais dans l’avion, direction Londres, ville de mes rêves et où habitait accessoirement un vieil oncle que je n’avais vu qu’une ou deux fois dans ma vie. A dire vrai, il était un peu le rejeté de la famille, vivant de son instrument qu’était la guitare depuis de longues années. C’était un vieux hippie qui profitait au maximum de la vie. C’est chez lui que je me retrouva et sans poser aucune question, il m’accueillit à bras ouverts. Après de longues discussions au téléphone avec mes parents, il devint mon tuteur légal. J’étais heureuse là-bas. Ma vie avait radicalement changé. Le soleil avait laissé place à la pluie, le sable aux pavés grisonnant… Mais j’étais heureuse et libre… Pourtant quelques mois plus tard, mon vieil oncle vint me voir : « - Alors gamine, tu vas pas rester à rien faire toute ta vie ? Il faut que tu reprennes l’école ! ». Ah l’école ! Ça m’était complètement sorti de l’esprit. Pourtant, il avait raison. J’étais incertaine sur mon avenir mais autant mettre toutes les chances de mon côté pour réussir, non ? Mais contrairement à ce qu’il pouvait penser, je n’avais pas vraiment la motivation pour reprendre l’école. Certes, j’étais plutôt intelligente, mais ces longs mois chez mon oncle m’apprirent quelque chose d’essentiel : les valeurs premières sont les plus importantes. Mon oncle était un hippie, engagé dans la lutte pacifique pour la préservation de la planète, des animaux. Il était membre de diverses associations et manifestait le plus souvent possible. Il m’inspira et m’ouvrit les yeux sur ce que je voulais véritablement faire dans ma vie. Je voulais aider les autres, je voulais organiser cette lutte pacifique, je voulais rendre service à la planète, à la nature et aux pauvres personnes de ce monde. Je m’engagea alors dans diverses actions humanitaires visant à protéger la forêt amazonienne, les espèces en voix de disparition et également des associations ayant pour but d’aider les enfants malades, notamment. Pour la première fois de ma vie, j’étais satisfaite de ma personne et pour rien au monde je n’aurais changé quoique ce soit dans ma vie.
Les années passèrent alors. Alors que je travaillais à la boutique de musique de mon vieil oncle, la vie était plutôt paisible et simple. Pourtant, tout bascula le jour où il fit un malaise, dans cette même boutique. Affolée, j’avais appelé les urgences le plus vite possible. Crise cardiaque. Il n’était plus si jeune que cela. Et pourtant, sa mort me détruisit, véritablement. Un deuil dur à avaler, j’étais sa seule et unique héritière. Je sombrais alors, peu à peu, ne me remettant pas de cette perte trop dure à digérer. Puis, peu à peu, ses paroles me revenaient en mémoire… « - Tu vas pas rester à rien faire de ta vie ? ». Non, il fallait que je fasse quelque chose, que je me bouge, pour moi, pour lui, pour son honneur et pour mon avenir. Je fis donc diverses démarches et quelques mois plus tard, je débarquais en Californie. Pourquoi ? Parce que cette terre était adorée par mon oncle. Il ne cessait de me parler de sa jeunesse qu’il avait passé là-bas, des meilleures années de sa vie. Je fus embauchée dans une boutique de surf tout en continuant de m’engager dans diverses associations. Aujourd’hui, je vis dans un tout petit appartement, mais cela n’est que matériel. Je suis heureuse et fière de ce que je fais de ma vie.