Cauchemars, ordinateur, cours de chimie, la routine s'était vite installée dans ma vie malgré le fait que je n'avais emménagé que depuis quelques jours. Revenant tout juste de New-York, et bien que mon frère s'y était fortement opposé, je me retrouvai encore une fois de plus dépaysée dans une ville que je ne comprenais pas, dans un pays étranger avec une langue inconnue. Assise sur mon lit, discutant avec des collègues de fac, mettant au point mes derniers logiciels, je sentis le soleil s'infiltrer dans ma chambre comme un appel au secours. Me suppliant de le rejoindre dehors, de ne pas rester dans ma chambre. Air, mon chien me demandait la porte, tout voulait que je me prête au jeu de la promenade, ne restant pas enfermée de la sorte, comme un lion en cage, comme une fille solitaire qui ne voulait qu'une chose: se renfermer sur elle-même. Mon psychologue me poussait à aller au devant des gens, à leur parler, à essayer de faire en sorte de ne pas rester seule. J'avais été seule pendant tellement longtemps. En plus, le fait que ma meilleure amie soit ici me donnait envie de mettre le nez dehors et pas forcément pour me lier aux autres mais pour aussi m'aérer l'esprit. Alors, désireuse de prendre une bouffée d'air frais, je me levai doucement pour aller en trainant des pieds jusqu'à la salle de bains que je partageai avec le mâle de la maison, Luke. Mon sauveur. Celui qui était arrivé en fracas dans la maison qui me retenait prisonnière depuis trois ans.
3 ans, 36 mois, 144 semaines, 1095 jours, 65700 heures. Je ne dirai pas les secondes pour ne pas me faire peur. Mon esprit porterait à jamais des séquelles de cet emprisonnement. De la stupidité d'une fille de quinze ans qui sous un élan de colère, refusant une fois de plus les coups de l'homme qui l'avait élevé, l'avait envoyé au tapis, mettant fin à son existence misérable. Alors par peur, j'avais fui. Je m'étais hasardée à la vie de la rue sans aucun état d'âme. Ne demandant que la tranquillité, devant une mendiante parmi tant d'autres pour le rencontrer. J'aurai pu éprouver de la sympathie pour cet homme misérable, l'aimer, avoir un bon syndrome de Stockholm si je n'avais rien eu à me raccrocher, si je n'avais pas eu mon unique condition. Un ordinateur. Mon salut. La chose qui m'a permis de mettre au point un signal pour faire en sorte qu'on me retrouve. Penser à tout ça, me réveiller en nage la nuit, l'envie de se tuer. Tout ça faisait parti de moi, me donnant envie de me replier sur moi-même. De ne faire confiance à personne, évitant le contact. La misanthropie. L'agoraphobie. Une maladie. On pouvait la soigner en faisant des efforts. Et je mettrai toutes les chances de mon côté car j'étais désireuse de m'en sortir, d'avancer et d'oublier mais on oublie jamais une chose pareille. On n'oublie pas les viols répétés, la soif de mettre fin à tout ça, de mourir.
Déprimée, n'ayant qu'une envie, me laisser aller, j'enfilai cette robe de mousseline rose que j'avais trouvé à New-York. Non pas que je sois une fan de mode. Je n'aimais pas trop la mode. Je ne lisais pas les magazines, trouvant des articles sur le net mais mon stage à Vogue m'avait ouvert les yeux. J'étais une fille et je devais donc prendre soin de moi, ne pas perdre de vue l'essentiel. Les filles qui m'accompagnaient étaient toutes des modèles de beauté et d'élégance tandis que moi, je me sentais comme moche et grosse. Bien que je sois une fana de sport et hyperactive. Je soupirai une nouvelle fois en retirant la pince qui retenait ma crinière rousse pour la laisser tomber sur mon visage juvénile. Dix huit ans et je ne m'intéressais pas aux activités de mes pairs. Le football, le surf, le sexe, tout ça était proscrit jusqu'à la fin de ma vie. Non pas que je souhaitai finir nonne mais me trouver un petit copain ne faisait pas partie de mes plans. Souhaitant devenir maitre de conférence en biochimie, je devais m'accrocher. Partager mon savoir me plaisait. Bien que le contact humain ne soit pas mon truc, j'avais hérité d'une intelligence et je devais en faire bon usage. Mes petites frasques sur internet me servaient avant tout à payer des études. La science était excitante. Je le savais. Ma soif de savoir m'avait poussée à suivre ce stage de quelques jours.
Je mis son collier à Air, qui tenait son nom du MacBook Air. Geek ou pas geek telle est la question. Je souris en voyant le chiot faire des siennes et je lui donnais une caresse affectueuse avant de balancer mes lunettes sur le nez et de partir à la recherche d'un endroit où me poser pour observer les autres faire des choses de gens normaux. J'avais oublié la vie en civilisation, je devais donc de nouveau m'adapter. Apprendre l'anglais et pas seulement compter sur mon traducteur instantané mis au point pendant une nuit d'insomnies. Je pris tout mon temps, essayant d'assimiler les informations comme le ferait Pascal, mon mac. Des gens s'embrassaient, semblaient réellement heureux de vivre une relation amoureuse tandis que d'autres les regardaient avec jalousie. Un sentiment bien humain. Je baissai le regard quand un garçon posa le sien sur moi. Je me défilai. Puis, j'empruntai l'entrée d'un parc qui me semblait immense pour aller m'y planquer histoire ne pas me faire déranger. L'odur de l'herbe fraichement tondue me monta aux narines et j'inhalai en fermant les yeux, me remémorant des sensations que je n'avais éprouvé depuis un moment, à savoir de la joie. Puis, je lâchai Air qui se mit à courir vers les papillons pour aller les manger. Je le regardai en fronçant des sourcils. Puis, je dépliai la couverture que j'avais prise dans mon sac pour me poser dessus et sortir Pascal. Le petit bouledogue français revint vers moi complètement trempé et me sauta dessus. Alors, je lui donnai un bisou sur le museau avant de lancer mon traducteur instantané pour essayer d'espionner les autres et la musique aussi. Rihanna. Pour changer de Linkin Park. Les gens autour de moi semblaient s'activer et je les observai en silence, en priant pour que personne ne remarque mes larmes. Des larmes fraichement nées pour me rappeler que je serai incapable de vivre une vie normale comme eux. Incapable d'aimer correctement et incapable de me comporter normalement en société. Une gamine de dix huit condamnée à l'exclusion...