Donovan étant chez Gillian, comme d'habitude ces derniers temps, Leo s'était retrouvé seul en rentrant du boulot. Déprimé par cet appartement vide & le fait qu'il n'ait pas encore trouvé de contrat intéressant avec son agence, il se hâta de prendre une douche, enfila ensuite un short en jogging gris & vint s'allonger sur l'un des grands tapis bleus de sa chambre, les yeux rivés sur le plafond, la musique montée au maximum dans ses écouteurs.

Inconsciemment, il se mit à chanter, vidant son esprit préoccupé par son futur qui ne semblait pas si excitant que ça :

<< I need a dollar, dollar. Dollar is what I need... >>

Effectivement, cette chanson reflétait parfaitement ses préoccupations du moment. S'il ne trouvait pas rapidement un job intéressant & à la vitesse où son compte se vidait, il allait sûrement être forcé de trouver une solution. Prostitution, drogue ? Il préférait éviter...

Chantonnant, il n'entendit pas la porte claquer, indiquant que quelqu'un venait d'arriver.

Depuis que les médias s'en donnaient à coeur joie sur sa prétendue grossesse et sa relation supposée avec Sohfyièn, Joyce tentait au mieux de gérer la situation : elle avait prévenu son entourage sur la supercherie, elle évitait les leçons de morale de son paternel concernant l'impact négatif des agissements de la blondinette sur la compagnie familiale et elle restait discrète sur sa réelle vie privée. Néanmoins, elle refusait de cesser certaines activités qu'elle avait toujours parfaitement dissimulé comme son boulot au Ruby Skye.

D'ailleurs, elle avait passé la journée à faire les boutiques. A peine rentrée, comme à son habitude, Joyce faisait un second essayage devant son miroir. A savoir : la parisienne attachait une importance toute particulière à ses tenues de scène et à la lingerie. Il ne lui manquait plus qu'une chose ? Qu'une personne extérieure puisse lui donner son avis sur son nouvel ensemble qui la mettait bien en valeur.

Donooooo, j'ai besoin de toi !

Aucune réponse. Elle fit le tour du loft avant d'ouvrir la porte de Léo, seulement vêtue d'une lingerie fine prévue pour son prochain show.

Léo ?

Aucune réponse. Elle s'approcha et se positionna devant le jeune homme en lui faisant des signes pour qu'il puisse retirer ses écouteurs.

Sincèrement : t'en penses quoi ?

Joyce n'avait pas véritablement conscience que ses agissements auprès de Léo puissent le mettre dans l'embarras.

Cette petite rêverie musicale prit rapidement fin. Joyce, sa coloc, se planta devant lui, remuant les bras pour attirer son attention. Surpris, il enleva son casque & se redressa en s'appuyant sur son coude. Lorsqu'il réalisa que la blondinette était en petite tenue, il fronça les sourcils, perplexe.

<< Hormis le fait que tu sois à poil & qu'il y ait du monde au balcon ? Bah voilà quoi. >>

Répondit-il, l'air pseudo dégagé, haussant les épaules. Comme son frère, la jeune femme n'était pas du tout pudique et agissait parfois d'une façon qui mettait Leo quelque peu mal à l'aise pour une simple & unique raison, Joyce produisait chez lui un effet étrange, sentiment mêlé d'attirance & de déni.
Depuis son arrivée à San Francisco, il évitait prudemment toute relation avec la gente féminine & son rapprochement soudain avec sa colocataire qui, sans aucun doute, lui plaisait, faisait du tord à son plan.

<< Ce soir c'est strip je suppose ? >>

Comme pour se prévenir d'un quelconque attrait, il se contentait de la fixer, l'oeil bovin, tentant de penser à autre chose & ne voulant pas réaliser, qu'une fois de plus, il était en situation périlleuse dans sa grève des femmes.

Sa relation avec Léo avait le mérite de faire parler son entourage. Sa mère, la première, avait interrogé sa benjamine sur ses intentions auprès du petit frère de Donovan. Ces derniers temps, elle avait du mal à véritablement suivre la vie sentimentale de sa fille. Joyce restait évasive à tous les niveaux. Sa sphère privée était un sujet qu'elle tenait absolument à éviter même auprès de la femme qui comptait plus que quiconque à ses yeux.

Tu sais que tu me réponds pas là ! J'ai besoin d'un avis masculin et qu'il soit objectif. Dis moi juste si tu penses que ça va plaire !

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Joyce n'était pas si impudique que ça. Certes, elle se déshabillait devant toute une assemblée mais dans son esprit, c'était juste un simple show. Sur scène, elle jouait un rôle, ce n'était pas vraiment elle. Après dans l'intimité, elle ne s'exhibait pas si facilement hormis devant quelques personnes.

Je devais remplacer une collègue qui avait un empêchement mais finalement, j'avais pas envie ce soir. Du coup, comme Dono passe la soirée chez ma soeur, tu vas devoir me supporter.
Je te dérangeais peut-être ? T'avais l'air songeur.

Depuis deux mois, la vie de Leo n'était qu'un grand bordel fait de désillusions, de retrouvailles fraternelles & de rencontres assez improbables pour le coup. Ayant, au tout début, du mal à trouver ses marques dans la ville & dans ce loft partagé, il commençait à se sentir plus à l'aise, protégé par la bienfaisance de Donovan & séduit, malgré lui, par le naturel avenant de Joyce qui, malgré le comportement désagréable du français, avait fait tout son possible pour l'intégrer.

Après un soupir d'exaspération, il se décida donc à donner la réponse attendue par la jeune femme, ne voulant pas être trop énervant.

<< La lingerie fait toujours son effet, ne t'inquiètes pas, ça va l'faire ! >>

Voilà. La meilleure réponse qu'elle pouvait tirer de Leopold, il n'en dirait pas plus. Le changement était tout de même identifiable. Au commencement, Leo s'acharnait à rester ce petit con insolent & insupportable, se refusant à appeler sa colocataire par son prénom, dans le seul but de la faire enrager.
Cependant, depuis cette fameuse nuit, il s'était apaisé & essayait de faire en sorte que tout se passe bien entre eux, se laissant parfois aller sans question mais ayant toujours à l'esprit qu'il devait avant tout se protéger. Hors de question de ressentir à nouveau ce qu'il l'avait fait sombré quelques mois plus tôt.

<< Cool, tu veux faire un truc spécial ? Tu m'dérangeais pas, au contraire, j'étais en train de me dire que ce serait cool que j'me bouge un peu. >>

Pour montrer sa bonne volonté, il se releva, éteignant son Ipod & le posant avec son casque sur son lit. Sans le remarquer, il était toujours vêtu de son short, torse nu, peut-être contaminé par la décontraction ambiante qui faisait partie du grand loft de Sunset District.

<< S'tu veux ce soir je cuisine. Dono m'a dit qu'il avait encore un peu de vin en réserve si ça t'intéresse ! >>

Quelques mois que Léo était présent en ville. Pourtant, Joyce était persuadée de vivre à ses côtés depuis des années ; sûrement grâce à Donovan qui lui avait dépeint un portrait très juste du jeune homme. Autre fait à noter : ces derniers temps, elle se sentait bien plus proche du mannequin que la grande majorité de ses connaissances dont des amis d'enfance. Sa mère lui avait même fait une réflexion sur cette fréquentation en relevant les propos de sa benjamine qui étaient, pour la plupart, tournés autour de ses activités avec Léo.

Ouais... Ok, je dois pas en attendre plus venant de toi ? Genre un super compliment à plus savoir où me mettre, c'est possible ?

Bien sûr, elle n'était pas vraiment sérieuse mais c'était un moyen comme un autre de tester les limites de son colocataire à la suite de la soirée confidence.
Alors que Léo l'interrogea sur ses désirs pour la suite de la soirée, il se releva pas bien plus vêtu qu'elle. Par simple réflexe, elle parcourut son corps du regard avant de sourire en pensant aux réflexions de sa mère.

Je comprends mieux pourquoi ma mère me pose toutes ces questions sur toi ! Si elle nous voyait comme ça, je pense que sa première réaction serait : "Ah tu vois, j'en étais sûre, je te l'avais dit !". Bref...

Elle poursuivit, sans le moindre lien, sur les propositions de Léo comme pour éviter de parler de ses conversations avec sa génitrice.

Carrément, je veux bien. En plus, ça y est, je me suis lancée ! Enfin, y a un casteur qui m'a appelé pour un rôle dans un long métrage. Je me sens prête pour la première de ma vie à passer un casting pour le cinéma. Et c'est pas n'importe quel rôle : celui de Carrie Bradshaw jeune dans le prochain Sex and the city ! Tu t'imagines ? T'es le premier à savoir !
Après je me fais pas trop d'illusions, y a pleins de filles qui vont le passer et je pense qu'ils vont préférer prendre une actrice qui a déjà fait ses preuves devant la caméra. Mais rien que de passer le casting, je trouve ça énorme. T'as peut-être devant toi, la future Sarah Jessica Parker !

Elle ouvrit les bras comme pour "se présenter" avant de remarquer une nouvelle fois qu'elle était bien dénudée. Elle grimaça avant de reprendre.

La future Sarah Jessica Parker va peut-être se rhabiller pour que le vieux pervers qui a un sacré vis-à-vis avec ta chambre arrête de nous espionner !

Elle se dirigea vers la fenêtre de la chambre de Léo pour l'ouvrir et hausser la voix pour parler à leur voisin.

Tu veux peut-être une caméra et on se fait une sex tape, tu peux la faire tourner sur le net par la suite ! C'est la mode !

(Effectivement on risque de se faire taper sur les doigts (a) Au pire on demandera à ce qu'il bouge le topic )

Sentant le regard de Joyce sur lui, il sourit légèrement, cherchant du regard un quelconque t-shirt qui traînait pour pouvoir se rhabiller. Il prit le premier qui venait, un t-shirt blanc du Muppet Show avec Kermit la Grenouille en effigie. Malgré sa barbe de trois jours & sa nonchalance, Leo restait un grand enfant, fidèle à ses valeurs & adorant faire référence au kitsch des séries enfantines.

<< Regarde, prends exemple sur le monsieur ! Lui il s'habille, il ne se ballade pas à poil, comme certaines... >>

Bien entendu, la référence à la tenue légère de sa colocataire n'était pas très délicate mais il s'amusait souvent à la taquiner, lui répétant que Donovan avait une mauvaise influence sur elle.

<< Arrête de me parler de la belle-mère & présente la moi ! Je suis sûre qu'elle meurt d'envie de me connaître, n'est-ce pas ? >>

Répondit-il tout fier, se redressant pour bomber le torse & arborant un sourire triomphant. Il ne connaissait même pas la mère de Joyce qu'elle parlait déjà de lui, autant appeler ça une victoire même si il serait moins fringant le jour de la rencontre. Puis, restant planté devant la blondinette, il l'écouta lui annoncer la bonne nouvelle. Plutôt une belle réussite, c'était sûr !

<< Je crois qu'il faut fêter ça ! & puis t'as intérêt à m'inviter pour l'audition, j'peux pas louper ça. >>

Il laissa un temps d'arrêt avant de reprendre :

<< & puis si jamais t'as pas le rôle de Carrie, tu pourras toujours auditionner pour celui de Samantha ! >>

Riant à sa propre blague, il vint ébouriffer les cheveux de sa coloc, sachant qu'elle devait faire preuve d'un sacré courage pour le supporter.
La suivant jusqu'à la fenêtre, Leo remarqua, qu'effectivement, leur pervers de voisin était aux premières loges pour assister leur discussion en petite tenue. Comme pour appuyer les dires de Joyce, il l'attrapa par la taille, la faisant passer par-dessus son épaule pour la mettre dans la position dite du sac-à-patate. S'adressant au voyeur, il lança :

<< On va tourner un p'tit court métrage, je t'envoie la vidéo après, prépare-toi ! >>

Puis, chargé de son colis, il emporta la jeune femme dans le salon, n'ayant pas vraiment envie de la reposer.

<< Plutôt confortable là-haut non ? Ça t'apprendra à t'exhiber devant des tarés tiens ! Allez zou, va enfiler un truc. >>

Entrant dans la chambre de sa coloc, il la déposa sans mal sur son lit & en profita pour s'y allonger également, étendu sur le dos, les bras derrière la tête.

<< Dépêche, je t'attends. & sinon j'appelle maman Arnault, elle va pas rigoler elle ! >>

Ok, grillée. En l'espace de deux secondes, Joyce perdit toute son assurance passant de la jeune femme de 20 ans à une jeune fille de 12 ans tout au plus. Autre réflexe, elle grimaça légèrement telle une pré-adolescente gênée de se retrouver dans une situation embarrassante. Peut-être qu'elle venait de réaliser qu'ils n'avaient jamais été aussi dénudés l'un l'autre et que la scène pouvait porter à confusion. L'expression de son visage changea du tout au tout en apercevant le motif du t-shirt de Léo. Le nombre d'heures passé devant sa télévision a regardé Statler and Waldorf, les deux vieux du Muppet Show, était incalculable.

Tu m'excuseras mais... Je te préfère largement torse nu qu'avec Kermit la grenouille. Tu vois là, sur un baromètre de sex-appeal, t'es passé en dessous de la moyenne et encore je suis gentille ! Faut que je te reprenne en main et on va changer tous tes hauts là !

Dans le fond, Joyce avait toujours apprécié les hommes qui avaient conservé leur âme d'enfant et qui prenaient rien vraiment au sérieux... Rien qu'à voir son entourage. Donc le t-shirt était juste parfait.

Ah donc t'es du genre à brûler les étapes ? Tu veux déjà rencontrer ma mère ? Et les sorties avant, les mots tout mignons, les petites promesses, les jeux de séduction et j'en passe... C'est passé où tout ça ?
Faut vraiment que je t'apprenne tout ! Les parents, c'est la dernière vraie étape... Et crois moi, mon père ne vaut pas plus que le tien.

Elle préféra rester vague vu les relations entre Léo et son père. Elle ne tenait pas à casser l'ambiance en parlant du paternel de son colocataire qu'elle avait été amenée à rencontrer une fois avec Donovan.
Lorsqu'il la taquina au sujet du rôle de Samantha, Joyce lui adressa une légère tape sur le torse, signe de son mécontentement.

Hey... Je suis pas si dévergondée ! Bon ok, face à toi, dans cette tenue, ma crédibilité en prend un coup mais quand même ! Quoi que ça m'éclaterait de jouer un rôle à contre emploi. Bon, on sort une bonne bouteille du coup.

Vint l'épisode du voisin pervers devant sa fenêtre, Joyce fut des plus surprise en sentant les bras de Léo autour de sa taille. Jamais elle n'aurait pensé qu'il puisse rentrer dans le jeu à ce point et ça n'était pas pour lui déplaire. Sur l'épaule de son colotaire, elle envoya un baiser à son voisin en guise de provocation. Comment se faire un ennemi dans le voisinage !
Allongés sur le lit, Joyce prit appui sur son coude et se tourna vers Léo.

Tu parles de toi en disant taré ? Parce que la seule personne devant laquelle je m'exhibais au début, c'était toi ! ... Je peux te poser une question mais je tiens pas à paraitre indiscrète ou autre... Donc tu m'arrêtes si tu tiens pas à en parler. Ton ex... T'y penses toujours autant ou pas ?

Il était vrai que Kermit la Grenouille n'était pas d'une aide folle niveau sex appeal mais Leo était à des kilomètres de s'en soucier. Il n'avait jamais eu de problèmes en matière de séduction & avait un métier plutôt flatteur : mannequin. Loin de lui donc de rechercher à être sexy en toute occasion & il adorait jouer avec des détails un peu régressif qui lui rappelait l'enfance qu'il n'avait pas vraiment eu le temps de savourer, continuellement poussé plus haut dans la compétition par son père.

<< Tranquille avec Kermit, un peu de respect ! & puis moi j'ai pas besoin de mettre de la lingerie pour plaire... >>

Répliqua-t-il, finissant sa phrase en levant les yeux au ciel mais ne pouvant réprimer un large sourire. Attrapée à son propre jeu la petite Joyce mais il s'efforçait de ne pas être trop cassant, il avait tout de même l'épisode " Jess " à se faire pardonner.
L'évocation de son paternel le refroidit un peu mais il n'en laissa rien paraître, ne relevant pas. Brûler les étapes ? Leo ne savait même pas où il en était. Il n'avait eu qu'une relation sérieuse dans sa vie & celle-ci s'était finie un peu trop brutalement à son goût. Il était loin d'être le mieux placé pour parler de relation & était plus expert en coup d'un soir qu'en grand amour.

<< Ouais, on va fêter ça, même si t'as pas la réponse ce sera une pré-célébration ! >>

Il ne put s'empêcher d'émettre un léger rire à cette pensée. S'il fallait fêter toutes les bonnes nouvelles avant & après leur arrivée, la quantité d'alcooliques serait plus qu'impressionnante. Hélas, il fut rapidement stoppé par une autre pensée désagréable. Rien que de penser à son ex & à son passé le faisait déchanter, replongeant dans de sombres heures qu'il préférait oublier.
Sans un mot, il se redressa lentement, marqua un temps d'arrêt, comme prêt à parler puis se ravisa & préféra se lever pour sortir de la chambre.

<< & toi, t'en es où avec tes ex ? Ils sont plus présents & menaçants que ne l'est la mienne, j'me trompe ? >>

Sa voix & son attitude avaient changé. Il s'était brusquement assombri & n'était plus du tout le Leo guilleret du début. Il détestait ressasser cette période de sa vie & n'en parlait jamais. C'était simple, depuis son arrivée à San Francisco, il n'en avait parlé qu'avec Donovan, qui lui avait eu le droit au moindre petit détail, puis avec son meilleur ami sur place, Robbyn. D'autres personnes étaient au courant mais il n'avait jamais abordé le sujet & ne comptait pas le faire. C'était de l'histoire ancienne pour lui, il avait définitivement tiré un trait sur sa relation avec son ex & avec son père. N'étant pas nostalgique pour un sou, il se contentait d'avancer, la tête haute, sachant que cela le rendrait forcément plus fort.
D'ailleurs, il commençait doucement à bien s'en sortir ici. De plus en plus d'amis & de connaissances, sa carrière décollait légèrement & il se sentait bien dans cette ville cosmopolite, remplie de gens aussi voire plus perdus que lui.

<< Pff... >>

Lâchant un grand soupir agacé, il vint s'assoir au bar, débouchant la bouteille de vin rouge la plus proche de lui &, sans gêne, buvant une longue gorgée au goulot. Comment gâcher une soirée qui débutait bien en une leçon...

Sans le vouloir, Joyce avait le don de retourner une situation en une fraction de seconde. Alors que tout se passait parfaitement bien, qu'ils ne cessaient de se taquiner et qu'on sentait entre eux une réelle complicité, une simple question les fit changer de registre. Pourtant, la soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Pourquoi fallait-il qu'elle plombe l'ambiance en abordant un sujet sensible ?

Joyce ressentait le besoin de savoir, d'imaginer la relation que Léo pouvait avoir avec son ex. Elle s'était toujours dit que pour qu'un Don Juan se pose avec une jeune femme, c'est qu'il devait réellement être attaché et qu'il ne tenait en aucun cas à la perdre. Elle n'avait jamais abordé véritablement cette question du passé avec Léo, préférant très certainement se focaliser sur les instants présents.
Mais plus le temps passait et plus elle se rapprochait du mannequin, et plus sa curiosité redoublait. Elle se devait de rester sur ses gardes pour ne pas tomber de haut . Avoir des réponses à toutes les questions qu'elle se posait sur le parisien était un moyen de se protéger en le connaissant davantage.

Effet boomerang. Léo venait de lui renvoyer ses interrogations sur sa vie sentamentale passée. Elle l'avait mérité dans le fond. Joyce, non plus, n'avait plus parlé de ses ex depuis cette fameuse nuit. Sans prendre la peine de lui répondre directement, elle le regarda sortir de la chambre. A ce moment là, la benjamine des Arnault se maudissait intérieurement. De toute évidence, il n'était pas prêt à reparler de sa vie en France et Joyce ne l'avait visiblement pas encore compris. Elle se leva du lit, passant un déshabillé et finit par rejoindre Léo.

Je vois que c'est de famille ! T'es comme ton frère... Dès que t'es contrarié, ton premier réflexe, c'est de boire ! dit-elle en passant sa main sur le dos de Léo comme pour apaiser les tensions.
J'ai peut-être merdé en te posant cette question mais t'avais pas à réagir comme ça.
Tu veux que je te dise quoi sur eux ? Le dernier en date, ça a duré même pas un mois et y a personne d'autre qui compte que ma grande soeur pour lui. Eliàs, je le vois beaucoup moins... Et dans le fond, je pense que comme son petit frère, il a été un peu dégoûté que BJ se mette avec William. J'ai toujours trouvé leur relation bizarre. Et... Noham. Je crois qu'il a jamais voulu d'un réel engagement. ça doit pas lui plaire... Il est plus secret qu'avant et il doit me cacher pas mal de choses. Voilà, en gros, tu sais tout...
Contrairement à toi, j'arrive à mettre des mots et je suis en mesure de te répondre. Je suis claire avec ce que je fais. Je vois pas pourquoi tu les trouves si présents.
Maintenant, je te force pas. Tu veux pas en parler, le sujet est clos. Pourquoi t'es pas indifférent ? Pourquoi t'en parles pas ? Je veux dire que si vraiment t'étais passé à autre chose, tu la détesterais même pas... Parce que le contraire d'un sentiment amoureux, c'est certainement pas la haine.

C'est con mais elle avait raison, comme souvent d'ailleurs. Peut-être la bouteille était-elle de famille. Leo avait effectivement remarqué que, depuis quelques semaines, Dono se servait des verres en rentrant le soir & l'invitait souvent à prendre un apéro avec lui, quasi quotidien. C'était devenu une habitude mais le blondinet l'avait depuis longtemps. Il avait commencé à boire tôt, aux environs de quinze ans & avait eu bon nombre de cuites vu toutes les soirées arrosées auxquelles il avait participé.

Reposant la bouteille de vin qu'il tenait après avoir repris une longue gorgée, il s'essuya la bouche d'un revers de main. Pas très élégant dans son genre mais d'autres soucis lui encombraient l'esprit, il n'avait pas lieu de se poser de questions sur son apparence. Il prit une longue & profonde inspiration, fermant les yeux un instant pour se calmer & se concentrer. En aucun cas il n'avait à rejeter la faute sur Joyce, elle essayait simplement d'avoir quelques informations, elle était dans son droit. Il ne fallait pas que sa susceptibilité gâche la soirée & crée des interférences entre eux.
Poussant un soupir, il posa sa main sur la taille de sa coloc & la poussa doucement vers lui. Tout en fixant un point fixe sur le sol, il lui répondit d'une voix apaisée :

<< Écoute, le prends pas personnellement mais j'veux pas en parler. J'aborde même pas le sujet avec Dono, c'est pour dire ! J'm'en fous de l'infidélité, ça arrive, c'est courant, là ça va bien au-delà, c'est bien pire que ça. Quand ça fait 21 ans que t'es trahi tous les jours de ta foutue vie, j'te jure que tu peux pas digérer ça en quelques mois... >>

Un léger sourire se dessina sur ses lèvres en l'entendant lui parler de ses exs avec autant de conviction. Hélas, lui savait que ce n'était pas aussi simple que ça. Maintenant que la situation s'était arrangée entre lui & Eliàs, il redoutait Noham & préférait l'éviter & s'en tenir à des rapports courtois. Il n'envisageait même pas la réaction qu'allait avoir le jeune homme s'il apprenait quelque chose qui lui déplaisait.

<< J'm'en fous d'elle, c'est pas elle le problème. Ça va plus loin que ça. Évidemment que pour un simple adultère je l'aurais quand même lâché, juste pour sauver le peu d'ego qu'il me reste mais là c'est... >>

Remuant le passé & faisant ressurgir tous ses vieux démons, il s'arrêta là, se passant sa main libre dans ses cheveux, ramenant sa tignasse blonde devant ses yeux, comme pour se cacher, se dissimuler dans un cocon de sécurité. Doucement, Leo vint poser sa tête sur le ventre de la blondinette, devenant soudainement le petit garçon qu'il était il y a quelques années. Être trahi par ses propres parents : la trahison ultime. Personne ne pourrait jamais comprendre ça, ce sentiment extrême. Se forçant à ajouter quelques mots, il lâcha :

<< Peut-être qu'un jour j'en parlerai... Quand je serai vraiment prêt quoi. >>

Il espérait calmer les tensions, il n'avait guère le cœur à batailler ce soir & préférait largement rester au calme, se changer les idées & même se faire chouchouter au mieux. Le vrai bonheur simple en résumé.

Tout au long du récit, Joyce avait tenté de capter le regard du concerné, en vain. Les explications de Léo avaient le mérite de la toucher, elle le sentait sincère et pas du tout à son aise d'aborder un tel sujet. Elle s'en voulait d'avoir poser la question de trop. Pour la première fois, elle le voyait vulnérable et cette vision était juste insupportable pour la blondinette qui ne cessait de culpabiliser. Elle aurait souhaité trouver les mots pour l'apaiser et faire en sorte que sa peine disparaisse... Elle en était incapable, elle se sentait impuissante, totalement désarmée face à un Léo différent.

Joyce se contenta de placer ses deux mains sur la tête de Léo posée sur son ventre (J'ai la scène de Dirty Dancing en tête). Elle resta un moment dans cette position sans oser réagir aux propos de son colocataire. A ce moment là, les mots n'avaient aucune importance, elle tenait juste à lui prouver qu'elle était présente pour lui et qu'elle tentait de le comprendre au mieux. Spontanément,

Excuse moi !

Rares étaient les fois où Joyce s'excusait auprès de quelqu'un. Elle avait cette fierté mal placée et bien trop présente qui l'empêchait parfois de reconnaitre ses erreurs ou de faire le premier pas vers l'autre. Après un autre moment silencieux, elle se décida enfin à s'expliquer.

J'ai été égoïste, j'ai pensé qu'à moi en te posant cette question, je devais pas m'aventurer sur ce terrain alors que c'était casse gueule à la base ! On a pas la même vie, les mêmes blessures et j'aurais dû comprendre que les tiennes prenaient bien plus de temps à cicatriser.
Je me sens pas particulièrement à l'aise là... Pour la première fois, j'ai peur de mal faire, de pas trouver les mots ou qu'ils soient interprétés différemment. Je sais pas si je suis censée te prendre dans mes bras ou au contraire enchainer sur d'autres sujets pour que tu ne sois pas mal à l'aise à ton tour. C'est perturbant comme sensation ! J'ai peur de trop en faire ou pas assez... Je veux pas paraitre froide et je veux pas non plus que t'aies la sensation que je vais dépasser certaines limites. Enfin, je me comprends... Je dois t'embrouiller encore plus.
C'est déjà assez confus... et là, j'ai juste la sensation de dire mes pensées à haute voix... Et tu devrais m'arrêter avant que j'aille trop loin.
Avoue que c'est un numéro de charme et que t'as fait ça pour m'attendrir ! Elle tenta un petit sourire, histoire de pas avoir une atmosphère trop pesante, avant de lui adresser un baiser sur la joue. On en parle plus ?

Le problème n'était pas réglé, juste repoussé. Leo savait très bien qu'il devrait s'expliquer un jour ou l'autre, qu'il serait obligé de se confronter à ses sentiments & jouer franc-jeu, cartes sur table. Comme Joyce l'avait fait avant lui, au final quand on prenait le temps d'y réfléchir posément, ce n'était pas si compliqué de mettre des mots sur une relation. & s'ils voulaient tous les deux en savoir plus l'un sur l'autre & apprendre à se connaître mieux, ils devaient faire ce genre d'effort, de concession.
Apaisé & relaxé par la présence de la blondinette près de lui, il se laissa aller, basculant légèrement la tête en arrière, les yeux fermés. Il l'écouta monologuer à une vitesse impressionnante, ne l'ayant jusqu'alors encore jamais vu comme cela. Elle enchaînait les phrases, mal à l'aise, tentant de récupérer sa bourde, qui n'en était pas vraiment une. Amusé, cette scène lui arracha un léger sourire accompagné d'un petit rire.

<< C'est bon, t'en fais pas. On passe à autre chose. >>

Depuis son arrivée sur le Nouveau Continent, Leo avait développé une capacité étonnante à tourner la page en une milli-seconde. Il ne se posait plus la question, il savait que, quoi qu'il se passe, il devait aller de l'avant, arrêter de broyer du noir. À seulement 21 ans, il aurait été dommage de s'arrêter là, de penser que sa vie était finie après une simple mauvaise passe. Il gardait constamment à l'esprit que ce qui ne tue pas ne rend plus fort & qu'il était là, plus que jamais, pour se reconstruire & comptait bien profiter de cette expérience à fond, prendre tout ce qu'elle pourrait lui apporter.
Lentement, il se redressa pour se remettre sur ses jambes & rendit son baiser à sa colocataire, un petit baiser affectueux, au coin des lèvres.

<< Tu sais que je te connaissais pas comme ça ? C'est mignon quand tu paniques. & puis ouais, mon numéro de chien battu a plutôt bien fonctionné, je progresse en tant qu'acteur ! >>

Lança-t-il, taquin avec un large sourire, effaçant toute la mésaventure précédente. De peur de représailles, il se dégagea rapidement, allant se protéger derrière le bar. Il savait qu'il n'était jamais à l'abri d'une tape, bien méritée certes. Attrapant deux verres à vin sur l'une des étagères de la cuisine, il vint les déposer devant eux, servant ensuite une bonne dose de vin. Il leva ensuite son verre en direction de son amie, plongeant son regard vert droit dans le sien.

<< A ta future réussite en tant que nympho de Sex & The City ! >>

S'accordant une courte pause, il secoua légèrement la tête, comme pour rayer définitivement ce qu'il venait de se passer. Il savait que ce retournement de situation pouvait être surprenant & beaucoup était désarçonné mais il ne fallait pas se laisser abattre & Leo ne comptait guère gâcher cette belle soirée qui s'annonçait.
Il ajouta, un sourire en coin, l'air coquin :

<< D'ailleurs, si t'as besoin d'un peu de pratique... Deuxième porte à gauche, tu connais ! >>