Je ne sais pas ce qui m'avais pris, je ne sais pas. Une impulsion, assurément... bien qu'il y avait sans doute plus que ça. J'étais incapable d'écouter mon cerveau gauche, ce soir, incapable d'écouter toutes les mises en garde et les tentatives de rationaliser la situation que mon esprit aurait pu me lancer; il fallait que quelqu'un fasse quelque chose pour Julie. Le danger, je crois que je n'en n'avais jamais eu une notion très claire et pour que je me retrouve à monter les marches de cet établissement aujourd'hui, il fallait au moins ça. Tout le monde craignait ce type, tout le monde avait peur de ce qu'il pourrait bien leur faire « si ». Si « quoi » ? Peu importe. Face à la Tour, donnez moi un Fou et j'en briserais les murs.


La porte de la pièce s'ouvrit à la volée. Scène bien trop typique de tous les films d'actions que vous pouviez retrouver sur la toile, mais comment faire autrement lorsque seule la rage dictait votre conduite ? Je levais un bras et le tendis droit devant moi en déposant deux yeux haineux sur l'homme qui se trouvait dans la pièce. En prolongation de ma main, il y avait cette arme volée dans le bureau de mon père, ce matin-même. Je ne savais même pas comment ça s'utilisait, ces engins, mais ça ne devait pas être si compliqué que ça. Je crois que même mon coeur tremblait parce qu'il avait comprit dans quoi il s'était laissé embarquer, mais il était trop tard pour renoncer maintenant. Je n'avais pas peur... je n'avais pas à avoir peur... c'était moi, la menace, de toute façon. Il n'y avait pas de raison pour que ça se passe mal.

« LEVE-TOI ! »

Elyes parcourait ses dossiers…toute la soirée. Bon dieu, c’était effarant la tonne de boulot que l’on avait lorsque l’on était son propre patron. Quand on est jeune, l’on se dit qu’il vaut mieux être son chef, se gérer soi-même, sans réellement songer aux responsabilités que cela impliquent. Il n’y a personne vers qui se tourner dans une situation critique, bien au contraire, près d’une vingtaine de personnes comptent sur nous pour régler la situation. Tout comme, nous n’avions aucun bouc émissaire pour nos propres erreurs. Bref, ce n’était pas une promenade de santé, même si Elyes n’aurait su supporter d’être aux ordres de qui que ce soit, ce qui expliquait sans doute le jeu auquel il jouait avec son groupe. Tiens, parlons-en d’ailleurs, il se retrouvait le cul entre deux chaises, à force d’être sur tous les fronts, il ne parvenait plus à se montrer aussi efficace que dans le temps. Il lui faudrait choisir ses priorités. Mais dans l’immédiat, il ne souhaitait qu’une chose, un peu d’action. Il s’ennuyait. Littéralement. Elle comprenait aisément ce que ressentait la bête, errant dans son immense château. Comme si quelqu’un l’avait entendu là-haut, la porte de son bureau fut ouverte dans un éclat fracassant de quoi le faire sursauter et accélérer son rythme cardiaque. Holy crap, cette sensation l’avait manquée. Pourtant son regard froid chercha celui de l’importun et surprise…il s’agissait du dernier de la fratrie Evans.

« Pour une surprise… »

Il déposa calmement son stylo. Cette soirée prenait une tournure tout à coup intéressante.

« Après la métamphet, tu fais dans la possession d’arme… » Remarqua-t-il sur un ton sarcastique, plus amusé qu’effrayé. « Ta famille doit être très fière de toi »

Ce calme, ça m'énervais. Cette tête, ça m'énervais aussi. J'étais en train de me transformer en une boule de nerfs et les quelques mots que l'homme prononça à mon sujet n'aidèrent en rien. Comment est-ce qu'il ... ? Légèrement troublé l'espace d'une fraction de secondes, je fis néanmoins en sortes de me reprendre immédiatement. Au final, ça ne m'étonnais qu'à moitié. Ce type était mauvais... je l'avais toujours su et il ne faisait que confirmer mes assomptions. Après tout, s'il avait mené sa petite enquête sur moi, alors il l'avais sans doute fait pour Nate aussi et sans contestations possibles sur Julie, ce qui me donna envie de tout lâcher pour lui sauter à la gorge. Cependant, ça, j'étais quand même capable de deviner que c'était VRAIMENT une mauvaise idée pour ma survie. Qu'est-ce qu'il avait bien pu faire à ma soeur ? Du chantage ? Il l'utilisait pour obtenir des renseignements ? C'était quoi, la Vérité derrière tout ce cirque ? « La ferme ! » Je n'avais aucune intention de répondre à ses piques qui ne me prouvaient qu'une chose : mes suppositions à son sujet, ainsi que celles de mon entourage, étaient parfaitement fondées. Comment est-ce que Jules' pouvait aimer un individu dans ce genre-là ? Ca me dépassais.


Bien que mon état intérieur pouvait se comparer à un brasier en ce moment-même, mon regard clair était aussi chaleureux qu'un bloc de glace. J'avais des questions à lui poser et il allait me répondre tout de suite. « Qu'est-ce que t'as fais à ma soeur ? » Mes lèvres tremblèrent. Je crois que s'il s'amusait avec les mots encore une fois, j'allais perdre patience. « Pourquoi tu t'es rapproché d'elle ?! » J'étais peut-être un peu-beaucoup impulsif, mais j'étais loin d'être stupide et le fait qu'un gars de sa trempe tourne autour d'une jeune femme à peine plus âgée que moi n'avait RIEN de naturel. Je m'en voulais presque de ne pas avoir réagis plus tôt.

Ce n’était pas la première fois que la black se retrouvait menacé par une arme et…sûrement pas la dernière. Au vu des gestes maladroits, notamment de la main tremblante du jeune Evans, il doutait de sa capacité à ôter la vie. Néanmoins, Elyes était quelqu’un de prudent. Le plus stupide qu’il vienne à mourir par accident. Imaginez-vous l’affront ? Mourir accidentellement de la main d’un jeune aussi inapte qu’impulsif, il ne s’en remettrait jamais. Cela aurait été tellement stupide, atrocement stupide et entacherait cette réputation qu’il s’était bâtit au fil des années. Il entendait d’ici la voix de William entrain de se foutre ouvertement de sa gueule. A juste titre d’ailleurs. Sa vanité le poussait à imaginer quelqu’un de son calibre l’abattre, cela ne serait qu’un juste retour des choses. Pourtant…il était curieux de voir jusqu’où le blondinet était prêt à aller, après tout vivre n’était-ce pas découvrir ses limites et trouver le petit coup de pouce pour aller au-delà ? Un sourire diverti apparut sur ses lèvres au fur et à mesure que cette scène invraisemblable avançait.

« Pourquoi ne pas aller le demander à ta sœur ça ? »

Son ton monta à nouveau d’un cran dans le sarcasme. Il n’avait nullement l’intention d’apaiser les tensions, le jeu vous savez. En outre, Quinn avait un savoir qui intéressait beaucoup le black.

« Après tout, c’est elle qui est venue me chercher…et ce de son propre chef. »

Elyes se mit à calculer mentalement le temps qu’il lui faudrait pour récupérer une de ses armes avant de se recevoir une balle. Une dans le tiroir, une dans le dos et une, beaucoup plus discrète, au niveau du pied.

« Si tu veux discuter, suffit de demander, pas besoin d’utiliser » Et voilà qu’il se montrait paternaliste, sachant pertinemment quel effet cela aurait sur un jeune homme instinctif qui avait perdu son père il y a peu. « C’est dangereux ce genre de truc…surtout quand on sait pas s’en servir »

Un sourire. J'allais le lui faire manger, son sourire, à cette pourriture ! Aucun autre mot ne me venait à l'esprit pour décrire cet homme et le simple fait de penser à ce qu'il avait pu sous-tirer de Julie, ça me... « Je vois vraiment pas qui aurait envie d'une gueule pareille dans son pieux » je ne pouvais pas, ne serait-ce qu'envisager la possibilité que ma soeur ait été attirée de façon naturelle par cet individu. Pour moi, elle avait été ni plus ni moins manipulée à un moment donné et il en résultait une formule chimique dont les liaisons entre éléments étaient difficiles à casser. J'étais en face d'un maître-chanteur et pouvoir lui parler seul à seul me permettait de confirmer mes impressions à son sujet. Je ne m'étais pas trompé... c'était quelqu'un de toxique, avec un mauvais fond. Et voila qu'il continuait sur sa lancée du mec moralisateur, chose que je ne pouvais pas supporter entendre. J'avais un gros souci avec l'autorité, donc lorsqu'en plus, c'était quelqu'un que je n'aimais pas qui osait me dire ce qui était bien ou mal, vous imaginez forcément ma réaction. J'entrais totalement dans son jeu sans même m'en rendre compte. « Ah ouais ? » Et évidemment, un coup de feu partit dans le vide pour venir se planter maladroitement dans un mur, tandis que j'expérimentais intérieurement l'effet du recul de l'arme et de la sensation provoquée en moi par le simple fait de menacer physiquement une personne. Mon dieu... je pouvais vraiment tuer quelqu'un avec ça. C'était vraiment pas le moment pour ce genre de réflexions, Quinn ! « Ca serait quand même ballot que je vise entre les jambes dans faire exprès, hein ?! » Non. En fait, vous savez ce qui était en train de se passer ? L'homme en face de moi, lui, devait l'avoir comprit comme j'étais en train d'en prendre conscience à l'instant : en fait, j'avais le contrôle sur rien du tout. Ni de mes émotions, ni de mon corps. Néanmoins, je parvins à rester dans un état d'agressivité quasi-palpable, notamment parce que cette situation était en train de confirmer de plus en plus de doutes dans ma tête. C'était lui... c'était lui qui avait tué mon père... ça me pouvait être que lui.

Comme Elyes le prévoyait, le jeune homme se laissa prendre au jeu. Il était plutôt satisfait de constater qu’il n’avait pas complètement perdu la main malgré ses quelques mois de retraite forcée, entre autres dû à la naissance de sa princesse, l’affaire avec Narcissa et le beau-père de cette dernière en plus du reste. Douloureux épisode d’ailleurs, heureusement, il était tout parvenu à récupérer ses souvenirs ainsi que ce qu’il recherchait dans un premier temps. Le coup de feu le sortit de ses pensées et le poussa à s’intéresser de nouveau au jeune Evans, son sourire plus grand que précédemment, découvrant ses dents parfaitement blanches. « Je te l’avais dit que c’était dangereux » commenta-t-il en riant légèrement, à la manière d’un enfant qui assisterait à des simagrées clownesques désopilantes. Quinn était un peu comme le petit singe dressé pour satisfaire le maître. Détrompez-vous, Elyes ne perdait pas de vu qu’il pouvait se révéler dangereux pour lui, certes ne s’y connaissait-il pas en arme mais l’on pouvait accomplir beaucoup de chose avec de la maladresse, surtout si la chance et l’agressivité s’y mêlaient. « Pour ça, faudrait que t’apprenne peut-être à viser non ? » Il était toujours aussi moqueur mais inquiet –bon, certes pas exactement mais quelque chose s’en approchant- de la manière dont les choses allaient se solder. Non pas qu’il fut réfractaire à régler son compte au jeune homme –peut-être un peu, Julie était encore trop présente dans on esprit- mais cela signifierait sûrement dans un avenir proche en finir totalement avec les Evans. « A propos, ça fait beaucoup de bruit une arme au cas où tu ne t’en serais pas rendu compte, et les gros bras ne tarderont pas à faire leur entrée » Ton léger. Démesurément léger. Comme si un Quinn agressif et enragé ne lui braquait pas une arme. « Donc, dis-moi, comment tu veux procéder, rapidement ou tu comptes encore me faire perdre mon temps ? »

Plus le temps passait et plus le sourire de l'individu en face de moi grandissait. Oui, c'est vrai... il avait raison, ses gros bras allaient arriver d'une minute à l'autre, j'avais complètement laissé tomber ce détail. Sur le coup, je m'immobilisais donc sans le lâcher des yeux, coupant court au flux d'agressivité qui rendait mes gestes complètement hors de contrôle pour mon propre cerveau. Il fallait que je me calme et que je me rappelle pourquoi j'étais là. Pour Julie, entre-autre. Pour venger mon père, aussi. Mais surtout pour mettre le feu aux poudres à ce type. J'étais trop en colère pour avoir peur, j'étais trop haineux pour faire demi-tour maintenant, alors il fallait que j'arrête de jouer aux imbéciles, car je n'étais pas quelqu'un de stupide, malgré mon problème d'impulsivité qui me faisait toujours réagir de manière disproportionnée face à quoi que ce soit. « C'est vrai... » Je me mordis une lèvre en baissant légèrement le regard pour surveiller les mains de l'homme en feignant un moment d'hésitation, puis plongeais rapidement un poing dans la poche de mon jeans afin d'en sortir une petite fiole d'acide que j'ouvris sans me précipiter. « On a perdu du temps. » J'avais très envie de jeter le liquide au visage de ce connard pour le voir se tortiller au sol et faire le deuil de sa vue définitivement, mais je ne sais pas ce qui me retenu de le faire. Je voulais juste que son sourire disparaisse l'espace de quelques minutes, je voulais qu'il aie mal, quitte à m'attirer de sérieux problèmes qui ne feraient que confirmer ce que je soupçonnais sur lui. Stupide Quinn, pourquoi est-ce que je n'avais pas pensé à prendre un enregistreur audio avec moi? Rah... bon, peu importe. Ni une ni deux, je m'élançais vers l'avant et fis un grand geste du bras pour déverser l'acide sans trop viser un endroit en particulier. « Joyeux Noël et bonne année ! »

Sans ajouter quoi que ce soit d'autre et en entendant des bruits de pas dans le couloir, je me retournais immédiatement et filais droit vers la première issue, le coeur battant à mille-à-l'heure. Oh mon dieu, j'étais un homme mort. J'étais un homme mort ! Pas le temps d'y réfléchir, il fallait courir.