Il était près de deux heures du matin maintenant et Elyes avait congédié tous ses employés pour se retrouver seul dans son bar. Il alla s’installer sur son piano et fit courir ses doigts sur les touches au gré de l’envie. Il aimait beaucoup se retrouver ici, seul, à des heures aussi tardives. Cela avait le don de l’apaiser et lui permettait de se ressourcer. Il n’avait nul besoin de revêtir de masques, de jouer à l’hôte parfait qui se souciait des préoccupations futiles et superficielles de ses clients qui le lorgnaient avec envie. Elles se sentaient seules, disaient-elles souvent, appuyant leur propos d’un regard lubrique. Elyes n’était pas dupe, elles auraient bien voulu tester l’exotisme qu’il représentait. Vous savez, le mythe de noir et de son sexe que l’on disait aussi grand qu’un gourdin. Elyes n’était pour elle qu’une distraction, un peu comme vous amenez vos gosses au zoo pour qu’ils admirent des animaux qui n’étaient pas d’ici. Même s’il l’aurait voulu, il n’aurait jamais pu faire partir des leurs, après tout ils ne le considéraient pas comme leur égal. Il était juste le petit singe placé là pour égayer leur quotidien morne de personnes ayant déjà tout ce qu’elles désiraient. Le black ne s’en formalisait, il ne tenait pas spécialement à intégrer leur groupe et tant qu’il obtenait ce qu’il désirait, il se fichait pas mal de comment ils le considéraient. Son but premier était d’avoir leur argent et il les en délestait par pirouettes savamment exécutées. Des sourires, des attentions comme des roses envoyées ci et là, des participations à des réceptions durant lesquelles il s’ennuyait ferme mais ne le montrant cependant pas. Le moins que l’on pouvait dire à leur sujet c’était qu’ils étaient d’une vanité sans fin. Ils pensaient tellement donner de leur personne pour les œuvres qu’ils disaient soutenir alors que leur but premier était de se montrer, de se pavaner. En un sens, Elyes leur ressemblait. Des coups furent portés à la porte de service et Elyes sauta sur ses jambes, sachant déjà qui était son visiteur nocturne, ou plutôt visiteuse. Il alla ouvrir, un grand sourire aux lèvres. « Bien le bonsoir ma chère ! » déclara-t-il, dégageant la voie pour la laisser entrer. « Comme d’habitude ? » lança-t-il en prenant la direction du bar pour servir à boire à la jeune femme. Ils se retrouvaient souvent ainsi, à la nuit tombée. N’y voyez là rien de tendancieux, c’était en tout bien et tout honneur.