Je détestais être enceinte. Bon, non j'hyperbolisais peut-être la chose. C'était intéressant sur certains points comme pouvoir être spectateur et acteur de la vie qui se développait en moi ou encore être prioritaire dans les espaces publiques. C'était marrant ça. Avec mon copain, on ne se lassait pas d'en jouer. Je suis enceinte, attention, qu'on me laisse passer. Mais lorsqu'au magasin, la queue à la caisse peut s'avérer longue c'est un vrai plaisir de niquer les autres. C'est comme si j'étais une V.I.P un peu, ou que j'étais en possession d'un Pass spécial. Mais ce que je détestais là-dedans, c'était peut-être mes journées quotidiennes, mon activité aussi palpitante que celle d'un petit vieux ou un buveur de bières mangeur de chips -vous savez le mec qui passe son temps devant la télévision. Moi qui ordinaire était énergique et qui aimait faire du sport, c'était râpé pour le moment. Le seul sport que je m'autorisais c'était le sexe -puis c'était bon pour le bébé aussi, j'avais lu ça- mais je finissais toujours exténuée à la fin, comme si je m'étais tapée le marathon comme le grec. Cette situation n'était pas les plus agréables alors je faisais en sorte de trouver de nouvelles occupations et de ne pas tourner en rond comme un cochon malade. Je n'avais pas non plus envie de casser les pieds de Saul. J'avais redécouvert les livres, le plaisir de lire. J'avais découvert la cuisine aussi... Du moins, je tentais de faire des desserts parfois et pour le moment nous étions toujours en vie. Ou bien, j'aidais Saul pour la chambre de notre future fille. L'idée qu'elle puisse avoir des soucis de santé à la naissance restait quelque part dans mon esprit et je faisais mon mieux pour prendre soin d'elle, en prenant soin de mon corps. A vrai dire, je n'avais jamais aussi bien et sainement mangé depuis... Depuis que j'avais quitté mes parents ?

Cet après-midi, Carolina devait venir. Je lui avais promis de lui organiser un concert de Noël, puis l'avais reporté à nouvel an et au final, bientôt février et toujours rien. L'annonce de la grossesse m'avait prit de court et bousillé tous mes plans que j'avais avec mon amie. Elle comptait sur moi, pour lui organiser un petit show et j'avais vraiment envie de le faire. C'est juste que je ne pouvais pas me balader facilement à droite et à gauche, mon gynécologue m'avait conseillé de ne pas trop bouger -MERVEILLEUX- et tout le monde savait que je détestais téléphoner, non ? Toutefois, je me débrouillais fréquemment avec Internet pour trouver des pistes et cet après-midi, j'avais étalé toute ma paperasse sur la table du salon avant que j'aille ouvrir à Caro. « Bonjour, bonsoir. Bienvenue chez moi ! » Carolina n'était pas encore venue dans mon nouveau chez moi. Du moins, la maison de Saul à la base, qui était devenue la mienne aussi un peu trop rapidement. Je l'ai conduit dans le salon en la faisant débarrasser de son manteau alors que moi je traînais en onepiece Tigrou. « Tu veux boire quelque chose ? J'ai fait du jus carottes, pomme et gingembre si tu veux ! » J'avais découvert la joie du mixeur également.

• Cela faisait un moment que je n'avais plus vu mes amis. Entre ceux qui se marient et ceux qui se préparent à accoucher...C'était un peu compliqué. Et je n'aimais pas être un poids -inutile qui plus est - alors je les laissais un peu respirer. Au fond, ça m'était un peu égal, parce que ça me laissait également le temps de m'enfermer pour bosser un peu. Parce que c'était ce que je savais faire de mieux. Et aussi parce que je tenais absolument à ce que mon prochain produit soit le plus proche de la perfection possible. J'avais déjà tapé assez haut avec mon précédent album et le monde attendait à présent le crucial deuxième opus, autrement dit, je n'avais pas droit à l'erreur. Alors je m'enfermais. Pour travailler d'arrache pied, tous les jours, autant que je pouvais.
  Mais dans le même temps je ne voulais pas non plus tomber dans la spirale écriture et m'enfermer seule trop longtemps. La scène me manquait et cela faisait bien quelques mois que cette idée me trottait dans la tête. Celle d'organiser un petit concert intimiste à San Francisco. Ce serait bien la première fois que j'y jouerais en tant que résidente. Mon idée était de faire une salle de petite capacité, cosy et de prendre le temps de bien faire les choses et en fat, partager quelque chose avec des gens d'ici. Mais je n'avais ni le temps, ni la capacité d'organiser ça toute seule, mais l'évidence m'était apparue assez rapidement : Sierra.
  Cette fille avait tous les contacts du monde, après un bon temps de loyaux services chez AP, elle avait couvert tous les évènements possibles et imaginables, travaillé avec tout l'univers (ou presque) alors oui, elle était la personne la plus qualifiée à l'organisation d'un tel évènement. De plus, nous étions proches, elle savait très bien comment je fonctionnais, ainsi que mon mode de pensée, elle seule était capable de faire de mon imagination une réalité. Et puis elle venait de lâcher son boulot, elle avait du temps. Enfin en théorie....Parce que sa grossesse s'est avérée peu de temps après, alors nous avions un peu du ralentir les choses.
  
  Nous avions ce premier rendez-vous ce jour là pour faire un premier point sur la situation. En arrivant sur son palier, je me rendis compte que c'était la toute première fois que je posais les pieds chez elle. Dans son chez elle-ci du moins. Bizarrement, je me sentais un peu gênée, je savais qu'elle n'y vivait pas seule. Mais qu'importe.
  A mon arrivée, je constatai avec la plus grande joie qu'elle s'était enfin mise à l'alimentation saine. Il a fallu qu'elle tombe enceinte quand-même! J'avais souvent l'impression de prêcher, auprès de mes amis avec mes aliments frais, mes VRAIS aliments et on finissait toujours par se moquer gentiment de moi. Petite victoire de mon côté donc? Possible. "Ouais alors là tu sais bien que je ne risque pas de refuser ça...Surtout s'il y a du gingembre!". J'offris mon aide à mon amie, mais celle-ci me fit rapidement signe d'aller m'installer.
  "Jolie combinaison au fait. Très assortie à tes cheveux, je suis fan!"
  Je m'affalai sur le canapé, ne pouvant m'empêcher de remarquer les chaussons de bébé sur la table, puis détourner le regard. Comme si je fuyais quelque chose...Je m'enfonçai de plus belle dans le canapé et attendis patiemment le retour de Sierra.