L'avantage d'habiter dans le centre ville est que l'on trouve de tout à proximité. Pas possible de s'ennuyer. Même quand il n'y a rien à faire, qu'il pleut et que les gens pendent la tronche, il y a toujours bien un petit café théâtre ou un piano bar pour se distraire l'esprit. C'est ce que qu'Anaya préférait à San Francisco : les possibilités. Bien souvent, en rentrant du travail, elle n'avait qu'une envie, vider son esprit, se délester du stress qu'elle avait éprouvé toute la journée. Certes, elle adorait son boulot mais il y a un revers à chaque médaille. Ses moments préférés ? Une sortie simple, un petit dîner ou même papoter devant un thé avec l'élu. Trevor. Ils n'avaient pas toujours des tonnes de choses à se raconter, ils n'étaient pas toujours en forme pour sortir et faire la fête mais le simple fait de se retrouver, d'échanger des sourires complices et des regards tendres suffisaient pour qu'en un rien de temps, les tracas du quotidien se soient évaporés.
C'est un peu fou de se dire que son bien-être dépend d'une seule personne. Sans Trevor, elle le sait, elle ne serait rien. Une simple dermato tatouée avec des fesses géniales. Sa vie ne se résumerait plus qu'au travail et au sommeil. Bien entendu, jamais il ne le saura. Jamais il ne saura qu'il est si important pour elle, bien qu'il le devine très certainement à un tas d'autres détails. Il suffisait de la regarder se mouvoir dans l'espace pour comprendre que cette nana était dingue de lui. Ses gestes, ses sourires, le son de sa voix. Tout prenait sens à ses côtés et sans lui, elle s'éteignait. Ces deux là avaient la chance d'être quasiment leur premier et unique amour. Plus jamais elle ne connaîtrait le même sentiment, si fort, si intense, si vrai. Tout aurait un goût plus fade avec les non-Trevor. Triste réalité de l'amour.
Leur couple était maladroit. Elle pensait que l'âge de Trevor avait un rôle mais aussi et surement sa carrière militaire. Y a rien à faire, ça change un homme. Sous ses allures de minet, il était un vrai mec. De ceux qui ne parlent pas de sentiments, de ceux un peu macho, il fallait l'avouer. Et malgré tout ça, elle ne l'aurait pas voulu autrement.
Ce soir, le couple était sorti manger dans leur pizzeria préférée. Anaya savait cuisiner mais elle n'était pas franchement un cordon bleu et elle avait bien trop la flemme de passer deux heures en cuisine après son service. Ce soir là, un match de Hockey était diffusé sur les écrans géants du restaurant et l'équipe favorite d'Anaya avait remporté le match. Après quelques bières, elle n'avait pu s'empêcher d'exprimer sa joie en hurlant les refrains des chansons de cette team si populaire. Après ça, ils étaient rentrés chez elle, le sourire aux lèvres pour sa part.
Anaya habitait une petite maison, idéale pour une personne ou pour un couple. Elle avait les moyens de vivre décemment et en avait ainsi profité pour ne pas avoir de voisins enquiquinants au dessus ou en dessous d'elle. Tout était décoré dans les goûts de la jeune femme : assez sombre mais cosy. On pouvait trouver des dizaines de plaids et de coussins confortables pour les jours de blues. Des bougies et pas mal de bibelots parfois un peu glauques traînaient ça et là sur des meubles foncés. Quand elle eut posé sa veste au porte manteau, elle s'empressa de sauter sur le dos de Trevor. Son humeur était taquine et elle ne comptait pas le laisser s'endormir devant un vieux téléfilm aux allures allemandes.
- Attaque de chaton empaillé !! Dit-elle en criant, glissant ses mains sous son t-shirt dans le but de lui chatouiller les côtes.
Petite et frêle comme elle était, elle ne tarda pas à se retrouver écroulée dans le divan, prise à son propre piège.
La liberté. Voilà longtemps que Trevor avait oublié cette définition. L'armée était trop carrée, au moindre faux pas, il savait qu'il pouvait finir au trou, alors il faisait en sorte d'être un soldat exemplaire pour garder le peu de liberté qu'on pouvait lui offrir. Il vivait sur base, pour avoir un loyer pas trop cher et construire sa vie à la fin de son engagement, tranquillement. Il ne crache vraiment pas sur ces économies faites en quatre ans. Il savait aussi, à l'époque, que ca ne servait à rien de prendre un appartement alors qu'il était sergent et qu'il pouvait mourir n'importe quand sur le front. Et désormais, il touche une petite pension de retraite pour avoir servi sa nation, autant dire qu'il a les moyens de vivre correctement, de se payer ce qu'il veut et qu'il peut offrir ce qu'il veut à sa belle. Son premier amour.
Aussi maladroit soit-il, il l'aime vraiment. A vrai dire, ils sont tous deux assez maladroits puisqu'ils n'ont jamais vécu cette chose puissante. Il se dit toujours qu'il a de la chance de l'avoir rencontrée alors qu'elle était stagiaire. Il sait aussi qu'il devrait faire des efforts quand à son côté froid, montrer un peu plus de chaleur humaine envers elle. Mais quand on passe sept ans à se montrer insensible, droit, dur, alors il est compliqué pour lui de se montrer entièrement comme il le voudrait. Il a envie, pourtant, d'être le genre de mec qui pleure devant un film émouvant aux côtés de sa copine, le mec qui assume sa part de féminité, ce mec qu'il était avant que son paternel ne ruine sa vie, comme il dit souvent. Mais chaque moment qu'il passe avec Anaya le rend heureux, au fond de lui.
Elle et Trevor sont allés manger en extérieur, dans leur pizzéria favorite. Il sait que sa moitié cuisine plutôt bien, mais qu'elle se tape des journées éreintantes. Lui, il sait faire cuire des pâtes, commander de la bouffe et manger des sandwiches froids qu'on trouve dans les épiceries ou supermarchés. Et il assume tout à fait sa nullité culinaire, ce qui est une bonne chose. Dans le restaurent, ils diffusaient un match de hockey. Il n'est pas fan de ce sport et préfère largement le foot américain et les sports de combat. Mais il sait que l'équipe préférée d'Anaya est sur l'écran, alors il s'y intéresse vaguement, en buvant sa seule et unique bière de la soirée. Il était content de la voir fière de son équipe, même s'il n'avait pas l'habitude d'une telle explosion de joie. Puis ils quittèrent les lieux, main dans la main, souriants, pour rejoindre l'habitation de la demoiselle tatouée.
Trevor n'avait jamais connu un endroit aussi sombre mais reposant. En entrant chez elle, il posait sa veste de cuir et son chapeau sur le porte manteau et se dirigeait directement dans le salon. La jeune femme lui sauta dessus pour qu'ils aient un moment enfantin. Trevor se tortillait en riant des chatouilles de sa compagne, avant de la faire basculer dans le canapé. Il se retourna sur elle pour la chatouiller à son tour.
ATTAQUE DE GROS CHAT ! lança t-il avec le sourire.
Trevor n'avait jamais été très démonstratif envers Anaya. Elle, en revanche, l'était parfois trop. Il y avait des jours où Trev' acceptait toute son affection et d'autres où il semblait plus fermé, plus distant. Ca avait toujours le don de déstabiliser la jeune femme mais elle n'avait rien connu d'autre alors elle imaginait que c'était ça, la façon dont les hommes fonctionnaient. Et même si une petite voix au fond de ses entrailles lui murmuraient que non, ce n'était pas normal, elle n'aurait voulu changer de partenaire pour rien au monde. Avoir tout l'amour d'un autre ? No, thanks. Elle préférait souffrir un peu pour son militaire que de feinter le bonheur loin de lui.
Elle était tolérante et comprenait qu'on ne pouvait forcer quelqu'un à exprimer ses émotions. Elle-même n'y arrivait pas toujours. L'humain est tellement complexe. Probablement le seul être sur Terre à pouvoir ressentir autant de choses, à dépendre totalement de ces ressentis et également le seul à pouvoir en mourir. Il fallait toute une vie pour s'apprivoiser, toute une vie pour apprivoiser l'autre. Alors comment faire quand on était deux handicapés de l'amour ?
Anaya n'avait encore jamais osé en parler avec Trevor. Elle avait peur. Peur de déclencher une dispute, peur de le perdre. Peur de le blesser ou de le laisser croire qu'elle posait un ultimatum. Et pourtant, depuis quelques mois, elle sentait l'envie d'en discuter avec lui. Lui demander pourquoi il était toujours aussi changeant après autant de temps de relation. Savoir si elle faisait mal les choses. En attendant, elle profitait de chaque instant passé à ses côtés.
Cette pseudo bagarre qu'elle avait déclenché était un prétexte tout fait pour être plus proche de son amant. Elle ne pouvait s'en empêcher. Le toucher était une drogue, son odeur, sa peau douce, son souffle sur sa peau tatouée. Des détails qui faisaient qu'elle était totalement accro à son contact. Après avoir essayé de se débattre en vain sous le corps ferme de Trevor, elle rendit les armes. Son corps se détendit et son souffle reprit un rythme normal.
- T'es trop fort pour moi minouche, déclara-t-elle, le regard plongé dans ses yeux noisettes.
Un fin sourire trancha le visage de la belle tatouée et elle lui vola un baiser. Tendrement. Pas très long mais assez pour que celui-ci fasse son effet. Et comme à chaque fois, elle sentit son coeur bondir dans sa poitrine. Ou s'arrêter un instant. Quoi qu'il en soit, elle ressentait toujours la même chose. Comme s'ils échangeaient leur premier baiser. Un baiser qui, à l'époque, leur était interdit. Et lentement, elle ferma ses yeux et glissa le bout de ses doigts sur la peau pâle du dos de son compagnon.