Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé les jolis vêtements. Déjà toute petite, je mettais les escarpins de ma mère aux pieds, j’enfilais des petits hauts à dentelle et des colliers en perles qui lui appartenaient et je défilais dans le couloir, la forçant à me regarder, puis je passais des heures à m’admirer dans la glace. En grandissant, cet amour de la mode n’a pas diminué, au contraire. Au lycée, quand j’avais un petit budget, je parcourais les friperies, à la recherche de vêtements que je pouvais customiser à l’aide de la vieille machine à coudre de ma grand-mère, pour les rendre plus actuels. Je gardais les sous que je recevais à Noël ou à mon anniversaire pour les investir dans des paires de chaussures ou des sacs à main de grands créateurs, dont je prenais le plus grand soin. Puis, je suis allée à l’université de New York pour poursuivre mes études. Et là, j’en ai pris plein les yeux, j’étais comme une petite fille à Bloomingsdale, je passais des après-midi entières à parcourir les rayons et à essayer des tas de tenues. Les vendeuses me connaissaient à force. Mais je n’avais pas encore le budget nécessaire pour m’offrir tout ce qui me faisait envie. J’essayais de m’offrir une paire de Jimmy Choo ou de Manolo Blahnick toutes les six semaines. Et puis une fille de ma classe m’a une fois emmenée à une vente privée à laquelle elle avait été invitée. Et ce fut une révélation, tout ce que j’avais toujours voulu, à un prix abordable pour une simple étudiante comme moi, qui assurait ses fins de moi grâce à un petit job de serveuse chez Starbucks. J’ai bientôt pu moi aussi recevoir mon sésame pour ces ventes privées, et j’ai pu assouvir toutes mes envies modesques.
A ce stade là, vous devez surement vous dire que je devais faire des études en rapport avec la mode ou le stylisme. Eh bien non, vous tomberez même de haut si je vous dis qu’à cette époque, je faisais un stage chez un traiteur newyorkais. Parce oui, ma seconde passion est la cuisine. Mes parents tiennent un restaurant depuis déjà avant ma naissance, mon père est chef et ma mère gère les réservations et sert un peu d’hôtesse, et je baigne donc dans ce milieu depuis toute petite. Et j’ai très tôt voulu mettre la main à la pâte. Mon père a commencé à me donner des cours le jour de mon dixième anniversaire. Adolescente, je donnais un coup de main en salles ou dans les cuisines en fonction de là où il manquait du personnel. Et logiquement, une fois le lycée finit, j’ai eu envie de me perfectionner. Grâce à ses connaissances, mon père m’a déniché plusieurs stages à New York, un chez un pâtissier, un dans un restaurant étoilé, un chez un traiteur. J’ai appris énormément des choses pendant ces trois ans. Et au lieu de travailler dans un restaurant ou avec un traiteur, j’ai choisis de m’établir à mon compte et de devenir chef à domicile. A l’époque, je préférais improviser plutôt que de faire chaque soir la même chose. Et puis, je n’avais personne dans ma vie à l’époque, tout était plus simple. Ca n’a pas duré très longtemps cette époque en fait. Parce que je suis rapidement devenue une maman.
Ma fille a complètement changé ma vie. Je suis tombée enceinte un peu par erreur. J’ai finit dans le même lit qu’un bon ami après une soirée un peu trop arrosée. Et je me suis rendue compte un mois après que je n’avais pas mes règles. Quand je suis allé le voir pour lui annoncer la nouvelle, il venait de se fiancer avec une fille après une série de séparations et de réconciliations, et m’a accusée de vouloir le faire rompre. J’ai coupé les ponts avec lui et j’ai décidé de garder le bébé. C’est à la même époque que j’ai rencontré Kris et Hazel, qui sont rapidement devenues mes meilleures amies. Elles avaient eu des enfants jeunes toutes les deux et elles m’ont soutenu et encouragé pendant toute la durée de ma grossesse. Et Kris partageait avec moi l’amour de la mode et des chaussures. On en a passé des après-midi à baver devant des Jimmy Cho, que je mourrais d’envie d’acheter, alors que je savais que les talons de 10 cm sont déconseillés pour une femme enceinte. Tout aurait pu bien se passer sans ce tragique incident, les quinze jours de coma puis le décès d’Hazel suite à un accident de voiture. J’en ai passé des heures à son chevet, Kris aussi. Je me suis tellement impliquée à provoquer son réveil en lui passant les musiques qu’elle aimait, en lui lisant des magazines ou des livres que j’ai failli mettre la santé de ma fille en danger. Suite à des contractions, et pour que j’accouche le plus tard possible, j’ai passé le reste de ma grossesse dans la chambre d’amis de Kris. Mélange de bons moments entre deux amies, et de moments sombres lorsqu’on songeait de trop à Hazel. Charlotte a vu le jour à la fin du mois, le 21 octobre 2010.
Et quelques jours après, Kris s’est vu offrir un poste plus intéressant à San Francisco, je crois que je n’ai réfléchis qu’une soirée avant de dire oui. Plus rien ne me retenait à NY après tout. On a débarqué sur la côté ouest en janvier 09, et ce fut le début d’une nouvelle vie. Tout ce passait bien, Charlotte et James s’entendaient bien, grandissaient bien, j’habitais ma propre maison, mais à quelques mètres de celle de Kristen, jusqu’à ce soir de janvier 11 où je reçois un coup de fil m’annonçant que ma meilleure amie avait été blessée pendant une intervention, et qu’elle était actuellement entre la vie et la mort. J’ai déposé Charlotte et James chez leur nourrice en leur expliquant qu’ils passeraient exceptionnellement la nuit chez elle, et j’ai filé à l’hôpital. Elle avait passé une bonne partie de la nuit au bloc, les médecins avaient fait ce qu’ils avaient pu, mais elle était tombée dans le coma. Un mot que je ne voulais plus jamais entendre. Et tout recommença. Les matins où je passais lui faire un coucou avant d’aller travailler, les après-midi où je lui racontais mes journées, décrivais mes nouveautés, maudissait certains de mes clients. J’essayais parfois de prendre avec moi Charlotte et James, qu’elle entende la voix des deux petits, même si eux ne comprenaient pas trop ce qu’il se passait. Un matin, je m’étais endormir sur le fauteuil réservé aux invités dans le coin de sa chambre, je l’ai vue les yeux grands ouverts, et la tête tournée vers la fenêtre. Je crois que les infirmières ont du avoir peur quand elles ont entendu mon cri de joie. Mais certes, elle était réveillée, mais ne se souvenait de rien. Pire, elle s’attendait à ce que son ancien mari, décédé en Irak, revienne d’un jour à l’autre, et que l’enfant qu’elle portait depuis cinq mois, qui faisait que son ventre s’arrondissait de semaine en semaine, était de lui. Mais au moins, elle était en vie, et pour moi, c’était le plus important. Ses souvenirs allaient revenir et sa confusion s’atténuer. Pour moi en tout cas..
Avec Charlotte, j’ai eu envie d’horaires plus stables lorsque j’ai recommencé à travailler. Et au lieu de redevenir chef à domicile, j’ai cette fois-ci choisi de m’associer à un traiteur, et de m’occuper de la partie pâtisserie de l’affaire. Parfois, j’aimerai plus de spontanéité dans ma vie, moins de routine, mais d’un autre côté, j’ai pratiquement tout ce que une fille de mon âge pourrait rêver. Sauf un homme. Lorsque j’étais enceinte, je ne me suis intéressée à personne. Qui voudrait d’une femme enceinte si l’enfant n’était pas de lui ? Puis Charlotte est née, et je me suis entièrement consacrée à elle. Et Kris avait besoin de moi, encore plus maintenant qu’elle vient de se réveiller de ses cinq mois de coma et qu’elle va pouvoir sortir de ce foutu hôpital. Puis il y a eut la reprise du travail. En fait, je crois que je me trouve à chaque fois des excuses. Mais Charlotte grandit, et il lui faudra bien un papa, une figure masculine à qui se confier. Alors doucement, je recommence à chercher. Je guette les clients mâles sans alliances, je me promène dans le parc, j’ai même songé à m’inscrire sur des sites de rencontre. Mais je sais aussi qu’il ne sert à rien de précipiter les choses. S’il y a quelqu’un fait pour moi dehors, il arrivera quand le temps sera venu…