Ce soir, t’as aucune envie de rester chez toi, ni de voir des gens d’ailleurs. T’as pas envie de faire genre t’es heureuse, genre tout va bien, te mettre la mine et finir à quatre pattes dans un caniveau. Non, pas ce soir. T’as envie de te retrouver en tête à tête avec toi-même, mais pas dans ton appart. T’étouffe entre les quatre murs de ce duplex payé par tes frères. Y a trop de souvenirs et ils te mordent le cœur. Alors, t’as enfilé une tenue décontractée et étrangement peu voyante, plutôt classe d’ailleurs et t’es sortie. T’as erré dans les rues pendants des heures, sans même t’en rendre compte avant de finir dans un quartier dans lequel t’étais jamais allée. Enfin t’y avais pas tes habitudes, enfin tant pis. T’avises un bar et t’entres. Qui sait, tu finiras peut-être la soirée en bonne compagnie, même si c’était pas le plan initial, mais bon, tu vas pas te plaindre. Stimuler ce qui peut l’être encore, au pire, tu profiteras de l’ambiance propre au jazz bar. T’entres après avoir fait des courbettes au videur pour qu’il te laisse entrer sans que ton nom n’évoque quoique ce soit. T’avances en prenant soin de donner l’impression que tu viens ici souvent, de toute façon avec ton job d’escort, tu fréquentes pas mal d’endroits dit classes et jusqu’ici aucun de tes client n’a eu à se plaindre de tes manières. Tu fends sans mal la foule, conservant une attitude hautaine, accentué par le rouge de tes lèvres et tes cheveux relevés en un chignon las. A mi-chemin du bar, tu repères un visage familier, Yael, en bonne compagnie. Soudainement d’humeur taquine, tu te dis que ce serait pas mal de jouer avec lui, surtout avec la demoiselle qui l’accompagne. Tu te diriges vers eux, plus sûre de toi que jamais, balançant tes hanches de gauche à droit de manière affriolantes, effet qui aurait été plus saisissant si tu avais porté une robe plus moulante mais tant pis. Armée de ton sourire charmeur afin de dissimuler ton amusement, tu te glisses à ses côtés, te penchant légèrement pour aller l’embrasser. « Navrée, je suis en retard, tu sais ce que c’est… » ta voix est séductrice et tes prunelles pétillent de malice. Finalement tu te tournes vers la personne qui l’accompagne « Merci de lui avoir tenu compagnie jusqu’à mon arrivée, vos services ne sont plus requis désormais » que tu dis, monocorde et d’une froide cordialité, ton regard sur elle se faisant plus dur, l’incitant ainsi à ne pas perdre une seconde. Elle salue brièvement Yaël avant de se casser et t’en profites pour prendre la place qu’elle avait chauffé pour toi. « un whisky sec je vous prie » que tu commandes avant de reporter ton attention sur le sexologue, hilare. « Elle était plutôt pas mal, un plan à trois n’aurait pas été de refus »
" We're talking here about two human beings, two different people, different souls, doing their best to bond. Is it really worth it? "
Je me réservais toujours le droit de décider du nombre de consultations que je ferais durant la journée. Je n'étais pas particulièrement enthousiaste à l'idée de commencer le travail. Je songeais d'ailleurs depuis un certain moment à faire une pause, me consacrer à une autre activité. Mon cerveau semblait être dans une inertie totale, je sentis mon corps faiblir, le basculant vers le sofa pour m'affaler dessus. J'adressai un regard las vers le plafond, avant de porter mon attention vers la table à côté, y passant ton doigt, pour apercevoir un peu de poussière, mon côté maniaque refaisant surface, je retrouvai subitement l'énergie nécessaire pour aller en toucher un mot à mon assistant. J'eus droit à un coup de téléphone après m'être reposé, de l'une de tes conquêtes, me demandant de la retrouver au restaurant. N'ayant rien d'autre de prévu, je répondis positivement à sa demande.
Une fois arrivé au lieu convenu, je la vis déjà installée dans sa table, portant une robe bleue qui se mariait parfaitement avec la pâleur de sa peau. Exquise serait le terme qui la décrirait le mieux. Je ne pus m'empêcher de laisser un petit sourire en coin apparaître sur mon visage. Me sentant prêt à attaquer ma jolie proie de la soirée. Tous les deux, assis confortablement, je commençai la conversation par un peu de flatterie très bien placée, j'ai toujours su m'adresser aux femmes. Une qualité qui m'a sauvé de nombreuses fois de la solitude. Quoique, j'appréciai bien mes moments solitaires, mais un peu de compagnie de temps à autres pour assouvir mes désirs sexuels les plus féroces ne serait aucunement de refus. J'aperçu soudainement ces courbes, cette présence que je ne pourrais me résoudre à ignorer. Cette tornade voluptueuse qui représentait un divertissement à mes yeux, dont je n'étais pas encore prêt à me lasser. Jordan. « Navrée, je suis en retard, tu sais ce que c’est… » Je bus une gorgée de mon verre, profitant du show qu'elle allait m'offrir. « Merci de lui avoir tenu compagnie jusqu’à mon arrivée, vos services ne sont plus requis désormais » J'allais apparemment changer de proie, si l'on pouvait considérer Jordan comme une proie. « un whisky sec je vous prie » Cet air, amusé, ne pu quitter mon visage. « Elle était plutôt pas mal, un plan à trois n’aurait pas été de refus » J'acquiesçai du regard, la scrutant, l'une de mes plus belles conquêtes, si ce n'est la plus belle, à mes yeux. Elle avait cette même férocité que la mienne, qui arrivait à aisément me couper le souffle. J'appréciai particulièrement ces nuits torrides entre nous. Une vraie tigresse au lit, comme je n'en avais jamais vu. « En effet. Je te pensais plus généreuse, mais tu viens de marquer ton territoire. Mes félicitations Wayans. » Je me redressai, me rapprochant ainsi un peu d'elle. Je fis glisser ma main vers la sienne, la caressant légèrement du bout de mon index. « Tu aurais pu demander à me voir, au lieu de me suivre. »
Tu es un peu déçue, il ne semble pas le moins du monde froissé, ni agacé par ton comportement bien au contraire. Tu aurais bien voulu le voir sortir de ses gonds, il parvenait toujours à conserver cette profonde sérénité comme s’il avait fait un stage chez les moines Shaolin ou autre conneries du genre. Les seuls moments où il se laissait un peu aller c’était durant vos parties de jambes en l’air durant lesquelles il quittait un peu cette putain de bienséance qu’il plastronne constamment, comme une seconde peau. Toi, tu le sais qu’il y a plus en-dessous. T’es pas de celles qui se laissent berner par cette galanterie et savoir-vivre apparents. De toute, c’est pas ce qui t’intéresse. Les poupées lisses et bien propres sur elles, ça jamais été ton truc, suffit de voir les mecs avec qui t’es sortie pour comprendre. Tu les préfères…plus passionnés dirons-nous pour éviter d’entrer dans des détails techniques dans lesquels il est facile de se perdre. « Que veux-tu, j’ai pour principe de ne jamais partager mes jouets préférés » tu dis, jouant son jeu. S’il veut se lancer sur ce terrain, c’est pas grave, t’es capable de suivre. Ton sourire s’agrandit, plus charmeur que jamais et ton regard lâche pas le sien une seule seconde. Il a quand même des putains de beaux yeux ce cons, il est facile de s’y perdre et tu sais qu’il le sait. Avec son métier, il a appris ce qu’il plaisait aux femmes et sait très bien comment jouer avec son physique. Vous êtes deux à ce jeu. « Te demander…cela est d’un commun tu ne crois pas ? Et nous savons tous deux que le commun a tendance à te blaser plus que tu ne l’es déjà » tu t’es toi aussi rapprochée de lui, tu ne refuses jamais un défi, enfin tu le prends ainsi ce jeu de séduction. « D’ailleurs j’attends toujours que tu me montres le volcan qui se dissimule derrière ce calme… » tu laisses planer tes mots dans tes airs et ta bouche légèrement entrouverte se rapproche sensiblement de la sienne, à tel point que tu sens que tu l’effleures. Tes prunelles sont toujours accrochées aux siennes. T’as bien envie de l’embrasser ouais. Soudain la magie s’estompe quand le serveur qui te ramène ta boisson se racle la gorge pour signifier qu’il est là. Au bout de quelques secondes qui paraissent un long moment, tu te redresses pour récupérer ton whisky avec un sourire et un regard franc qui semblent désarçonner le garçon. « Tu viens souvent ici ? »
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Jouets? N'était-elle pas allée un peu trop loin en me traitant de "jouet" ? Je ne semblais pas le moins du monde, outré par ses paroles, mais peut-être l'étais-je au fond. Je me contentai de la percer du regard. J'arrivais à voir en elle comme dans un livre ouvert. Elle semblait me chercher ouvertement. Elle voulait certainement revoir ce Yael, un peu moins glacial, un peu plus expressif voire plus agressif. Nous étions dans un lieu public, et je ne me sentais pas réellement d'humeur à me laisser aller. J'ai été éduqué, formé, à être le moins expressif possible. Ne rien montrer, ne jamais dévoiler ne serait ce qu'une infime partie de cet iceberg prêt à fondre à n'importe quel moment en moi. En réalité, je n'étais même plus sûr de pouvoir ressentir quelque chose, je semblais bien souvent impassible, parce que je l'étais. Tout simplement.
Le commun. Le commun n'était pas une si mauvaise chose après tout. Je me suis accoutumé à ces rendez-vous, tous calculés. Il faut tout de même dire qu'avoir un soupçon d'imprévu dans ma vie ne serait d'aucun refus, bien au contraire. Grâce à Jordan, je pouvais y avoir droit. Un peu comme ce soir là d'ailleurs. Elle se rapprocha de moi, me suppliant presque grâce à son regard de tigresse affamée, de faire resurgir ce côté bestial qui sommeillait paisiblement en moi. Son souffle frôlant mes lèvres, je restai de marbre face à toute cette tension sexuelle omniprésente entre nous. Le serveur vint nous interrompre. « De temps à autre on va dire, tu connais cet endroit ou c'est ta première visite? » Je ne fréquentais jamais les même endroits, parce qu'il en fallait un pour chaque conquête. « Jordan. Ne devrions nous pas profiter de ce moment, pour se connaître plus en profondeur? » J'avais envie de connaître cette fille un peu mieux, Jordan était si éloignée du monde dans lequel je vivais, n'ayant rien en commun avec mes conquêtes habituelles, un peu moins vulgaire d'habitude, que ce soit d'un point de vue physique ou comportemental. Son corps n'avait aucun secret pour moi, mais son âme était une réelle énigme. J'avais juste envie de la voir, se dévoiler complètement à moi. Je bus une gorgée de mon cocktail alcoolisé, laissant son regard se noyer dans le mien.
« Je viens parfois » que tu réponds simplement avec un bref hochement d’épaules, peu décidée à entrer dans les détails. Il est vrai que c’est pas vraiment un endroit où on t’imaginerait, toi Jordan le garçon manquée tout droit sorti de son Queens qui préfère largement la compagnie de ses gangstas que de ces richoux qui pensent que faire un chèque de cinq cent leur offrira une place une paradis, que des conneries. D’ailleurs si un de tes potes te voient ici, il tombera sûrement de sa chaise avant de se foutre de ta gueule avec un ‘Wayans, toi ici, sérieux, il t’arrive quoi ?! » auquel tu répliqueras par un ‘va te faire foutre’, ton majeur bien en évidence. Tu sais pas pourquoi tu viens souvent ici, sûrement la différence de ce que t’as l’habitude de connaître, t’éloignant ainsi complètement de son univers. Un moyen de moins penser à lui en somme. Faudra changer ce truc, ce fait que tes habitudes tournent exclusivement autour de lui, quand il était là, tu faisais jamais par rapport à sa gueule mais faut que ça commence maintenant, tu te désespères vraiment. « En profondeur ? » tu peux pas t’empêcher de remarquer avec un sourire moqueur. « Je croyais que c’était déjà le cas » tu fais bien sûr référence à vos baises embrasées, bien qu’ayant tout à fait compris où il voulait en venir, un moyen de t’amuser un peu avec lui. T’es quand même surprise, c’est pas le genre de s’interroger aux gens, un peu comme toi, vous vous voyez, vous faites vos affaires et basta, chacun retourne à sa vie, donc t’es intriguée, quand même. Tu te demandes où il veut en venir et en même temps, tu ressens quelque chose qui se rapproche de la satisfaction, fin tu sais pas et tu perds pas de temps à te poser des questions. Tu trempes tes lèvres dans ton whisky, ton regard perdu dans la salle jusqu’à ce que tu le poses sur…lui. Fallait que vous vous retrouviez…rien d’étonnant c’était plus son monde que le tien. Faut pas qu’il te voit ici, tu sais déjà comment ça va finir et puis une partie de toi, tu sais pas laquelle, tu sais pas combien elle pèse, tu sais pas ce que ça veut dire, mais cette petite partie veut pas que Yaël sache. Tu reportes ton attention sur celui-ci « Si on allait chez toi ? » tu vas pas par quatre chemins, droit au but et tu lui laisses pas non plus le choix. « L’ambiance y sera plus propice pour les découvertes » T'as dit ça comme ça, juste pour que vous vous tiriez. Ou peut-être pas.
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Mes pensées se ruèrent subitement vers cette époque où j'étais avec Mary. Mary et sa peau foncée, sombre, si sombre qu'elle m'engouffrait avec elle, dans cette profondeur qui me faisait oublier mes tracas. Hormis leur apparence physique, presque semblable, Jordan restait très différente d'elle, beaucoup moins docile, moins douce, moins aimante. Cette nostalgie apparaissait de temps à autre, me replongeant dans ce passé russe, où je ne me sentais guère à ma place, où elle semblait être mon seul repère. Je disais qu'elle était "ma victime" mais elle m'évitait de basculer vers ces immondicités et ces souvenirs macabres de mon enfance. Je n'en espérais pas autant de Jordan, d'ailleurs personne ne pourrait remplacer Mary. « En profondeur ? » Ce sourire marqué par la moquerie, je devinais ce qui venait de traverser son esprit. « Je croyais que c’était déjà le cas » Je ne faisais que la percer avec mon regard, étant très peu expressif. « Si on allait chez toi ? » A peine arrivée, et elle désirait déjà être dans un endroit plus calme avec moi. « L’ambiance y sera plus propice pour les découvertes » Je laissais apparaître ma denture, ces mots m'avaient quelque peu amusé. J'appelai le serveur, réglant la commande, avant de poser mes yeux sur ma campagne de la soirée. Je tendis ma main vers elle, la paume mise en avant, pour l'emmener avec moi et quitter cet endroit. Je l’entraînai avec moi, vers ma voiture, mon portable se mit à sonner durant tout le trajet, " Baris R. " était entrain d'appeler. Il s'agissait de mon géniteur, je ne voulais pas décrocher, pas en présence de Jordan. Une fois arrivé, je lui tendis les clés de la maison. « Tu peux y aller avant moi, tu connais bien la maison, j'ai un coup de fil à passer. Je te rejoindrai après. »
T’es content, il a pas opposé de résistance à ta requête qui n’en était pas vraiment une et galant, comme à son habitude, il a payé vos consommations. T’as rien dit, pour une fois, t’es pas le genre de meuf qui acceptent qu’on lui paie ses coups hors cadre rencard ou travail d’escort. Une demi-heure plus tard, vous y êtes. Surprise, il te file les clés pour s’éloigner un peu avec son téléphone. Tu dis rien, t’entres et tu fermes derrière toi, ce sont pas tes oignons après tout même si t’es curieuse, son portable a pas arrêté de sonner tout le voyage mais il a envoyé l’importun sur sa messagerie. Faut avouer que c’est plutôt bizarre non ? Comme s’il voulait pas qu’il sache que t’es avec lui ou que tu sache qui l’appelle ou encore que…ce sont pas tes affaires. Tu prends tes aises, te débarrasses de ta veste et de tes chaussures que tu poses dans un coin avant de te diriger vers le bar. T’examines les bouteilles un long moment puis tu te décides finalement pour un bon whisky, tu sers deux verres, politesse oblige puis tu t’en vas vadrouiller un peu dans le salon. C’est la première fois que tu le vois aussi clairement habituellement entre deux positions gymnastiques qui requièrent pas mal de concentration. Ton regard se perd dans les bouquins, pas très longtemps, la lecture a jamais été ta tasse de thé mais ça l’air d’être la sienne. Et tu te demandes pourquoi tu t’intéresses, parce que bon, hormis le fait qu’il soit blanc –détail très important te concernant- vous êtes tellement différents. Tous tes exs se ressemblaient pas mal : black ou latinos –un seul-, tatoués, familiers des gangs et autre conneries du genre, aimant le rap et ayant très vite arrêté l’école et n’ayant pas ouvert plus de dix livres dans leur chienne de vie. T’oppose cette description à Yaël qui est vraiment…différent. Tu vides le contenu de ton verre avant d’aller te resservir, comme d’habitude, l’ivresse ou simplement même un petit tournoiement. Le constat est clair : tu bois trop. Tu vas te resservir parce que bon, t’as rien d’autre à foutre en l’attendant. T’en es à ton troisième verre avachie dans le canapé, le premier livre que t’as pu chopper en main quand le propriétaire des lieux ramènent enfin son cul. « Une autre de tes femmes ? » tu lances avec un petit sourire, refermant le livre. « je t’ai servi un verre » tu fais un geste bref en direction du dit verre.