Mon histoire n’est pas très palpitante, je me demande même pourquoi vous voulez la connaître, car il n’y a ni paillettes, ni happy end.
Je suis né ici, à San Franscico un soir de janvier, le 17 de l’année 1987 pour être plus précis. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment quitté cette ville hormis pour quelques voyages. J’ai grandit dans une famille typique de l’Amérique dite « moyenne », mon père était mécanicien dans un garage automobile de la ville et ma mère était fleuriste. Je ne sais pas pourquoi je parle d’eux au passé, car ils sont toujours en vie, je me force à leur rendre visite une fois par mois, pas plus, car j’en ai assez de les entendre me demander à chaque fois quand est-ce que je leur amènerai leur future belle-fille. D’un côté, je les comprends, je suis leur fils unique, et ils veulent des petits-enfants qu’ils pourront voir grandir, car tous deux commencent à se faire vieux. Mais moi, je ne me vois pas avec quelqu’un en ce moment, je pense que c’est trop tôt. Mais je me répète cette même phrase depuis mes 17 ans …
Vous voulez surement savoir de quoi je parle, eh bien je n’ai été amoureux qu’une seule fois, que d’une seule fille, qui est partie du jour au lendemain de San Franscico, sans un mot, sans un aurevoir. Elle s’appelait Zenon, mais je la surnommais Bel’, je la connaissais depuis quelle était haute comme trois pommes, on avait fréquenté les mêmes écoles depuis qu’on avait six ans. On a grandit chacun de notre côté, nos regards se croisant juste dans la cours de récréation ou lors de travaux de groupes. En grandissant, et en partie parce que j’appartenais à l’équipe de football américain de mon lycée, je suis devenu de plus en plus populaire, j’étais l’une des personnes en compagnie de qui il fallait être vue. Elle avait toujours été intelligente, et passait des heures devant les ordinateurs de la salle informatique, une vraie « geek » au féminin. J’en avais des filles à mes pieds, qui n’attendaient qu’une chose, que je leur demande de sortir avec moi, mais curieusement, à côté de Zénon, elles n’avaient aucun intérêt. J’avais 16 ans lorsque je me suis décidé à aller lui parler pour la première fois. Je l’ai d’abord juste invitée à boire un verre, et je l’ai raccompagnée chez elle bien plus tard dans la nuit. On a du flirter une quinzaine de jours ensemble avant d’échanger notre premier baiser. Ce n’était pas mon premier, mais ses lèvres avaient un goût sucré dont je suis vite devenu fou. A partir du moment où nous nous sommes mis en couple, elle m’a rendu meilleur jour après jour. J’avais toujours été un piètre élève, je n’arrivais jamais à me concentrer très longtemps, et mes notes ne dépassaient guère la moyenne. Elle a tout pris en main, et inventait des méthodes pour mieux me faire retenir ses leçons. Elle m’a appris à me servir d’un ordinateur correctement, moi qui ne savait l’utiliser que pour envoyer des mails et utiliser un traitement de texte. Elle m’a démontré que j’avais bien fait d’ignorer les avances des autres filles, car elle était ce que j’avais pu espéré de mieux.
Tout allait pour le meilleur des mondes j’avais envie de dire, jusqu’à un soir, je lui avais donné rendez-vous dans un restaurant chic de la ville, j’avais passé des heures entières à tondre les pelouses des voisins de mon quartier pour économiser assez d’argent pour lui offrir un repas ici. Elle avait semblé distante toute la semaine, et je m’étais dit que ce serait le moment idéal pour lui changer les idées. Elle n’est jamais venue malgré les sms que je lui ai envoyé dans la soirée. Quand je suis allée sonner chez ses parents, son père m’a ouvert et l’a expliqué qu’elle était partie en fin d’après-midi avec juste un sac et un peu d’argent. Personne ne savait où elle allait, ni quand elle reviendrait. Je suis passé tous les soirs après les cours pendant un mois chez eux, pour venir aux nouvelles, jusqu’à ce que son père m’interdise de sonner à nouveau. Je devais tirer un trait sur elle selon lui, continuer ma vie sans elle puisqu’apparemment elle n’en avait que faire de moi puisqu’elle ne m’avait rien laissé. Je suis redevenu petit à petit celui que j’étais avant elle, le joueur de football américain que toutes les filles voulaient, et j’ai commencé à fumer, au début pour faire comme ces étudiants de fac qui rentraient chez eux le week-end et qui voulaient se donner un air cool, puis c’est devenu un tic, une manie dont même maintenant, je serai incapable d’abandonner. Mes notes ont chuté pour tomber à un niveau encore plus bas que ce qu’elles étaient. Je n’ai pas eu mon diplôme de fin d’année, et je n’avais aucune envie de redoubler ma dernière année de lycée. J’ai préféré stopper là mes études et travailler. Mes parents étaient restés en contact, sans que je le sache, avec ceux de Zénon. Un soir, son père est venu chez nous pour me proposer de devenir pompier, la caserne manquait de jeunes recrues et il s’était toujours un peu senti coupable du « mal » que m’avait causé sa fille. Je n’avais aucun autre job en vue, j’ai accepté.
Je ne dirais pas que je suis passionné par mon métier, mais je suis bon, je n’ai pas peur du feu, et j’aime l’esprit d’équipe. Je n’ai pas de famille, je ne refuse jamais de prendre ou d’échanger les soirs de garde avec mes collègues en couple ou pères de famille, c’est normal à mes yeux. Ma vie aurait pu continuer ainsi, monotone, lorsqu’un autre incident est venu tout bouleverser. La caserne avait reçu un coup de fil au milieu de la nuit indiquant qu’une maison avait pris feu à Bayview, j’étais de garde avec le père de Zénon, Johnny. On a appelé deux collègues en renfort pour nous aider et nous avons roulé jusqu’au lieu. La trois-quarts de la maison étaient déjà en feu lorsque le camion s’est arrêté devant, il n’en resterait déjà plus rien, mais il fallait éteindre l’incendie pour éviter qu’il ne se propage dans le quartier. Les lances à eaux ont été vite mises en place et on a commencé à arroser les flammes. La voisine qui avait appelé nous avait dit, les larmes aux yeux, qu’elle n’avait vu personne sortir, qu’ils devaient être déjà tous morts avec les fumées et tout. Mais Johnny crut voir une silhouette à l’une des fenêtre de l’étage, il y a avait une petite fille de cinq ans apparemment encore en vie. Il n’a pas réfléchi longtemps avant de prendre une bouteille d’oxygène et de courir vers la porte d’entrée, je n’ai pas eu le temps de l’en empêcher. En attendant son retour, j’ai continué de tenir ma lance à eau tout en rassurant la voisine paniquée. Et tout à coup, le toit s’est effondré, ainsi que toute la partie droite de la maison, celle où la petite fille et John étaient. Je n’y ai d’abord pas cru, et mon premier réflexe a été de lâcher la lance et de courir vers la maison, mais les collègues qui venaient d’arriver m’ont retenu. On ne pouvait rien faire de plus selon eux, juste éteindre le feu. Le lendemain, quatre corps ont été trouvés dans les décombres, les parents dans leur lit, intoxiqués par la fumée et un corps de fillette protégée par un corps portant un casque, Johnny. Il était décédé en voulant sauver la petite fille. L’enterrement a eut lieu cinq jours après. Au fil des années, il était devenu comme un deuxième père pour moi, je lui dois ma vie actuelle, il m’a évité de mal tourner, il m’a forcé à reprendre ma vie en main, je lui devais tellement de choses. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer lorsque les fossoyeurs ont jeté la première pelletée de terre sur sa tombe. Je n’ai pas pu rester jusqu’à la fin, je suis parti. En m’éloignant de la famille de Johnny, j’ai aperçu à distance des autres une jeune femme brune avec une capuche sur la tête, sa silhouette m’était familière mais je n’arrivais pas à me rappeler d’où est-ce que je pouvais la connaître. Je ne pensais plus à Zénon, son souvenir était trop douloureux et je me contentais de l’enfermer dans un coin de mon esprit, mais lorsqu’un de mes amis m’a avoué l’avoir vue à l’aéroport de San Franscico le jour avant l’enterrement, mon cœur s’est remis à battre pour elle presque malgré moi. Était-ce elle l’inconnue du cimetière ? Était-elle de retour pour de bon ?