- «
Vous affirmez donc à la cour avoir bien vu Tanyra poignarder votre fiancé sous vos yeux ? »
- «
Oui. »
Un oui lourd de sens qui résonne jusqu'au fin fond dans la salle d'audience, ne faisant qu'accentuer la tension déjà bien trop présente dans la salle. Je tapote nerveusement mes doigts sur le siège en bois, scrutant le visage des auditeurs, me demandant un instant si ce n'était pas moi le monstre dans l'histoire. Leurs yeux fixaient sur moi m'effraye et j'ai envie de sortir de cette pièce immédiatement, et comme un appel à l'aider, je lance un regard au juge qui hoche la tête en signe d'approbation.
- «
La séance est levée, reprise dans une heure. »
Je n'attends même pas la fin de sa phrase et me précipite vers la sortie.
[ ... ]
- «
Tu fais ce que tu devais faire Orly.. »
L'accent français de Julie me fit sourire, et je soutenais son regard à travers le miroir des toilettes avant de me retourner vers elle. Je reconnais le visage de sa sœur à travers le sien et une petite douleur me prend soudainement au cœur m'obligeant à ne pas blêmir. La séance allait reprendre dans quinze minutes mais je n'avais aucunement envie d'y retourner. Je n'aimais pas ça, témoigner contre Tanyra, ses yeux bleus remplies de haine qui me transpercent à chacune de mes paroles devenaient insupportables.
- «
Éloïse serait fière de toi tu sais ? »
- «
Elle me manque .. je crois. »
- «
Tu m'invites ? »
Je lâche mon stylo abandonnant ma concentration que je portais sur mes devoirs pour observer la jeune femme face à moi.
- «
Je fais mes devoirs là.. et j'ai déjà une cavalière de toute façon. »
- «
Allez Orly ! »
- «
Non. »
- «
T'y vas avez qui ? »
- «
Quelqu'un. »
- «
La frenchy là ? Pff, t'as de ses gouts.. »
Je soupire sans réellement rétorquer, il faut dire que j'avais plutôt l'habitude des crises de jalousie de Tanyra, au point que je n'y faisais même plus attention, même si je devais l'avouer qu'elle m'avait plutôt vexé.
- «
.. elle le méritait vous savez ? Louise n'avait rien à faire dans ce monde. Elle existait pour exister, pas pour vivre. Beaucoup de gens sur Terre n'ont aucune fonction en faite, quand on y réfléchi. On connait tous quelqu'un sans qui le monde serait meilleure, une personne qu'on pourrait tuer à main nue mais on ne fait rien. Et vous savez pourquoi vous ne faites rien ? Parce que vous êtes des moutons. Oui, des moutons. On vous donne des règles et vous les suivez : On ne doit pas tomber amoureuse de son frère, on ne doit pas cracher à la gueule d'un prof, on ne doit pas tuer.. On vous dit que ce n'est pas bien et vous le croyez. Pauvre idiot ! »
Je fermais les yeux devant les mots si dure que venait de prononcer la brunette à la barre. Je me retournais doucement vers Julie, observant sa réaction face aux paroles contre sa sœur. Elle pleurait, et face à mes larmes qui commençaient elles aussi à vouloir faire leur apparition, je repris ma position initiale.
- «
C'est pour ça que vous l'avez tué mademoiselle ? Parce qu'elle n'avait rien à faire sur Terre ? »
- «
Non .. certes elle n'avait absolument rien à foutre sur Terre, mais si je devais tuer chaque personne qui ne servent à rien, vous ne seriez plus de ce monde Maitre Christman. Si je l'ai tué, c'est parce qu'elle a essayé de prendre ce qui m'appartient. »
- «
Tu m'aimes Orly ? »
Les bras de Tanyra se resserrèrent contre mon corps nu et je me contentais de lui répondre d'un petit sourire. Je ne savais pas vraiment comment réagir face à cette situation, c'était .. étrange oui. J'étais heureux certes, mais d'une certaine manière, quelque chose gâché tout. Ce n'était pas censé être si étrange deux corps dans un lit, deux personnes avec une pensée commune, ouais ce n'était pas censé être si étrange, pourtant, ça l'était.
- «
Pourriez-vous nous parler de la relation que vous entretenez avec votre frère ? »
Je me figeais sur le banc, pris d'une soudaine envie de déglutir, de m'enfuir, ou de chialer comme un gosse. Peut-être les trois en même temps. À croire que c'était moi qu'on accusait et pas Tanyra. Ils avaient envie de quoi, de me voir derrière les barreaux ? De laisser le vrai coupable s'enfuir ? J'avais assez vu d'épisode de police criminelle pour savoir que les Américains ont toujours du mal avec le statut des femmes. Les femmes sont parfaites, elles ne font jamais de mal, si elles tuent, c'est parce qu'on les a poussé. Bah voyons !
- «
Je l'aime. »
Son assurance me désespérait. Comment pouvait-elle continuer à dire cela après trois ans ? Les femmes sont peut-être parfaites aux yeux de tout le monde, mais elle reste tout bonnement désespérante et incompréhensible.
- «
Vous l'aimez ? Comme un frère ou comme .. un amant ? »
Il n'y avait aucun étonnement dans la voix de l'avocat, aucun.
- «
Je l'aime, c'est tout. »
Je sens le regard perçant de Julie derrière mon dos, mais je ne cherche pas à l'esquiver, ni à fuir. Je supporte. Je crois que personne ne connait réellement notre histoire, mais je sais aussi que personne ne la connaitra réellement. L'inceste c'est dégueulasse et tout le reste, mais j'avais dix-sept ans, et j'étais un connard. On rêve tous de faire souffrir une fille, de la rendre dépendante de chacune des choses qui nous appartient, notre amour, notre corps, notre attention .. et qu'en on y arrive, on en joue. Je suis comme tout le monde, à la différence qu'en jouant, j'y ai perdu ma sœur.
[ ... ]
- «
Tu caches bien ton jeu Orlane. »
J'hausse les épaules, ne prenant même pas la peine de me retourner, affronter le regard de Julie était suffisamment pénible dans mes pensées pour avoir envie de le subir en vrai. Je crois que le silence dans lequel nous étions plongé indiqué que j'étais censé répondre à son affirmation, mais je continuais de tirer sur ma clope sans prêter attention.
- «
Et avec Eloïse, tu jouais ? »
- «
Non. »
- «
T'as demande en mariage, ça faisait partie du jeu aussi ? »
- «
Non. »
Je levais la main précipitamment en voyant une voiture jaune tant attendu.
- «
C'est occupé, tu vois pas les lumières, t'es daltonien ? »
- «
A quoi tu joues ? »
- «
Tu as tué ma soeur. »
Je rigolais, observant attentivement la rue à la recherche d'échappatoire. Mais rien, j'étais coincé avec Julie, à écouter ses jérémiades et ses accusations.
- «
T'as fait de ta soeur un monstre, et tu as tué la mienne. »
Je pouvais voir ses larmes à travers le son de sa voix, mais à vrai dire, je m'en contre-fichais royalement. Je ne comprenais pas ce que ça lui apportait de me dire tout ça, j'avais conscience que tous était de ma faute, pleinement conscience. Mais je n'avais pas forcé ma soeur à tirer sur la gâchette.
- «
J'ai perdu ma soeur Orly. »
- «
et moi j'ai perdu mon amour. »