Le sentiment le plus désagréable qu’une personne puisse avoir est sans doute l’impuissance, au sens large du terme. En tout cas pour moi. J’ai l’impression d’avoir exploré de long en large ce concept, mais j’en découvre pourtant une nouvelle facette aujourd’hui. Honnêtement, je ne sais pas trop comment la situation actuelle pourrait être pire dans ma vie et je ne dis même pas ça parce que je suis un pauvre déprimé de service, mais simplement parce que c’est la vérité. Je ne sais pas trop ce que j’ai fais au karma pour qu’il m’envoie toute cette merde vis-à-vis de Katniss, avec son putain d’enfant Russe qui se montrait plus ingrat que le dernier des connards de mon âge et que j’avais envie de balancer à la mer rien que pour le plaisir de le voir paniquer, mais en tout cas le destin m’en voulait sévèrement. Pour arranger le tout, je m’étais pris la tête avec Ethan pas plus tôt qu’hier soir, et dieu sait ce que j’ai pu regretter mes paroles juste après ça lorsque j’ai compris à quel point il avait été blessé par ce que je lui avais dis. Je sais même pas pourquoi j’avais eu cette conversation avec lui en fait, c’était pas mon genre de donner mon avis sur le travail des autres et encore moins de critiquer. Du coup, je tenais à m’excuser et à mettre les choses à plat avec lui avant qu’il perde son inspiration à cause de ce que j’avais pu lui dire, c’est donc en sortant de mon travail que j’allais attendre le jeune homme au point de rencontre qu’on s’était donné.

J’étais en train de regarder les gens passer lorsqu’une tête familière entra dans mon champ de vision. Cheveux en bataille et habillement dépareillé, ça devait être Ethan. Ce dernier s’approcha d’ailleurs de moi à peu près au même moment et je tendis un bras vers lui pour lui serrer la main en signe de salut.

« Hello… oui c’est moi, merci d’être venu. Hm… viens, on va se poser. »

Je me décollais du mur contre lequel j’étais appuyé et commençais à marcher vers la droite, jusqu’à un banc non loin de là. Une fois arrivé à sa hauteur, je m’assis ensuite sur le dossier, puis attendis que mon homologue prenne place. Difficile de savoir par où commencer et comment commencer, je n’étais pas vraiment un homme de paroles.

« Tu sais, ce que je t’ai dis hier…c’est une longue histoire qu’y’a derrière. »

Mon regard parti se planter sur un point imaginaire devant moi avec une certaine dureté. J’étais simplement en train de me remémorer un tas de choses désagréables et tout ça remuait dans mon estomac, me donnant presque la nausée.

« Je te le raconte à toi seulement parce que… c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour que tu prennes pas au sérieux ce que t’as lu sur facebook. -pause- Quand j’ai commencé à faire de la musique ici, j’étais super excité et j’écrivais un tas de chansons que je mettais sur myspace jusqu’à ce que quelqu’un remarque mon groupe et nous propose de signer un label. Au début tout allait bien, on nous demandait juste de faire des changements dans le mixage, le premier album, c’était vraiment le notre ! Et puis ensuite ça s’est gâté… »

Je soupirais et croisais mes mains en regardant quelqu’un passer.

« Dans ce milieu, surtout dans ce pays, c’est de la folie : dès que tu commences à te faire connaître, on te colle une image et ton producteur va tout faire pour que tu la respectes même si c’est pas la musique dont t’avais envie à la base. Je sais pas comment ils s’y prennent exactement, mais petit à petit tu finis par faire ce qu’on te demande et tu réfléchis plus pareil parce que t’appréhendes les commentaires qu’on va te faire si tes chansons sont « trop ceci » ou « pas assez cela ». T’as plus confiance en toi, tu deviens dépendant de l’avis des autres au final. Ce que je t’ai dis hier… »

Un rictus de dégoût s’afficha sur mon visage, et je baissais ensuite les yeux sur ceux d’Ethan pour le fixer sans ciller.

« C’est exactement ce qu’on m’a balancé à moi le jour où j’ai présenté pour la première fois un truc que j’avais écris pendant des semaines pour le deuxième album et que je l’ai amené aux producteurs en leur disant que « je voulais cartonner » avec ça parce que je le sentais bien. On m’a dit que c’était pas bien, que je devais recommencer. C’est pas… »

Je me mis à jouer avec mes mains en cherchant mes mots.

« J’me suis rendu compte pendant cette nuit qu’avec mes commentaires, j’ai fais que répéter la mentalité de ces types qui se prennent pour « les dieux de la musique qui savent tout mieux que tout le monde ». J’suis qui pour juger si les trucs que t’as écris sont juste faits pour avoir une fanbase ou si ça vient directement de ce que t’as sur le cœur ? Je te connais pas et j’suis pas dans ta tête. »

Je finis par redresser mon visage en inspirant, un léger sourire en coin, mon pied gauche tapant nerveusement sur une planche du banc.

« Donc… t’as pas à prendre en compte ce genre de jugements dans les commentaires des autres, puis-ce qu’ils se basent sur des suppositions de personnes qui te connaissent pas. Dans le fond… t’es le seul à savoir d’où viennent tes paroles, où tu les as trouvées et ce que ça t’a prit de les écrire au niveau émotionnel. Si quelqu’un arrive pas à saisir les sentiments que tu mets dans tes lyrics, c’est son problème… y’aura toujours des gens qui parviendront à capter le message que tu lances et à être touchés. C’pour eux que t’es là… le reste, tu t’en fous, y’aura toujours un mec pour critiquer ton boulot de toute façon. –silence- J’ai pas envie d’être le hijo de puta qui va te faire douter de toi et te pousser vers la musique commerciale, j’suis pas comme ça, et j’suis désolé d’avoir dit de la merde hier. Je me rends compte qu’on m’a manipulé dans le passé et que je réfléchis surement plus comme il faudrait à force d’avoir écouté les gens me dire ce que je devrais faire pour que « mes trucs soient bien ». Pour toi, le seul conseil que je peux te donner en connaissance de cause, c’est de continuer ce que t’as commencé avec ta musique et de faire attention à qui tu écoutes… la plupart des gens ouvrent leur gueule sans savoir de quoi ils parlent et on se laisse facilement atteindre par ce qu’ils disent alors qu’on devrait pas. »

J’étais plutôt gêné d’avoir dis tout ça, ça m’avait demandé de ravaler ma fierté, mais je préférais ça plutôt qu’être un connard aux yeux d’un musicien qui n’avait rien demandé à personne. Je détournais la tête en croisant les bras immédiatement.