Mon cerveau allait imploser, mon cerveau voulait imploser. J'avais toujours été courageux, mais l'homme le plus hardi n'avait-il pas, lui aussi, ses limites ? En tous cas, moi j'en avais, et le flot d'alcool dans mes veines était comparable au doux chant des succubes. Je lâchais prise et j'avais honte de moi. La foule dansait, elle s’enivrait elle aussi, insouciante. Moi, je n'étais qu'un quasi-trentenaire dépressif sur sa chaise de comptoir qui terminait son whisky-coca sans porter une miette d'attention aux autres autours. Je voulais que mon esprit creuse ma propre tombe et que tous les verres que je buvais l'y aide. Je portais mes lèvres une dernière fois à mon breuvage de feu pour l'avaler d'une traite. Je prenais un billet de ma poche, le donnais au barman et quittait ma chaise. Un enchaînement d'actions boiteuses et aussi rapides qu'un homme ivre eut pu les rendre. Je titubais légèrement jusqu'à la sortie mais personne ne vit rien: ils dansaient, s'amusaient, vivaient. Moi je pourrissais avec mes emmerdes logées là, dans ma tête.
Je ne m'arrêtais non-loin du Ruby Skye, peut-être à cinq ou six mètres sur le trottoir de la même rive. Quelqu'un allait-il donc reconnaître le grand Jared Fever, le sac-à-merde déchu ? Je m'en contrefichais. Mon image ne m'avait jamais importé: j'étais qui j'étais, même si justement, je n'étais pas grand chose. Une athlète, un ami, un frère, un père. Un tas de muscle déchu, un taulard survivant, un célibataire trahi, un homme-enfant. « Terminés les foules qui acclament ton nom, terminées les papiers sur tes offensives extraordinaire Terminée Heather. Et en contrepartie je me retrouve entraîneur d'une superstar et à nouveau futur papa de cette connasse d'Ambre. Putain, j'ai jamais été fait pour les compromis moi, ça devait pas se passer comme ça ! » Assis contre le mur de la rue, je tapais mon front de la paume de ma main pour que tous ces espoirs déçus, tous ces souvenirs lointains s'en aillent. « Partez putain ! » Mais ils ne partaient pas, la torture continuait, accentuée par le trop plein d'alcool ingurgité. J'étais une vraie éponge humaine. Mes yeux brillaient à la lumière des réverbères. Oui, la douleur psychologique était la pire de tout. Pourquoi pensais-je cela ? Sans doute car j'avais été entraîné pour être intouchable physiquement parlant. Les coups, le sang... ce n'était rien que du tangible. L'esprit, lui, était capricieux et impalpable. Comment savoir quel pommade il faudrait lui appliquer ? Alors ce soir là, ne savant quoi faire pour m'apaiser, j'avais bu. Et à présent je coulais, lentement. Ma vie n'étais qu'un tas de merdes bien fumantes.
Je ne sais même pas pourquoi j'étais allée au Ruby Skye se soir là. Surement histoire de décompresser un peu. Les gens pensent que les métiers de la mode sont des métiers simples et pas fatiguant. Seulement, il y avait un truc qui rendait les métiers de la mode horrible : la jalousie. En coulisse c'était coups bas à tout bout de champs. Une soirée en boîte me ferais du bien, seulement une soirée seule quand on est une fille et une mannequin c'est pas terrible. Je me faisais draguer et je détestais ça. Enfin, non, mais quand c'était des gros lourds si. Bref, finalement je décidais d'écourter ma soirée préférant déambuler dans les rues de San Francisco.
A peine j'étais sortie de la boîte que je suis tombé sur un homme qui à mon avais n'était pas en très bon état. En fait, il avait l'air plus au bord du suicide qu'autre chose. J'ai regardé autour de nous, il n'y avait personne et je ne pouvais pas laisser cette homme comme ça. Mon père m'avait appris à ne pas laisser les gens qui ont besoin d'aide. Je me suis approché doucement. "Monsieur ?? Vous allez bien ??" Je n'obtiens aucune réponse. Bon, visiblement il semblait dans ses pensées. Je me suis accroupis près de lui avant de relever doucement sa tête pour croiser son regard. Lorsqu'il leva ses yeux vers moi je restais sans voix, les yeux grands ouverts et la bouche traînant presque par terre tellement j'étais sous le coup de la surprise. J'étais en train de rêver, c'est pas possible autrement. Je restais un moment en mode poisson rouge avant de pouvoir articuler. "Vous...vous êtes Jared ?? Jared Fever ?? Le célèbre boxeur ?? Oh my gosh..." Si on m'avait dit un jour que je rencontrerais Jared Fever en personne et qu'en plus je devrais l'aider, bah je crois que j'aurais bien ris. D'ailleurs pourquoi un mec comme lui était aussi déprimé ?? Décidément, il y avait des trucs que j'arrivais pas à saisir, mais j'étais bien décidé à rester pour en savoir plus.
« Monsieur ? Vous allez bien ? » Que pouvais-je bien répondre ? Ivre et désorienté par la souffrance faisant rage en moi, les mots ne me venaient plus. Je n'étais ni un militaire ni un agent secret: eux étaient censés être hermétiques aux coups durs de la vie. Moi il n'y avait que les droites que j'encaissais. Le temps, lui, me dévastait plus facilement qu'un Desert Eagle. Ou presque.
« Vous...vous êtes Jared ? Jared Fever ? Le célèbre boxeur ? Oh my gosh... » J'avais en face de moi une superbe créature. Ses doigts étaient posés sur mon menton. Mon regard ne quitta pas la jeune femme une seule seconde mais mon sourire, lui, ne put s'empêcher d'apparaître. « Ou ce qu'il en reste, tout du moins » déclarais-je en levant un doigt en l'air pour ensuite le laisser retomber au sol. Je clignais longuement des yeux pour ne pas que mes larmes s'échappent de leur orbite et reniflait. Oui, j'étais triste, terriblement triste. « Toi, je t'ai déjà vu quelque part aussi mais je saiiiis absolument paaaas où ! » A la salle de gym sur le ring, probablement. Ou dans un quelconque after, au milieu d'une ordre de mannequins peut-être. J'étais trop ivre pour m'en rappeler, alors je laissais tomber. A quoi bon ? Même si je tentais de m'occuper l'esprit en parlant à cette jeune et charmante demoiselle, toutes mes incertitudes allaient revenir au gallo, je le savais. Je serrais les dents et fermait les yeux, la tête contre le mur derrière moi. Je passais ma main dans ma poste de veste, sortis une clope de mon paquet et la porta à ma bouche avant de l'allumer. Boire et fumer, moisir et flétrir. Si je n'avais pas été papa, je me serais probablement déjà tiré une balle entre les deux yeux. « Pourquoi tu restes là ? Si tu veux du fric, tiens, prends: tout le monde ne veut que mon fric de toute façon ! » dis-je en sortant de mon pantalon une liasse de billet correspondant à environ deux ou trois cent dollars.
J'étais remontée et exténuée par l'alcool et la peine. Mes dires étaient à la fois incohérents et sots: je ressemblais plus à un ivrogne ou un clochard qu'à un fier et pimpant boxer. Je n'étais rien qu'un entraîneur surpayé qui regrettait son ex-femme, haïssait le temps qui passait et maudissait son existence foireuse.
Il semblait tellement triste. Comment quelqu'un pouvait être aussi triste ?? C'est vrai que la vie n'était pas tous les jours faciles mais quand même, elle ne pouvait pas être aussi terrible que ça, si ?? Je me suis assise à côté de lui. Alors qu'il essayait de paraître moins triste. « Toi, je t'ai déjà vu quelque part aussi mais je saiiiis absolument paaaas où ! » Suite à sa phrase j'écarquillais les yeux de surprise. Ouah, Jared Fever m'avait déjà vu quelque part ?! C'était pas possible. J'avais l'impression d'être une gamine devant le père noël ou bien devant son cadeau d'anniversaire. J'essayais de trouver un endroit potentiel où nous aurions pus nous rencontrer. Peut-être lors d'un championnat de boxe ou bien lors d'un défilé, bien que la première option semble beaucoup plus logique. L'odeur de sa cigarette me ramena sur terre. Je détestais l'odeur des cigarettes et je ne pus m'empêcher de faire une grimace. « Pourquoi tu restes là ? Si tu veux du fric, tiens, prends: tout le monde ne veut que mon fric de toute façon ! » Je le regardais encore surprise, avant de prendre les billets qu'il me tendait pour les remettre dans sa poche. "Je ne veux pas d'argent, j'en ai déjà assez." Je posais doucement une main sur son épaule avant de prendre la clope qu'il avait à la main et de l'écraser par terre. "Pourquoi...pourquoi est-ce que vous êtes dans cet état ?? Je veux dire vous êtes...Jared Fever, un des plus grands boxeur de l'histoire." Je sais c'était nul de dire ça parce que même les célébrités on leurs problèmes, mais j'avoue que cela m'intriguait et je voulais savoir ce qui pouvait rendre un homme aussi triste. J'ai passé mon bras autour de son épaule et j'ai attendu. Quoi exactement je sais pas.
Cette fille n'était pas comme les autres. Même totalement ivre, je m'en rendais parfaitement compte. Ne venait-elle pas de refuser mon argent et d'écraser ma clope plutôt que de se barrer avec la thune et de me laisser croupir ici ? Peut-être était-elle une journaliste vénale à la recherche d'un scoop, peut-être pas. Mes yeux étaient humides de toute la souffrance enfermée en moi. Je n'en pouvais plus, c'était trop. « Pourquoi...pourquoi est-ce que vous êtes dans cet état ?? Je veux dire vous êtes... Jared Fever, un des plus grands boxeur de l'histoire. » Son intervention me fit rire bien qu'elle ne l'était pas vraiment, sauf pour un pauvre alcoolique de ma trempe. Aurais-je dit alcoolique ? Non, voyons: les termes de poivrot et déchet convenaient bien mieux à mon état de sale prince déchu. « Tout dépend de quelle 'histoire' vous parlez ma chère... moi mon histoire, elle se résume à çaaaa ! » Je sortis de ma poche une petite flasque de rhum vide. Je me remis à rire, les larmes toujours au bord des yeux. Je n'étais qu'une bouteille vide, un corps lessivé d'un quelconque courage égoïste.
Je pinçais le haut de mon nez entre mon pouce et mon index, exténué mais encore trop conscient de ma masculinité pour oser pleurer. « Filez, allez vivre et baiser le monde à votre guise ! Vous êtes jeune et jolie, le monde s'ouvre à vous ! Laissez les poivrots comme moi au bord de la rue, ils n'ont que ce qu'ils méritent ! » Son bras enlaçait mes épaules et bien que cela me gêna au premier abord, je fus heureux de savoir qu'une personne -aussi inconnue puisse-t-elle être- soit à mes côtés. Les larmes cédèrent et coulèrent le long de mes joues, lentement. « J'y arriverai pas... PUTAIN J'Y ARRIVERAI PAS ! »
Je me suis mordu la lèvre à la vu de la flasque qui vu l'état de son propriétaire devait probablement être vide. Je l'ai pris avant de la poser par terre à côté de moi. Si elle n'était pas vide il ne pourrait pas la finir. J'eu un sourire face à son discours, même au bord du gouffre il restait drôle. "Vous savez je ne suis pas très vieille pour être vouvoyée, alors dîtes moi "tu". Je m'appelle Ange-Deamon. Mais vous pouvez juste m'appeler Ange." J'ai fais un petit sourire avant de chercher comment lui remonter le moral. C'est la que j'ai sentis les sursauts de son corps, en me tournant vers lui j'ai remarqué qu'il pleurait. Je supportais pas les gens qui pleure. Je me suis rapproché un peu de lui avant de le serrer contre moi pendant un long moment. "Chut...calmez-vous, je ne supporte pas quand les gens pleurent. Pourquoi vous n'y arriverez pas ?? Vous êtes Jared Fever, vous pouvez tout faire. Il suffit d'y croire." Je trouvais ça bizarre de donner des conseils sur la vie à une personne plus vieille que moi et à une star. D'ailleurs, il devait probablement en avoir rien à faire de ce que je pouvais bien lui raconter. J'aimais quand même penser que si, sinon il m'aurait déjà envoyé balader loin de lui, mais il ne l'avait pas fait. "Hum...vous savez si vous préférez je peux vous laisser seul, mais à vrai dire je n'y tiens pas parce que j'ai un peu peur que vous fassiez une bêtise et vous représentez beaucoup trop à mes yeux pour que je vous laisse faire une connerie." Bon ok, c'était un peu brute comme discours, mais sérieusement j'étais fan de se type depuis que j'étais gamine, alors hors de question qu'il se tue alors que j'étais près de lui !
« Vous savez je ne suis pas très vieille pour être vouvoyée, alors dîtes moi "tu". Je m'appelle Ange-Deamon. Mais vous pouvez juste m'appeler Ange. » Du poivrot aux yeux humides je passai du type ivre euphorique face à la tristesse qui le rongeait. Vous savez, ce genre de personne qui rit nerveusement pour ne pas pleurer ? Et bien je riais devant mon pitoyable sort à présent. « Ahhhh, un Ange je comprends mieux maintenant ! » Fou rire nerveux. Mes yeux luisaient à la lumière des lampadaires. Étais-je vraiment au fond du trou ? En vérité la souffrance que je ressentais n'étais qu'un avant goût des malheurs que j'allais encore goûter. « Chut...calmez-vous, je ne supporte pas quand les gens pleurent. Pourquoi vous n'y arriverez pas ? Vous êtes Jared Fever, vous pouvez tout faire. Il suffit d'y croire. » Et là, ce fut le drame.
« Hey mais je pleure pas ! Et puis "il suffit d'y croire", "il suffit d'y croire", c'est bien mignon mais c'est pas parce que des milliards de gosses croient au Père Noël qu'il va apparaître hein ! Et être Jared Fever c'est rien que de la merde ! Si j'avais été Chuck Norris ou un autre connard du genre ton argument aurait tenu la route, mais justement, le soucis c'est que JE SUIS Jared Fever ! » J'étais un sale con bourré, mais un sale con touchant au fond. Trop plein de bonté pour encaisser les choses qui lui tombaient dessus. « Hum...vous savez si vous préférez je peux vous laisser seul, mais à vrai dire je n'y tiens pas parce que j'ai un peu peur que vous fassiez une bêtise et vous représentez beaucoup trop à mes yeux pour que je vous laisse faire une connerie. » Soudainement, je me tentais de me relever afin d'empêcher la jeune femme de partir. Pourquoi ? Je ne le savais absolument pas. Une partie de moi voulait être seule et me faire décrépir dans mon coin alors que mon bagou naturel, lui, restait fidèle au poste. « Mais si on ne faisait pas de bêtises ça ne serait pas drôle, non ? Je suis une connerie à moi tout seul de toutes façons. Pas vous ? Ah ben non, vous êtes un Ange. Vous passerez le bonjour à Dieu et lui implorez toute sa clémence de ma part si il existe, tchou ! » Je venais de dire tchou, et je me sentais d'autant plus ridicule. Je fis quelques pas sur le trottoir en titubant avant de me stopper net, me rendant compte de la futilité de mon action. J'étais ivre et triste. Mais elle, alors ? Ange-Deamon avait écouté mes histoire soporifiques sans broncher, mais quand était-il des siennes ? Rapidement, je fis volte-face vers elle, la mine dépitée. « Et qu'est-ce qu'un jeune Ange fait-il seul dans la nuit à une heure pareille ? Insomnie, amnésie, solitude maladive ? »