Qu'est ce qui pousse un jeune homme à peine majeur à traverser tous les États-Unis sans perspective de retour ? Qu'est ce qui le pousse à investir les économies de toute sa jeune vie dans une inscription à la fac qui en retour ne lui apporte que la labeur des cours de droit et la vie bruyante des résidences étudiantes ? Le rêve Californien et San Francisco sa ville phare ? Un besoin compulsif d'indépendance et de liberté ? L’orgueil peut-être alors ?

Rien de tout ça, c'aurait été trop facile vous vous en doutez. J'avais vingt-et-un-an et deux heures lorsque j'ai réservé mon billet d'avion pour SF, que j'ai rassemblé dans un unique sac à dos le nécessaire à mon départ, et sauté par la fenêtre de ma chambre pour m'évader de la maison familiale comme on s'évade d'une prison. Le pourquoi du comment tient en peu de mots : je suis né dans une famille conservatrice et patriote, bref, une famille de militaires.

Mon père, James Baxter, me voyait déjà tel que ses deux premiers fils - ais-je besoin de préciser qu'on porte tous "James" comme deuxième prénom ? - Jason et Aaron : embrasser une carrière militaire et marcher au pas toute ma vie. Je n'ai jamais été un enfant turbulent pourtant, ça c'était plutôt mes frères, moi j'étais le studieux de la famille, le calme... Intelligent selon ma mère et moi, malin dans le mauvais sens du terme pour mon père.

De mon côté je l'ai toujours considéré, lui et mes deux frères d'ailleurs, comme des hommes certes très courageux, mais de peu de bon sens et d'intelligence dès lors qu'on les place derrière un fusil. L'armée n'a pas fait de mes frères des hommes meilleurs comme le prétendait mon père, elle a fait d'eux des individus excités par la puissance d'une arme à feu et la mort. Elle leur a appris à ne plus réfléchir par eux même, mais au contraire à devenir le bras armé d'une tête penseuse qui ignore jusqu'à leur existence et de toute façon n'en a cure.

Sans être un pacifiste ou un hippy, j'ai tout de suite su que je ne serais pas soldat. C'est avec habileté que j'ai dans un premier temps réussi à convaincre mon père de me laisser entreprendre le premier cycle de l'université, lui qui voulait m'habiller de treillis dès la fin du lycée. Je lui ai longtemps laissé croire qu'une fois ma licence de droit en poche, je passerais les concours d'officiers pour arriver ailleurs qu'en bas de l'échelle comme lui et mes frères.

Seulement voila, je me suis découvert plus qu'un goût, une passion pour le droit et ses mécanismes, ses défenses, ses attaques, et sans m'en cacher, ses profits. Il me voulait soldat, je me voyais avocat, il ne l'aurait jamais accepté, je n'aurais jamais cédé. Puis Aaron est mort en Afghanistan... Ma mère, moi, mon frère, étions ravagés. Mon père lui... ne jurais que par la vengeance... Jason étant déployé autre part, je l'entends encore se rabattre sur moi : "engage toi dès demain ! Tu vengeras notre famille !".

La suite vous la connaissez. Anniversaire morbide puisqu'il est aussi le soir où nous avons appris la mort de mon frère, fugue, avion, SF, la fac... Je suis aujourd'hui en maitrise de droit, et évolue au sein d'un cabinet d'avocat en tant que stagiaire rémunéré, et en formation. J'aspire vraiment à devenir quelqu'un, alors oui je cours après l'argent, mais c'est pour moi le seul moyen de démontrer ma réussite un jour à mon réfractaire de père.