Le matin, un premier jour de vacances, se balader dans les rues de San Francisco, après avoir passé une nuit merveilleuse dans un lit plus que moelleux d'un hôtel luxueux, c'est tout simplement digne d'un rêve. Flâner dans les rues en s'arrêtant à chaque vitrine, chacune plus jolie et attirante que sa voisine, l'odeur des fêtes prochaines parfumant chaque café, bar, magasin, où les décorations de plus en plus flamboyantes ravivaient l'esprit de Noël en chacun de nous. Les sourires illuminaient chaque visage, heureux de faire plaisir à ses proches, de se réunir en famille, de fêter une fois encore la joie de se revoir. San Francisco. Enfin. En plus d'être une ville resplendissante, joyeuse, dynamique et magnifique, c'est également la ville où habite ma soeur, Frankie, que j'attends depuis si longtemps de retrouver. Fêter Noël avec elle semblait, quelques mois auparavant, inimaginable. Pourtant, j'étais là. Bel et bien là, dans cette sublime ville. Et chaque pas que je faisais me rapprochais un peu plus de ce moment que j'attendais tant, avec tant d'impatience.
Faisant claquer mes talons sur le trottoir, j'enfouis mes mains dans les poches de mon perfecto en cuir noir. Mon sac en bandoulière tapait au rythme de mes pas contre ma hanche. Je souriais. J'étais bien. Je me sentais légère. J'étais heureuse. Je m'arrêtais devant un plan de la ville. Où est-ce que je me trouvais ... Alamo Square. ça me disait quelque chose ... Tant pis, je m'en souviendrais certainement plus tard. Pour le moment, je n'avais qu'une idée en tête: profiter de la vie, profiter de cet instant rien qu'à moi, cette matinée parfaite. En passant devant une boulangerie, je décidais de m'arrêter pour acheter un petit truc à manger. Après tout, midi n'était pas très loin, et mon ventre grognait comme un fou. Un sandwich en mains, je pris le chemin indiquant le parc. Ce serait sans doute le meilleur endroit pour déguster ce sandwich. Depuis toute petite, j'adorais les parcs. Ces grandes étendues vertes parsemées de fleurs, d'arbres, d'enfants poursuivant un ballon ... Un véritable petit coin paisible de paradis. Assise sur un banc, j'observais un petit couple d'adolescent se câliner dans l'herbe verte en face de moi. Cela me fit repenser sévèrement à mon célibat. Je le trouverais mon Roméo. Je finirais bien par le trouver! Et cette fois-ci, j'espère bien que ce sera le bon ...
Soudain, j'aperçus une silhouette familière. La jeune femme passa devant moi, d'un pas visiblement pressé. Ou en tout cas, plutôt dynamique. Grande, blonde, gracieuse ... Je sautais du banc, laissant tomber à terre le dernier bout de pain qu'il me restait. Tant pis. Elle n'était pas très loin de moi, mais je n'avais pas envie de me taper la honte en criant son nom, surtout si ce n'était pas vraiment elle. Comment serais-ce possible d'ailleurs? Il y a tellement d'habitants ici ... Sur tout ce monde, j'aurais pu tomber sur Frankie complètement par hasard?! J'avais un peu de mal à marcher vite avec mes talons. Je savais bien que je n'aurais pas dû mettre les plus hauts aujourd'hui. J'aurais dû prévoir une course poursuite ou quelque chose dans le genre. Des baskets. Je devrais toujours avoir des baskets dans mon sac. Ou au moins des ballerines ou toutes chaussures plates. Mais là, ça devenait presque difficile. Tant pis si ce n'était pas elle, je ne pouvais pas laisser passer ça.
Certains jours, tout va bien. Tout va parfaitement bien. Et puis d’autres jours, c’est le bordel, sans qu’on sache vraiment pourquoi. J’avais mon front appuyé contre la vitre du bus dans lequel je venais de monter. Je rentrais chez moi. Il était presque midi et je rentrais seulement chez moi. Vous savez, ces sortes de pressentiments « quelque chose va arriver ». C’était exactement ce que je ressentais à cet instant, posée contre la vitre du bus et je n’avais pas la moindre idée de « pourquoi ». J’avais passé la nuit au Burlesque et après, j’étais passée chez Kasia, au milieu de la nuit. Elle dormait et je m’étais juste glissée à coté d’elle. C’était ma meilleure amie, je savais qu’elle se fichait que je débarque au milieu de la nuit, au contraire. C’est pour ça que ça ne me gênait pas. Et puis, je n’avais pas eu envie de rentrer chez moi. Dee était je ne sais où, mais en tout cas, elle n’était jamais à l’appartement en ce moment, pour les rares fois où moi j’y étais en tout cas. Je descendais du bus, emmitouflée dans ma doudoune et mon écharpe en laine. En ce mois de décembre, j’avais vraiment froid dans ma petite jupe, avec mes petits collants et mes bottes fourrées. Mais j’aimais l’allure que j’avais, je ressemblais à n’importe qui d’autre, à n’importe quelle fille. A part mes clients, à cet instant, personne n’aurait été capable de dire que j’étais une prostituée et que je vendais mon corps la nuit. C’était l’effet recherché. Je n’en demandais pas plus. J’allumais une cigarette et laisse la fumée ressortir de ma bouche. Je décidais de couper par le parc pour rentrer chez moi. Le soleil froid sur les arbres et les pelouses, je trouvais ça tellement beau. Ça me rappelait la Suède, ça me rappelait la maison, ma famille. Un peu de neige aurait été la bienvenue, mais je n’allais pas faire la difficile. La maison me manquait, je passais certains soirs assise par terre avec une bière à regarder des photos de mon ancienne vie, celle que j’avais laissée derrière moi en arrivant à San Francisco. Je ne regrettais pas, enfin, pas vraiment. Je ne pouvais plus rester là-bas. Certes, j’aurais pu éviter de partir comme une voleuse sans laisser de mot derrière moi. Mais c’était moi, j’agissais sur un coup de tête, et cette fois là, le coup de tête avait été de partir en Amérique. Je savais que ma mère et ma sœur devait m’en vouloir d’être partie, alors c’était trop tard pour revenir en arrière maintenant. Je marchais rapidement, j’avais froid et je rêvais d’une tasse de chocolat bien chaud, je savais qu’elle m’attendait à la maison, voila pourquoi je pressais le pas. « Frankiiiiie ! » Je me stoppais net, et me retournais. J’aurais reconnu cette voix entre milles. Mais c’était impossible, hein ? C’était impossible que je vienne d’entendre la vois de ma petite sœur. Elle était en Suède, pas vrai ? Pourtant, la personne qui venait de m’appeler ne faisait que m’affirmer le contraire. C’était comme prendre une gifle, sans qu’on s’y attende. Un uppercut. Je sais pas… n’importe quoi qui puisse justifier qu’on ait mal et qu’on soit sous le choc. La voir là, ça contrariait tous mes plans. Mais paradoxalement la voir me rassurait. Elle était belle, ma sœur, elle était belle. Je m’approchais d’elle. « Lenny ? Qu… Qu’est-ce que tu fais là ? Je veux dire… » Je laissais un court silence avant d’ajouter « T’es vraiment là, ou je rêve ?! » Je la serrais dans mes bras. J’avais l’impression de le pas l’avoir serrée dans mes bras depuis des siècles.
Comment une ballade dans le parc peut se transformer en retrouvailles familiales.
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