ENFANCE.

Une odeur de tarte aux pommes, le chant des oiseaux et le bruit de la pluie qui s'écrase inlassablement sur Londres. Une enfance, légèrement plus pâle et triste que les autres peut-être. Je n'sais pas, je n'sais plus. Je me souviens de si peu de choses à vrai dire. Les moments calmes et chaleureux se sont envolés, effacés par le temps ravageur qui défile à n'en plus pouvoir. J'ai parfois l'impression de sentir la douceur des lèvres de ma mère qui embrassait mon front pour me réconforter. Je n'ai jamais eu la 'chance' de rencontrer mon père. Il s'est barré, comme ça, laissant derrière lui maman et sa fille. Par peur, peut-être ou juste par lâcheté. Personne ne saura jamais ce qu'il s'est passé dans sa tête lorsque qu'il fut face à son erreur de parcours. Lorsque ma mère me parlait de lui c'était toujours avec cette même déception. Ses yeux, noyés par les lames finissaient toujours par fixer le sol. Dans ces moments, elle avait toujours le don de me rejeter. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Certainement pour ne pas me blesser. Faut dire que je voyais ma mère comme invincible, c'est vrai quoi, jamais je ne l'avais vu pleurer. C'était une femme forte ou du moins, qui le paraissait. Fin bref, mon monde s'est brisé lorsque j'avais treize ans, j'étais sous la pluie Londonienne lorsqu'en rentrant de cours j'ai croisé le regard accablé du voisin. Je n'ai pas de suite compris, je suis passé devant lui, le sourire aux lèvres, comme toujours sans oser lui demander ce qu'il se passait. J'avais toujours eu une trouille bleue de lui. Instinctivement, je m'étais mise à ralentir le pas. Le vent glacial ne me faisait plus frissonner. La peur s'était imprégnée de mon être par un simple regard trop longtemps posé sur moi. Le point d'interrogation s'échappa de mon esprit lorsque la lumière d'une ambulance s'était mise à briller devant la porte de la maison. J'me souviens alors, j'ai laissé tomber mon sac sur le sol. J'ai pas cherché à comprendre ce qu'il se passait je me suis mise à courir, le cœur battant la chamade sous mes côtes. Je n'ai cessé de me répéter des milliers de fois que c'était un rêve. Je m'accrochais désespérément à la falaise de laquelle je trébuchais. Soudain, un homme m'a attrapé le bras pour m'empêcher de pénétrer chez moi. Je me souviens avoir essayé de le mordre. J'étais prête à me débattre lorsqu'un brancard s'afficha sous mes yeux, un corps, celui de ma mère, recouvert par un drap, cette image suffit à m'effondrer au sol. Les bras du type m'ont alors rattrapé. J'ai même pas eu le courage d'aller voir une dernière fois ma mère pour lui dire au revoir. J'me suis juste contentée de regarder l'ambulance rouler à vive allure sous la pluie battante que le ciel nous offrait. Lui aussi pleurait la mort de cette femme fantastique.

Suicide. Maman s'est suicidée pour mettre fin à ses jours. Elle n'était pas si forte qu'elle le paraissait. Je n'ai même pas été assez intelligente pour découvrir son malêtre. Bien trop égoïste pour ça. Fin c'est ce qu'elle me disait souvent. Je ne voulais pas aller à son enterrement. Je n'acceptais pas sa mort, encore moins le fait de me retrouver seule. De plus, je ne voulais pas voir tous ces visages tristes autour de moi. On m'y a pourtant obligée. C'est vêtue de noir que je me suis retrouvée dans un putain de cimetière. Le corps de maman s'est retrouvé aux côtés de sa mère. Pendant ce temps, où le cercueil allait sous terre, j'ai retenu toutes mes larmes. Je ne sais pas comment j'ai fait mais, pas une trace d'eau salée sur mes joues ne s'est montrée. Je n'ai pas échappé au rituel de 'mes sincères condoléances' et la bise sur le front de toutes ces vieilles dégueulasses. 20 Novembre signa pour moi la fin du bonheur. Ma grand-mère, trop vieille pour prendre soin de moi m'envoya dans une famille d'accueil. Et, c'est au milieu de ces gens qu'on m'obligea à grandir. Mon cocon d'amour venait de s'effondrer. Broken dreams.



C'est à mes dix huit ans que j'ai quitté ma coquille. Je me suis mise à danser avec les ténèbres sans vraiment m'en rendre compte. Je venais de passer des années à me morfondre. Il était grand temps pour moi de reprendre la vie que j'avais quitté cinq ans plus tôt. J'en ai profité, un peu trop peut-être. J'ai décidé de détruire les limites. La jeune fille sage s'en est allée pour devenir une véritable trainée qui passait sa vie dans les bars à chauffer le premier mec qui lui passait sous la main. Sauf que, comme la plupart des jeunes fille sur cette terre, j'avais un cœur, un putain de grand cœur. C'est à mes 25 ans que j'suis tombée réellement amoureuse d'un gars. Pourquoi de lui spécialement ? Certainement parce que le moindre de ses gestes me vendaient inévitablement du rêve. J'pense que j'avais besoin d'un peu de réconfort, j'en ai trouvé dans ses bras. Comme tout le reste, ce fut éphémère. Après trois mois à l'aimer à en crever, un matin, je me suis levée, il n'était plus près de moi, dans mon lit. Vide. Je me suis retrouvée seule dans des draps défaits où nous avions fait si souvent l'amour. Il avait laissé derrière lui un mot sur une feuille blanche froissée. « Bienvenue dans le monde du SIDA. » Cette simple encre noire ancrée sur cette feuille blanche a suffit à détruire ma vie. J'ai beau eu hurler à m'en faire péter les cordes vocales, il n'est jamais revenu. Je me suis retrouvée seule avec cette putain de maladie dans le sang. J'ai paniqué, comme une pauvre dingue, j'ai même vu le moment où le seul issu était le suicide. J'ai pas eu le courage de sauter de cette putain de fenêtre alors, j'ai doucement reculé face à la mort. J'ai pris mes responsabilités, aussi. C'est à partir de ce moment que je suis devenue cette femme détestable et complètement brisée. J'ai appris qu'il n'y avait personne en ce bas compte à qui je pouvais faire confiance. Afin de pouvoir démarrer une nouvelle vie, j'ai décidé de quitter Londres, la ville de toutes mes souffrances. C'est avec la petite somme que maman m'a laissé que je suis arrivée sur San Francisco. Le cœur lourd, des cachets plein les poches. J'ai trouvé un boulot de pharmacienne qui m'aide à financer mes soins et me louer un appartement miteux. J'en veux au monde entier d'être ce que je suis à présent. C'est certainement pour ça que je ne cesse d'accumuler les histoires sans lendemain en prenant le risque de contaminer un inconnu. Chacun sa merde comme dirait l'autre. Je ne pense plus qu'à moi. Je n'suis plus capable de donner sans retour. C'est comme ça, un rejet total que mon corps tout entier exerce sur les autres. Si vous me croisez, je n'ai qu'un conseil, changez de trottoir. Fuyez tant qu'il en est encore temps. Je suis comme ses araignées qui tissent leur toile sans jamais laisser s'échapper leurs victimes.