21h30. Il était encore tôt pour que les affaires tournent vraiment pour le Burlesque City. J'aimais bien cet endroit. Moi, fou ? Peut-être, car il était vrai que si la presse me pinçait à fréquenter un club burlesque secrètement réputé pour la qualité de ses prostituées, je pouvais dire adieu à ce qu'il restait de ma réputation. Mais à dire vrai, je m'en fichais. L'image du type infréquentable, je l'avais déjà endossée plusieurs années plus tôt, alors qu'on me foutait en taule pour un délit que je n'avais pas commis. Alors à quoi bon ? Ce n'était pas comme si j'avais ma carrière en jeu, car cette dernière on me l'avait déjà prise. Je venais uniquement dans ce club original pour l'ambiance old school conviviale et le service irréprochable. Les femmes de joie ne m'intéressaient pas: n'est-ce pas bien mieux d'avoir l'honneur de coucher avec une femme qui vous veut vous plutôt que votre thune ? Ce n'était pas par romantisme que je pensais cela, mais par vérité immuable, et sans parler d'amour. Quoi qu'il en était en ce samedi soir aux alentours de 21h30, je rentrais par l'entrée de derrière au Burlesque, tapotant amicalement l'épaule du videur que je croisais. Ce soir, je ne sortais pas avec Mike... pour être franc, je ne connaissais même pas ces plans. Peut-être travaillait-elle et si c'était le cas, j'allais la croiser pendant le service. Elle préférait continuer son job plutôt que d'accepter le fric que je lui proposais, ce que je comprenais et saluais. Il fallait le dire, Mike avait des couilles, et j'étais vraiment fier de pouvoir l'aider en formant avec elle un faux-couple médiatique.
Je marchais droit devant moi, saluant un vieux banquier que j'entrainais deux à trois fois par mois afin qu'il perde du poids. Un vieux con plein aux as qui trompait sa femme avec la première venue. Il n'avait qu'un crédo: encore du fric, toujours plus. Aucun principe, juste un but ridicule et sans fin. « Tiens Jared, bonsoir ! C'est fou de te voir ici... t'es un habitué ? » Il sous-entendait grossièrement que je venais tirer mon coup ici, comme lui. Mais je n'étais pas lui. « Habitué est un grand mot, disons qu'il m'est déjà arrivé de venir boire un verre ici. » Je mentais et je m'en foutais. Je n'allais pas dire à ce type que ma "petite-amie" bossait ici, que j'aimais bien faire chier une des prostituées de la maison, que je venais voir les représentations à l'occasion. Il aurait compris que ma copine était une pute, que la fille que j'emmerdais je me la faisais d'abord et que je venais mater des culs. Je me tus donc, impassible. « Aah, dans ce cas je peux te conseiller une fille, elle est géniale... et elle fait tout ce que tu veux pour 450$. » Je lui souris, au bord de lui rire au menton. Ridicule. Il se la jouait mac plein aux as, petit capitaliste le cul bordé de nouilles qui détalerait pourtant à la moindre de mes menaces. « Je ne viens pas pour ça. » Je m'apprêtais à enfin partir lorsqu'une voix m'interloqua. Une voix particulière, celle d'une blonde et non des moindres... celle de Frankie.
Je me penchais vers le miroir, ajoutais une couche de mascara sur mes cils. Dieu que je détestais devoir me maquiller autant. Mais ça faisait partie du jeu, ça faisait partie du boulot ; c’était peut-être même écrit noir sur blanc dans le contrat. Be fucking hot. Ma cigarette était coincée dans ma bouche pendant que je brossais mes cils. Après quoi, je la transférais dans ma main droite et reculais pour admirer le résultat. Le mascara faisait ressortir le bleu de mes yeux, et la robe à sequins que je m’étais payé il y a quelques jours s’accordait parfaitement avec mes talons. J’étais presque bien apprêté. Exit les sweats de tous les jours, ce soir je travaillais, ce soir, j’étais au Burlesque. Je n’avais pas d’autre choix que de me vêtir de mes plus belles paillettes. Tu parles. Prête à partir. Je quittais l’appartement, ma coloc’ n’était pas là, elle devait être dieu sait où, ça la regardait. Je ne m’inquiétais pas pour elle. En route pour le Burlesque, je fumais une cigarette, en pensant à la soirée qui m’attendait. J’avais repéré une très jolie robe dans un magasin sur Sunset, il fallait que gagne de quoi me la payer, ce soir. C’était relativement mon objectif. Vingt et une heures, il était encore trop tôt pour savoir si j’allais atteindre mon but ce soir. L’endroit n’était pas encore très peuplé. Assez pour que quelques minutes après mon arrivée, un bras enserre ma taille. Je me retournais le sourire aux lèvres, découvrant mon premier client de la soirée. Je passais mon bras autour de ses épaules et l’entrainais avec moi, là où nous serions que les deux, là où personne ne nous verrait. Une demi-heure plus tard, je ressortais avec le sourire. Toujours sourire, c’est la base. Je passais dans un coin, et je repérais une conversation, du moins, une voix que je connaissais. Et pour cause. Jared ! Jared et sa tête de beau-gosse bagarreur. Sexy à en crever. Je croisais les bras sur ma poitrine et écoutais la suite. « Aah, dans ce cas je peux te conseiller une fille, elle est géniale... et elle fait tout ce que tu veux pour 450$. » « Je ne viens pas pour ça. » Un sourire malicieux se dessinait instantanément sur mes lèvres. Jared s’éloignais de son camarade, j’entrais en scène. « J’aurais du me douter que tu connaissais ce mec, c’est un sale porc. » sous-entendais-je. Je m’approchais de lui, secouant mes cheveux. « Alors, t’es venu me voir ? Je te manquais tant que ça, chéri ? » pouffais-je. « J’ai peut-être quelques minutes à t’accorder, si tu veux… » Je posais ma main sur son torse.
« J’aurais du me douter que tu connaissais ce mec, c’est un sale porc. » Je me retournais vers Frankie qui avait comme toujours ce sourire désinvolte aux coins des lèvres. Je riais silencieusement face à ses dires. Elle adorait me faire chier et elle y arrivait très bien. « Un sale porc qui paye 450$ et plus encore, c'est un sale porc en or pour ton business. » Mais je ne la blâmais pas. Gagner son pain quotidien était bien plus compliqué qu'on ne le pensais, surtout aux États-Unis, alors comment lui reprocher de survivre ? La nature lui avait donné un corps, à elle de l'exploiter comme elle le souhaitait. A elle de se détruire comme bon lui semblait. Quand je la voyais, je n'éprouvais aucune pitié. Elle était trop jolie et trop tenace pour cela. Au fond, je respectais ce bout de femme désinvolte.
« J’ai peut-être quelques minutes à t’accorder, si tu veux… » me répliqua-t-elle tout en déposant sa main pâle sur mon torse. Je lui souris et agrippa vivement sa main sans pour autant lui faire mal. Mon regard amusé plongea littéralement dans le bleu de ses yeux. Elle avait un visage extraordinairement innocent. Bien des gens devaient lui donner le bon Dieu sans confession, j'en étais certain. Je lui fis un baise-main avec ironie, sa petite-main toujours entre la mienne. « Ça te ferait beaucoup trop plaisir, dans tous les sens du terme et il ne faut jamais abuser des bonnes choses n'est-ce pas ? » Me déplaçant jusqu'à une banquette libre non loin du bar, je savais au fond de moi que Frankie ne me lâchera. En réalité, je l'espérais. Moi, attiré par elle ? Dire que le physique de la Ainsworth me révulsait aurait été mentir, mais à contrario je ne pouvais dire avoir envie d'elle. Disons qu'elle me faisait rire, elle me tenait tête... en une phrase brève: elle m'emmerdait inlassablement. Et j'aimais cela. Ce piment, cette rivalité de celui qui sera le plus salaud avec l'autre sans pour autant basculer dans l'inhumanité... jusqu'à cet extrême, tous les coups étaient permis. Alors que je pensais voir Frankie revenir vers moi dans l'immédiat, ce fut le fameux "Sale porc" -qui s'appelait Chris Barry- qui revint à ma rencontre. « Je te paye un verre mec ! » Au second plan, Frankie dut bien voir mon air exaspéré. Je n'aimais pas Chris, cela se lisait sur mon visage comme dans un livre ouvert.« Dis, tu pourrais me mettre en contact avec la blonde coquine qui est venue te voir il y a une minute à peine ? Je pourrais bien claquer quelques centaines rien que pour me la faire celle là. » Ce con fit son beau, commanda rapidement deux whisky. Ah, il voulait se faire Frankie ? Soit. J'étais certain -et peut-être à tort- que Frankie n'aurait pas dit non à un client aussi généreux que Chris. C'était le but des prostituées, non ? Se faire un max de thunes. Frankie était restée un petit peu en arrière depuis que j'étais parti m'assoir. Qu'était-elle en train de manigancer cette fois ci ? Je n'étais jamais au bout de mes surprises avec elle. Je me sentais vivant d'une certaine façon. « Elle s'appelle Frankie. »
Jared s’était tourné vers moi. Heureusement pour moi que j’avais l’habitude de voir des mecs beaux garçons, plus d’une aurait fondu devant ce mec. Pas moi, je restais très professionnelle. Du moins, autant que je le pouvais. « Un sale porc qui paye 450$ et plus encore, c'est un sale porc en or pour ton business. » J’éclatais d’un rire franc. Evidemment, c’était exactement le genre de client que j’adorais, qu’on adorait toute. Si seulement, il avait pu être un peu plus attirant, ça aurait été parfait, mais je restais rien de moins qu’une pute, et je ne pouvais pas demander l’impossible. Je me contentais de ce que j’avais, de ce qui payait. Je m’étais rapprochée de Jared, doucement et j’avais posé ma main sur son torse, qu’il s’était empressé d’attraper pour y déposer un baisemain. Je souriais et levais un sourcil interrogateur. Ne pas abuser des bonnes choses. Tu parles, dans ce cas là, autant arrêter de vivre, pour ma part. « Je ne fais que ça, abuser, tu le sais bien… » sous-entendais-je, avec un sourire malicieux. Jared s’éloigna de moi, je le suivais du regard. Sans bouger. Il m’attendait, j’en étais sure, mais je faisais durer un peu le plaisir. Au moment où je me décidais à le rejoindre, remarquant de toute façon qu’aucun client ne m’attendait pour le moment, Sale Porc en chef se plantait devant mon « camarade ». je me stoppais. Assez loin, mais assez près pour entendre. Le visage de Jared trahissait son dégout de le voir vers lui. il ne l’aimait pas, c’était officiel, ça se lisait sur son visage. Et moi, ça me faisait rire. « Dis, tu pourrais me mettre en contact avec la blonde coquine qui est venue te voir il y a une minute à peine ? Je pourrais bien claquer quelques centaines rien que pour me la faire celle là. » Je levais les yeux au ciel. Mon dieu ce que les mecs pouvaient se la péter et faire le paon dès qu’il s’agissait de tirer un coup. De toute évidence, celui-ci ne dérogeait pas à la règle. Au moment où j’entendis Jared prononcer mon nom, je décidais d’intervenir. Je m’avancer tout doucement des deux et m’asseyais vers Jared. Pourrir sa réputation, phase une. Je regardais le gros porc et lui lançais. « Hm… ça va pas être possible, Jared m’a réservé pour le reste de la soirée. » Je coulais mon regard de défi vers Jared tout en continuant de parler à son acolyte. « Visiblement, je suis la seule qui arrive à le satisfaire, ici. » Je sous-entendais clairement que Jared allait aux putes, et si je ne me retenais pas, je serai déjà morte de rire. Je savais que ça allait le faire chier.
« Hm… ça va pas être possible, Jared m’a réservée pour le reste de la soirée. » Elle empruntait un terrain ardu. Même si d'un certain côté cela m'ennuyait, mon côté je-m'en-foutiste me rattrapait, une fois de plus. J'avais à la fois envie de réfuter, de prouver ma valeur mais hélas, je savais que je n'étais plus le Jared d'il y a 5 ans, le Jared au sommet de sa gloire. « Oh, je vais vous laisser alors. Mademoiselle, au plaisir de pouvoir bénéficier de vos services une autre fois... » Chris enfila son whisky d'un traite, ce qui le fit toussoter. On voyait bien qu'il n'était pas encore rôdé aux alcools forts, malgré sa quarantaine passée. Il fit mine de se lever. Non gros con, pars pas ! « Frankie, parler de notre relation privilégiée est un fait, mais chercher à refiler tes MST à d'honnêtes gens comme ce cher Chris... c'est moche, très moche. » Ma réplique eut les divers effets recherchés. J'avais littéralement fait fuir ce banquier avare de mon périmètre pour la soirée et Frankie avait perdu un potentiel gros client, en plus d'avoir pris un coup à son égo. Un coup minime, certes, mais et alors ? Chris connaissait un peu de monde, et la rumeur était une chose plus dévastatrice qu'on ne le pensait. La calomnie empoisonnerait probablement quelques clients du Burlesque mais heureusement pour la charmante blonde, les sources de revenus étaient assez larges pour se permettre d'en perdre une partie. Mais cela me faisait rire intérieurement, même si finalement, c'est moi qui misait beaucoup plus gros. Je m'en foutais qu'on me dise accro au cul et banque centrale des prostituées de San Francisco, j'avais déjà vécu ça, 5 ans plus tôt. N'étais-je pas allé en prison pour détention de stupéfiants ? "Fever la Seringue" ou encore "Jared roi du rail" avaient été mes surnoms en cabanes, alors que je ne consommais pas de drogues. La seule chose qui pouvait me blesser était l'image que mon fils allait avoir de moi dans quelques années, lorsqu'il serait en âge de mieux comprendre. La calomnie aussi, aura peut-être raison de moi. « Tu peux dire ce que tu veux à ce type, il ne colportera pas. J'ai pas fait carrière dans la chanson... il va croire que si une de tes superbes rumeurs s'ébruite je vais lui casser la gueule. Il pense tous ça. Qu'ils continuent de penser, alors. »
Je n'aimais pas vraiment le whisky, j'avais toujours trouvé ça vieillot. Peut-être que l'image de mon père sifflant ses verres de Longmorn m'avait dégoûté plus jeune. Le whisky avait un charme ténébreux: c'était pour moi la boisson des chics alcooliques, des vieux classieux. Peut-être avais-je un côté distingué, mais hélas je me sentais bien trop jeune pour en boire. « S'il vous plait, une Caïpirinha pour moi et un test de grossesse pour votre collègue blonde juste là » dis-je à l'adresse d'une très jolie serveuse passant juste à côté de moi. Cette dernière regarda Frankie, étonnée. Elle devait sans doute connaître la profession exercée par sa 'collègue', d'où son expression... car si Frankie était vraiment enceinte, cela signifiait plus de baise pour elle, et qui disait plus de baise disait plus d'emploi. « Si tu es branchée whisky je t'offre de le mien Frankie. » Je la regardais avec un sourire délibérément mielleux et hypocrite à souhait. Au fond, cela me faisait plaisir de lui offrir un verre que je n'avais même pas payé.
J’adorais jouer avec Jared, il fallait bien l’avouer. Parce qu’il me le rendait bien. Je savais qu’il n’allait pas me laisser parler dans le vide. Raconter des cracs sur lui, sans que j’en tire les conséquences ? Je savais très bien que c’était impossible. Ca faisait partie du jeu. J’attendais donc la suite, j’attendais les représailles en retour, en quelque sorte. Juste après que l’ami de Jared se soit à moitié étouffé dans avec son verre de whiskey ; (et que j’ai levé les yeux au ciel : merde, il ne fallait pas boire si on ne savait pas comment faire ça, c’était pathétique ces gens, là) Jared se tournait vers moi, pendant que l’autre se levait. « Frankie, parler de notre relation privilégiée est un fait, mais chercher à refiler tes MST à d'honnêtes gens comme ce cher Chris... c'est moche, très moche. » J’ouvrais la bouche prête à répliquer, puis je la refermais, plissant les yeux en direction de Jared. Le susnommé Chris prit alors la sage décision de dégager. Bien, c’était déjà une bonne chose de faite. Tout ce que j’espérais maintenant c’était que ce mec n’était pas comme je le pensais et qu’il n’allait pas faire un panneau publicitaire disant que j’étais un aimant à MST. Je connaissais mes clients et j’en avais assez, pour qu’une rumeur comme celle-ci ne m’affecte pas trop, mais sait-on jamais. Je ne voulais pas prendre le risque. Jared repris la parole et je me tournais vers lui. « J’espère pour toi. Sinon tu devras payer ce que je perds en client. En comptant les intérêts… tu me devras un sacré pactole pour avoir foutu en l’air mon business, chéri. » répliquais-je. A ce moment là, une serveuse passa à coté de nous. Elle me fit un sourire que je lui rendis, tandis que Jared passait commande. Lorsque j’entendis « test de grossesse » je tournais à toute vitesse la tête vers lui, le fusillant du regard, puis à la même vitesse, je me tournais vers la serveuse qui me regardait effarée. Bien sur que non, je ne suis pas enceinte ! Réfléchis, enfin ! Je lui lançais un regard que je voulais rassurant. « Laisse tomber, apportes lui son verre, c’est tout. » annonçais-je à la serveuse. Il allait falloir que j’aille m’expliquer avec elle, avant qu’elle croie vraiment que j’avais un polichinelle dans le tiroir et qu’elle aille raconter ça partout. Les serveuses du Burlesque étaient de vraies pipelettes. Je devais l’arrêter, avant que tout ça n’arrive aux oreilles d’Hadryin, par exemple. Mais pas maintenant, je jouais avec Jared, et je ne pouvais pas lâcher l’affaire maintenant. Il m’offrit son verre. Il savait très bien que je ne payais pas mes consommations, du moins celles que je commandais ; si un client voulait me payer un verre… et bien, je ne pouvais pas refuser ! c’est comme ça que ça marchait après tout. Je portais le verre de whiskey à mes lèvres et en but un gorgée. Je sentais l’alcool couler dans ma gorge ; j’adorais cette sensation. Je reposais le verre et me rapprochais de Jared. « Bien… Maintenant que tu as foutu en l’air mon boulot pour la soirée en me faisait passer pour une porteuse de MST et d’enfant ; il va falloir réparer ça. »
« Bien… Maintenant que tu as foutu en l’air mon boulot pour la soirée en me faisait passer pour une porteuse de MST et d’enfant ; il va falloir réparer ça. » dit mon interlocutrice qui se rapprochait de moi. Ses lèvres humides du whisky que je lui avais donné avec un faux-semblant de générosité dégageaient une odeur forte d'alcool. Cela ne me déplaisait pas... n'étais-je pas dans un club, après tout ? « Comme tu voudras... euh attends, niveau paiement, tu prends les tickets restaurants hein ? » lui dis-je tout en feintant de chercher quelque chose dans ma poche.
La serveuse revint avec mon cocktail, afficha un large sourire faisant clairement allusion à ma remarque précédente sur Frankie puis me fit un clin d’œil rapide avant de repartir. Le message semblait clair pour moi: soit elle connaissait l'état actuel de mon compte en banque et envisageait de me séduire pour me dépouiller, soit elle avait oublié de mettre ses lunettes avant de taffer. Moi, paranoïaque et humble ? Je n'y avais jamais songé, mais le Jared que je croisais tous les matins dans le miroir ne m'avait jamais semblé névrosé ou extraordinaire. J'avais seulement eu une femme peut-être trop amoureuse des zéros sur les chèques que je faisais et une estime de moi parfois trop sévère. Je trouvais que je faisais vieux, je trouvais ma bouche trop charnue, mon sourire trop enfantin... je ne niais pas le fait que mon ensemble d'imperfection me donnait un charme certain, mais un charme bien trop banal à mon goût. Malgré les reproches que je pouvais me faire à moi même -et inconsciemment à mes géniteurs- je ne souhaitais changer aucune infime partie de mon corps via bistouris et autres seringues. Ce corps d'athlète, je me l'étais forgé. Ces tatouages vides de sens pour certains représentaient tout pour moi. Qu'on me trouve beau me flattait, qu'on ne me fantasme pas m'importait peu. Plaire m'importait, jouer un rôle me révoltait. Tout cela pour aboutir au fait que le clin d’œil de cette serveuse avait gonflé mon égo mais ne l'avait pas hypertrophié pour autant.
« Tu vas rester collée à moi toute la soirée petite sangsue ? » dis-je à l'adresse de ma charmante interlocutrice. D'ailleurs, savait-elle pour Mickey et moi ? Je n'en savais rien. Mike m'avait déjà parlé de la relation "proche" (dans tous les sens du terme) qu'elle entretenait avec Frankie, et cela me faisait sourire. Elle avait raison de se faire plaisir, et avec une jeune femme aussi intelligente et physiquement agréable que la suédoise. Cette dernière n'avait pas une beauté simple, et c'était toujours ce qui m'avait intrigué chez elle. Sa façon d'être, le blond de ses cheveux, le bleu de ses yeux autant que la fragilité de son minois ne m'évoquait que ces quelques mots: un ange d'enfer. Une poupée de porcelaine reléguée au métier de prostituée. Je pouvais alors le penser clairement, malgré ma référence cinématographique silencieuse: [b]« La beauté de Frankie était une cruelle maîtresse. »