jolie demoiselle, emmène moi aux pays des merveilles.
On était le lundi 24 octobre, 7 pm. Je venais de lire sa lettre. Sa putain de lettre. J'avais beau être un mec, j'avais les larmes aux yeux. Ce coup-là je ne l'avais pas vu venir. J'avais pourtant rêvé que je les perdrais tous les deux, mais pas de cette façon. Imogen, cette fille que j'avais aimé, et que j’aimais toujours d'ailleurs, était une lâche, une pauvre fille qui nous avait fait du mal, qui m'avait fait du mal. Je reniflai. Je pensais vraiment à des choses affreuses sur elle à cet instant. Pourtant je souhaitais de tout mon coeur qu'elle aille mieux où elle serait. J'insérai le CD qu'elle avait fait dans la chaîne hi-fi. J'entendis sa voix, la guitare, j'avais l'impression qu'elle se trouvait en face de moi, à me conter son histoire et pourtant ce n'était qu'une illusion.
Je ne teins pas une minute de plus. J'éteignis la chaîne et partis en pleurs prendre une douche. On pouvait me traiter d'homme faible, de soumis, j'en avais rien à faire. Il fallait que je tourne la page, une bonne fois pour toute. Ce soir, je sortirai pour me changer les idées.
Et c'est ce que je fis. A 10pm, j'étais dehors et il faisait assez frais. J'avais connu pire en Suède, alors cette fraîcheur californienne ne me faisait rien. Je suis passé chez un épicier encore ouvert à cette heure pour m'acheter une bière. Je ne sais pas trop combien de temps j'ai marché, mais j'ai marché un bon moment. J'ai fini par m'assoir sur un trottoir, bouteille et clope aux mains. Je relevai le visage pour trouver une blonde en face de mon trottoir. Elle me regardait, je la regardais. Elle me sourit, je lui souris. Elle devait avoir froid, habillée comme cela. Etais-je tombé si bas? Au point de regarder une prostituée avec curiosité? A vous de me le dire.
Quand j’ai ouvert les yeux pour la première fois ce lundi. Il était 15 heures. J’avais un mal de tête si abominable que j’étais incapable de bouger de mon lit. J’ai attrapé des Lucky qui trainaient dans les poches de mon jean étendu par terre. J’en ai allumé une et je me suis enfoncée un peu plus dans les draps. Je l’ai fumé jusqu’au filtre, espérant que ma migraine se consumerait comme cette cigarette. Mais non. J’avais trop bu hier soir. Comme chaque soir. J’avais voulu oublié à 6 heures du matin, que j’avais été payée toute la nuit pour baiser. Je sortais enfin de mon lit vers 17 heures. Je trainais ma carcasse jusqu’au salon, où trônait une bouteille de vodka qui me faisait de l’œil. Trop faible pour résister ; une gorgée, deux gorgée, trois. Après quoi, je me jetais sous la douche, glacée. En sortant, j’attrapais une petite robe noire, celle qui serait mon uniforme pour ce soir. Elle était vraiment courte. Trop courte pour moi, mais parfaite pour bosser. Je soupirais. De retour au salon, l’horloge affichait 19 heures 30. J’avais encore un peu de temps. le sachet de poudre blanche qui était posé sur ma table basse me faisait comprendre que je n’étais pas rentrée seule : je n’achetais jamais de coke. Je prenais ce qu’on me donnait. J’avais envie de me donner bonne conscience me disant que je n’en achetais pas. En vidant le petit sachet sur le verre de la table, comme inconsciemment, je fis deux lignes bien droites. Mes mains faisaient ça toutes seules, sans mon accord. Tout aussi inconsciemment, je les inspirais, avant de me laisser tomber sur le canapé. Je crois que je me suis assoupie. Quand j’ai rouvert les yeux, il était 22 heures 45. J’étais en retard. J’attrapais des chaussures, que j’enfilais tout en descendant les escaliers de mon immeuble. A 23 heures, je faisais les cents pas sur un trottoir, cigarette coincée entre mes lèvres. Mon attention fut attirée par un blond, qui venait de se laisser tomber sur le trottoir d’en face. Une bière à la main. Il était pour moi, il m’avait vu, il me sourit. J’écrasais ma cigarette finie sur le sol. Je regardais à droite puis à gauche avant de traverser, pour rejoindre son bout de trottoir. Il avait l’air au bout du rouleau. Et j’avais presque de l’empathie pour lui. Je restais debout face à lui. Et coinçais une nouvelle cigarette dans ma bouche. « Tu aurais du feu ? » lui soufflais-je.
jolie demoiselle, emmène moi aux pays des merveilles.
Elle m'observait en faisant les cent pas et terminant sa clope. Elle n'avait pas l'air totalement bien. Etait-elle stressée? Je ne sais pas mais en tout cas, si elle était vraiment une prostituée, je pouvais comprendre que sa vie ne devait pas être amusant tous les jours. Devoir combler le manque des hommes, quelle horreur. Derechef, je la vis descendre de son trottoir pour venir dans ma direction. Plus elle s'approchait de moi, plus je pouvais distinguer son physique en détails. Elle était jolie, blonde et sexy mais... Je préférais le visage d'Imogen. Merde, merde. Je devais oublier mon ex. Peut-être que cette demoiselle pouvait m'aider?
Elle se stoppa devant moi. Mes yeux bleus remontèrent le long de ses belles jambes, jusqu'à son visage. Sa robe lui allait vraiment à merveille. Elle était peut-être vraiment courte, un peu vulgaire, mais... Cette blonde était sexy dedans. « Tu aurais du feu ? » Question idiote pour m'aborder? Je ne rêvais pas, elle avait fumé une première cigarette, il y a quelques temps, avec quoi l'avait-elle allumée? J'hochai la tête et posai ma bouteille au sol « Approche. » Je l'invitais à s’asseoir à mes côtés, et j'allumai l’extrémité de sa cigarette qu'elle avait en bouche. Je rangeai mon briquet dans ma poche et apportait ma bouteille de bière aux lèvres pour y boire une gorgée. « Tu en veux? » Lui dis-je en lui montrant ma bouteille. J'en profitai pour la contempler, vu qu'elle se trouvait à mes côtés. Mon regard s'était posé sur ses cuisses et sa robe. Elle devait peut-être avoir froid, quand même. Je remarquai aussi que malgré le désordre dans ses cheveux blonds, elle en avait des beaux. Ils faisaient soyeux, doux et lisses. « Tu t'appelles comment? J'm'appelle Andreas. Dis, t'as pas froid habillée comme ça? »
Je me considérais comme une « fille des rues cool ». C’était un peu pathétique comme façon de voir les choses, je le savais. Mais j’aimais bien me dire que je n’étais pas comme toutes les autres prostituée de San Francisco. Je n’étais pas du genre à arriver, baiser et prendre mon fric. J’aimais faire les choses bien. En douceur quand ça s’imposait, chaque situation était différente, bien sur. Ça m’attirait des ennuis parfois, il fallait bien l’avouer. Mais je crois que j’avais un cœur, au fond. Ouais ça devait être ça. Je m’étais rapprochée du blond. Je m’étais assise à coté de lui, il avait allumé ma cigarette. Il me proposait de boire un coup. Et là, forcement, le flash. Une autre rue, un autre soir, une autre proposition, Khris. Je fermais les yeux. Non mais qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Qu’est-ce qu’il venait foutre là, celui là ? Fait chier. Ce n’était vraiment pas le moment. Il ne faisait que foutre la merde, partout où il passait, j’en étais certaine. Une soirée avec lui m’avait suffit pour cerner ce mec. Je hochais la tête et acceptais sa bière. J’attrapais le goulot et laissais couler une gorgée de bière dans ma gorge. « Merci... » dis-je, en souriant. Il se présenta, je relevais la tête vers lui. je posais mes yeux dans les siens. Il avait l’air aussi paumé que moi. Il avait cet air collé au visage, que je ne connaissais que trop bien. Je tirais sur ma cigarette, avant de lui répondre. « Je m’appelle Frankie. » Si j’avais froid ? Je ne préférais même pas y penser. J’avais froid, mais c’était un élément qui ne rentrait pas en compte dès qu’il était passé 22 heures. Je n’avais plus le droit d’avoir froid. Instinctivement, je posais ma main sur son bras. Instinctivement, oui, parce qu’à aucun moment, je n’avais demandé à ma main de faire ça. Allez comprendre. « Alors… qu’est-ce que tu fais dans les rues tout seul, Andreas ? » soufflais-je.
Oublier Imogen, oublier Imogen. Elle attrapa ma bouteille que je lui avais proposée et but quelques gorgées. Je la reprenais ensuite pour la terminer cul sec. Je déposais l’objet en verre sur le sol contre la marche du trottoir. De la fumée s’élevait aussi de nos têtes. Jeunes, beaux et cons, en train de se perforer les poumons. La blonde se présenta. « Je m’appelle Frankie. » Nom simple, mais je trouvais qu’il faisait plus surnom que prénom, m’enfin de nos jours les prénoms ça devenaient un peu n’importe quoi. Frankie, lui allait bien. Toutefois, je remarquai qu’elle nia ma question sur si elle avait froid ou non… Bwah, je m’en fichais un peu, de toute façon je lui avais plutôt demandé ça, histoire de dire quelque chose. « Alors… qu’est-ce que tu fais dans les rues tout seul, Andreas ? » Je tirai sur ma clope, et attendis un instant avant de lui répondre. Ce que je fichais là ? Oh, je recherchais quelque chose ou quelqu’un pour me divertir. Non, blague à part, je n’étais pas venu pour ça. « Je bade. » Lui dis-je en souriant. Assez contradictoire mon sourire avec ce que je venais de dire, mais c’était pour lui montrer que je prenais la chose bien (ouais, on va dire ça), je badais pas au point de me tirer une balle dans la tête.
Je n’avais jamais gouté à la prostitution. Mon point de vue sur ce sujet tabou ? Je les plaignais ces pauvres filles. De service des hommes, complétement différents, et certains violents, et tarés. Je m’étais toujours dis que je n’irais pas voir une prostituée… Mais ce soir-là elle était venue à moi. Pourquoi moi ? Je levai la tête et regardais les alentours, j’étais le seul mec du coin, la seule personne qui traînait à cet endroit, maintenant. Le seul client potentiel. Elle voulait du fric. Je voulais oublier. Je la détaillais encore une fois. Putain, mec, ne fait pas ça. Et pourtant… « C’est combien tes services ? » Je venais de le faire. J’étais passé du stade du mec bien, au connard qui voulait qu’on lui taille une pipe. Je crois que j’avais touché le bas, pour vouloir qu’une catin s’occupe de moi. Plus de respect pour Frankie, plus de respect pour moi-même.
Je me disais que ce mec, Andreas, n’était pas du genre à aller aux putes. Je ne sais pas comment j’en venais à penser ça, juste… ça se sentait. Je trouvais que ça ne collait pas. Mais après tout, je n’étais pas là pour faire de la psychologie à ce propos. Il était là, c’est tout ce qui comptait pour moi, à cet instant. Je tirais sur ma cigarette, gardait la fumée quelques instants dans ma bouche avant de la recracher et la regarder s’élever et disparaitre. Je reportais mon attention sur Andreas lorsqu’il m’expliqua ce qu’il faisait ici, dans la rue à cette heure. Je ne lui répondais pas, même pas un sourire, je ne sais pas pourquoi. Je comprenais que trop bien ce qu’il avait voulu dire par là. C’était ce que je faisais tous les soirs, bien sur, ça devait être bien différent pour moi, mais le résultat était le même : trainer dans les rues, au hasard, à attendre, attendre que quelqu’un passe. Je virais mélodrame, il fallait que je me ressaisisse. Andreas me posa la question qu’ils posaient tous. Je ne répondais toujours pas. La vérité, c’était que je n’avais pas vraiment de tarifs. Je n’avais jamais travaillé pour personne à par moi-même. Et quand j’avais commencé, je demandais toujours beaucoup, puisque j’avais rendez-vous avec des mecs pétés de thunes : j’en profitais. Arrivée ici, j’avais tout repris à zéro et j’avais du revoir le prix de mes services. Aujourd’hui encore, c’était assez aléatoire… Je tirais une nouvelle fois sur ma cigarette avant de me lever. Là je lui tendais la main et l’aidait à se relever. Une fois debout, comme j’aurais du m’en douter, puisque c’était toujours le cas, Andreas me dépassait de facilement une tête, voire plus. Je posais une main dans sa nuque et approchais son visage du mien et l’embrassais. Je n’avais jamais été du genre « Pretty Woman, je n’embrasse pas sur la bouche ». Après quoi, je reculais mon visage. « Ca dépend ce que tu attends de moi... » soufflais-je. Puis je me reculais complètement et regardais autour de nous, il n’y avait personne, mais je n’avais tout de même pas très envie de rester comme ça, au milieu de cette rue. J’attrapais donc la main d’Andreas et l’entrainais avec moi.