Cette journée, je ne l'ai pas vue passer. Contrairement à ce qu'on pouvait dire, en enfer, le temps passait beaucoup plus vite qu'ailleurs. Tout ce que j'ai fais aujourd'hui, c'est lire le message qu'Evelyn m'a envoyé avant d'essayer de se tuer. Qu'est-ce qui se serait passé si je n'avais pas été là au bon moment? Elle serait morte... et moi, je serais un meurtrier doublé d'un sadique ayant fait pression sur une personne mentalement instable. Je n'arrivais pas à m'enlever de la tête l'image de cette femme allongée par-terre et en train d'hurler de toutes ses forces, cas la scène se repassait en boucle dans mon esprit de manière obessionnelle. Comment je pourrais un jour oublier cette erreur monumentale de ma part? Pas moyen, ça n'arrivera jamais! Et comment faisaient des gens pour vivre avec la mort de quelqu'un sur la conscience? Je n'étais pas.... je ne suis pas comme ça. Je ne sais pas ce qui m'a rendu comme ça...
Depuis hier soir, je ne sais pas ce qu'il est advenu d'Evelyn. J'imagine que quelqu'un a appelé les secours après que je me sois barré en la laissant par terre. Je ne pourrai plus jamais voir cette personne en face, ça, c'est clair, et je ne vous parle même pas de mon père. Putain, mais...
Si je me suis barré en laissant seule la jeune femme, c'est parce que pour la première fois depuis que j'ai arrêté de courir pour éviter les filcs, j'ai pris la fuite. Je me suis enfui comme un sale lâche, et ce juste parce que j'ai compris que si elle était dans un état pareil, c'était à cause de moi. Cette forme humanoïde, là, par terre, c'est moi qui l'avais parachevée. Triste tableau... surtout quand on sait que c'est parti de rien.
* * *
Aujourd'hui, il a plu toute la journée, et j'ai passé cette journée sur le toît d'un immeuble X avec la même chanson en boucle pendant plus de huit heures, les yeux posés sur le paysage devant moi. Je crois que dans le courant de l'après-midi, je me suis évanoui ou quelque chose comme ça, parce qu'en ouvrant les yeux à un moment donné j'étais carrément couché sur le côté, et ça m'a fait éclater d'un rire sans joie avant que je me mette à tousser en tremblant. Oh oui, le besoin de me sentir à ma vraie place s'était fait sentir, et j'avais envie de prendre mes affaires pour me tirer de la ville au plus vite. Cette pluie était lourde... elle me clouait au sol comme si la gravité était deux fois plus forte d'un seul coup, et je n'avais pas cherché à maintenir cette dignité à laquelle je tenais tant, pour une fois. Je ne sais pas si j'avais envie de me tuer ou quoi que ce soit... je devrais au moins m'excuser avant de le faire, ouais. J'avais reçu quelques messages durant la journée, mais répondu à aucun, et ignoré mon rendez-vous avec Yuri. Le seul sms qui a retenu mon attention, c'est celui de Sonic qui me disait de venir. Pour être honnête, dès que j'ai vu ça, j'ai eu cette vague de peur qui vous monte à la gorge avant d'aller vous faire casser la gueule ou d'entrer dans le bureau du boss qui va vous renvoyer et vous laisser au chômage avec 3 enfants à charge. Je n'étais pas stupide au point de croire que cette convocation était pour prendre le thé...
Après avoir jeté mon téléphone détrempé plus loin, je me suis rassis un peu trop vite et ma tête n'a rien fait d'autre que tourner un coup avant de s'écraser de l'autre côté. Oké... allons-y doucement. J'avais rien mangé depuis hier midi, et j'étais certainement tombé malade comme un chien vu comment mon corps tremblait de froid, alors ça ne servait à rien de forcer.
Il me fallut donc dix minutes pour descendre les escaliers de l'immeuble en laissant une trainée d'eau derrière moi, épaules rentrées en dedans et front obstinément incliné vers le bas. J'avais déjà tout dégueulé hier soir en rentrant chez Jordane et en ne supportant pas la vision de mon propre reflet dans le miroir, mais le simple fait de réfléchir à la simple question "qui suis-je" me donnait des nausées. Qui suis-je, hein? Je suis pourri de l'intérieur, voila ce que je suis.
* * *
La porte de l'appartement s'ouvrit après que je l'eue ouverte avec le double des clés que j'avais sur moi, et après de longues secondes passées à fixer le sol dans le silence le plus total, je me suis finalement décidé à lever les yeux lorsque deux pieds sont entrés dans mon champs de vision. Si j'apréhendais la suite? J'étais mort de peur, ouais, et ce même si ça ne devait pas se voir à-travers l'expression grave peinte sur mon visage.
“ Am I evil ? Am I good ? I'm done asking those questions. I don't have the answers. Does anyone ? ”
Tu lui envois un message. Pourquoi ? Après tout il s'en fou nan ? A coup sûr il viendra même pas. C'est son truc ça, envoyer balader tous le monde. Tiens. Il te rappelle pas quelqu'un ? Nan. Bien sur que non. Pourquoi tu ferrais une comparaison entre ton « fils » et toi. T'as aucune raison de le faire. Oublie. Juste. Oublie. Oh great, c'est vrai n'oublions pas le paramètre cerveau puissance 100. So, what about a bit of cocaïne ? Allez. Laisse toi allez. T'as passé ta journée à l'hôpital avec une nana pas foutue de te voir. Tu peux plus parler. Ton temps de parole ? Envolé pour les prochaines dizaine années. Give up you bastard. Give up.
Le poing se cogne contre le mur. Miroir ? Oh non. Y'en a plus depuis des semaines. Enfin si y'a toujours les restes de celui qui a volé en morceau y'a de ça 3 mois. C'est de famille ça de plus supporter son reflet hein ? Pour pas changer, je m'étais ENCORE dérobé face au droit chemin. Un mariage dans les règles avec une personne saine d'esprit ? PIOUF mais rions mes amis rions. J'étais vraiment trop con. Puis même si Evelyn était une cinglée, je l'appréciais, j'aimais bien être avec elle, ces gosses me sortaient du trou dans lequel je me terrais et nos parties de jambe en l'air me satisfaisaient pleinement. Et regarde. Même pas une journée de mariage avec moi qu'elle se retrouve en mode zombie. J'me devais de toute foutre en l'air. Enfin .. Je. C'est vite dit je.
J'en serais au même point si t'étais pas intervenu dans ma vie.
Les os craquent. Le mur tremble. La voisine va se réfugier dans son lit avec son chat. Éternel recommencement. Éternel folie. Si seulement t'avais été là Keenan. Si seulement t'était intervenu dans sa putain d'éducation. Si, si, si. FUCK IT. FUCKING FUCK IT ! Douleur qui irradie le dos. Cris étouffé. Weak weak the man is weak. Rire. Ah putain cette sensation. Ô dear sweet Suzie tu m'as pas manqué cette fois. J'crois que je deviens fou. Ouais c'est ça. Ça a grillé là haut. Trop d'information fallait bien un point de non retour. Cette journée à l'hosto, tous ces sales souvenirs qui remonte, ce p'tit con … La main rencontre une bouteille. Oh Jack mon bon vieux Jack. Anesthésie moi. On dit que médicament et alcool ne font pas bon ménage ? Well. J'suis la preuve du contraire. La vicodine me permet de me lever quand le whisky voudrait que j'passe le reste de ma soirée face contre terre. Mais bon n'oublions pas que j'risque d'avoir un « invité ». Nouveau rire. Ce petit connard.
Une valise. Plus de 10 ans de souvenir. Dans une putain de valises. Une cigarette. Un gramme d'alcool dans le sang. Les volets fermée. Exactement comme il y a 4 ans, j'le revois avec sa valise de merde, à partir en faisant la gueule et en marmonnant dans sa barbe qu'il reviendrait jamais et que j'pouvais aller me faire foutre. Well faut croire que la boucle est bouclé. La clé tourne dans la porte. Bruit de pas. Silence.
10 secondes s'écoulent avant que j'me lève du canapé. Tu peux baisser la tête. Tu peux trembler. Tu peux me fixer en essayant de paraître grave. Mais regarde toi. T'es juste pathétique Robbyn Thompson. Les doigts crispés sur la poignet de la valise, j'la lance à coté de lui, dans le couloir. avant de tendre la main. « Les clés. »
Ouais, j'pense que le message était pour le moins assez clair. C'est fini Robbyn, toi, tes crises de nerfs, tes conneries. Game Over.
Les clés. Tu t'approches, et tu les lui donne, ses clés. D'ici, l'odeur de l'alcool était présente, au moins tout autant que la pénombre. C'est drôle, parce ça te donne cette impression d'être dans ta propre tête en ce moment, et puis tu n'y vois pas grand chose. Comment est-ce qu'on a pu en arriver là? C'est très simple, en fait, il suffit de faire exactement le mauvais truc au mauvais moment, et de recommencer plusieurs fois jusqu'à ce que ce soit définitivement "trop". Ca, tu l'as bien fais, hein? Ouais, 10 sur 10 à pourrir la vie des autres alors que c'est la dernière chose que je ferais en temps normal. Il est où le problème dans le fait que les gens ont le droit d'essayer d'être heureux? Et no way, je me suis donné l'autorisation de décider qui avait le droit à ce privilège ou non. Moi, je crois sincèrement que je me suis pris pour dieu à un moment ou à un autre, sauf que j'étais loin de l'être et que je m'en étais bien rendu compte hier soir, surtout vu l'effet que ça a eu sur moi.
Mon regard balaya rapidement la pièce bordélique, et je ne pus m'empêcher d'avoir une foule de souvenirs en voyant les portes fermées ou non de cet appartement, tel ou tel meuble, tel ou tel objet. Il n'y a pas si longtemps que ça, les choses allaient... bien? Non? S'il y a un truc que Sonic m'a apporté, c'est bien l'attachement, une vie sociale, quelques principes de vie. Si je l'aimais, ce mec? Bien sûr que si... il m'avait supporté pendant une bonne quinzaine d'années. Est-ce que j'ai jamais eu l'occasion de lui dire quoi que ce soit concernant ma gratitude envers lui? Si, c'était y'a quelques mois à Haye's Valley, alors qu'il avait débarqué le jour-même où j'avais appris pour mon souci de santé. Je lui avais dis que j'étais fier de lui, et j'ai toujours pensé que c'était "l'homme de ma vie", au sens premier su terme. Qu'est-ce qui reste de ça, aujourd'hui?
En levant les yeux sur Sonic, je n'avais croisé que deux pierres froides. Apparemment, il ne restait donc pas grand chose... normal. Oh oui, j'avais tout foutu en l'air d'un claquement de doigts, d'une phrase, bam. Monstre! La souffrance des autres ne me faisait pas grand plaisir contrairement à d'autres personnes, et surtout pas maintenant que je m'en étais pris à ma propre famille. Qu'est-ce qu'il restait de nous à part des débris, hein? J'avais envie d'en rire et d'en pleurer en même temps, aussi pitoyable que cela puisse-t-il être. Maintenant, c'était fini. Vraiment? Comment est-ce que cela pouvait se terminer de la sorte? Je n'en avais pas envie, pas du tout. Je serais même resté ici jusqu'à ce que Sonic revienne sur sa décision et qu'il accepte mes excuses. Mais hé, ne rêvons pas, cela n'arriverait pas tant qu'Evelyn ne serait pas remise sur pieds... j'avais achevé de foutre sa vie en l'air, et ça, j'en étais conscient même si cette conscience ne pouvait pas le supporter. Eh, mais comment ce type faisait pour être encore debout, lui? La drogue? peut-être.
Je m'étais redressé et avais reculé jusqu'à la valise dans le hall pour me contenter de fixer cette dernière comme si je ne comprenais pas ce qu'on attendait de moi. Si je partais maintenant, on ne se reverrait peut-être plus jamais... alors malgré la situation, je voulais retarder mon départ, et ce même si ce n'était que de quelques secondes, parce qu'après ça, je n'aurais plus d'attaches. Plus de famille. Plus rien. Pourquoi était-ce dans les pires moment qu'on prenait conscience de l'importance de ses proches? Pourquoi est-ce que je n'avais pas été capable de le ressentir un soir où nous regardions un film ou lors d'un dîner tout con, entre deux blagues? Bon sang... dites moi que ce n'est qu'un cauchemar et que je vais me réveiller. Ca doit être un cauchemar, parce que je suis persuadé d'être en train de pleurer même si mon visage est parfaitement sec.
Je suis tellement désolé pour toutes ces années, telllement désolé...
Au final, Sonic se sera contenté de faire comprendre de manière radicale que Robbyn n'avait plus de raison de remettre les pieds chez lui et le fera sortir de l'appartement sans avoir à trop insister puis-ce que le jeune homme ne résista pas à son ordre. Depuis, un froid avait prit place entre le père et le fils... et il dura jusqu'à mi-Octobre