HISTOIRE !
Alexys avançait d’un pied ferme dans le bâtiment qui leur servait de poste de police. Lorsqu’il passait devant eux, il saluait d’un hochement de tête rapide certains de ses collègues. Il savait qu’il devait avoir très mauvaise mine et qu’un grand nombre de rumeurs circulaient dans son dos depuis quelques jours. En fait, il pouvait presque entendre les chuchotements dans son dos, au bureau, du style qui s’arrêtait comme par hasard au même moment qu’il approchait. Le ton du brun, ainsi que tout dans son attitude, étaient suffisants pour arrêter à temps ceux qui auraient une quelconque remarque à faire sur les derniers événements. Alexys ne parlait que quand c’était absolument nécessaire, soit, le plus souvent, pour son travail. Pourtant, vu son expression et ses cernes, il n’y avait aucun doute qu’il était préoccupé, bien qu’il essayait de le cacher. Il évitait ainsi toutes questions autres que professionnelles en lien avec cette affaire. Alors qu’il marchait dans ce couloir interminable, cependant, ses pensées bouillonnaient en lui, l’étourdissaient jusqu’à lui donner la nausée. Arrivé à son bureau, il laissa tomber son badge et son arme à côté de la plaquette qui portait son nom, avant de se laisser tomber sur la chaise juste derrière. Lâchant un soupir, il s’appuyant sur son dossier de chaise et s’accorda le plaisir de fermer les yeux quelques secondes, histoire de remettre de l’ordre dans ses pensées bourdonnantes. Dans quelle merde s’était-il laissé embarquer au juste? L’on aurait dit que les choses empiraient de jour en jour, si seulement c’était possible. Qu’est-ce qui lui avait pris de trop s’attacher à cette femme, à la seule qui pourrait lui donner des problèmes? Comme s’il avait besoin d’avoir l’attention sur lui au poste de police. C’était en fait exactement ce qui était en train de se passer, sauf que Alexys, avec ces trucs louches qu’il avait du accomplir pour pouvoir réaliser ses études et devenir policier, n’avait pas vraiment besoin d’être découvert. Si ses collègues venaient à faire une enquête sur lui et ainsi révéler au grand jour les arnaques qu’il avait faites, s’en était fini de son job dans la police. Il ne pourrait plus jamais faire ce métier qui le passionnait depuis qu’il était tout petit. Ce métier pour lequel il s’était donné à cent pour cent pendant des années, enchaînant les heures supplémentaires et ne vivant que pour lui. Il ne pouvait pas se permettre de mettre à la poubelle ces années d’efforts…ni ces années de travail acharné pour payer ces foutus études que ses parents, ne gagnant eux-mêmes que peu de sous, ne pouvaient lui offrir.

« Détective O’Connors? » prononça soudain une voix grave à quelques mètres de lui. Alexys sursauta et ouvrit brusquement ses yeux, à demi éblouit par la lumière des bureaux. Depuis combien de temps était-il demeuré là, les yeux fermés? Il s’efforça de conserver un ton et un visage neutres, sans émotion, lorsqu’il répondit. « Oui, Détective Ford? » Alexys regarda avec politesse l’homme à la chevelure blonde et une barbe de quelques jours qui se trouvait devant lui, les sourcils froncés de le trouver les yeux fermés sur sa chaise. L’on pouvait le comprendre. « Le chef Dallas est là, il veut te voir dans son bureau, tout de suite » continua-t-il avec un air d’inquiétude pour son camarade sur son visage. Le détective Ford était l’un de ses bons amis au bureau. Ils avaient toujours eu une certaine complicité, en ou hors travail. Alexys avait vaguement hoché la tête pour lui signifier qu’il avait parfaitement compris avant de se lever d’un bond. C’est seulement lorsqu’il fut debout et à côté de l’autre détective qu’il s’aperçut que ce dernier ne l’avait pas quitté des yeux. Le brun le regarda un moment, comme pour lui demander en silence ce qu’il semblait vouloir lui dire d’autre. Le Détective Ford sembla hésiter, puis posa une autre question. « Est-ce que ça va Détective O’Connors? » Alexys soupira et ne répondit que par un grognement, avant de se tourner en direction de l’endroit où était le bureau du Chef, évitant les yeux bleus de son ami. « Pas besoin de venir, je sais très bien où est le bureau, vous pouvez disposer Détective. » Il avait espéré que le blond comprendrait ainsi qu’il n’avait pas envie de parler de cela. Son ton sans réplique eut l’effet escompté, puisque le détective partie sans demander son reste. Ne restait donc plus à Alexys qu’à aller faire un petit tour en direction du bureau du chef pour savoir ce qu’il voulait….et il n’est pas sans dire que le brun avait un très fort doute sur la raison de cette convocation.

Alexys était maintenant assis devant le bureau et prenait soin d’effacer toutes émotions de son visage. Le Chef et le Lieutenant étaient tous les deux présents. L’un était directement assis en face de lui, alors que l’autre, comme porté par une anxiété, faisait les cents pas derrière le bureau. « Chef, Lieutenant » salua Alexys, chaque mot étant accompagné par un léger hochement de tête en direction du concerné. Il tentait de conserver un ton neutre, mais avait conscience de ce que sa mauvaise mine pourrait révéler comme informations à ses supérieurs. Le brun soutint le regard de ses supérieurs sans broncher lorsqu’il reprit de nouveau la parole. « Vous vouliez me voir Chef? » L’homme mince et à l’expression glaciale derrière le bureau posa ses yeux dans les siens avec une grande intensité. « C’est exact Détective. » Conservant cet air neutre, le Chef posa un dossier devant Alexys. Ce dernier jeta un regard du côté du Chef; il savait que trop bien ce qui était à l’intérieur. Tentant d’ignorer avec peine la peur qui lui tordait le ventre, Alexys ouvrit d’un geste qu’il espérait neutre le dossier. La vision de la photo de Jordan, accroché avec un trombone avec les autres documents la concernant, sembla faire plonger son cœur dans sa poitrine comme une montagne russe. Pendant un temps, il eut le souffle coupé et ne put s’empêcher d’admirer les traits du visage de la femme qu’il avait aimé, aussi scrupuleusement que s’il croyait ne plus jamais la revoir. Il fit de son mieux pour cacher ce trouble, mais il savait plus que bien que ses supérieurs avaient tout deviné; ils avaient la tête de ceux qui étaient au courant pour leur relation. Sinon, ils n’auraient même pas pris la peine de l’interroger. Sans qu’il ne puisse les empêcher, ses pensées tourbillonnèrent dans son esprit, passant du jour de leur rencontre à celui, il y avait seulement de cela quelques jours, où il avait dût la trahir. Mais bon sang, comment aurait-il pu savoir que la femme qu’il fréquentait était en fait une fugitive recherchée de la police? Non, malgré toute la culpabilité qui lui rongeait les sangs, Alexys savait qu’il n’aurait jamais pu deviner qui elle était. Absolument rien n’aurait pu le lui dévoiler….à moins que ça ne soit que lui qui ne voulait pas le voir? Pourtant, leur première rencontre avait été d’une banalité désarmante. Il y a quelques jours encore, un sourire n’avait de cesse d’apparaître sur son visage lorsqu’il ressassait ces souvenirs. Maintenant, Alexys ne savait plus trop quoi en penser. Alexys et Jordan s’étaient rencontrés à la buanderie, alors qu’ils faisaient tous les deux du lavage et que la charmante demoiselle avait oublié son savon à lessive. Ils s’étaient mis, par la suite, à discuter presque comme s’ils s’étaient connus depuis toujours. Bref, il y avait toujours eu une grande complicité entre eux…et ils n’avaient pas tardé à enchaîner les rendez-vous. Cependant, leur…relation n’étant pas encore rendue au stade sérieux, ils se contentaient de se voir régulièrement sans vivre dans l’un avec l’autre. Ils avaient tout leur temps de toute façon….enfin, c’était ce qu’ils avaient pensé.

Le Chef, une lueur d’impatience dans la voix, toussa pour attirer l’attention de son détective. « Jordan Savannah Fletcher. Elle se faisait appeler Savannah dans son entourage. Vous la connaissez, non? Si je me trompe pas, c’est par vous que nous avons eu l’information qu’elle était dans le coin. » Alexys releva le regard et le planta sur le Chef. Pas question qu’il ne flanche. La honte de ce qui s’était passé le prenait à la gorge, mais, après tout, ne devait-il pas se dire qu’il n’avait fait que son boulot? Ce même boulot où il s’était tué à la tâche, enchaînant pendant des années les heures supplémentaires. Ce boulot qui l’avait définit en tant qu’être humain et ce, pendant des années. Jusqu’à ce qu’il rencontre Jordan. Alexys rêvait de devenir policier depuis qu’il avait huit ans, après que son frère se soit brusquement fait assassiner d’un coup de couteau dans les rues du quartier mal famé de San Francisco où il habitait. Oui, c’était depuis cette catastrophe qu’il avait su qu’il voulait, comme métier, protéger les gens, peut-être empêcher d’autres grands frères ou d’autres grandes sœurs de mourir. Tête dure comme il l’était, Alexys avait tout fait pour pouvoir réaliser son rêve, ne s’arrêtant pas une seule seconde au fait que ses parents ne pourraient lui payer de telles études. Et il avait réussit, à la plus grande fierté de ses parents (l'un Américain et l'autre, Canadien), qui avaient décédé il y a de cela quelques années. En fait, depuis leur mort, Alexys s’était donné corps et âme à son métier; de toute façon, il n’avait plus aucune famille ou amis hors du boulot, plus rien d’autre. Sachant que le Chef attendait une réponse, Alexys poursuivit « Oui, Chef. Je l’ai toujours connue sous le nom de Jordan. J’ignore pourquoi elle ne s’est pas présentée comme Savannah la première fois où nous nous sommes rencontrés. J’ai eu une relation avec cette femme sans savoir qu’elle était recherchée pour meurtre d’un policier. » Alexys prit une pause avant que le Chef ne l’encourage à continuer par un hochement de tête. « Donc, vous l’avez toujours connue en Jordan. Vous n’avez jamais sourcillé quand les autres l’appelaient Savannah devant vous? » ajouta le Chef, les sourcils froncés. Alexys ne put s’empêcher de serrer les dents. Avaient-ils seulement conscience de combien c’était difficile pour lui de dénoncer une femme qu’il avait aimé ? Bien sûr, malgré les émotions et les pensées qui bouillaient en lui, voulant le dominer, Alexys s’efforçait de conserver un visage neutre. Le Chef n’en avait rien à foutre de se sentiments; il avait bien conscience que c’était ce dont on attendait de lui. « Non Chef » répondit-il, une fois la colère qui montait en lui calmée. « Elle ne sortait pas beaucoup et n’avait pas beaucoup de connaissances dans le coin. J’ai appris en même temps que mes collègues qu’elle était recherchée. C’est là qu’on a tous compris qui elle était. J’ai aussi compris que c’était de mon devoir de vous aider dans son arrestation » termina-t-il sur un ton convaincant. Bon sang, s’il fallait qu’ils doutent de lui, enclenche une enquête et découvre qu’il n’avait pas toujours été clean…À cette pensée, la peur lui tordit un peu plus les entrailles. Et voilà, comme si ce n’était pas assez qu’il s’inquiète pour cette femme qu’il venait d’arrêter (bien malgré lui dans un sens), il fallait qu’il soit aussi anxieux pour son boulot. Nouveau hochement de la tête de la part du Chef, qu’Alexys ne savait pas trop comment interpréter à vrai dire. « Selon vos collègues, vous avez contribué à l’organisation de l’embuscade qui a précédé son arrestation. » Ce fut, cette fois, au tour d’Alexys d’hocher la tête. « Oui. Nous avions un souper en tête à tête ce soir-là, pour fêter nos six mois ensemble. Je devais arriver chez elle comme si de rien n’était. Une équipe complète était derrière moi. À mon signal, ils sont tous entrés dans la maison, armés bien sûr, et ont procédé à l’arrestation » termina-t-il. Prononcer ces mots rendait les choses encore plus réelles et lui causait de terribles hauts-le-coeur. Alexys se demandait encore si agir ainsi était la meilleure solution. Il n’arrivait tout simplement pas à croire qu’il avait livré aux policiers la femme qu’il avait aimée. En même temps, avait-il réellement eu le choix? Le brun avait appris qu’elle était recherchée en même temps que les autres, dont certains collègues proches de lui qui avaient immédiatement fait le rapprochement avec sa nouvelle petite amie. Bien sûr, ils l’avaient cru lorsqu’il avait dit ne pas être au courant. Cependant, il avait été bloqué net; ses collègues étant au courant de tout, il ne pouvait pas passer à côté de son arrestation et les empêcher de l’organiser. En fait, s’il avait agit ainsi, Alexys aurait probablement perdu son boulot. Complètement pris au piège, il avait du se rendre à l’évidence et participer à l’organisation de l’embuscade, puisqu’il avait aussi fait part à ses collègues, plus tôt dans la journée, du souper dans la soirée.

C’était donc le cœur serré et la peur au ventre qu’il s’était rendu chez lui après le travail. Pendant tout le temps qu’il s’était préparé, prenant sa douche et se changeant, il avait tenté de se convaincre qu’il agissait de la bonne façon, qu’il n’aurait pas pu agir autrement. Il avait tenté de se convaincre que cette femme l’avait manipulée, qu’elle ne pouvait qu’être dangereuse. Alexys ne réussit pourtant jamais complètement à avaler ces affirmations, comme si quelque chose en lui la croyait innocente. Pourtant, la colère montait en lui au fur et à mesure. La colère de s’être laissée prendre par elle, de s’être laissé manipuler. Elle lui avait menti sur toute la ligne; pourrait-il seulement croire encore un seul mot qui sortirait de sa bouche? C’est donc en colère et la peur au ventre qu’il s’était rendu chez elle, espérant à la fois qu’elle ait tout deviné par la télépathie et se soit sauvé qu’elle soit restée sur place pour l’arrêter. Alexys avait tenté de faire comme si rien s’était passé, mais, le connaissant plus que bien, elle avait deviné depuis le début que quelque chose ne tournait pas rond. Le cœur sur le bord des lèvres, n’en pouvant plus d’attendre, il avait fait le signal et toute l’équipe de policiers qui se tenaient devant la maison avait débarqué à l’intérieur. Bon sang. Le regard qu’elle lui avait jeté lorsqu’elle avait compris ce qui se passait, alors que ses collègues lui passaient les menottes aux poings. Il ne l’oublierait probablement jamais, malgré toute la colère qu’il ressentait à ce moment-là. Il l’avait trahie, c’était clair que c’était ce qu’elle croyait. Peut-être même pensait-elle qu’il avait sortie avec elle que pour la piéger davantage? Peu importe, elle ne comprendrait probablement jamais qu’il n’avait pas eu le choix et il s’en voulait énormément. Il la voyait encore passer devant lui, transportée par ses collègues et lui jetant un dernier regard rempli d’une haine et d’une déception profondes. Bref, même aujourd’hui, cette décision de la livrer était incertaine, il se torturait pour tenter de trouver d’autres solutions, sans succès. Elle était presque en train de le rendre malade. Le son de la voix du Chef, grave et profonde, acheva de le renvoyer à la réalité. « Vous avez bien agit, Détective O’Connors. Vous avez fait ce que vous aviez à faire, sans aucun doute. » Alexys hocha légèrement la tête; le Chef avait peut-être deviné son incertitude et tentait ainsi de le rassurer, mais cela ne fonctionnait guère. Il voulut répondre quelque chose, mais se retint au dernier instant; il allait peut-être perdre son job, ce n’était pas le meilleur moment de provoquer le Chef s’il voulait avoir des chances de la conserver. Aussi Alexys ravala-t-il sa franchise légendaire. « Donc, vous l’avez pris en embuscade et vos collègues se sont chargés de la ramener au poste. Vous n’êtes certainement pas sans savoir qu’elle a réussit à s’évader, n’est-ce pas? » Alexys perçut nettement l’accusation dans le ton du Chef. Allait-il l’accuser de complicité? Il s’empressa de mettre les choses au clair, afin de ne pas être plongé encore plus dans les problèmes qu’il ne l’était. « Oui, j’en ai entendu parler, mais vous pouvez demander à n’importe lequel de mes collègues. Je ne l’ai pas aidé. Je n’ai eu aucun contact avec elle depuis qu’elle s’est enfuie. » Il eut droit, encore une fois, à un haussement de sourcil réprobateur de la part du Chef. Alexys savait plus que bien que celui-ci garderait l’œil sur lui dans les prochains jours. Il devrait se montrer prudent, sans aucun doute. Il détestait cette perspective, mais devrait tout de même s’y préparer, connaissant le Chef. Pendant un instant, il se demanda où elle était, si elle avait réussit à s’enfuir, à se cacher. C’est avec honte qu’Alexys s’était aperçut ressentir un énorme soulagement en apprenant qu’elle s’était enfuie. Bon sang. Il n’aurait pas dû, il aurait du ressentir de la frustration vu qu’elle lui avait échappé. Il était policier, elle était criminelle merde! Cependant, il en était incapable. Pris d’une impulsion soudaine, il s’était levé, mettant lui-même un terme à cet entretien, qui ne menait nulle part de toute façon. Et puis....il en avait assez de tout cela et ne voulait que retourner à sa routine. Il plongea ses yeux dans ceux du Chef avec intensité, avant de répliquer. « Si vous n’avez pas d’autres questions Chef, vous m’excuserez. J’ai beaucoup de travail qui m’attend et je n’ai plus rien à dire sur ce cas. » Le Chef hocha la tête et, sans plus rien dire de plus, Alexys sortie avec détermination du bureau, ayant l’impression qu’un poids s’enlevait aussitôt qu’il fit un pas à l’extérieur. Il lâcha un soupir avant de se diriger vers son bureau, avec la satisfaction d’avoir dit tout ce qu’il avait à dire sans se contredire ou montrer ses émotions. Pas mal. Le brun n’était pas certain que le Chef avait gobé tout ce qu’il avait dit mais Alexys avait toujours été un bon policier, qui travaillait sans compter et sans faire de problèmes. Il espérait seulement que cela jouerait en sa faveur.

Maintenant ne restait plus qu’à tenter de se concentrer sur son foutu travail. Et il avait comme l’impression que ça serait presque impossible, aujourd’hui