1 juillet 1988, Boston. Tabitha et James Crowfield ne retiennent plus leurs larmes, après 9 mois d'attente. Tandis que la sage-femme déclare le solennel «C'est un petit garçon», la jeune maman ferme les yeux, épuisée par le travail que nécessite l'accouchement. Premier enfant pour ce couple modeste du Massachussetts, elle étant infirmière scolaire et lui garagiste passionné. Tout semble aller pour le mieux compte tenu du naturel de l'évènement: mais qui est trop banal tue le banal... et Curtis naquit.
24 décembre 1996, Boston. Dans le petit appartement de fonction de la famille Crowfield, tout semble aller pour le mieux, une nouvelle fois. Le sapin brille sous les yeux éblouis de deux enfants de sexes opposés: Curtis, le plus grand et Juliet, de quatre ans sa cadette. L'instant d'émerveillement les lie secrètement, comme l'une de ces promesses d'enfants, les silencieuses, pures et naïves mais tout semble pourtant les éloigner. Alors que le petit garçon aux boucles châtaigne se met à danser autour du sapin illuminé, Juliet, elle, reste assise, bouche bée devant les gesticulations de son grand frère. «Maman, maman, le père Noël va m'apporter tous les livres que j’ai commandé, hein ?». La mère, restée à l'arrière, regarda son garçon d'un air grave, ne sachant quoi répondre. «Et bien c'est à dire que... le père Noël fera comme il pourra mon cœur» bafouilla Tabitha, prise au dépourvu. «Le père Noël va apporter de quoi s'occuper de ta sœur et de quoi te faire homme». Le petit garçon cessa de danser et tenta de garder son sourire pétillant mais celui-ci régressait petit à petit. «Oui papa». Profondément déçu, le petit Curtis se rassit aux côtés de sa sœur, silencieux. Tabitha mit une main sur ses yeux, trop attristée par les dires de son mari. Ce n'était pas simple pour un couple aux revenus modestes d'à la fois combler un petit garçon original et prendre en charge une enfant atteinte de la trisomie 21.
7 octobre 2002, Boston. «Donne-moi ça. Donne-moi ça Curtis, c’est un ordre !» hurlait James à son fils, qui tenait entre ses bras deux ou trois gros livres à la reliure impeccable. Le père arrivait en hâte vers Curtis afin de lui arracher les précieux bouquins. «T’as pas le droit, t’es qu’un connard, casse-toi !» répliqua le gamin, apeuré par le ton grave et les gestes violents de son père, qui réussit à lui substituer ses livres. La main de James fit un grand trajet jusqu’à la joue de son fils, qui tomba instantanément par terre sous la force du geste. «Ton connard de père t’apprend comment survivre face à la vie. Et c’est pas avec des lignes que tu rempliras ton estomac pauvre imbécile.» Le pater tourna le dos à l’adolescent brutalisé, les larmes aux yeux.
08 juin 2005, aéroport de Boston. «Il fallait bien que tu nous quittes un jour mon grand. Prends ton envol, et évite de réciter du Shakespeare aux jolies filles, c’est démodé tu sais», déclara Tabitha à Curtis, dont elle était si fière. James, lui, restait silencieux derrière les membres de sa propre famille. C'est avec son baccalauréat en poche, la tête pleine de rêves, le cœur remplis de compliqués souvenirs, mais valises contenant bien des promesses que Curtis prit sa sœur malade entre ses bras. «Et n'oublie pas de nous envoyer le chèque chaque mois, nous comptons sur toi. Tu es un homme maintenant», répliqua son père, toujours aussi sérieux qu'à son habitude. Pourquoi se montrait-il si froid lors des moments importants ? Curtis ne le savait pas et en était profondément blessé. Quoi qu'il en fût, l'avion ne l'attendrait pas indéfiniment. Destination San Francisco, adieu Boston… Et pour faire plaisir à son père, Curtis entama dans une université californienne des études de finances… bien que cela n’ait jamais été sa vocation.
Aujourd'hui, San Francisco. Après trois de finances houleuses qu’il ne termina pas et un don inimitable pour la débrouillardise, Curtis se retrouve à presque 23 ans à vivre la vie de bohême qu’il a toujours rêvé d’avoir : pigiste par moment, barmaid le soir ou même professeur remplaçant à ses heures perdues. Sauf qu’en plus de payer une partie des frais hospitaliers de sa sœur, il doit trouver comment se remplir l’estomac et comment faire croire à son père qu’il a sa maîtrise de droit en poche… entre plans débrouilles et bonne humeur quotidienne, Curtis est un garçon qui vit au jour le jour et pour le plus grand bonheur de ses proches.